Deux nouvelles fresques remarquables découvertes à Pompéi

(Philippe Durbecq)

 

 

« Cest un de ces moments de ferveur que connait de temps en temps le petit monde de lhistoire de lart, ces fractions des mouvements du monde quand tout sarrête et que lon découvre un chef d’œuvre archéologique inhumé, oublié, ceux-mêmes que lon savoure avec bonheur à savoir cette longue chaîne de lhumanité, celle de la beauté qui nous donne la force dexister.


La force de la beauté, celle du regard, de l’émotion, de la tendresse, de ce qui existe de plus beau d’entre nous et que parfois nous avons le bonheur suprême de connaître.
 »

 

                                                           (Pierre-Alain Levy – 13 avril 2024) n Lévy 13 avril 2024

 

Je tiens à remercier vivement et sincèrement Madame Alix Barbet, spécialiste des fresques romaines pour la relecture de mon texte et pour ses conseils tout à fait pertinents sur l’usage des couleurs dans les fresques.

 

Je souhaite également exprimer ma grande gratitude à Madame Claudia Moretti pour ses précieux renseignements à propos de la répartition des terres à l’époque romaine. 

 

A Philippe Dieudonné, un ami de « bronze », qui m’a confié ses impressions et ses réflexions – toujours pertinentes et intelligentes – au sujet de cet article.

 

Enfin, je tiens à remercier également Madame Maria Luisa Natale du Parc Archéologique de Pompéi pour son aimable autorisation de publication des images des fresques de Pompéi (à des fins d’actualité et/ou de diffusion scientifique).



                                                                  

Rencontre d’Hélène et de Pâris Détail de la fresque du Salon noir (avec l'aimable autorisation du MIC - Parc Archéologique de Pompéi) 

                                            

Depuis plusieurs années, des fouilles et des travaux de sécurisation des sols ont lieu à Pompéi. Dans la région IX, notamment, ceux-ci ont apporté avec eux leur lot de découvertes, de sublimes fresques en particulier. Les dernières en date ont été réalisées sur fond noir dans une salle de banquet (appelée pour cette raison « le Salon noir ») et dans un sacrarium [1] aux murs d’un bleu céruléen.

Prononcer le nom de Pompéi évoque immédiatement chez votre interlocuteur la référence à des murs « rouge pompéien », une couleur somptueuse, chatoyante et vibrante, que l’on pensait autrefois uniquement due au cinabre, avant que les études de Sergio Omarini, chercheur de l'Institut national d'optique du Consiglio Nazionale delle Ricerche à Florence, ne vienne nuancer cette idée.

En fait les peintres romains pouvaient obtenir la coloration « rouge pompéien » en utilisant trois pigments : le cinabre (sulfure de mercure), la sinopis (terre de Sinope à base d’oxyde de fer) ou l’argile ocrée rouge [2] (rubrica) et, lors de la réalisation de leurs fresques, ils pouvaient superposer des couches de peintures ayant comme base des pigments différents. Mais, il est donc possible que certaines parties de peintures qui nous apparaissent rouges aujourd’hui soient en fait le résultat d’une exposition de l'ocre jaune à une chaleur supérieure à 700 °C, température à laquelle elle se transforme en ocre rouge, le pigment jaune étant littéralement « torréfié » par les gaz brûlants [3]. Bref, le « rouge pompéien » pouvait provenir du cinabre, d’ocre rouge ou d’ocre jaune chauffée de manière délibérée par le peintre, mais pourrait aussi résulter d’un effet non voulu par le peintre, et créé par la nature elle-même (la chaleur de l’éruption). Il est évident que ces différents cas de figure peuvent coexister dans les fresques du contexte vésuvien. Pas de manichéisme donc : tout ce qui était rouge à Pompéi en termes de fresques n’était pas nécessairement jaune au départ. Les choses sont beaucoup plus complexes que cela.

Sur la photo ci-dessous d’un mur de la villa des Papyrus à Herculanum, on distingue nettement une zone de changement chromatique sur les bords d’une fissure que le séisme a ouverte dans le mur, La couleur rouge révèle donc l’endroit où s’est produit l’échauffement des pigments et leur mutation chromatique provoquée par la très haute température du gaz qui s’est infiltré par la fissure. 

 

Photographie de la fissure de la villa des Papyrus prise par Sergio Omarini (que je remercie pour son aimable autorisation de reproduction)

 

Le fait que l’association de ce type de rouge à Pompéi soit si présente dans nos esprits provient sans doute en grande partie du vif succès que cette couleur rencontra au XIXe siècle dans le choix de la décoration des musées où elle fut abondamment utilisée dans la décoration murale. Pensons notamment à la Tribune des Offices, à la galerie palatine à Florence [4] ou à la galerie de peinture du musée Condé à Chantilly. 


La Tribune des Offices du peintre Johan Joseph Zoffany (Il est conservé à la Royal Collection du château de Windsor – œuvre dans le domaine public – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Tribune_des_Offices#/media/Fichier:Johan_Zoffany_-_Tribuna_of_the_Uffizi_-_Google_Art_Project.jpg)

 

Mais le « rouge pompéien » n’était pas la seule teinte utilisée dans la décoration des habitations des riches patriciens. Bien d’autres couleurs de fonds étaient employées et les dernières découvertes en portent témoignage.

 

« Le Salon noir »

La première découverte dans cette région IX (insula 10) est celle d’un « Salon noir » décoré de fresques sur un fond noir et illustrant des épisodes de la guerre de Troie. La salle est en forme de T (en bleu sur le plan).

Vue d’ensemble du « Salon noir » (avec l’aimable autorisation du MIC - Parc Archéologique de Pompéi)

Insula 10, Regio IX : plan d'un détail du quartier indiquant la salle noire (en bleu) et le sacrarium (en rouge), récemment découverts à Pompéi (avec l'aimable autorisation du MIC - Parc Archéologique de Pompéi)

Deux scènes légendaires tirées de l'Iliade y sont représentées : sur le mur de gauche, la rencontre d’Hélène, épouse de Ménélas, roi de Sparte, et de Pâris (qui enleva cette dernière, ce qui servit de prétexte au déclenchement de la guerre de Troie) ; sur le mur opposé, Apollon tentant de séduire la prêtresse Cassandre [5] (sœur de Pâris). Une séduction notoirement ratée.



Fresque du « Salon noir » montrant Apollon tentant de séduire la princesse Cassandre (avec l'aimable autorisation du MIC - Parc Archéologique de Pompéi) 

 

Cassandre fut en effet aimée d’Apollon. Elle se promit à lui en échange de l'apprentissage de l'art de la divination. Afin de gagner son affection, Apollon lui octroya dès lors le don de prédire l’avenir, mais une fois instruite, Cassandre ne lui accorda qu’un simple baiser en se moquant de sa naïveté. S’étant fait ainsi éconduire, en le tournant en ridicule, et Apollon ne pouvant par ailleurs pas abroger le don divin qu’il venait de lui conférer, le dieu jeta un mauvais sort à Cassandre (au moment de l’embrasser, il lui cracha dans la bouche) afin de neutraliser ce don en le rendant inopérant : désormais, les prédictions de Cassandre ne seraient jamais crues [6], même par sa propre famille. C’est ainsi qu’elle prédit la guerre de Troie et avertit en vain ses concitoyens du danger représenté par le cheval de bois, un stratagème des Grecs pour s’emparer de la cité. Apollon s’était toutefois rangé du côté des Troyens contre les envahisseurs grecs.

 

Le fait que Cassandre soit assise sur un omphalos vert entouré d’un filet doré, centre du monde (nombril du monde symbolisé par une borne avec cordages [7]) et symbole des prophéties apolloniennes, permet de l'identifier avec certitude, malgré l’absence d’inscription indiquant clairement son nom.

  

 

 Détail de la même fresque : Cassandre, assise sur un omphalos vert entouré d’un filet doré (avec l'aimable autorisation du MIC - Parc Archéologique de Pompéi)

  ; à droite, l’omphalos conservé dans le musée de Delphes (source :  https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Omphalos,_AM_of_Delphi,_201424x.jpg#/media/File:Omphalos,_AM_of_Delphi,_201424x.jpg – photographe : Zde - travail personnel)

 

Beaucoup de légendes existent à ce sujet et celle qui est la plus communément partagée est celle qui met en scène Zeus. A l’époque, les Grecs pensaient que la Terre était plate et ronde. Pour en déterminer son centre, Zeus aurait envoyé, de ses deux extrémités opposées, deux aigles. La rencontre de leur trajectoire se serait faite à Delphes, ce qui aurait donné l’image de ce centre et de ce nombril du monde.

 

Omphalos signifie ombilic en grec. De nombreuses copies de l’omphalos sacré existent dans le sanctuaire de Delphes. On peut notamment en voir un au bord de la Voie Sacrée, près du Trésor des Athéniens, qui a une forme conique et est exempt de toute représentation d’ornements, et un autre dans le musée, plus arrondi et sur lequel ont été sculptées des bandelettes rituelles entrecroisées. Ce dernier devait comporter un ornement à son sommet et devait être enchâssé dans une base à en juger par sa partie inférieure taillée en retrait (selon une théorie, l’omphalos était placé dans la cuve d’un trépied colossal, soutenu par les trois danseuses de la colonne aux acanthes qui est exposée dans la même salle du Musée de Delphes, les pieds du trépied reposant sur le chapiteau et encadrant ainsi chaque statue) [8].   

Reconstitution par l’Inrap de la colonne des danseuses et insertion dans le site de Delphes (diapositive 38/40 de la conférence https://www.inrap.fr/la-reconstitution-de-la-colonne-des-danseuses-de-delphes-9244 - pas de copyright mentionné)

 

Bien qu’elle soit assise sur un omphalos, le personnage ne représente donc pas la Sibylle de Delphes, mais bien Cassandre qu’il est intéressant de voir avec son frère, Pâris, sur des fresques assorties.

Cassandre porte un chiton marron qui laisse son épaule gauche découverte et un grand manteau beige, attaché dans le dos, ainsi que des bracelets aux poignets.

La tête, aux longs cheveux dénoués qui retombent sur les tempes, le cou et les épaules, est couronnée de laurier. Le bras gauche repose sur la jambe gauche et elle tient une branche de laurier à la main. Le bras droit semble posé sur un support, désormais disparu [9], tandis que la main est levée vers le front, dans un geste qui semble exprimer un grand désespoir, souligné également par le regard triste et les lèvres pincées, la pose, les gestes, l'expression du visage de la jeune fille.

 

Apollon est représenté nu, avec un grand manteau bleu [10] bordé d'or reposant sur l'épaule gauche. La tête, aux cheveux longs, est entourée d'une couronne de laurier et la main gauche est posée sur une cithare, deux attributs qui permettent d’identifier sans risque d’erreur, le dieu Apollon fixant intensément Cassandre du regard.

 

Le socle, délimité par une bande rouge en bas et une blanche au sommet, est à fond noir, comme le reste du mur et est orné d’une série de figures de satyres et de ménades avec des instruments de musique, tels que des tambourins, des cymbales et des flûtes de pan.

 

Les thèmes dominants de ce cycle de fresques sont donc les amours contrariées et lestées par de sinistres présages (l’un est incorrect aux yeux des Grecs même si Pâris et Hélène s’éprennent immédiatement l’un de l’autre … au premier regard (« le coup de foudre ») ; dans le cas d’Apollon et Cassandre, il s’agit d’un rejet amoureux), l’héroïsme à travers des représentations de couples de héros et de divinités protagonistes de la guerre de Troie, mais ces peintures évoquent aussi le destin et la possibilité qu’ont les humains de pouvoir le modifier (encore faut-il saisir sa chance) ou non (le péché de l’hubris – c’est-à-dire oser défier les dieux – est impardonnable, ce qui valut entre autres à Sisyphe, à Tantale, à Ixion et aux Danaïdes d’être enfermés dans le Tartare).

 


Détail de la même fresque : Apollon fixant intensément Cassandre du regard (avec l'aimable autorisation du MIC - Parc Archéologique de Pompéi) 


Le personnage anti-grec au possible est Pâris (l'inscription écrite en alphabet grec indique Ἀλέξανδρος, Alexandre qui est son autre nom [11]). Il est vêtu à la mode perse comme on peut le voir sur certains vases de la céramique grecque. Le jeune prince porte en effet de somptueux vêtements orientaux : une tunique bleu clair à manches longues et à bandes jaunes, fermée à la taille par une ceinture, est ornée d'une rangée de quadrilatères jaunes et rouges sur fond blanc crème encadrés de deux fines bandes rouges. Le pantalon anaxyride [12], de ton vert jaunâtre, est décoré de lignes horizontales rouges et bleues. Un grand manteau vert, posé sur l'épaule gauche, recouvre partiellement les jambes. Pâris est coiffé d'un bonnet phrygien dont les bandes latérales retombent sur les épaules.

  

Rencontre d’Hélène et de Pâris Détail de la même fresque (avec l'aimable autorisation du MIC - Parc Archéologique de Pompéi) 

Face A d’un cratère en cloche à figures rouges apulien (Tarente ?) : à droite, Pâris portant un bonnet phrygien, face à Hélène (attribué au Peintre de Stockholm – œuvre dans le domaine public - musée du Louvre – source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Helene_Paris_Louvre_K6.jpg). Il s’agit certainement de l’arrivée de Pâris en tant qu’ambassadeur, comme le prouve le présent qu’il apporte à Hélène.

 

Et à ses pieds, son chien, probablement un molosse, semble bien penaud (en tout cas, il est apparemment plus apeuré et pensif que redoutable), censé surveiller les moutons ! La main gauche de Pâris tient un pedum, bâton en forme de crosse des bergers (attribut de plusieurs divinités champêtres, dans l'Antiquité). Ces deux attributs font donc référence à l'enfance de Pâris, qui était celle d’un berger. 

Détail du « Molosse » au pied de Pâris (avec l'aimable autorisation du MIC - Parc Archéologique de Pompéi)

 

Cassandre avait en effet identifié Pâris comme étant le futur responsable de la ruine de Troie. D’après Euripide (Andromaque), elle demanda, malgré qu’elle fût sa sœur, à ce que cet enfant soit tué, mais Priam et Hécube l’exposèrent sur le mont Ida où il aurait dû trouver la mort. Priam avait chargé un berger, nommé Agélaos de l'y abandonner. Dans un premier temps, Agélaos s'acquitta de sa mission, mais quelques jours plus tard, pris de remords, il retourna à l'endroit où il avait déposé l'enfant. De le revoir encore en vie, materné par une ourse, corrobora sa décision qu'il devait le sauver. Il emmena l’enfant avec lui et l'appela Pâris.

 

En face, Hélène, accompagnée d’une servante tenant un éventail en forme de feuille, s’approche tranquillement de Pâris, tandis que celui-ci tend le bras droit vers l’avant comme pour prendre son amante par la main, geste qu’esquisse d’ailleurs Hélène également. La fresque suit donc certains récits antiques qui affirment qu’Hélène n’a pas été enlevée de force par Pâris, mais qu’au contraire, elle a quitté Sparte de son plein gré, étant tombée amoureuse de Pâris. C’est la version suivie dans le film « Troie » : Hélène est présentée comme étant totalement envoûtée par Pâris et s’en va de Sparte de son plein gré.

 

Se pose alors la question de savoir s’il y a eu concrètement un enlèvement d’Hélène, une emprise de la déesse Aphrodite sur elle, ou un amour réel d’Hélène envers Pâris.

 

Tout d’abord, soulignons que le « kidnapping » de Pâris – s’il s’agit réellement d’un enlèvement – n’est pas le premier pour Hélène : à douze ans, alors qu’elle était déjà l’épouse de Ménélas, elle s’était déjà faite enlever par Thésée, héros athénien séduit par sa sublime beauté, qui l’emmena à Athènes. Elle aurait donné naissance à une fille de l’Athénien nommée Iphigénie (selon d’autres versions, Iphigénie est fille d’Agamemnon, roi de Mycènes et de Clytemnestre).

 

Le pouvoir d’Aphrodite semble, en l’occurrence, être l’explication primordiale.

 

Dans la plupart des versions, il est simplement indiqué qu'Aphrodite a enjoint Éros de faire en sorte qu’Hélène tombe amoureuse de Pâris. Hélène n’avait donc pas le choix : elle avait été donnée comme « prix » d’un concours à Pâris par la déesse (Aphrodite avait reçu la pomme d’Éris et voulait récompenser Pâris de l’avoir choisie comme la plus belle déesse) et elle devait dès lors se soumettre à l’arrêt divin. On parlerait aujourd’hui d’asservissement ou de manipulation (autrement dit, conduite à suivre sans qu’Hélène ne dispose de son libre arbitre). D’ailleurs, après le duel de Pâris et Ménélas, Hélène s’en prend vertement à Aphrodite pour lui reprocher d’avoir agi ainsi.

   

En dehors de l'Iliade, dans la tragédie d'Euripide Hélène, cette dernière a été sauvée par Héra qui l'a emmenée en Égypte (Hélène aurait donc, dans cette version du mythe troyen, vécu la guerre de Troie exilée en Egypte). Là, elle a patiemment attendu Ménélas qui l'a finalement retrouvée et ramenée à Sparte (intrigue rapportée dans le Livre II d’Hérodote).

 

Quant à l’iconographie, on ne voit, du moins à ma connaissance, pas de contrainte de la part de Pâris pour emmener Hélène à Troie. Sauf erreur de ma part, je ne connais pas de représentation antique montrant une quelconque violence envers Hélène. Tout au plus, voit-on sur un panneau d’une sculpture grecque du Latran qu’il lui prend la main et le bras pour l’aider à embarquer à bord de son navire. Ce geste peut corroborer la version d’Apollodore où il parle de la persuasion de Pâris. Mieux même, sur une représentation réalisée par le peintre de vases athénien Makron sur un skyphos conservé à Boston, Hélène suit Pâris comme une mariée à la suite d'un marié : Eros voletant entre les deux personnages indique la séduction plus que la force ; Pâris, précédé d'Énée, saisit Hélène par le poignet et l'emmène ; Pétho, la déesse de la persuasion, couronne Hélène avec les encouragements d'Aphrodite. 

L'enlèvement d'Hélène. Bas-relief grec. Musée du Latran, Rome (source : https://www.cosmovisions.com/$Helene.htm)

 

Skyphos de Makron (face A) du Museum of Fine Arts de Boston (source : GJCL Classical Art website – lien : https://gjclarthistory.blogspot.com/2015/04/the-abduction-of-helen.html - pas de mention de droit d’auteur - Publié par gjclarthistory le vendredi 10 avril 2015)

 

En revanche, le rapt de Thésée semble avoir été plus brutal, du moins à en juger par la scène figurant sur la face A d'un cratère en cloche attique à figures rouges du Musée du Louvre.

 

Rapt d’une femme (probablement Hélène) par Thésée (face A d'un cratère en cloche attique à figures rouges du Peintre de Comaris – œuvre dans le domaine public – photographe : Marie-Lan Nguyen et un auteur supplémentaire — Travail personnel – source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Theseus_pursuit_Louvre_G423.jpg).

 

Les peintres baroques, ayant un goût prononcé du mouvement, de la dramatisation, de l'exubérance décorative, s’en sont donné à cœur joie comme Luca Giordano qui a traité à plusieurs reprises le thème du rapt (Hélène, Déjanire, Europe, les Sabines).  

L’Enlèvement d’Hélène (Musée des Beaux-Arts de Caen (licence : CC-by-SA 2.0– photographe : Patrick de Compiègne – source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Caen_(Calvados)_-_Mus%C3%A9e_des_Beaux-Arts_-_%22Enl%C3%A8vement_d%27H%C3%A9l%C3%A8ne%22_(Luca_Giordano,1634-1705)_(48681613121).jpg)

 

Toujours est-il qu’enlèvement ou départ délibéré d’Hélène pour Troie, cette escapade conjugale n’a pas été du goût de son mari, le roi Ménélas pour lequel elle constitue une insulte qu’il ne peut supporter et un prétexte tout trouvé par le roi Agamemnon pour s’attaquer à la riche et stratégique cité de Troie. Nous en reparlerons dans notre prochain article.

 

Une autre fresque retrouvée dans cette salle de banquet dénommée « Salon noir », représente Léda, la mère d’Hélène. Séduite par Zeus qui avait pris l’apparence d'un cygne, elle était reine de Sparte et également la mère des jumeaux Dioscures. Hélène naquit donc d’un œuf, comme on peut le voir dans une pièce en calcaire blanc du Musée Archéologique National de Métaponte représentant l’éclosion de l’œuf ou ekkolapsis (ἐκκόλαψις) en grec.

                                                                      

 

À gauche, fresque de Léda et de Zeus métamorphosé en cygne dans le « Salon noir » (avec l'aimable autorisation du MIC - Parc Archéologique de Pompéi) ; à droite, petite sculpture en calcaire blanc montrant la naissance d’Hélène (Musée Archéologique National de Métaponte – source :https://mythologiae.unibo.it/index.php/2021/05/21/elena-nasce-dalluovo/#:~:text=Descrizione%3A%20Piccola%20scultura%20in%20calcare,fine%20del%20V%20secolo%20a.C).

 

Paradoxalement, peu de textes antiques (du moins étoffés) nous renseignent sur le mythe de Léda. Dans l’œuvre d’Ovide, deux très courts fragments de vers y font allusion, l’un dans les Métamorphoses (livre VI, 109, p. 158 éd. GF), dans l’épisode d’Arachné (son accouplement avec Zeus : « Elle représenta Léda couchée sous les ailes d’un cygne »), l’autre, dans l’Art poétique (147 [13]) en ce qui concerne les œufs.

 

Outre Ovide, il subsiste aussi un petit paragraphe de la Bibliothèque d'Apollodore (Livre III, Chapitre X, § 7), qui fait également mention de Léda :

 

« Jupiter, sous la forme d'un cygne, ayant joui de Léda, et Tyndare ayant eu commerce avec elle la même nuit, elle eut de Jupiter, Pollux et Hélène, et de Tyndare, Castor. Quelques écrivains disent qu'Hélène était fille de Jupiter et de Némésis 19, qui ayant pris toutes sortes de formes, pour se soustraire aux poursuites de Jupiter, se changea enfin en oie ; Jupiter alors prit la forme d'un cygne, jouit d'elle, et elle accoucha d'un œuf 20. Un berger ayant trouvé cet œuf dans les bois, le porta à Léda, qui l'enferma dans une armoire ; le terme étant arrivé, Hélène en sortit, et Léda l'éleva comme sa propre fille.

 

Hélène étant devenue célèbre par sa beauté, Thésée l'enleva 21, et la conduisit à Athènes ; Castor et Pollux ayant attaqué cette ville, tandis que Thésée était aux enfers, s'en emparèrent, reprirent Hélène, et emmenèrent captive Æthra, mère de Thésée [14]. ».

 

Ce thème de l’union de Léda avec Zeus et de la naissance d’Hélène (de sa sœur Clytemnestre et de ses deux frères, les Dioscures Castor et Pollux) à partir des deux œufs, présent dans la littérature latine (Horace, Art poétique, 147) et dans l’iconographie [15] romaine (cf. les découvertes de la fresque de 2018 dans une chambre à coucher de la Via del Vesuvio et celle de 2024), fut remis à la mode à la Renaissance par Léonard de Vinci [16] avec sa Léda et le cygne. C’est d’ailleurs sa seule peinture mythologique, mais elle a malheureusement disparu et on n’en possède plus que quatre copies dont une à la Galerie Borghèse : on y voit clairement aux pieds des deux jumeaux l’œuf duquel vont « éclore » Hélène et Clytemnestre.

 

Le délicat travail de dégagement effectué par une archéologue de la fresque lascive illustrant les ébats de Léda et de Zeus transformé en cygne (avec l'aimable autorisation du MIC - Parc Archéologique de Pompéi)


Le cygne déploie son aile droite pour enlacer les hanches de la jeune femme, dans un geste qui a quelque chose d’humain, mais qui souligne la volupté de ses formes, tandis que son déhanché et la torsion de son buste mettent en valeur ses courbes féminines. Le peintre insiste sur la douceur et la beauté idéalisée de la femme nue qui embrasse tendrement l’animal tout en gardant un œil sur ses nouveau-nés.

Le centre symbolique de la composition est l’œuf dissimulé dans l’herbe dont la forme est répétée par la figure de Léda enlacée par le cygne.

 

Léda et le cygne (copie d’après un tableau perdu de Léonard de Vinci conservé à la Galerie Borghèse à Rome - Œuvre dans le domaine public - source : https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9da_et_le_Cygne_(Galerie_Borgh%C3%A8se)#/media/Fichier:Leda_and_the_Swan_1510-1515.jpg)

Un détail dans la fresque du « Salon noir » concerne la couleur de la chevelure des deux protagonistes : Hélène et Pâris ne sont pas blonds. Normalement, ; quant à Hélène, la seule référence que nous ayons à la couleur des cheveux d'Hélène est celle de Sappho [17], qui décrit Hélène comme « ξανθή » (xanthḗ). Ce mot est généralement traduit par « aux cheveux blonds », mais il pourrait être utilisé pour décrire « aux cheveux blonds roux ».

« Quand nous restons face à face et que je te regarde
dans cette lumière où tu apparais, pas même Hermione
n'est aussi belle, Hélène aux cheveux d'or c'est toi,
elle est ta ressemblance, il n'y a rien d'étrange à le dire ... ».

Le seul autre détail de ses traits dont j’aie connaissance est une référence à ses yeux comme « κυανῶπις » (kyanôpis), ou yeux bleu brillant. Autrement dit, Hélène était imaginée à l’époque comme étant une blonde aux yeux bleus. L’actrice Diane Kruger qui a joué le rôle d’Hélène dans le film « Troie » répond parfaitement à ces caractéristiques. 

L’actrice Diane Kruger dans le rôle d’Hélène dans le film « Troie » (source : https://gabtor.wordpress.com/2010/02/24/diane-kruger-troy-movie-photo-gallery/ - pas de mention de copyright)

Il en est de même pour Cassandre qui était « semblable à l’Aphrodite d’or » nous dit Homère [18].

 

Quant à Apollon, ses cheveux sont toujours bruns. Sur la fresque du « Salon noir », on remarquera que pour un dieu de la lumière, de l'harmonie et de la belle apparence, Apollon présente un physique assez quelconque, si on le compare aux normes de la statuaire grecque (je pense en particulier à l'Apollon du Belvédère) où sa beauté triomphe. On peut dès lors se demander si le peintre a oublié cette esthétique de la belle apparence ou s’il agit plutôt d’une question de talent artistique.

 

Je pense qu’il faut se faire à l’idée que les peintures murales de Pompéi (sauf la « Villa des Mystères ») sont des travaux de décorateurs charmants et inventifs, rien de moins mais rien de plus.  Pompéi, c'est un peu Ostende et Biarritz au XIXe siècle, mais nullement un lieu prestigieux ou un lieu de pouvoir. Par contre, avec les fresques romaines de la Villa de Livie, et leur jardin enchanteur, on se situe vraiment à un autre niveau.

 

En fait, l’Apollon du Belvédère et celui représenté sur les fresques du « Salon noir » illustrent cette énorme différence entre le grand art et un sympathique artisanat à la façon des décors du café Florian à Venise.

 

On pourrait imaginer, comme y fait poétiquement allusion le Directeur du Parc archéologique de Pompéi, Gabriel Zuchtriegel, que ces sujets mythologiques étaient propres à divertir des invités en leur fournissant des thèmes de conversation et de réflexion sur le sens de l'existence, tout en dégustant quelques coupes de Falerne, à la lueur de lampes à huile aux flammes vacillantes, animant ainsi ces personnages de légende.

 

Ne nous berçons cependant pas d’illusions en nous faisant une trop belle idée des conversations des riches bourgeois de Pompéi : comme on le voit très bien encore chez Honoré de Balzac, la noblesse des décors ne fait nullement celle des gens qui les hantent. 

 

Quant aux murs peints en noir, je ne suis pas convaincu que cette couleur [19] ait été destinée à masquer les traces disgracieuses laissées par les fumées des lampes à huiles ou autres lanternes. Certes, on se réunissait pour le banquet en fin de journée et un éclairage artificiel était dès lors nécessaire, mais alors pourquoi avoir peint des figures avec des couleurs pâles qui, elles, sont susceptibles d’être dégradées par la fumée ? De plus, la pièce était ouverte sur l’extérieur (elle donnait sur une cour [20]) et devait donc être suffisamment ventilée pour ne pas être souillée par la suie.

 

Personnellement, je pense que badigeonner de larges surfaces comme cadre autour de figures peintes en couleurs claires n'a pas de sens si le but était de les préserver de la suie (l'important, ce sont les figures et les inscriptions, mais pas les pans de murs en couleur uniforme qu'on peut repeindre en principe plus facilement, sans faire nécessairement appel au pictor imaginarius (l'artisan le mieux payé – 150 deniers par jour, contre 75 pour un peintre non spécialisé –). D'autre part, les lampes à huile de l'Antiquité utilisaient de l'huile d'olive, en principe sans fumée et sans odeur, à condition d'employer de l'huile d'olive sans impuretés – sauf que, malheureusement, les Romains remplissaient leurs lucernae de leur plus mauvaise huile d'olive [21]. Enfin, vu les dimensions de cette salle de banquet (environ 15 mètres de long pour six mètres de large) et le fait qu'elle s’ouvrait sur une cour, il ne devait guère y avoir, à mon sens, de problème de suie.

 

D’autre part, il faut savoir que le noir était une couleur de luxe [22], donc à utiliser avec parcimonie si la destination en était si prosaïque, mais sans modération si l’on était riche. Or, il s’agit bien ici d’afficher sa réussite sociale. 

 

Pline l'Ancien parle d'atramentum à propos des noirs de carbone. Il explique comment obtenir différents noirs :

 

« On fabrique le noir de plusieurs façons, avec la fumée que donne la combustion de la résine ou de la poix ; aussi a-t-on construit pour cela des laboratoires qui ne laissent pas cette fumée s'échapper. Le noir le plus estimé se fait de cette façon, avec le pinus teda ; on le falsifie avec le noir de fumée des fourneaux et des bains, et c'est de celui-là dont on se sert pour écrire les livres. Il en est qui calcinent la lie de vin desséchée ; et ils assurent que si la lie est d'un bon vin, le noir ainsi obtenu ressemble au noir indien. Polygnote et Micon, les célèbres peintres d'Athènes, en ont préparé avec du marc de raisin, qu'on appelle « tryginon » en grec (de trux = lie). Apelle a imaginé d'en préparer avec l'ivoire brûlé, et lui a donné le nom d'éléphantinum. On apporte aussi de l'Inde le « noir indien » dont jusqu'à présent la composition m'est inconnue. Les teinturiers en font avec une efflorescence noire qui s'attache aux chaudières de cuivre. On l'obtient encore en brûlant le bois du pinus teda, et en triturant les charbons dans un mortier. Les seiches, par une propriété merveilleuse, ont un noir, mais on ne s'en sert pas. La préparation de tout noir se complète au soleil : du noir à écrire, par l'addition de la gomme ; du noir à enduit par l'addition de la colle » (Histoire naturelle, Livre XXXV, Traitant de la peinture et des couleurs, chapitre XXV).

 

On considère souvent Apelle comme le plus grand peintre de l’Antiquité et son utilisation du noir a été jugée magistrale. Il peignait les murs exclusivement dans les couleurs noir, jaune, rouge et blanc [23] et il le faisait avec tant d’art que l’on se demandait même si l’on devait encore utiliser d’autres couleurs. A notre époque, certains peintres, comme Pierre Soulages, Mark Rothko, Jackson Pollock, Richard Serra, Henri Matisse ont développé une véritable fascination pour le noir, au point de n’utiliser que le noir dans leurs tableaux (black paintings) et de le décliner sous toutes ses nuances.  

 

Les Romains opéraient une distinction entre le noir sous ses aspects mat (ater qui donne « âtre ») et brillant (niger qui donne « noir »). Niger est le noir brillant de certaines pierres (comme la lapis niger, l’énorme dalle noire sous laquelle, dans le Forum romain, se trouvait ce que l’on appelait le tombeau de Romulus ou l’obsidienne décrite comme « nigra »). Ater est le noir éteint, inerte du charbon (les Romains employaient toujours « ater » pour la région infernale parce qu’en Enfer, il n’y a pas de reflets).    

 

Niger                                                      Ater

 

Autrefois donc, la distinction entre mat et brillant, entre clair et sombre, entre lisse et rugueux, entre dense et peu saturé, était souvent plus importante que les différences entre colorations.

            

Le sacrarium ou « chambre bleue »

Les fouilles en cours dans cette même Région IX à Pompéi [24]  ont récemment restitué un ensemble de plusieurs pièces qui peut être interprété comme un sanctuaire (une salle de dévotion privée), avec des murs sur fond bleu, rouge et noir, attribuable au quatrième style (développé entre 50 et 79 ap. J.-C.) [25] et décoré de figures féminines flanquant les niches situées au centre de chaque paroi.

 

Elles représentant les saisons (le printemps tient une biche dans sa main droite et une guirlande dans sa main gauche, l’été porte une gerbe de blé, l’automne tend un panier de fleurs et l’hiver tient deux oiseaux dans ses mains), les Horae dans les niches latérales, ainsi que deux allégories dans celles du mur central, respectivement de l'agriculture et du pastoralisme (élevage), reconnaissables aux attributs de la charrue et du pedum. 

 

La chambre bleue dans la zone 10 du quartier « IX » des ruines du Parc archéologique de Pompéi, 2024 (avec l'aimable autorisation du MIC - Parc Archéologique de Pompéi)    

 

A gauche, peinture murale représentant le printemps tient une biche dans sa main droite et une guirlande dans sa main gauche ; à droite, figure allégorique de l’agriculture tenant une charrue, dans la chambre bleue, découverte dans le parc archéologique de Pompéi, 2024 (avec l'aimable autorisation du MIC - Parc Archéologique de Pompéi)

L’automne (avec l'aimable autorisation du MIC - Parc Archéologique de Pompéi)

 

Pour mieux comprendre sa signification historique et culturelle, il est nécessaire de rappeler brièvement le contexte politique et social plus large dans lequel cette peinture se situe, à savoir la fin des guerres civiles, la redistribution des terres aux vétérans et l’importance du monde agricole dans l’Antiquité.

 

Comme l’indique son Testament (Res Gestae Divi Augusti), Auguste avait mis fin aux guerres civiles [26], ce qui signifie – entre autres – armée de métier et retour des hommes aux champs.

 

Initialement, l’armée romaine était essentiellement composée de citoyens qui, une fois la campagne militaire terminée, retournaient chez eux et s’occupaient de leurs champs, mais à partir du Ier siècle avant J.-C., la professionnalisation de l’armée prend de l’ampleur. Quant aux distributions massives de terres aux vétérans, elles ont eu lieu surtout après la victoire du triumvirat sur les républicains et cela s’est fait au détriment de certaines cités italiennes. Puis les distributions ont continué pendant l’époque julio-claudienne, et sous les Flaviens. Ce phénomène a été bien étudié par différents auteurs [27].

 

 Réplique, réalisée pendant la période fasciste, du texte des Res gestae Divi Augusti (l'autobiographie autocélébrante écrite par l'empereur Auguste), gravée le long de la base du musée de l'Ara Pacis à Rome, face au mausolée d'Auguste (source : ouvrage auto-édité de Giovanni Dall'Orto , 29 mars 2008 - photographe et permission d’utiliser la photo : G. Dallorto - https://commons.wikimedia.org/wiki/File:8169_-_Roma_-_Testo_Monumentum_Ancyranum_presso_Ara_Pacis_-_Foto_Giovanni_Dall%27Orto,_29-Mar-2008.jpg)

 

Sur le plan littéraire, le reflet de cette évolution apparaît clairement chez Virgile, qui composa, dans les années 30 du premier siècle avant J.-C., les Géorgiques, célébrant l’aube d’une ère nouvelle, en cohérence avec le projet d'Octave. Déjà quelques années auparavant (vers 42-39 av. J.-C.), dans les Bucoliques, Virgile évoquait, dans la quatrième églogue, la naissance d’un nouvel âge d'or.

 

Mais, derrière l’apparence idyllique, transparaît un profond sentiment d’amertume et de perte irrémédiable d’un monde disparu : dans la première églogue, il est fait référence à la redistribution des terres des paysans italiens en faveur des vétérans de la guerre civile. L’ère du renouveau est en réalité (aussi) une époque de nostalgie, comme l’annonce Gabriel Zuchtriegel déjà dans le titre de son article [28].

 

« Heureux vieillard, tes champs te resteront donc ! et ils sont assez étendus pour toi, quoique la pierre nue et le jonc fangeux couvrent partout tes pâturages. Des herbages inconnus ne nuiront pas à tes brebis pleines, [50] et le mal contagieux du troupeau voisin n'infectera pas le tien. Vieillard fortuné ! là, sur les bords connus de tes fleuves, près de tes fontaines sacrées, tu respireras le frais et l'ombre. Ici l'abeille d'Hybla, butinant sur les saules en fleurs qui ceignent tes champs de leur verte clôture, [55] t'invitera souvent, par son léger murmure, à goûter le sommeil : et tandis que du haut de la roche l'émondeur poussera son chant dans les airs, tes chers ramiers ne cesseront de roucouler, la tourterelle de gémir, sur les grands ormeaux.

 

(…)

 

Mais nous, tristes bannis, nous irons, les uns chez les Africains brûlés par le soleil, [65] les autres chez les Scythes glacés, en Crète, sur les bords de l'impétueux Oaxis, et jusque chez les Bretons, séparés du reste du monde. Ah ! me sera-t-il donné, après un long temps, de revoir la contrée de mes pères, mon pauvre toit couvert de gazon et de chaume, et d'admirer encore mon champ, mon royaume, et ses rares épis ? [70] Quoi ! c'est pour un soldat inhumain que j'ai tant cultivé ces guérets ! Le barbare aura ces moissons ! Voilà donc où la discorde a amené de malheureux citoyens ! Voilà pour qui nous avons ensemencé nos champs ! Ente donc, Mélibée, ente des poiriers, range tes vignes sur le coteau. Allez, mes chèvres, troupeau jadis heureux, allez : [75] je ne vous verrai plus, de loin couché dans un antre verdoyant, pendre aux flancs des roches buissonneuses. Je ne chanterai plus ; non, mes chèvres, vous n'irez plus, menées par moi, brouter le cytise en fleur et les saules amers. » (Mélibée et Tityre, Bucoliques I)

 

En ce qui concerne la couleur de fond de la fresque, paradoxalement, à l'exception de l'Egypte pharaonique, où il est censé porter bonheur dans l'au-delà, le bleu est l'objet d'un véritable désintérêt durant l’Antiquité alors qu’il est pourtant omniprésent dans la nature, et particulièrement en Méditerranée.

 

L’historien français Michel Pastoureau, spécialiste de l’histoire culturelle des couleurs observe que, chez les Romains, cette couleur est généralement peu appréciée – voire même déconsidérée. Ce discrédit trouvait son origine dans le fait qu’en Gaule, le bleu provenait d’une teinture de moindre qualité (on utilisait le pastel issu d’une plante – la guède [29], isatis tinctoria –). Ne tenant pas bien, cette couleur perdait rapidement de son intensité et était vite délavée. On en faisait donc un usage modéré (à Rome, personne ne s'habille de bleu : ce serait extravagant). On oppose d’ailleurs à la couleur pourpre de l'Empire romain (color officialis), la couleur barbare (caeruleus color). Le bleu est en effet « la couleur des Barbares, notamment des Celtes et des Germains. Non seulement parce que ceux-ci ont souvent les yeux bleus – ce qui à Rome est dévalorisant » (pour les femmes, c’est un signe de mauvaise vie, pour les hommes, une marque de ridicule) – « mais aussi parce que, chez plusieurs peuples de Gaule, de Bretagne et de Germanie, certains guerriers avaient coutume » « de se teindre le corps au pastel pour apparaître redoutables au combat : – aux dires de César [30] et de Tacite, ce bleu grisé leur donnait en effet un aspect « fantomatique » qui effrayait leurs adversaires », de sorte qu’on avait l’impression de combattre des « armées de spectres ». Un peu plus tard, ce sont les Pictes [31], venus d’Ecosse entre le IIIe et le IXe siècle qui reprirent cette tradition guerrière et colorée.

 

A ce sujet, Michel Pastoureau fait, à juste titre, remarquer l’indigence de termes pour définir la couleur bleue : « Le vocabulaire lui-même souligne cette méfiance ou ce désintérêt des Romains pour la couleur bleue. Dire « bleu » en latin classique n'est pas un exercice facile. Il existe certes un grand nombre de mots, mais aucun ne s'impose vraiment. Tous sont en outre polysémiques et expriment des nuances imprécises. Ainsi le mot cæruleus, le plus fréquent pour dire bleu à l'époque impériale, désigne à l'origine la couleur de la cire. Les frontières entre bleu et noir, bleu et vert, bleu et gris, bleu et violet et même bleu et jaune restent floues et perméables. Il manque au latin un ou deux termes de base qui permettraient d'asseoir solidement le champ lexical, chromatique et symbolique du bleu, comme cela se fait sans difficulté aucune pour le rouge, le vert, le blanc et le noir. Cette imprécision du lexique latin des bleus explique du reste pourquoi, quelques siècles plus tard, toutes les langues romanes seront obligées de solliciter deux mots étrangers au latin pour construire leur vocabulaire dans la gamme de cette couleur : d'un côté un mot germanique (blau), de l'autre un mot arabe (azur) [32] ».

 

C’est la raison pour laquelle aucun des termes désignant le bleu en français ne vient du latin ou du grec : ces langues ne possédaient pas de mots stables et précis pour désigner cette couleur. L’absence de bleu dans les textes anciens a d’ailleurs tellement perturbé les scientifiques que certains philologues du XIXe siècle ou pseudo-savants en sont venus à croire (sérieusement) que les peuples antiques ne voyaient pas le bleu ou étaient atteints de « cécité des couleurs » (daltonisme), ce qui est évidemment absurde.

 

Le bleu a été importé d’Égypte vers Pompéi. Appelé au début bleu égyptien à cause de sa provenance initiale, on l’a plus tard appelé bleu de Pompéi [33] ou même bleu de Pouzzoles (car au moins trois ateliers de fabrication ont été identifiés dans la région des Champs Phlégréens : Pouzzoles, Liternum et Cumes [34]). C’était un produit de luxe absolu et il était utilisé dans l’ancienne Égypte depuis au moins 2 500 avant J.C. pour la décoration murale (mais pas uniquement : on l’utilisait également en glyptique et pour la décoration des vases. De nombreux scarabées et autres objets ont été fabriqués en bleu égyptien massif [35]). À cette époque déjà, l’offre et la demande déterminaient le prix et le bleu était si recherché à Pompéi que son prix dépassait parfois même le prix également astronomique du pourpre.

 

 Carte répertoriant les ateliers de fabrication du bleu égyptien dans les Champs Phlégréens (dessin de Laëticia Cavassa – Licence CC (https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/) et reproduction avec son aimable autorisation – source : Laëticia Cavassa, La production du bleu égyptien durant l’époque hellénistique et l’Empire romain (IIIe av. J.-C.-Ier s. apr. J.-C.), page 26 – Lien : https://shs.hal.science/halshs-02049231v1/file/TAP_BCHSUPPL56_CASSAVA.pdf)

 

 

Toutefois, les réflexions de Michel Pastoureau ne correspondent pas vraiment à ce qu'on trouve sur le terrain archéologique : ce sacrarium, à lui déjà tout seul, en témoigne. D’ailleurs, Madame Alix Barbet, lors de sa conférence « La Rome en couleurs » donnée à Caen le 1er Février 2023, démontre que le bleu est, au contraire, très présent [36], énumérant de nombreux exemples : outre l’Ara Pacis, le Forum d’Auguste ou la statue de l’Auguste de Prima Porta, le bleu apparaît à cette époque dans les scènes de plein-air avec des jardins à ciel d’azur tel que celui qui figure dans l’Auditorium de Mécène dont les niches offrent une évasion vers un ciel bleu d’un jardin à clôture fictive de claustra. Au plafond également, un ciel bleu constellé d’un semi de fleurs.

 


Les niches et un fragment du plafond de l’Auditorium de Mécène (source : capture d’écran de la conférence d’Alix Barbet « Rome en couleurs » (lien : https://www.youtube.com/watch?v=0NX4HQx099Q&t=50s, 17’33’’). Crédits : présentation : Alix Barbet (Directrice de recherche honoraire - CNRS) - Mention légale : UniCaen / Plan de Rome (France) – 2023) – reproduction avec l’aimable autorisation de M. Philippe Fleury, Professeur de Latin émérite à l’Université de Caen.

 

Ces espaces de ciel bleu dans les paysages accompagnent également les scènes de l’Odyssée de la maison de l’Esquilin, scandées de pilastres rouge vif à chapiteau d’or.

Déjà aperçus dans l’auditorium de Mécène, on retrouve les jardins dans la maison de Livie à Prima Porta où la pièce souterraine (elle était dépourvue de fenêtres) est entièrement bleue avec juste une bande verte d’herbes au-dessous et clôturée par de fines barrières [37].

 

Les Jardins de la Villa de Live (mur nord-ouest – Musée du Palazzo Massimo à Rome – Licence CC0 – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Nymph%C3%A9e_souterrain_de_la_villa_Livia#/media/Fichier:Fresque_du_nymph%C3%A9e_souterrain_de_la_villa_Livia_-_Mus%C3%A9e_national_romain_-_mur_nord-ouest_-_large.jpg) – photographe : Shonagon — Travail personnel)

Terminons la liste avec les Noces Aldobrandines [38] (Musées du Vatican) et la tombe du médecin Patron (au musée du Louvre) qui nous offrent encore une scène sur fond bleu. 

Les Noces Aldobrandines (Musées du Vatican – œuvre dans le domaine public – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Noces_aldobrandines#/media/Fichier:Aldobrandini_wedding.JPG)

 

La tombe du médecin Patron (réserves du Musée du Louvre – œuvre dans le domaine public –Auto-photographié, Caroline Léna Becker –source : https://zone47.com/crotos/gudea/?&p276=1075988&d=20230122&p=1&mode=0)

 

 « Cette omniprésence du bleu égyptien fait évidemment relativiser les remarques de Michel Pastoureau qui, dans son ouvrage sur la couleur bleue, estime qu’elle n’a pas beaucoup de place dans l’Antiquité par rapport au Moyen Âge. « Le dieu des chrétiens devient un dieu de lumière et la lumière devient bleue pour la première fois en Occident. On peint les ciels en bleu. Auparavant, ils étaient noirs, rouge, blanc ou doré », ce qui est manifestement inexact [39]. »

 

En fait, la raison pour laquelle la couleur bleue est relativement peu fréquente à Pompéi (on le trouve par exemple dans la villa de Vénus à la coquille), mais beaucoup plus à Rome s’explique tout simplement parce qu’elle était réservée aux lieux importants et richement décorés et par le fait que ce pigment était un produit très luxueux, rare et donc coûteux, car fabriqué de manière artificielle.

 

Mis au point à Alexandrie durant le IIIe millénaire avant notre ère, ce bleu destiné à la décoration murale (mais pas uniquement) est en effet le premier pigment de synthèse connu, obtenu au terme d’un processus complexe (rapporté au Ier siècle avant J.-C. par l’architecte Vitruve [40]) consistant à broyer du sable avec de la fleur de nitre, puis à mélanger cette fine poudre avec de la limaille de cuivre pour en faire des boulettes, et à mettre le tout au four afin d’obtenir une réaction chimique produisant la fameuse couleur [41]. 

Pigment bleu égyptien (source : Blog d’Elisabeth Lamour – Lien : https://iconeslamour.wordpress.com/tag/bleu-egyptien/). Pour des photos de différents échantillons de bleu égyptien provenant de Pompéi, voir l’article de Laëtitia Cavassa, « La fabrication du bleu égyptien dans les Champs Phlégréens (Campanie, Italie) durant le Ier siècle de notre ère », fig. 1 – Lien : https://books.openedition.org/artehis/10224?lang=fr

 

 

Par contre, la couleur bleue est passée, comme d’autres, dans des expressions [42] (ne dit-on pas, par exemple, « une peur bleue [43] » pour évoquer la stupeur ?). 

 

Cette peur bleue nous rappelle que si l’histoire de l’art s’enrichit sans cesse de ces nouvelles et sublimes découvertes, elle n’est due qu’à une catastrophe naturelle, l’éruption d’un volcan que l’on prenait pour une simple montagne, mais aussi à un drame humain : 3 000 morts [44]. Gardons donc une pensée pour ces gens qui ont vécu l’Enfer au propre et non au figuré. Tenaillés par une peur panique et viscérale de rejoindre le royaume d’Hadès dans la souffrance de l’étouffement. Une peur bleue … 

 

                                                                                                 

Philippe Durbecq


Base de données :


Bibliographie succincte [45] :         

  • Alix BARBETLa peinture murale romaine, Picard, Condé-sur-Noireau, mars 1985 ;
  • Alix BARBET, « L’Emploi des couleurs dans la peinture murale romaine antique, « marqueurs » chronologiques et révélateurs du « standing » social ? », In Pigments et colorants, Editions du CNRS, 1990 ;  
  • Delphine BURLOT, Hélène ERISTOV, « Le fond noir en peinture : marqueur du luxe et gageure technique », in J. Boislève, A. Dardenay, F. Monier (dir.), Peintures et stucs d’époque romaine Études toichographologiques, Collection de l’AFPMA, Pictor 6 - 2017, Ausonius Editions ;
  • Laëtitia CAVASSAFrançois DELAMARE et Monique REPOUX, « La fabrication du bleu égyptien dans les Champs Phlégréens (Campanie, Italie) durant le Ier siècle de notre ère », In Aspects de l’artisanat en milieu urbain : Gaule et Occident romain, ARTEHIS Editions, 2010, pp. 235-249 – Lien : https://books.openedition.org/artehis/10224?lang=fr ; 
  • DAREMBERG et SAGLIO, Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines, 1896 (article « Helena ») ;
  • François DELAMARE, dans S. Colinart, M. Menu édit. La couleur dans la peinture et l'émaillage de l'Egypte ancienne, Actes de la Table ronde, Ravello 20-22 mars 1997, Bari, 1998, p. 143-162, Bari, 1998 : 

o   De la composition du bleu égyptien utilisé en peinture murale gallo-romaine, p. 177-193.

 

o   Le bleu égyptien, essai de bibliographie critique, p. 143-162.

  • François DELAMARE, Sur les processus physiques intervenant lors de la synthèse du bleu égyptien, réflexion à propos de la composition de pigments bleus gallo-romains, Revue d'Archéométrie, 21, 1997, p. 103-119 ; 

· André DESVALLEES et François MAIRESSE, Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Paris, Armand Colin, 2011 ;

  • EURIPIDE (trad. Jean Bollack et Mayotte Bollack), Hélène, Paris, Éditions de                 Minuit, 1997 ;

·   A.-M. GUIMIER-SORBETS, Alain GUIMIER & Julien BOISLÈVE, « L'emploi du bleu égyptien sur quelques peintures du site de la Verrerie à Arles : premiers constats », in : Boislève & Monier 2020, Pictor 8, p. 71-77 ;

·       HOMERE, L’Iliade et Odyssée :

 

    • Iliade  (trad. Robert Flacelière), Éditions Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1993 (1re éd. 1955) ; 
    • Odyssée (trad. du grec ancien par Victor Bérard), Éditions Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1993 (1re éd. 1955) ;

     ·       Lawrence KEPPIE, Colonisation and Veteran Settlement in Italy 47-14 B.C., 1983 ;

  •  Amedeo MAIURI, La peinture romaine, Genève, 1953 ;
  • C. MANN, M. M. ROXAN, Legionary Recruitment and Veteran Settlement during the Principate, 1983 ; 

·    August MAU, Geschichte der decorativen Wandmalerei in Pompej, Reimer, Berlin, 1882 ;

  • Claude MOATTI, « Archives et partage de la terre dans le monde romain (IIe siècle avant - Ier siècle après J.-C.) », Rome : École Française de Rome, 1993 (Publications de l'École française de Rome, 173-1 – lien : www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1993_mon_173_1) ; 
  • Annie MOLLARD-DESFOUR, le Dictionnaire des mots et expressions de couleur du XXe siècle : Le Bleu, CNRS Editions (CNRS Dictionnaires), septembre 1998 ;
  • Michel PASTOUREAU, Bleu : histoire d’une couleur, Points Histoire, 2014 ;
  • Michel PASTOUREAU, Le Petit livre des couleurs, Ed. du Panama, 2005 ;
  • Michel PASTOUREAU, Noir : histoire d’une couleur, Points Histoire, 2014 ;
  • PLINE l’Ancien, Histoire naturelle, Livre XXXV, Traitant de la peinture et des couleurs, chapitre XXV, texte établi, traduit et commenté par J.-M. Croisille, Paris 1985 ;
  • SAPPHO, Odes et fragments, Sappho (trad. Yves Battistini), éd. Gallimard, coll. « Poésie », 2005, 23, pp. 36-37 ;
  • M. VAN DOREN, « Les Sacraria. Une catégorie méconnue d’édifices sacrés chez les Romains », in « AntCl », pp. 31-75, 1958 ;
  • VITRUVE, De l’Architecture, livre VII, texte établi et traduit par B. Liou, M. Zuinghedeau, commenté par M.-T. Cam, Paris, CUF, 1995 ;

Sitographie :



NOTES

[1] « Lieu (chapelle, oratoire, réduit, armoire) où sont gardés, à l’abri de toute profanation, les objets sacrés, soit dans un temple, soit dans une demeure privée ; car il n’était pas nécessaire qu’un sacrarium fût rituellement consacré » (Daremberg et Saglio, DAGR, article sacrarium, p. 955).

[2] L’ocre rouge était quinze fois moins coûteuse que le minerai de cinabre.

[3] Ce phénomène était déjà connu dans l'Antiquité : dans le livre XXXV, chapitre 35 de son Histoire Naturelle, consacré à la peinture et aux pigments, Pline explique que l'ocre rouge peut être obtenue à partir du jaune en chauffant ce dernier au rouge dans des fours. 

[4] André Desvallées et François Mairesse, Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Paris, Armand Colin, 2011 : « On sait que, prenant exemple sur le palais Pitti, pour l'ancien musée de Berlin, Karl Friedrich Schinkel avait aussi opté pour un fond rouge pompéien. » À l'époque, toutes les salles de peinture du palais Pitti de Florence étaient tapissées de cette couleur.

[5] Appelée parfois Alexandra qui signifie « celle qui repousse » ou « protège les hommes ».

[6] Cet épisode de la mythologie grecque a donné lieu aux expressions « Syndrome de Cassandre », « jouer les Cassandre » et est, entre autres, le titre d’une série télévisée dont un des personnages s’appelle Florence Cassandre, commissaire divisionnaire et annonciatrice de mauvaises nouvelles.

[7] Ce décor en relief imite en fait l’agrènon (filet) qui recouvrait l’omphalos sacré. Cet agrènon était constitué d’un réseau de cordons de laine (stemmata) cardée, mais pas encore filée dont les brins étaient maintenus ensemble avec des nœuds à intervalles réguliers. Selon Pausanias, le périégète (auteur de descriptions géographiques, de récits de voyage) qui a vécu au IIe s. apr. J.-C., des pierres semi-précieuses représentant la figure de la gorgone avaient été attachées aux points de rencontre des bandelettes, tandis que deux aigles en or étaient fixés à son sommet.        

[8] Pour plus de détails, voir les articles « omphalos » sur le site Wikipédia (http://fr.wikipedia.org/wiki/Omphalos) et dans le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio, ainsi que la reconstitution de la colonne des danseuses sur le site de l’Inrap (https://www.inrap.fr/la-reconstitution-de-la-colonne-des-danseuses-de-delphes-9244).

[9] Mais un doute légitime est permis : la possibilité du bras levé n’est pas à exclure, et même à privilégier. 

[10] Sur la fréquence du manteau bleu sur un Apollon nu, cf. la base de données d’Alix Barbet, intitulée Décors antiques (https://fm03.db.huma-num.fr/fmi/webd/DecorsAntiques) : Ostie : OSTI.00146, Pompéi, POMP.01750, POMP .03748, Murecine, MURE.00003.

[11] Alexandre (« défenseur des hommes ») est un surnom que Pâris gagna lors de son enfance de berger où il défendait tout le monde avec courage contre les loups et autres prédateurs.

[12] LAnaxyride est le nom donné par Hérodote (Histoires) et Xénophon (Anabase) à un large pantalon brodé, en peau, porté par les Phrygiens, les Perses et autres peuples d'Orient, appelé bracca – mot d’origine gauloise (braie) – par les Romains en Gaule. C’était une sorte de vêtement-chaussure puisque de longues guêtres étaient nouées sur les cuisses

[16] « Mis à part le relief marginal de Filarete sur la porte de bronze de Saint-Pierre de Rome, Léonard est le premier à faire de Léda et du cygne les figures centrales d’une composition importante » (Léonard de Vinci, le rythme du monde, Hazan p. 420-428).

[17] Fragment 23 (Odes et fragments, Sappho (trad. Yves Battistini). L’œuvre de Sappho était importante (neuf livres de poésie lyrique, selon la Souda). Il ne nous en reste malheureusement que quelques fragments.  Il existe une tradition très répandue selon laquelle, en 1073, le pape Grégoire VII ordonna que toutes les œuvres de Sappho soient brûlées à Rome ainsi qu'à Constantinople. Cependant, cette allégation semble plutôt irréaliste : on ne voit pas comment un pape romain aurait pu ordonner la destruction des textes à Constantinople après le grand schisme de 1054. Homère (Odyssée, 15 :58) et Hésiode (Les Travaux et les jours, L’Âge des héros, 12) parlent simplement d’« Hélène à la belle chevelure ».

[18] François Gauvin, Les Prophéties de Cassandre, dans le magazine Le Point références, n° 40, juillet-août 2012, page 56.

[19] Le noir a longtemps été considéré comme une couleur, mais depuis Newton et son spectre, la manière de considérer le noir a changé. En effet, le noir, tout comme le blanc d’ailleurs, n'apparaissent pas dans le spectre. Le blanc est la somme de toutes les longueurs d'ondes de la lumière et le noir, au contraire, est une absence de toutes les longueurs d'ondes de la lumière. On ne voit ni le blanc ni le noir dans l’arc en ciel.

[20] La pièce, d'environ 15 mètres de long et 6 mètres de large (soit 90 m², ce qui est très vaste), s'ouvre sur une cour à proximité d'un long escalier menant au premier étage de la maison. Cette cour apparaît donc comme un couloir de service à ciel ouvert.

[21] N.B. : la composition des lampes à huile modernes n'est pas de l'huile d'olive pure ou végétale, mais des huiles minérales, produits issus de la pétrochimie et de la transformation des hydrocarbures (de la paraffine, etc.). On se souviendra que dans une de ses Satires (Livre I, VI, 124), Horace reproche à l’immonde Natta (un avare inconnu) de masser avec l'huile des lampes (« Je me fais frotter d’huile, mais pas de l’huile volée aux lanternes, comme le dégoûtant Natta », p. 167, édition GF).

[22] Delphine Burlot, Hélène Eristov, « Le fond noir en peinture : marqueur du luxe et gageure technique ».

[23] Pline l’Ancien, Histoire naturelle, Livre XXXV, chapitre XXXVII : « C'est avec quatre couleurs seules, le mélinum (XXXV, 19) pour les blancs, le sil attique pour les jaunes, la sinopis du Pont pour les rouges, l'atrament pour les noirs, qu'Apelle, Échion, Mélanthius, Nicomaque, ont exécuté des œuvres immortelles, peintres si célèbres, dont un seul tableau s'achetait aux prix des trésors des villes. ».

[24] Gabriel Zuchttriegel et al., « L’Età della nostalgia : il sacrario nella Regio IX, insula 10 di Pompei ».

[25] Rappelons que c’est la grande quantité de fresques découvertes à Pompéi qui a permis d’établir une chronologie des quatre styles. Cette chronologie a été fixée par August Mau (1840 – 1909), en s’appuyant sur des travaux antérieurs de Wolfgang Helbig et Giuseppe Fiorelli.

[26] 34. « Pendant mon sixième et mon septième consulats (28 et 27 av. J.-C.), après avoir éteint les guerres civiles, étant en possession du pouvoir absolu, avec le consentement de tous, je transférais la république de mon pouvoir dans la libre disposition du Sénat et du Peuple romain. Pour ce mérite, je fus appelé Auguste. […] Depuis ce temps, je l'emportais sur tous en autorité, mais je n'avais pas plus de pouvoir que mes collègues dans les magistratures. ».

[27] Parmi lesquels Madame Claudia Moatti que je remercie ici vivement pour les renseignements et les références qu’elle a eu la gentillesse de me communiquer.

[28] Gabriel Zuchtriegel et al., « L’Età della nostalgia : il sacrario nella Regio IX, insula 10 di Pompei ».

[29] Le nom de « pastel » vient du latin pasta, pâte (anciennement, les feuilles de la plante étaient broyées dans les moulins à pastel et formaient une pâte ensuite fermentée et séchée. Le terme « guède » autrefois « vouède » dérive d’une racine germanique qu’on retrouve dans l’anglais woad et dans l’allemand waid. Actuellement, on recultive la guède en France. Le pastel ayant fait à la Renaissance la richesse de la région toulousaine, il fut à l’origine de l’expression « Pays de Cocagne », les cocagnes désignant les petites pelotes de pastel moulées à la main. 

[30] Dans le De Bello Gallico, Livre cinquième.

[31] Le mot « Pictes » vient du latin pictus, signifiant littéralement « [hommes] peints » (comme tous les Celtes, les Pictes n’écrivaient pas, ils peignaient des symboles sur leur corps).

[32] Le mot vient de l’arabe al-lazward, ou du persan lazhward..

[33] « La littérature classique et archéologique parle de kyanos, de caeruleum, de bleu Vestorien, de bleu de Pouzzoles, de bleu pompéien » (« La fabrication du bleu égyptien dans les Champs Phlégréens (Campanie, Italie) durant le Ier siècle de notre ère »).


[34] Les sources sont de trois natures différentes : littéraires, archéologiques et chimiques (Ibid).

[35] Ibid.

[36] Par ailleurs, une méthode de prise de vue a été mise au point qui permet de détecter et de révéler le bleu qui, parfois, est invisible. Pour plus de détails à propos de ces nouvelles technologies, consulter les articles d’Alain Guimier repris dans la bibliographie. 

[37] La profondeur nous est donnée par la première barrière rose en marbre sculpté qui ménage des retraits où se dresse un arbre (en l’occurrence un pin) et qui est doublée d’une barrière d’osier tressée en fines baguettes jaunes.

[38] Analysées en détail par le regretté Paul Veyne dans son ouvrage Les Mystères du gynécée dans lequel il s’oppose à l’interprétation la plus courante, à savoir qu’il s’agit d’une peinture représentant une noce romaine. Selon lui, la noce est grecque L'opinion la plus courante, défendue notamment par B. Andreae (1961), veut que la peinture représente une noce romaine. Paul Veyne s'oppose à cette interprétation, en alléguant qu’il s’agit d’une noce grecque. Il fait notamment valoir que les costumes des personnages sont grecs, mais aussi que les éléments du rituel sont également helléniques.

[39] Alix Barbet, conférence « Rome en couleurs » (lien : https://www.youtube.com/watch?v=0NX4HQx099Q&t=50s, 21’40’’-22’20’’).

[40] De architectura, VII, 12.

[41] Voir dans la bibliographie les articles de François Delamare sur les analyses de bleu égyptien.

[42] Pour plus de détails, consulter le Dictionnaire des mots et expressions de couleur du XXe siècle : Le Bleu, Annie Mollard-Desfour, CNRS Editions (CNRS Dictionnaires), septembre 1998. Le même auteur a également rédigé quatre autres dictionnaires semblables : Le Blanc, Le Rouge, Le Rose et Le Noir. Quant à Michel Pastoureau, historien et directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études, il a publié une trentaine d’ouvrages ayant trait à l’histoire des couleurs.

[43] C’était la peur des légionnaires romains devant les Brittons peints, comme nous l’avons évoqué plus haut, en bleu pour les effrayer.

[44] Mais on en découvre encore régulièrement : les corps de deux victimes de l’éruption du Vésuve ont été exhumés en 2020 dans le cryptoportique d’une villa située dans la zone de Civita Giuliana, à 700 mètres de Pompéi et deux autres dans la Maison des chastes amants en 2023.

[45] On trouvera une ample bibliographie in fine de l’article L’età della nostalgia : il sacrario nella Regio IX, insula 10 di Pompei, Journal en ligne des fouilles de Pompéi du 3.6.2024 (https://pompeiisites.org/e-journal-degli-scavi-di-pompei/).


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