La cloison de bois de la Casa del Tramezzo di legno à Herculanum

 

 

 

La cloison de bois de la Casa del Tramezzo di legno à Herculanum

 

(par Philippe Durbecq)

 

 

 

Photo de la trirème Olympias de la Marine hellénique (toute utilisation autorisée - auteur : Ελληνικά: Χρήστης Templar52 – source : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Olympias.1.JPG).



Support de lampe en forme de proue de navire, moulage en plâtre d’un original en bronze fixé sur la cloison de bois de la Casa del Tramezzo di legno à Herculanum (avec l’aimable autorisation de la Doctoresse Silvia Greggi)

 

 

A la mémoire de l’archéologue Sebastiano Tusa mort tragiquement le 10 mars 2019 dans l'accident du vol 302 d'Ethiopian Airlines alors qu'il se rendait à Nairobi pour participer à un projet de l'UNESCO

 

 

Au Dr. Francesco Sirano, Directeur du Parc archéologique d’Herculanum, dans l’espoir d’éclaircir ensemble l’énigme des supports de lampe en forme de proue de navires

 

 

Introduction

 

Un jour de l’automne 79 de notre ère, une tragédie se joue à Pompéi. Il ne s'agit pas d'une éruption de lave, mais d'une pluie de cendres tombant d'un nuage noir qui s'étend de plus en plus dans le ciel (en forme de pin parasol nous disent les textes anciens [1]).

 

On a longtemps pensé que la catastrophe due à l’éruption du Vésuve avait eu lieu en août 79. Or, dans les ruines des cités vésuviennes avaient déjà été retrouvés des restes de plantes qui ne poussent qu’en automne (il s’agissait en l’occurrence d’olives fraîches, de figues et de noix), ainsi que des braseros dont la présence dans les maisons était en faveur d’une date légèrement postérieure. Une inscription datée (le «16ème jour avant les calendes de novembre, ce qui correspond au 17 octobre »), récemment découverte (2018) et tracée au charbon sur le mur d’une maison exhumée dans le nouveau secteur de fouilles de Pompéi, a mis fin définitivement à la controverse, confirmant que la destruction des cités antiques avait bien eu lieu deux mois plus tard, soit le 24 octobre 79.

 

Le pin parasol doit son nom à sa cime compacte et aplatie. L’image d’un pin parasol peut sembler bizarre pour qualifier une éruption, mais si l’on voyage en Italie et en Méditerranée en général, on comprend vite que l’analogie est parfaite. Cette forme est due au fait que le jet éruptif se développe d’abord verticalement dans l’atmosphère, puis, en se refroidissant lorsqu’il atteint la stratosphère, s’étale en un panache d’où pleuvent les cendres et les ponces. En fait, ce panache, qui s’échappe du cratère, est constitué d’une masse de matériaux volcaniques et de gaz plus légers que l’air. La colonne continue à s’élever donc jusqu’à ce que l’écart entre sa densité et celle de l’air devienne trop faible et qu’elle s’étale, prenant cette forme caractéristique observée par Pline le Jeune. La taille des particules qui tombent de ce panache est proportionnelle à la hauteur de la colonne éruptive. Grâce aux études stratigraphiques, nous savons qu’au cours des sept premières heures de l’éruption, des pierres ponces (légères) tombent sur Pompéi au rythme de 15 cm par heure. Dans cette première phase de l’éruption, elles ne constituaient pas un danger pour les habitants de Pompéi. Pline l’Ancien raconte d’ailleurs qu’il suffisait d’attacher un coussin sur sa tête avec des tissus pour s’en protéger. Mais au fil du temps, la couche de pierres ponces s’épaissit, atteignant une épaisseur totale de 2,80 mètres. Or, dans cette ville, les toits sont plats. L’accumulation de ces lapillis sur les toits est telle que leur poids provoque l’écroulement de ceux-ci sur les occupants des habitations, comme en témoigne le bon nombre de cadavres qui présentent des fractures du crâne. 

 

Pire, à un moment donné, l’éruption n’est plus assez puissante pour soutenir la colonne de cendres. Le panache s’effondre alors sur lui-même, plongeant vers le bas, déboulant, avec ses gaz brûlants (400° C), le long des pentes du volcan comme dans le cas d’une avalanche de neige poudreuse en montagne. Dans cette deuxième phase de l’éruption, il provoque ce qu’on appelle une « coulée pyroclastique [2] » (littéralement « brisée par le feu », parce que la coulée est constituée de clastes, de fragments de roches et de minéraux) comme celle photographiée en 1980 au mont saint Helens (USA, état de Washington) [3] en 1980 et au mont Pinatubo aux Philippines en 1991.

 

 

La coulée pyroclastique déboulant le long du versant du volcan au mont Saint Helens en 1980 (photo domaine public – auteur : Mike Doukas — USGS Cascades Volcano Observatory – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89ruption_du_mont_Saint_Helens_en_1980)

 


Photo sensationnelle prise de l’arrière d’une camionnette roulant à tombeau ouvert par le photojournaliste Albert Garcia lors de l’éruption cataclysmique du mont Pinatubo aux Philippines le 15 juin 1991. L’effet est saisissant : le cliché donne littéralement l’impression d’avoir la mort aux trousses (source : https://mb.com.ph/2021/06/15/looking-back-at-mt-pinatubos-1991-eruption/ - Photo d’Alberto Garcia – publiée par Manila Bulletin)

 

Au fil des heures qui s’égrènent, l’inquiétude et l’angoisse montent, la peur s’installe chez les habitants, l’affolement et la panique gagnent de plus en plus les occupants de la région touchée par la tragédie qui est en train de se dérouler. Pour ceux qui savent garder la tête froide, des décisions parfois lourdes de conséquence se prennent. Certains décident de partir. Qu’emportaient les fugitifs en quittant leur logis dans la précipitation ? Un peu comme nous à l’annonce d’une catastrophe : ils prenaient leurs bijoux, l’argenterie, la clé de leur maison et une lampe, car même si nous sommes maintenant au milieu de l’après-midi, le ciel est devenu complètement noir.

 

De l’autre côté de la baie de Naples, sur la presqu’île de Misène où se situe le port d’attache de la flotte impériale, Pline l’Ancien, son amiral s’affaire. Il a vu de loin le panache du Vésuve et met immédiatement sur pied une opération de sauvetage d’urgence. Les vents dominants sont en effet contraires [4] et il n’y a donc pas un instant à perdre, c’est la flotte de guerre qui doit lever l’ancre et il en prend le commandement : direction Herculanum.

 

Répartition générale de la pluie d’éjectas illustrée sur la carte par le nuage noirâtre au sud-est du volcan (image libre de droit – Licence : CC BY-SA 3.0 – auteur : travail dérivé de MapMaster (user talk : Jean Marcotte) – source initiale : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Mt_Vesuvius_79_AD_eruption.svg)

 

Pline l’Ancien ne parvient cependant pas à apporter le secours voulu à la population massée sur les plages d’Herculanum. De gros blocs volcaniques sont en effet projetés par le Vésuve et s’écrasent sur le rivage où s’était rassemblée une partie de la population, tuant déjà certains des hommes de la cité qui ne s’étaient pas abrités sous les solides structures voûtées des hangars à bateaux (situés près du port d’Herculanum). De même, l’abaissement du niveau de la mer, dû à l’activité sismique, rend l’approche des quadrirèmes impossible [5]. Pline l’Ancien fait ce qu’il peut, il envoie de petites embarcations avec ses meilleurs hommes pour prendre la direction des opérations sur le terrain. Lui reste à bord de sa galère amirale, car, devant cette impossibilité d'accoster à l’endroit initialement prévu, il vient de prendre la décision de dérouter la flotte pour la mettre à l’abri et de mettre le cap plus au sud, vers Stabies, où l’attend son destin : il mourra asphyxié sur la plage.

 

Les habitants qui n’étaient pas partis qui étaient venus se réfugier dans les salles voûtées des hangars à bateaux (surtout des femmes) y ont eux aussi été piégés. Au milieu de la nuit, la nuée ardente a envahi la ville et les y a atteints, les tuant instantanément [6] (contrairement à Pompéi, les habitants n'ont pas souffert et leur mort fut brève [7]). Les habitants meurent soit carbonisés s’ils étaient à l’air libre, soit par choc thermique s’ils étaient à l’intérieur des bâtiments [8]. La température extrêmement élevée de la nuée ardente a cependant provoqué la fusion des chairs, de sorte qu’il est impossible, à Herculanum, de faire des moulages comme à Pompéi : on a simplement des ossements.

 

Finalement, une dure et épaisse croûte de tuf volcanique a recouvert l’antique Herculanum, la scellant comme un tombeau. Elle permit la construction d’une nouvelle ville, Résina, au-dessus de l'ancienne cité. La violente éruption de 1631 ajouta encore une couche de lave sur Résina, de sorte qu’au fil du temps, le souvenir même de l’emplacement de l’ancienne ville romaine se perdit totalement. Ce n’est qu’en 1710 qu’un paysan du nom d’Ambrogio Nucerino, qui creusait un puits pour arroser son jardin, récupéra de nombreux fragments de marbre précieux. Ce n’est que plus tard qu’on comprit qu’ils appartenaient au théâtre de la ville engloutie. En 1969, la ville de Résina reprit son nom antique, Ercolano en italien.


La carbonisation du bois

 

Si Herculanum a été détruite à cause de l'éruption du Vésuve, elle l’a été d’une façon différente qu'à Pompéi : elle a été ensevelie par une coulée de boue volcanique (ou lahar [9], selon le volcanologue français Maurice Krafft) et/ou par une nuée ardente [10] (d’après d’autres hypothèses), et scellée par cette boue qui a durci. Il n'y a donc pas eu de passage d'oxygène, ce qui a conservé des matières organiques comme le bois (alors qu'à Pompéi, la ville a été progressivement recouverte par une pluie de cendres). A Herculanum, le bois a été directement carbonisé (il y a eu carbonisation, mais sans combustion, un phénomène uniquement possible en l’absence d’oxygène) et a ensuite été immédiatement recouvert, de sorte qu’il n’a pas eu le temps de se désintégrer.

 

La Casa del Tramezzo di legno

 

Ensevelie sous une coulée de boue causée par l’éruption, la maison de la cloison en bois à Herculanum a été mise au jour lors des fouilles archéologiques menées par Amedeo Maiuri entre 1927 et 1933 et explorée grâce à ses travaux minutieux.

 

Avant lui, deux archéologues doivent être mentionnés : Roque Joaquín de Alcubierre, un ingénieur militaire espagnol [11] qui s’est occupé des explorations archéologiques et le Suisse Jakob Weber qui eut une relation très conflictuelle avec Roque Joaquín de Alcubierre parce qu’il voulait effectuer les fouilles avec des méthodes beaucoup plus scientifiques – pour l’époque –, proches – toutes proportions gardées – de celles appliquées à l’époque moderne, alors que son directeur de travaux menait celles-ci, comme un Vandale, dans le but exclusif de trouver des objets de valeur (pillage).  

 

Les travaux d'exploration qui se sont déroulés lorsque Naples est passée aux mains des Bourbons ont en effet été extraordinairement grossiers, plus comparables à un « cambriolage géant » qu’à une fouille archéologique. Un personnage de l’époque, scandalisé par l'énormité des dégâts gratuits qui se font, s’insurge d’ailleurs de la façon suivante : « Cet individu » en parlant de Roque Joaquín de Alcubierre – « a autant à voir avec les antiquités que la lune avec les crabes ! ».

 

Dans son étude historique Quattrocento publiée chez Flammarion (Prix Pulitzer 2012), Stephen Greenblatt [12]  évoque l’altier Espagnol.

 

  

(avec l’aimable autorisation de Monsieur Stephen Greenblatt)

 

Pour l’anecdote, le mystérieux érudit que Stephen Greenblatt cite comme insultant Alcubierre n'est autre que l'historien d'art Johann Joachim Winckelmann qui « fulminait » parce que Charles III ne lui avait pas donné l'autorisation d'accéder aux fouilles, comme il l'aurait souhaité. 

 

On le voit ici peint dans une huile sur toile par Anton von Maron, quelques mois avant sa mort tragique, vêtu d'une belle robe de chambre en satin rose doublée d’une fourrure de loup et coiffé d’un turban en soie à la mode orientale, flanqué d'un buste d'Homère en arrière-plan. Assis à son bureau, la plume à la main [13], Winckelmann est en train de travailler de bon matin à son manuscrit sur les œuvres d'art romaines (Monumenti antichi inediti), avec, devant lui, une illustration de l’Antinoüs Albani. Sur cette toile, il s’est donc fait représenter en « honnête homme » de son temps, en érudit détendu au milieu de ses livres et de ses statues, se livrant à son plaisir studieux et à son loisir actif, c’est-à-dire l’antique otium comme le pratiquaient les patriciens lettrés dans la Rome de l’Antiquité.

 

 

Portrait de Johann Joachim Winckelmann œuvre du peintre Anton von Maron conservée au Weimarer Stadtschloss - Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Winckelmann_portrait_from_Storia_delle_arti_del_disegno_III.jpg#/media/File:Johann_Joachim_Winckelmann_(Anton_von_Maron_1768).jpg

 

Un mot de l’éruption et des différences entre les deux cités vésuviennes (bien que l’adage énonce que comparaison n’est pas raison). Pompéi et Herculanum présentent plusieurs différences.

 

La première est la taille de la ville : Pompéi était énorme (déjà à l’origine), alors qu’Herculanum était plus petite [14]. Dans cette petitesse réside d’ailleurs un des attraits d'Herculanum : plus silencieuse, tout visiteur est frappé par son intimité et son contact immédiat, son « immédiateté » pourrait-on dire, mais pas dans le sens d’« imminence » : je vise le fait que l’on puisse voir et toucher du doigt la vie d’êtres humains disparus depuis 2.000 ans de manière beaucoup plus intime et plus proche qu’à Pompéi. Enfin, Herculanum possède des bâtiments encore très hauts, ce qui rend la visite à la fois plus lisible et plus touchante encore qu’à Pompéi.

 

Herculanum se trouve à l’ouest du Vésuve. Elle n’a donc pas subi la pluie de lapilli et de pierres ponce (qui ont provoqué, en raison de leur accumulation, l’écroulement des toits plats à Pompéi), bien que la colonne éruptive y fût visible. Les habitants ont pris beaucoup plus de temps que ceux de Pompéi à se rendre compte du drame.

 

Autre donnée importante, à Herculanum, peu de bâtiments ou de zones publiques ont été mises au jour, mis à part les thermes, la palestre et le collège des prêtres d’Auguste, ici pas d’impressionnant amphithéâtre, temple ou forum gigantesque : ce qui nous est donné à voir, c’est la vie quotidienne des habitants, leurs maisons, boutiques, tavernes, boulangeries, ... Bref le quotidien des Romains se révèle là plus qu’ailleurs. La visite de cette cite vésuvienne est donc complémentaire à celle de Pompéi (et à celle du musée archéologique de Naples).

 

D’autre part, seulement 25 % de la ville a été fouillée en raison des difficultés (et donc du coût) des recherches : Pompéi a été recouverte de cendres et de lapilli, alors qu’Herculanum a été envahie par une coulée de boue volcanique qui s’est solidifiée formant, sur 12 à 18 mètres d’épaisseur, une roche très compacte, le tuf, aussi dur que du béton. On en connaît toutefois assez bien la situation [15].

 

Aussi, lorsque les Bourbons firent exécuter des fouilles, ils le firent non pas en plein air, mais en faisant creuser des puits comme dans des mines de charbon.

 

Les rostres de navires

 

Pourquoi parler de rostres de navires à cet endroit ? Permettez-moi de laisser planer encore un instant le suspense.

 

Les rostres, c’est-à-dire les éperons situés à l’avant des galères, constituaient un trophée de bataille navale.  Cet éperon métallique (rostre) était destiné à détruire le bateau ennemi par les flancs (on en a retrouvé douze jusqu’à présent au large des Egades) [16].

 


  
 Récupération du 12e rostre au large de Levanzo (© auteur : Giorgio Desi, avec son aimable autorisation – Libreria Il Mare, Rome).

L’éperon était en bronze et avait trois dents, ce qui lui donnait l’aspect d’un trident quand on le regardait de côté. Ce qui est frappant dans ces rostres, c’est leur forme très curieuse : ils n’étaient pas en pointe, mais ressemblaient en fait à un bec de canard à trois niveaux. Ces pièces ont été faites sur mesure et épousaient le profil de la proue du navire et la forme de la quille, parce que le choc devait être absorbé par tout le reste du vaisseau.

 

Un élément important, sur lequel nous reviendrons plus loin, est à signaler à propos de ces éperons repêchés au large des îles Egades : sur le rostre « Égades 1 » (qui se présente avec un décor de rosette typique du centre de la Campanie) a été découverte, après la restauration, l’inscription : C(aius) Sestio(s) P(ubli) f(ilius) / Q(uintus) Salonio(s) Q(uinti) [f(ilius ?)] / sex vir OEN / probave[re. Il s’agit – comme le fait remarquer Sebastiano Tusa [17], « de la probatio mentionnée dans un passage du Satiricon de Pétrone, où il est clairement dit que les rostres en bronze des navires de guerre romains portaient les inscriptions par lesquelles les seviri confirmaient la probatio (le test) du métal ».


Nous connaissons l’existence des rostres et leur utilisation à partir de la période hellénistique (IVe – IIIe siècle avant J.-C.), mais avant la découverte des éperons des îles Egades, un seul avait été retrouvé au monde, par hasard, en Israël. Les éperons des îles Egades n’avaient pas encore été repêchés, pour la bonne et simple raison que le lieu signalé initialement comme ayant été le théâtre de la bataille était tout simplement erroné : la confrontation des flottes n’avait pas eu lieu entre Levanzo et Favignana, mais s’était produite à deux milles au Nord-Ouest de Levanzo, la flotte carthaginoise arrivant de Marettimo.

 

Pour mettre un terme à la longue guerre, Romains et Carthaginois décidèrent de frapper un coup décisif. A Rome, les caisses de l’Etat étaient vides et le Sénat fit appel à l’aristocratie pour l’emprunt qui servit à armer une flotte moyennant un dédommagement en l’associant au partage du butin. La flotte romaine, rassemblant tous les bâtiments fournis par diverses villes du monde romain (environ 300 navires), est placée sous le commandement de Caius Lutatius Catulus (sur les rostres, on peut lire les noms des mécènes qui les payèrent). Comme nous l’avons vu, le rostre carthaginois [18] porte, en revanche, une inscription qui témoigne d’une approche totalement différente à la bataille. Certains rostres comme celui-ci sont de vraies œuvres d’art avec cette admirable Nikè visible sur la courbure du nez de l’éperon. 

 

Photo extraite du site https://www.favignana.biz/levanzo-241-c-cronaca-battaglia-navale-rimarra-nella-storia/ (© auteur : Giorgio Desi, avec son aimable autorisation – Libreria Il Mare, Rome).

 

Composée d’au moins 120 navires de guerre, la flotte carthaginoise, quant à elle, a à sa tête l’amiral carthaginois Hannon. Il s’agit d’une expédition envoyée par Carthage pour venir en aide à Hamilcar et à ses soldats assiégés par les Romains dans la ville d’Eryx. Le but est de sortir de cette situation d’impasse à laquelle les Carthaginois sont confrontés, en essayant de briser l’encerclement.

 

Hannon s’est arrêté pendant dix jours à Marettimo pour attendre des conditions optimales de vent. Les Romains sont en embuscade autour de l’île de Levanzo, la plus petite des Egades, cachés derrière la pointe de Capo Grosso. 

 

 Déroulement de la bataille des îles Egades (carte tirée du Blog https://libreriainternazionaleilmare.blogspot.com/2015/11/egadi-241-ac-il-vento-cambio-il-corso.html)

 

A l’aube du 10 mars 241 avant J.-C., Hannon comprend que le vent est enfin favorable pour faire route vers la Sicile, vers Depranum (qu’il faut identifier non comme la Trapani moderne, mais comme la Baie de Bonagia, l’unique point qui permettait de rejoindre les hauteurs du Mont Eryx. Les navires prennent la mer et Caius Lutatius Catulus a une intuition géniale : il comprend que la flotte ne serait pas passée entre Levanzo et Favignara, mais en prenant une route grand Nord, au large de Levanzo. Il camoufle alors les navires romains sur la rive droite de Levanzo, tapis derrière la pointe de Capo Grosso. Quand il commande l’attaque, la flotte romaine sort de sa cachette (sa zone d’ancrage) et sème la panique dans les rangs carthaginois.

 

La conception des rostres était, pour l’époque, sur le plan militaire, celle d’une arme à la pointe de la technologie.

 

En fait, le navire n’était jamais touché perpendiculairement, mais de biais et les ailes latérales du rostre étaient faites pour déchirer le côté du navire adverse afin de l’immobiliser et de le laisser s’enfoncer lentement dans la mer [19]. Le rostre brisait le vaisseau ennemi de telle sorte que le reste du navire s’ouvre comme une « fermeture éclair ».

 

Quant à la forme du rostre, elle rappelle celle des déflecteurs des Formules 1 [20] : les éperons des navires romains étaient faits pour fendre l'eau afin qu’elle glisse sur les côtés.

     

 Rostre 1 des îles Egades (site : Le musée imaginaire – auteur : Francis Leveque, article réf. : fr.751.2013 | 11 mai 2013 – source : https://www.marine-antique.net/Le-rostre-1-des-iles-Egades?lang=en) photo retravaillée pour montrer la conception du rostre destinée à fendre l’eau.

 

Même si l’on doit faire abstraction des effets spéciaux destinés à rendre les scènes des péplums encore plus spectaculaires qu’elles ne devaient l’être dans la réalité historique, on peut s’imaginer l’impact sur le côté du navire (un véritable « coup de bélier [21] ») en regardant le clip du film « Ben Hur » du réalisateur Timur Bekmambetov [22], mais aussi en examinant les dégâts causés à certains rostres repêchés au large de la Sicile : sous l’impact, la structure même du bronze s’est cassée et pliée (voir le documentaire d’Alberto Angela - consacré à la bataille des Egades (https://www.youtube.com/watch?v=sXAKZgNMdMo).

 

On peut également se représenter la terreur qui devait s’emparer des marins à bord du navire ennemi quand ils voyaient foncer sur eux un navire avec un rostre à fleur d’eau ou juste en dessous de la surface : cette vision devait créer dans l’esprit des marins le même effet qu’une torpille japonaise arrivant sur le navire de guerre Arizona ancré dans la rade de Pearl Harbour [23].

 

Lors d’une autre bataille en Sicile, celle de Milazo, les Romains ont mis au point la technique de l’abordage avec l’invention du corvo, « le corbeau » (certains des objets retrouvés portent un crochet et il pourrait bien s’agir des « corbeaux » (passerelles d’abordage basculantes [24]) utilisés pour accrocher les navires ennemis et permettre ainsi le passage des soldats d’un pont à l’autre) [25]. 


Schéma simplifié du corbeau (licence CC BY-SA 2.5. – auteur : Chewie — based on Model of the « corvus » by Martin Lokaj – source https://fr.wikipedia.org/wiki/Corbeau_(syst%C3%A8me_d%27abordage)

 

 

Les rostres, sur le Forum romain, au pied du Tabularium [26], sont célèbres à Rome : quand on remit la tête de Cicéron à Antoine, avant qu’il la fît clouer aux rostres, Fulvie, son épouse, la lui demanda. Elle desserra avec difficulté la mâchoire de Cicéron, tira sur sa langue et y passa des aiguilles afin qu’il n’allât pas parler aux enfers ni compromettre leurs noms en se plaignant aux ombres (Pascal Quignard, Albucius, p. 111). 

 

 

A gauche, vestiges des rostres (Licence : Creative Commons CC0 1.0 Universal Public Domain Dedication – auteur : O Mustafin (travail personnel) – Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Rostres_imp%C3%A9riaux) ; à droite, Fulvie plantant des aiguilles dans la langue de Cicéron (Pavel Svedomsky, œuvre dans le domaine public – https://af.wikipedia.org/wiki/Cicero#/media/L%C3%AAer:Svedomsky-Fulvia.jpg)

 

Au Museo della Civiltà romana à Rome (aujourd’hui malheureusement fermé) on pouvait voir la reproduction de l’une des colonnes rostrales érigées sur le forum romain en l’honneur de Caius Duilius (ou Duillius) après la bataille de Myles (Mylae, côte nord de la Sicile) où furent employés pour la première fois les corvi. L’une des colonnes de Duilius subsiste encore en partie (l’inscription du socle est aujourd’hui aux Musées du Capitole).  


Reproduction de l’une des colonnes rostrales érigées sur le forum romain en l’honneur de Caius Duillius (Licence : Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported – auteur Lalupa – Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:MCR_-_colonna_rostrata_di_C_Duilio_1150130.JPG)

 

Ce thème des colonnes rostrales a connu une grande vogue jusqu’au XIXe siècle. existent encore dans plusieurs grandes villes telles que Bordeaux, Saint Petersburg, à Paris [27], etc.

 


Un des deux magnifiques rostres sculptés sur la façade de l'Hôtel Fenwick à Bordeaux (source : https://www.33-bordeaux.com/colonnes-rostrales.htm - auteur : Bernard Tocheport, avec son aimable autorisation) 

Un réverbère de la place de la Concorde à Paris (photo dans le domaine public – auteur : Vassil (travail personnel) – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Hittorff#/media/Fichier:Paris_Concorde_R%C3%A9verb%C3%A8re_4.jpg)

 


Cette invention des corvi fut donc fatale aux Carthaginois : lors de la bataille des îles Egades (qui marque la fin de la première guerre punique), la flotte carthaginoise y sera anéantie. Les Carthaginois perdent leur domination sur la Sicile et l’île entre dans l’orbite de Rome.

 

Les ennemis du commerce romain ou punique, ce sont les pirates et – les Grecs ne le disent pas –, mais ils sont souvent grecs. Or, il était impossible d'organiser des convois protégés, car les bateaux commerciaux étaient plus lents que les navires de guerre. C'est pourquoi, si les premiers ne naviguaient qu'une partie de l'année, les seconds sillonnaient la mer constamment (il vaut mieux prévenir que guérir). Différentes techniques avaient d'ailleurs été mises au point. L'on recommandait par exemple de ne pas trop endommager le bateau ennemi afin de pouvoir le tirer sur la terre ferme et le récupérer.

 

Le rostre à trident constituait le point de rencontre de la quille, de l’étrave et des préceintes. « De part et d’autre du rostre se trouvaient les préceintes à la ligne de flottaison, de grandes dimensions puisqu’elles devaient amortir les collisions avec les navires adverses. Le rostre canalisait ainsi toutes les forces de la structure de la coque en bois et, à son tour, déchargeait sur la structure entière les sollicitations reçues dans la collision [28]. ».

 

L’une des plus prestigieuses distinctions militaires de l’Antiquité romaine, était la couronne rostrale. Faite en or et ornée de rostres, elle était décernée à celui qui se lançait le premier à l’abordage d'un vaisseau ennemi.

 


Marcus Vipsanius Agrippa portant la couronne rostrale en commémoration de la bataille d'Actium (Licence CC BY-SA 3.0 - Classical Numismatic Group, Inc. http://www.cngcoins.com)

 

Comment le mot latin pour le bec d'un oiseau (rostrum) en est-il venu à être utilisé en anglais pour désigner la plate-forme d'un orateur ? Comme l’accessoire en bronze qui ornait la proue des galères ressemblait à un bec d'oiseau, il était connu sous le nom de rostre [29]. Après leur succès à la bataille d'Antium [30] en 338 avant notre ère, les orateurs romains ont commencé à s'adresser au peuple depuis l'avant d'une plate-forme en pierre du Forum, qui était utilisée pour attacher les rostres des navires capturés, la plate-forme en question étant connue sous le nom de rostra. Au XVIIIe siècle, le mot rostrum est ainsi entré dans la langue anglaise. 

 

La cloison de la Casa del Tramezzo di legno  

 

La dénomination de la maison vient des trois vantaux mobiles (il a été impossible de remonter le troisième [31]) sur des gonds qui permettaient de refermer le tablinum en le transformant, selon les besoins, en pièce de passage ou en salle de séjour ou de repos.

 

Cette cloison en bois fait partie des découvertes les plus remarquables et est unique dans tout le monde romain (ce qu’on appelle un unicum).

 

Pour les parties conservées de la cloison, il est possible de souligner que ces vantaux ont été assemblés selon la technique des tenons et mortaises, renforcés à l’aide de chevilles. Aucun clou n'a été utilisé. 

 

Dans le but d’attribuer une affectation plus « confidentielle » à une pièce précise, sans pour autant la clore complètement, il était possible de mettre en place un système hybride de cloisons de bois (jouant un peu le rôle de paravent ou de cloison de séparation – « roomdivider » en anglais –) dont nous avons un précieux exemple ici. La cloison est divisée en trois compartiments : deux parties latérales plus petites et une partie centrale plus grande.

 

Les doubles panneaux de chaque côté ressemblent à des portes à double-battant. La partie centrale non conservée contenait probablement quatre parties de porte (sur l’illustration ci-dessous, il n’y en a que trois représentées), dont deux étaient reliées entre elles par des charnières et pouvaient être ouvertes ou fermées.

 

A droite, cloison de bois de l’atrium avec la reconstitution de la partie centrale (photo extraite du site http://rozsavolgyi.free.fr/cours/civilisations/pompei/p3.htm) ; à gauche, l'atrium avec la cloison de bois (photo dans le domaine public – auteur : AlMare (travail personnel) - source : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Herculaneum_Casa_del_Tramezzo_di_Legno_-8.jpg)

 

Cela peut être déduit de portes comparables qui ont été coulées en plâtre (calque [32]) dans la Villa A (dite « de Poppée [33] ») à Oplontis. Donc, elles tournaient probablement et ne coulissaient pas (à Oplontis, les portes ont été retrouvées ouvertes). J’ai pu discuter à ce sujet par courriel avec l’un des grands spécialistes mondiaux du travail du bois dans l’Antiquité, le Pr.-Dr. S. T. A. M. Mols de la Rabout Universiteit de Nijmegen. Qu’il me soit permis ici de le remercier pour ses précieuses indications. Malheureusement, à sa connaissance, comme à la mienne, aucune publication ne fait la comparaison entre le moulage en plâtre des portes d’Oplontis et la cloison en bois de la maison homonyme d’Herculanum.    

 

Durant la belle saison, cette séparation était enlevée et c’est ainsi que, de l’atrium, on jouissait de la vue du péristyle à travers le tablinum. Le salon de cette villa donnait en effet sur un portique, ouvert sur le jardin orienté vers la mer, avec une grande fenêtre que l’on pouvait occulter grâce à ces portes en bois.

 

A droite sur la photo, moulage des portes de la villa d’Oplontis (image issue du site https://www.arkadias.fr/oplontis.html)

 

La cloison (protégée par des plaques en verre) est pourvue de portes à double battant de chaque côté, ainsi que de clous décoratifs (des poignées circulaires en appliques de bronze pour faciliter l'ouverture) et des supports (porte-lampes), également en appliques de bronze (ici, il s’agit de moulages en plâtre) en forme de proue de navire pour suspendre les lampes à huile [34] (lucerna [35]) à l’aide de chaînettes, afin de garantir un minimum d’éclairage nocturne dans cet important espace de connexion avec les autres pièces de la maison [36].

 

En raison de cette articulation en trois parties de la cloison, le Docteur Francesco Sirano, le Directeur du Parc archéologique d’Herculanum, a émis l’hypothèse que l’agencement de celle-ci faisait référence au théâtre [37]. L'intérieur de l'atrium est en effet décoré de peintures du quatrième style (ou style fantastique) où les peintures évoquent les structures scénographiques des théâtres, mais reproduisent également des masques.

 

Selon Francesco Sirano, l'articulation du mur de bois en trois parties avec une porte principale centrale et deux de plus petites dimensions rappellerait celle du mur de scène d’un théâtre avec ses valvae regiae (« porte royale [38] ») et ses portae hospitales (« portes des hôtes ») : par ces deux portae hospitales apparaissaient les personnages mineurs du théâtre alors que le protagoniste, lui, « entrait par la grande porte » centrale). Ci-dessous l’exemple du théâtre romain de Mérida en Espagne, l’un des mieux préservés au monde. 

Théâtre romain de Mérida (Licence : CC BY-SA 4.0 - Benjamín Núñez González (travail personnel) – Annotations supplémentaires en jaune : Philippe Durbecq)

 

Francesco Sirano y a dès lors vu une réminiscence délibérée au théâtre : le propriétaire, franchissant cette porte, allait à la rencontre de ses clients et, tel un deus ex machina, résolvait les problèmes de chacun. De quoi parlait-on au-delà de ce mur ? A quoi servait un mur qui n'empêchait pas le passage de la voix car sa hauteur est limitée (la cloison, à hauteur d’homme, arrive seulement au tiers de la hauteur de l’atrium) ? Pas à garantir la confidentialité absolue des conversations en tout cas, mais il servait probablement à ce que les transactions commerciales comportant des signatures et des écrits soient traitées de manière plus privée celles-ci se faisant à l’abri des regards par la fermeture des portes. La cloison offrait donc un état intermédiaire de confidentialité, celle que l’on peut avoir, dans les bureaux « open space » avec des panneaux de séparation autoportants, par exemple.

 

Honnêtement, dans un premier temps, j’ai été relativement dubitatif vis-à-vis de cette hypothèse, estimant que les références au théâtre sont récurrentes dans le IVe style. Et que faisait-on alors des pièces de vaisseau qui s'y trouvaient ? L'interprétation me paraissait donc, au départ, un peu forcée : il y avait, pour moi, toutes sortes de raisons valables pour installer trois vantaux, sans recourir à la métaphore théâtrale.

  

        

Supports de lampe en forme de proue de navire, moulage en plâtre d’un original en bronze fixé sur la cloison de bois de la Casa del Tramezzo di legno à Herculanum (avec l’aimable autorisation de la Doctoresse Silvia Greggi)

 

Mais lors d’un échange très fructueux de courriels avec le Dr. Francesco Sirano, celui-ci m’a en effet précisé que les hypothèses discursives faites dans le cadre des films ont été formulées uniquement comme de simples suggestions de travail (et non comme des résultats de recherche) à l’adresse du public afin de l'impliquer autour du thème principal qui est la présence extraordinaire de la cloison de bois, un unicum dans le monde romain. Le Dr. Francesco Sirano n’a en effet encore rien écrit à ce sujet car évidemment il faudrait bien étudier le sujet et vérifier ses hypothèses qui ne servent qu'à des fins de diffusion, ce qui a d’ailleurs fonctionné puisque j’ai moi-même réagi positivement au fond.

 

En tout cas, en ne suivant qu'un fil conducteur logique et non argumentatif, Francesco Sirano m’a confié ne pas avoir trouvé vraiment d'autres explications purement fonctionnelles à la tripartition de la porte, même compte tenu de la largeur du tablinum. Et cet argument est en effet imparable. On aurait pu faire une cloison de dimensions plus modestes. Ma question qui reste ouverte jusqu’à présent : subsiste-t-il des vestiges de cette partie centrale ?

 

Après mûre réflexion, je pense qu’il faut étudier la cloison dans son ensemble, globalement, c’est-à-dire en intégrant également la symbolique des éperons de navire – qui ne sont, à mon avis, pas uniquement purement décoratifs, mais jouent aussi un rôle dans toute la scénographie –.

 

Je me pose donc la question de savoir si une référence aux naumachies est potentiellement envisageable, mais comme le soulignait déjà Francesco Sirano pour sa propre hypothèse de travail, cela doit être analysé de manière approfondie. Le lien avec la thèse du Docteur Francesco Sirano et la mienne, serait que ces naumachies sont le reflet « théâtral » des véritables combats navals qui ornent d’ailleurs beaucoup de maisons comme celle des Vettii à Pompéi [39]. Ce qui est très intéressant à noter dans le cas de la maison des Vettii, est que la scène est entourée d’un cadre rectangulaire et surmonté d’un masque de théâtre adossé à un panier garni (une nature morte). Cette association de la naumachie et du théâtre est évidente. Cette possibilité permettait en outre de relier les rostres de la cloison de bois de la Casa del Tramezzino di legno au monde de la fresque. 


Pinax de la maison des Vettii (issue du site https://www.marine-antique.net/naumachie-maison-des-vettii-4)

 


Les premières éditions naumachiques (César et Sextus Pompée) sont directement liées au contexte de guerre civile et se veulent une preuve de la légitimité de ces imperatores. Les naumachies suivantes entrent quant à elles dans le discours idéologique du principat [40] : il s’agit à la fois de commémorer de grandes victoires comme celle, fondatrice, d’Actium, de célébrer la domination de Rome sur toute la Méditerranée, de montrer le pouvoir de l’Empereur qui met en scène la mort de plusieurs milliers d’hommes, et de le présenter comme maître de la nature capable de dompter l’élément marin [41].


 

A gauche, plan et situation de la naumachie d’Auguste (Licence : CC BY-SA 4.0 – Auteur : Cassius Ahenobarbus (travail personnel) – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Naumachie_d%27Auguste) ; à droite, restitution de la naumachie augustéenne et du Trastevere au 1er siècle ap. J.-C. (aquarelle de J.-C. Golvin © Actes Sud, avec l’aimable autorisation de l’auteur)

 

Sous Néron apparut une nouveauté : la naumachie d'amphithéâtre. La représentation navale quitte les lieux spécifiquement faits pour elle (que ce soient les bassins naumachiques de Rome ou des lieux naturels aménagés pour l’occasion) pour gagner l’arène des nouveaux édifices de spectacle que sont les amphithéâtres. Ce changement du lieu de la représentation correspond également à un changement de statut du spectacle naval : si jusqu’alors les éditions naumachiques étaient données en marge des grands munera, elles en font maintenant partie intégrante et représentent le plus souvent un moment fort du bouquet final des jeux.

 

Suétone (Vies des Douze Césars, Néron, XII, 2-6) et Dion Cassius (Histoire romaine, LXI, 9, 5) attestent en effet la présentation d'un spectacle de combat naval en 57 apr. J.-C., dans l'amphithéâtre de bois ainsi inauguré par le dernier des Julio-Claudiens. Du monument lui-même, nous ignorons tout, en dehors du fait qu'il fut construit sur le Champ de Mars. Néron donna une autre naumachie en 64. Selon Suétone (Vies des Douze Césars, Domitien, IV, 6-7), l’empereur Domitien organisa deux naumachies, une dans le Colisée, sans doute en +85, et l’autre, en +89, dans un nouveau bassin creusé au-delà du Tibre. C’est sans doute entre ces deux dates que les infrastructures du sous-sol (l’hypogée) du Colisée furent aménagées, rendant par la suite impossible toute mise en eau de l’arène. Titus a certainement voulu reprendre la formule pour le Colisée.

 

En ce qui concerne les fresques, on retrouve ces batailles navales même dans des lieux sacrés comme le temple d’Isis à Pompéi.


Et les galères équipées d’un rostre dans des scènes mythologiques, comme cette fresque de Pompéi (au British Museum) montrant Ulysse écoutant le chant des sirènes [42].

Ulysse et les sirènes (illustration issue du site http://www.marine-antique.net/Ulysse-et-les-sirenes-sur-une)


A ce stade, à part cette possibilité de référence aux naumachies (et donc, à une prolongation de la métaphore théâtrale), je n’ai, à l’heure actuelle, pas encore d’explication vraiment valable, à part peut-être la possibilité que la maison ait appartenu à un officier supérieur de la flotte impériale, basée à Misène) ou encore à une simple utilité décorative fortuite, liée à son design (une proue de navire étant tout de même plus esthétique qu’un simple clou pour supporter une lampe à huile). De toute façon, même si l’on reste sur l’interprétation purement décorative, il semble bien qu’il existe une harmonie ou une unité avec un thème majeur, un peu comme lorsque l’on décore son propre salon aujourd’hui : on essaie d’avoir un style qui reste homogène et non un éclectisme disparate. Ce thème pourrait être le spectacle théâtral sur terre ou le combat naval dans l’enceinte d’une naumachie.

 

Au fond, sans tomber dans l’anachronisme, dans son château de Versailles, lors des divertissements des Plaisirs de l’Île enchantée, Louis XIV accueillait aussi bien Molière que les galères de sa flottille royale sur son Grand Canal.

 

La recherche n’en est toutefois qu’à ses débuts donc. Quelques constatations sur la représentation des rostres dans l’univers domestique en constituent les premières pistes.

 

Le Docteur Sirano m’a d’ailleurs obligeamment signalé une nouvelle piste de recherche : la présence de rostres comme éléments décoratifs de murs/meubles à Herculanum même, celle de la maison de l'Apollon citharède (casa dell’Apollo citaredo) publiée dans le catalogue : P. Roberts (éd.), Life and death in Pompeii and Herculaneum (Catalogue of Exhibition, London The British Museum 28 March-29 September 2013), London 2013, p. 103, fig. 108). Les rostres de la Casa del Tramezzo di legno ne seraient donc pas un unicum. Cette information est en elle-même sensationnelle !

 

A Pompéi, ce sont quatre pièces en bronze en forme de proue et avec un avant-train de taureau intégré dans cette dernière qui ont été découvertes en 1903 sur le côté sud de l'atrium et l'entrée du Tablinum d'une habitation nommée Maison M. Obellius Firmus ou Casa di MM. Obellii Firmi, pater et filius ou Casa del Conte di Torino (https://www.pompeiiinpictures.com/pompeiiinpictures/R9/9%2014%2004%20p3.htm).

 

Fait intéressant, deux de ces supports muraux sont dépourvus de rostre, ce qui suggérerait que les bateaux étaient marchands et non militaires. Ces éléments étaient peut-être des tenons pour retenir des rideaux.

 

 

 Notizie degli Scavi di Antichità, 1905, (p. 255, fig.7 et p.256 fig.8)


 

(photographie issue du site https://classicalstudiesman.com/tag/pompeii/)

 

Sur la fresque murale de l’atelier des feutriers, on peut admirer le triomphe de Vénus (elle est coiffée d’un polos et serre dans la main gauche un gouvernail, ainsi qu’un sceptre). Elle est accompagnée d’un enfant ailé et tous deux sont debout sur un quadrige en forme de proue de navire. Ce char est assez original puisqu’on y a attelé quatre éléphants (dont les trompes balaient le sol) à la place des habituels chevaux tirant les quadriges triomphaux. Les têtes des animaux portent de fines parures en fil et leurs défenses sont recouvertes de cornes d’or. 

Fresque murale représentant Vénus sur une proue de navire tirée par des éléphants. Pompéi, façade de l'atelier des feutriers, Fouilles récentes (2014/2018). Exposition Pompéi, Grand Palais, Paris 2020 (Licence : Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International – auteur : Siren-Com (travail personnel – source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pompei_peinture_murale_V%C3%A9nus.jpg)

 

Ces éléphants constituent peut-être une allusion au triomphe à Rome du général Pompée de 82 av. J.-C. : rentré victorieux de ses campagnes en Afrique et surnommé « le Grand » en référence à Alexandre, il tente de surpasser les cortèges triomphaux de ses prédécesseurs en faisant tracter son char par quatre éléphants. Les pachydermes n’arrivèrent cependant pas à franchir la porte de la ville, trop étroite, pour le plus grand embarras de Pompée, mais aussi pour la plus grande joie du public.

 

Ces rostres rappellent la présence d’éperons de navire en bronze (terminant des faisceaux) dans la maison de Trimalcion dans la ville voisine de Pouzzoles, mentionnée par Pétrone dans son Satiricon (30).

 

A noter que les faisceaux de verges, surmontés de haches, étaient des marques d'honneur réservées aux magistrats de Rome. Ceux des colonies ne pouvaient pas y prétendre. Trimalcion, sevir d'une colonie [43], a fait représenter sur sa porte ces insignes qu'il n'a donc pas le droit de faire porter devant lui.

 

D'où l'étonnement d'Encolpe. Les sevirs étaient les membres du collège des Augustales. Cette dignité, dont on était prodigue, comme à notre époque des décorations, ne donnait en fait aucun pouvoir réel : ce n'était pas une magistrature effective. Un peu comme, chez nous en Belgique, un fonctionnaire ayant travaillé 35 ou 40 ans recevait, il y a encore quelques années, une médaille de l’Ordre de Léopold qu’il pouvait fièrement arborer.

 

Si dans son article « The house of Trimalchio » (dans The American Journal of Philology, vol. 75, n° 1, 1954, pp. 16-39), Gilbert Bagnani objecte qu’on ne comprend ni pourquoi Encolpe n'a pas employé le mot latin rostrum ni comment un éperon horizontal peut se terminer en faisceau (il suggère une épontille ou anneau d’amarrage, mais ce n’est pas le sens attesté d’embolon), Jean-Christian Dumont (dans son article « Le décor de Trimalcion », Mélanges de l’Ecole Française de Rome, 102 – 2, 1990, pp. 959-981) fait remarquer que « la demeure de Trimalcion ne se visite pas comme la maison du Faune » : Pétrone n’a pas décrit une maison réelle dont un architecte pourrait dessiner le plan et dresser l’inventaire, mais une villa sortie de son imagination, « une illusion de maison », une sorte de « mirage » en quelque sorte.

 

Dans son article « Cave canem » (Classical Quarterly, 56.2, p. 542, 2006), le Pr. Jonathan Prag de l’Université d’Oxford, ne voit pas la difficulté de combiner une projection horizontale d'un mur ou d'un montant de porte avec un objet vertical, probablement en relief, s'élevant au-dessus. Pour prendre un exemple extrême, la Niké de Samothrace devrait suffire à dissiper de telles perplexités.

 

                                            
              La Victoire de Samothrace au Louvre (photo sous licence Creative Commons CC0 1.0 Universal Public Domain Dedication - auteur : Shonagon - source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Victoire_de_Samothrace_-_Musee_du_Louvre_-_20190812.jpg)


Page 545 de ce même article, il fait la comparaison avec le tombeau de Cartilius Poplicola à Ostie montrant une trirème dont il manque le bloc central.


Détail du monument funéraire de Gaius Cartilius Poplicola à Ostie (Licence : CC BY-SA 2.0 – auteur : Dennis Jarvis – Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Tomb_of_Cartilius_Poplicola)


La proue supporte une plate-forme de combat avec un soldat nu brandissant une arme de jet et portant un bouclier. La proue comprend également un éperon à trois lames (trifide) dans le prolongement de la préceinte [44] basse, au-dessus duquel figure un proembolon [45] dans le prolongement de la préceinte haute. Son extrémité est décorée d’une figure animale. La corne de proue ou stolos à emblème présente, dans son acrostole (volute rétroarquée), Minerve casquée [46]. Entre la fixation du stolos et la caisse de rames, le cercle peut être soit la représentation d’un œil apotropaïque (ophtalmos [47] ou oculus) ou le sabord d’une ancre.

 

Dans sa conclusion, il avoue qu’il ne prétend pas avoir proposé une correspondance exacte pour la décoration du montant de porte de Trimalcion.


La combinaison précise de faisceaux et de rostres est en effet sans précédent, mais le rostre ou embolon n’est nullement inattestée, dans les contextes publics comme privés, et ne devrait nous poser aucune difficulté. Les deux faisceaux et le rostre peuvent facilement être interprétés comme d'autres exemples des éléments incongrus, peut-être funèbres, généralement publics ou monumentaux, et excessifs qui apparaissent ailleurs dans la vie et la maison de Trimalcion. Le tombeau de Cartilius Poplicola a dû susciter un certain nombre de quolibets à son époque, tout comme celui du « boulanger », Eurysacès, devant la Porta Maggiore à Rome.

 

Effectivement, quoi de plus étrange que ce tombeau de ce pistor (boulanger [48]) ? Avec une forme aussi bizarre (trapézoïdale [49]), haut de sept mètres et avec des « orifices de tuyaux [50] » sur la façade, il devait ressembler à un Beaubourg parisien (aujourd’hui Centre Pompidou) au moment de son inauguration ! En outre, cet art plébéen et ce monumental tombeau de « nouveau riche » (Eurysacès était un affranchi devenu prospère) ne devait pas être du tout au goût des aristocrates de vieille souche.

 

La présence de ces faisceaux dans la maison de Trimalcion n’est pas si absurde qu’on pourrait a priori le penser, même si elle peut surprendre Encolpe (sa surprise vient plutôt de les trouver à cet endroit) [51] : en fait Trimalcion s’est simplement accordé, en privé, un droit qu’il n’avait pas légalement en public. Il ne pouvait en effet revendiquer ces faisceaux pour lui-même et les faire parader devant lui, puisque les magistrats des colonies étaient exclus de cet honneur et réservé aux seuls magistrats de Rome. Mais ce qui est prohibé en public ne l’est pas en privé.

 

C’est exactement comme les Médicis et leur chapelle privée à Florence à la Renaissance où ils ont pu se représenter en rois Mages. Mais derrière sa figure angélique de rois Mage, Laurent le Magnifique expose sans aucune retenue toute la puissance et la fortune de cette dynastie Médicis. Il est un roi sans couronne, un prince sans titre à la façon d’Auguste qui avait mis en place le régime du principat.

 

Pour l'utilisation des rostres dans des contextes domestiques privés comme décoration (la tombe de Cartilius [52] est évidemment légèrement différente à cet égard, en tant que monument funéraire d'un grand personnage public), les meilleurs parallèles restent ceux de Sicile (décoration de fresques à Soluntum (Solunto) [53] et les proues en pierre de la cosidetta « casa del navarco [54] » à Segesta) [55].

 

Comme le souligne le Dr. Jonathan Prag, à nouveau dans son article « Cave canem » (page 542), A. Maiuri a en effet noté l’existence de parallèles possibles dans l’atrium de la Maison des Noces d’argent à Pompéi où se trouve une double paire de bossages en bronze desquels se projettent un rostre de navire et un protomé de taureau


En ce qui concerne Segesta, le Dr. Jonathan Prag en fait également mention dans son article « Cave canem » (page 544) que je résume ci-après : dans les années 1990, des fouilles ont été réalisées sur la colline sud de l'acropole de Ségeste, dans l'ouest de la Sicile. Celles-ci ont permis de mettre au jour les restes de plusieurs proues en pierre de la pièce principale d'une « villa » à péristyle de la fin du IIe siècle av. J.-C. Trois de ces proues [56] sont pratiquement intactes, mais il y en avait jusqu’à huit à l’origine. Une extrémité est carrée pour insertion dans le mur, l’autre extrémité est richement en forme de proue de navire (avec embolon et proembolon). Et élément important, des trous dans le proembolon et le haut de la proue impliquent l’ajout d’accessoires en bronze pour lesquels des lampes et des statues (comme une Nike) ont été suggérées. Or, bien que la maison ait été théoriquement attribuée au Navarque Segestanus Heraclius, cité dans les Verrines de Cicéron, ce monument privé s’inscrit dans un contexte romain plus large, voire militaire.

 

La représentation de rostres dans l’univers domestique

 

Toujours dans son article sur la bataille des îles Egades, Sebastiano Tusa souligne que les rostres sont investis d’une « grande importance iconographique comme symbole de victoire, tout en constituant un décor, comme dans le cas des acrolithes de Ségeste. ».

 

La mosaïque de San Cesareo sur la Via Ardeatina près de Rome, à environ huit kilomètres au sud de la Porta San Sebastiano (Musées du Vatican) présente une bordure à sa base montrant une colonnade en façade maritime où des proues de bateaux apparaissent sous chaque arc [57]. Un motif semblable de frises de proues de galères sous arcade orne la mosaïque de la villa de la Grange-du-Bief à Anse-sur-Saône, en Gaule romaine. Il s’agit « d’un héritage d’anciennes commémorations de victoires navales dont un type visuel formé dès l’époque hellénistique a fait souche en Italie républicaine avant d’atteindre la Lyonnaise [58] ». Les navires, identiques, sont montrés alternativement de trois-quarts avec des rames et de face sans rames, mais dotés d’un curieux attribut de proue en forme de barbillon immergé. Les yeux apotropaïques confèrent un air pensif et un caractère bien humain à ces proues de navires. 

 

Navires de la villa d’Anse-sur-Saône (document 56 du mémoire de maîtrise de Monsieur Romain Sauterel et avec son aimable autorisation (source : https://www.academia.edu/41308466/Iconographie_romaine_majeure_de_la_navigation_en_Gaule_narbonnaise_et_dans_le_bassin_rhodanien)

 

La grande domus du cithariste à Pompéi (appartenant à la noble famille des Popidii) comptait trois péristyles et deux atriums ; dans celui orienté vers la rue de l’Abondance, le bord de l’impluvium est décoré de neuf proues de navire ; dans le second atrium figure un autre rappel des navires de guerre : sur la porte de gauche était fixé un bossage en bronze en forme de proue de navire, pour accrocher le rideau placé à l’entrée de la pièce. Le même motif de proue de navire se retrouve sur les rangées d’arcades entourant l’impluvium de la maison de Paquius Proculus (aussi appelée de Gaius Cuspius Pansa).  

(Licence :  Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International – auteur : Sailko (travail personnel) – source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Casa_di_paquius_proculus,_cortile_con_mosaici_07.jpg)


Une fresque saisissante du musée de Naples (MANN, anciennement dans la Casa de Diana ou Casa della danzatrice à Pompéi) de la fin du Ier siècle avant J.-C. représente deux navires de guerre, amarrés sous les arcades d’un arsenal. Les grands yeux peints sur la proue servent à éloigner le mal et à protéger les marins. Ces grands yeux ont un air comique qui n’est pas sans rappeler ceux des véhicules du film « Cars » de Disney.  

Fresque de navires de guerre derrière les arcades d’un port (MANN, n° 8603 – Licence : CCA-SA 4.0 International – Auteur : ArchaiOptix (travail personnel) – Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Wall_painting_-_war_ships_behind_arcades_-_Pompeii_(VI_17_9-11)_-_Napoli_MAN_8603.jpg?uselang=de)

 

 

Plus sérieusement, il s’agit d’une œuvre rare qui nous donne une idée des couleurs et de la prestance de ces navires desquels il ne reste que des vestiges très endommagés, principalement des fonts de cale en bois gris.

 

Les navires sont amarrés dans un arsenal et la méconnaissance de la perspective en ce temps-là fait que celui de gauche est tronqué à la colonnade : l’arrière du navire, qu’on devrait voir, n’y est pas.

 

Citons enfin, une étrange mosaïque, hellénistique cette fois (mais intéressante, car elle prouve que le modèle de proue est antérieure aux Romains), le portrait de femme (Arsinoé III ou Bérénice II, maîtresse de la mer ?) sur la mosaïque découverte à Thmouis (= Tell Timai, dans le Delta du Nil), signée par Sophilos (signature dans le coin supérieur gauche de la photo ci-dessous) et conservée au Musée gréco-romain d’Alexandrie.

 

On y voit une souveraine couronnée d’une proue de navire, et tenant un mât où flotte, accroché, un bandeau royal. Le personnage est en tenue militaire, vêtu de la cuirasse et de la chlamyde pourpre. La reine est également richement parée (avec une broche en forme d’ancre). Le visage est illuminé par des yeux démesurément ouverts (les effigies des rois et des reines ptolémaïques trahissent un globe oculaire exorbité : certains archéologues parlent d’ailleurs d’yeux ptolémaïques [59]) que soulignent des cils longs et bien dessinés. Des tesselles en faïence verte ont été utilisées pour marquer le contour extérieur de l’iris. Ce regard, au pouvoir quasi hypnotique, traduit en réalité la nature hors du commun de la souveraine qui apparaît divinisée. Voir l'article « Un jeu de regards. Réflexions sur l'élaboration du portrait royal dans la peinture hellénistique » d'Estelle Galbois dans Pallas Revue d'études antiques (n° 92/2013).


Détail du visage de Bérénice II sur la mosaïque de Thmuis (Egypte), maintenant au Musée gréco-romain d'Alexandrie (Licence : domaine public – Auteur :  Sophilos, — Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Mosaic_of_Berenice_II,_Ptolemaic_Queen_and_joint_ruler_with_Ptolemy_III_of_Egypt,_Thmuis,_Egypt.jpg)

 

Dans le domaine de la céramique, les navires dotés d’un éperon sont soit représentés par le peintre du vase, comme c’est le cas sur la superbe coupe attique [60] du peintre Exekias montrant Dionysos dans une embarcation, naviguant parmi les dauphins, soit constituent la forme même du vase.

 

L’historienne, philosophe, anthropologue et écrivain française Maria Daraki estime que le peintre Exékias qui a réalisé vers 530 av. J.-C cette coupe à figures noires (sur un fond d’un très belle couleur corail) a voulu représenter délibérément une mer « couleur de vin », à savoir une « mer dionysiaque ». 


Coupe du peintre Exékias (photo dans le domaine public – source : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Exekias_Dionysos_Staatliche_Antikensammlungen_2044_n2.jpg

 

La coupe attique à figures noires (n° A 3645) des MRAH de Bruxelles montre, à l'intérieur, une frise de navires et, au centre un gorgoneion [61]. Sa décoration a pu en être attribuée, sur la base de l'analyse stylistique, au Peintre de Lysippidès. Dans cette coupe, on versait le vin jusqu'à la limite de la représentation des flots, ce qui donnait l'impression, par intermittence, de bateaux flottant sur une mer vineuse (référence à Homère), lorsque le liquide venait lécher la base des coques. Ce principe illusionniste est brièvement décrit par Didier Martens dans son article « L’illusionnisme spatial dans la peinture grecque des VIIe et VIe siècles [62] ».

 

On trouve la proue de navire dans le cas de représentations hellénistiques tardives de déesses sur des rhytons (Artémis Bendis, Cybèle identifiée comme Aphrodite [63] ou Ariane » assise sur la proue d’une trirème grecque hellénistique sur le « rhyton du British Museum (provenance de Vulci invérifiable, plus probablement apulienne).

 

D’autres vases configurés en proue de navire peuvent également être cités : le vase de la collection privée Malaguzzi – Valeri (Bari) provenant des Pouilles et celui de la collection Dutuit (Paris, Palais des Beaux-Arts). Enfin, le canthare (unimanuel : à une seule anse) béotique du musée du Louvre dont la seconde anse est remplacée par un protomé de sanglier évoquant la proue d’un navire (l’image de cet animal prompt à charger les importuns est parfaitement en phase avec la fonction du rostre) [64].    

 

Le skaphion, en particulier, pouvait être muni d’un bec (embolon[65].

  


Isis est, quant à elle, figurée sur une lampe à huile en forme de navire. Mais aussi sur une grande fresque polychrome peinte sur stuc (autrement dit un « scraffitto » provenant d’un Nymphaion, en Crimée, à 17 kilomètres au sud-ouest de Kertch, l'ancienne Panticapée, capitale du royaume du Bosphore cimmérien. Une trirème nommée « Isis » (ΙΣΙΣ), voire consacrée à la déesse que le professeur William Murray cite page 543 de son texte manuscrit de sa communication de 1999 (Fresque) reprise dans le travail de Laurent Bricault dont je reprends ici le passage important : « Il s'agirait certes d'un navire de guerre, mais aussi d'un navire sacré. C'est d'ailleurs encore le symbolisme religieux de sa création picturale qui aurait intéressé l'artiste plutôt qu'un souci de technique de véracité. Le navire aurait eu pour fonction de convoyer jusqu'en Crimée, mais aussi ailleurs, des images et des objets destinés à y introduire et à y célébrer le culte d'Isis. L'auteur identifierait volontiers sur la scène figurée des vases auvents et une oie, animal donné à Isis ». Au symbolisme de victoire, s’ajoute donc avec cet exemple un symbolisme religieux.

 

Beaucoup de dieux et de déesses sont venues à Rome en bateau : après le culte des dieux grecs de la médecine – Apollon en 431 et Esculape en 293 –, le culte de Cybèle a été introduit à Rome en 204 av. J.-C. en transportant le bétyle de Pessinonte à Rome en bateau (c’est l’une des dernières crises religieuses qui ont accompagné la deuxième guerre punique).

 

Afin de conserver dans les mémoires le souvenir de l’arrivée d’Esculape, les Romains avaient entouré l’île tibérine d’une enveloppe de marbre, mais sculptée en forme de galère [66]. Au centre de l’île, un obélisque figurait le mât du navire. Les spécialistes ne sont pas unanimes quant à l’orientation du « bateau » (remontait-il le fleuve ou le descendait-il vers son embouchure ?). Pour ceux qui soutiennent la première de ces deux thèses, la proue fut volontairement orientée à contre-courant de sorte que, fendant l’eau du fleuve, elle donnait l’illusion du mouvement du navire.  

 



A gauche, illustration issue du site https://www.visite-guidate-roma.net/l-origine-dell-isola-tiberina-e-del-culto-di-esculapio.html ; à droite, https://www.innamoratidiroma.it/2021/02/08/esculapio-sullisola-tiberina/


      

*    *    *    *    * 

 

Le premier problème à résoudre pour y voir plus clair dans cette énigme se résument en une phrase : où se trouvent les bronzes originaux de la Casa del tramezzo di legno et peut-on en avoir des photos détaillées ?

 

Ces appliques pourraient être soit au Musée archéologique de Naples, soit (ce qui est le plus probable) à Herculanum même, dans le dépôt (Deposito Archeologico di Ercolano) ou dans le musée qui vient d’ouvrir ses portes ; soit encore dans le bâtiment de la direction à Pompéi, mais c'est moins probable.

 

Malheureusement, je n’ai pas trouvé les numéros d’inventaire dans les travaux de Maiuri [67].

 

Normalement, le mieux est de se reporter aux journaux de fouilles de Maiuri [68]où, normalement, les objets sont listés avec leur date de découverte, ce qui permet de mener l'enquête. N’ayant toutefois pas accès à ceux-ci, le Docteur Nicolas Monteix, Maître de conférences en histoire et archéologie romaines, a eu la gentillesse de les consulter pour moi (qu’il soit ici vivement remercié) et de me communiquer le fait qu’ils ne sont pas beaucoup plus loquaces que l’ouvrage précité : 24 gennaio [1928]. È incominciato lo svuotamento dell'ambiente o atrio ? Segnato con la lettera P. Alla distanza di m. 1.20 dalla soglia di marmo dell'ambiente della lettera O è comparso un architrave largo m. 0.12, alto m. 0.15, e lungo m. 3.80. Esso è alto dal pavimento m. 2. Si contano attualmente due pilastrini di legno carbonizzato. Ciascuno è largo m. 0.33, spessore m. 0.08 e distano tra loro m. 1.87. A m. 0.80 dall'architrave descritto trovasi trasversalmente un trave largo m. 0.34 la lunghezza non si descrive poiché non è del tutto scavato

25 gennaio [1928]. Continua lo sterro sul II cardine senza trovamento alcuno. Si è sospeso lo scavo dell'ambiente o atrio P poiché d'ordine superiore deve essere fotografato [sur la photo, l'ensemble est encore pris dans le flux pyroclastique]. Puis, apparemment, plus rien.

Il faudrait donc regarder dans les journaux de restauration, mais, le Docteur Monteix m’informe que ceux-ci ne sont pas complètement conservés pour cette période. 

 

Quant aux carnets personnels d’A. Maiuri, ils ont disparu [69].

 

Entre-temps également, la Doctoresse Silvia Greggi m’a adressé un courriel me confirmant que les contrôles effectués dans les dépôts et les archives à la suite de ma requête se sont, pour l’instant, révélés négatifs, mais que dans le cadre d'un grand projet de numérisation, le Parc archéologique d’Herculanum procède à une étude approfondie et systématique des dépôts. La Doctoresse Silvia Greggi me promet donc de me tenir informé des résultats de l'enquête en cours. 


En tout cas, les occurrences de ces rostres tant en Sicile qu’en zone vésuvienne permettent de tirer une première conclusion : la présence d’éperons de navires de guerre dans une maison privée n’est pas une licence poétique de la part de Pétrone (ou de l’auteur du Satiricon), ni limitée au seul cas de la Casa del tramezzo di legno, mais est un motif bien plus courant qu’on ne pouvait l’imaginer au départ.

 

Conclusion provisoire

 

Je vais donc procéder en deux étapes : je vais publier ce premier article avec les précautions d'usage, c'est-à-dire que c'est une lecture de l'œuvre qui reste hypothétique (et qui le restera peut-être même toujours), qui vient s'ajouter à toutes les autres possibilités (accessoire purement décoratif, emblème choisi par un propriétaire dans un but précis, soit parce qu'il était un membre de l'élite romaine où ce symbole apparaissait ou un officier de la marine impériale dont la base navale n'était pas si loin - Misène - soit parce que ces proues de navires complétaient bien la vision du théâtre en un ensemble cohérent - fresques ayant ce thème, cloison avec une articulation en trois parties comme les portes de théâtre, proues de navires comme rappel des naumachies, théâtres sur l'eau -. Autrement dit, mon hypothèse (combinée à celle du Dottore Sirano) reste dans le domaine du suggestif et n'est qu'une lecture potentielle parmi tant d'autres, mais qu'il me semble intéressant de mettre en évidence.

 

Dans un second temps, je rédigerai un nouvel article, spécifique à ces supports de lampes quand on aura tous les éléments en main et des photos (peut-être pourra-t-on même en faire une reconstitution sous forme de dessin, peut-être y aura-t-il d'autres vestiges associés à ces supports, comme des chaînettes ou des débris de lampe, qui sait ?). J'aborderai la question des fresques à ce moment-là.

 

Il serait évidemment intéressant également de procéder à une étude comparative approfondie de cette cloison de la Casa del Tramezzo di legno et du moulage des portes d’Oplontis. Mais il s’agit là d’un travail de spécialiste qui a accès à ces portes – ce qui n’est pas mon cas. L’idéal serait de pouvoir vérifier avec l’aide d’un infographiste comment les portes d’Oplontis s’ouvraient et ainsi pouvoir comparer avec la partie manquante de la cloison de la Casa del Tramezzino di legno.

 

Pour le reste, l’aventure commence donc seulement … La suite dans un prochain article.

 

Philippe Durbecq


 

Bibliographie

 

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[1] Le récit de la catastrophe (« clade ») nous est donc connu par la lettre de Pline le Jeune relatant à Tacite la mort de son oncle, Pline l’Ancien. Il en a été le témoin oculaire et il en décrit toutes les phases, à la façon d’un journaliste de son temps. A partir du XXe siècle, on appellera d’ailleurs ce type de nuage un « panache plinien » ou « colonne plinienne ». 

[2] Dans la nomenclature de volcanologie, une coulée pyroclastique est un terme commun – général – à tous les phénomènes pyroclastiques, alors qu’« une nuée ardente » est un cas particulier. Cette coulée est un mélange à haute température (plusieurs centaines de degrés Celsius) de gaz volcaniques, de vapeur d'eau et de particules solides (fragments de lave, de scories, de ponces, et lithiques, etc.) qui s'écoule à grande vitesse (au départ à plusieurs centaines de kilomètres à l'heure) au voisinage du sol, fortement soumis à la gravité et guidé par la topographie du lieu (elle est canalisée par les vallées et se faufile dans les rues provoquant l’asphyxie des fugitifs comme le montre un cadavre qui tenait un linge devant la bouche). Quand la coulée pyroclastique s’est produite, les muscles des victimes se sont repliés sur eux-mêmes. On constate ce « spasme cadavérique » sur de nombreux moulages de corps.

[4] Le vent soufflait vers la terre, si bien qu’aucun navire à voile ne pouvait espérer en partir. Propulsés à la rame, les navires de guerre (quadrirèmes) pouvaient en revanche atteindre les plages et en revenir. De plus, grâce à leur conception, jusqu’à 200 personnes pourraient se masser sur leurs ponts plats.  

[5] De nouveau, Pline le Jeune en parle dans sa lettre à Tacite.

[6] Alors qu’à Pompéi, au même moment, les gens vivaient encore (les nuées ardentes sont venues plus tard).

[7] La fin d’Herculanum a été beaucoup plus subite que celle de Pompéi. A Pompéi, les corps des victimes sont retrouvés dans une position de défense. A Herculanum, aucune trace de réaction n’a été observée : ils ne sont pas tordus de douleur comme à Pompéi.

[8] Ce « coup de chaleur » est un facteur qui peut permettre une comparaison entre Hiroshima et Herculanum.

[9] Une coulée boueuse d’origine volcanique. 

[10] Une coulée pyroclastique est un flux situé à la base de la nuée ardente et s'élevant peu du sol. Elle est composée d'un aérosol dense de gaz volcaniques et de particules de taille variable, allant de la cendre volcanique aux blocs rocheux dépassant la taille d'une maison. Les éléments solides peuvent provenir soit de la lave émise par le volcan, soit d'une partie plus ancienne du volcan qui est arrachée au moment de l'éruption. Lorsque la coulée pyroclastique perd suffisamment de vitesse, la partie solide se dépose en recouvrant parfois les paysages sous plusieurs mètres de matériaux, notamment lorsqu'il s'agit de pierres ponces.

[11] Et soutenu par le roi de Naples, Charles VII (à Naples, mais Charles V en Sicile) qui sera amené à monter sur le trône d’Espagne en devenant le roi Charles III. C’est avec ce dernier qu’émerge vraiment l’idée de la nation espagnole et de son identité avec l’adoption d’un hymne, d’un drapeau, d’une capitale digne de ce nom (Madrid connaît sous son règne un développement sans précédent) et la construction d'un réseau de routes convergentes sur Madrid.

[12] Stephen Greenblatt est un universitaire américain, critique littéraire et théoricien de la littérature. Il passe pour le fondateur du néo-historicisme, approche critique de la littérature qu'il qualifie de « poétique de la culture ». Voir l’article https://fr.wikipedia.org/wiki/Stephen_Greenblatt

[13] Cette plume est le substitut du pinceau qu’il n’a jamais pu manier : « Écrivant, Winckelmann se rêve peignant. De ce mythe personnel il tire un motif existentiel et théorique déterminant : l’équation entre écrire et peindre, la solidarité entre l’univers des signes plastiques et l’univers des mots. » (Elisabeth Décultot, « Les Laocoon de Winckelmann », Revue germanique internationale, n° 19/2003, pp. 145-157 (https://journals.openedition.org/rgi/948).

[14] Pompéi était une grosse ville commerçante (on pourrait la comparer à Ostende) et Herculanum, une petite ville résidentielle (Knokke-le-Zoute pour nous), mais on a tout de même découvert un contexte artisanal à Herculanum.

[15] Herculanum était articulée sur trois artères principales appelées « decumani » qui couraient parallèlement à la ligne du littoral du Nord-Ouest au Sud-Est et sur cinq rues secondaires appelées « cardines » qui descendaient  du Nord-Est au Sud-Ouest perpendiculairement au lido. Decumani et cardines, se croisaient à angle droit et découpaient la ville en îlots (insulae). Aujourd’hui, on ne peut visiter que deux decumani, le maximus et l’inférieur et trois cardines. Le troisième decumanus et deux autres cardines se trouvent encore sous terre, recouverts d’une épaisse couche de matériel volcanique sur laquelle s’est développée la ville moderne d’Ercolano.

[16] Le douzième rostre découvert en 2017 a cette particularité exceptionnelle d’avoir encore la partie en bois de la proue du navire coincée à l’intérieur (le bois disparaissant la plupart du temps, dévoré par les bivalves marins appelés tarets ou Teredo Navalis). Son extraction et son étude ultérieure fourniront des informations précieuses sur la technologie navale utilisée pour construire des navires de guerre durant cette période. Les trirèmes romaines ont été construites et armées avec la contribution directe des familles, des individus et des groupes de citoyens, comme l’attestent les inscriptions latines mentionnant le nom de ceux qui ont financé le navire. La seule inscription punique est une invocation à Baal : « Que Baal fasse pénétrer cet objet dans le navire ennemi » !

[17] « La Bataille des Égades (241 av. J.-C.) et la marine de guerre en Méditerranée antique à travers l’étude des rostres de Sicile », dans Bulletin de la Société française d'Archéologie classique (XLII, 2010‑2011), Revue archéologique 2012/1 (n° 53), pages 131 à 184.

[18] Un seul rostre carthaginois sur un ensemble de plus d’une dizaine de rostres récupérés peut interloquer à partir du moment où l’on sait que la bataille des îles Egades a été une victoire romaine totale. Il faut en réalité savoir que les Carthaginois ont réutilisé des navires romains capturés neuf ans plus tôt dans une bataille gagnée par les Carthaginois.

[19] Tite-Live donne une description de leur utilisation à la bataille de Side en 190 avant J.-C. (Histoire de Rome XXXVII 24).

[20] Les déflecteurs servent à écarter le vortex créé par les appendices de l’aileron avant (aérodynamisme).

[21] Le rostre est un bélier de navire de guerre, comme l’engin de siège du même nom servant à enfoncer portes et murs de fortifications.

[23] Voir la scène tirée du film homonyme de Michael Bay (https://youtu.be/H9oO4JHdNMY à 0,36 min).

[24] Un système comprenant des poulies et un mât permettait de soulever ou d’abaisser cette passerelle équipée d’une portion de parapet de chaque côté et d’une pointe en forme de bec d’oiseau (d’où son nom de « corbeau », par analogie avec le bec de corbeau) sur l’avant de la face inférieure du dispositif.

[25] Pour une bonne synthèse de toutes ces techniques d’abordage, voir l’intéressant article https://www.romanoimpero.com/2009/10/navi-romane.html.

[26] En avant du temple de la Concorde.

[27] Sur la place de la Concorde notamment, en référence à l’Hôtel de la Marine voisin (toujours dans une perspective de victoires marines). On remarquera que ces rostres sont épointés comme les exemplaires antiques repêchés. En revanche, ceux de la façade du palazzo Koch à Rome (qui abrite la Banque d’Italie) et ceux des réverbères du pont Garibaldi à Rome également sont en pointe.

[28] Sebastiano Tusa (Ibidem).

[29]  Du latin [rostrum] = bec d'oiseau, gueule. Ce terme est employé en zoologie pour désigner une partie saillante et pointue qui se prolonge en avant de la tête (rostre d'espadon, de dauphin). Voir l’article « rostrum » dans le Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines de Daremberg et Saglio.

[30] Luc Duret et Jean-Paul Néraudeau, Urbanisme et métamorphose de la Rome antique, Realia, Les Belles Lettres, 2001, p. 79.

[31] On dit que lors de la première fouille, les ouvriers auraient apparemment labouré à travers la partie médiane, détruisant les panneaux centraux ! Cela ne serait guère étonnant que cette paroi ait été « explosée » par les « cuniculi » (galeries souterraines) du Prince d’Elbeuf et d’autres (cf. par exemple, la destruction de la frise de la maison du squelette).

[32] La même méthode utilisée par Fiorelli pour le moulage en plâtre des portes pliantes de la villa des Mystères.

[33] La villa appartenait peut-être à Poppée, mais celle-ci n’a pas pu assister à la catastrophe due à l’éruption du Vésuve puisqu’ elle est décédée en 65 ap J.-C.

[34] Arnold De Vos ; Mariette De Vos, Pompéi, Herculanum, Stabia, Rome, Editori Laterza, 1982, p. 268.

[35] Voir le Dictionnaire des Antiquité grecques et romaines de Daremberg et Saglio, rubrique « lucerna », page 1334 pour leur usage (https://dagr.univ-tlse2.fr/consulter/2010/LUCERNA/page_457).

[36] Ernesto De Carolis, Il mobile a Pompei ed Ercolano. Letti, tavoli, sedie e armadi, Contributi alla tipologia dei mobili della prima età imperiale, « L’Erma » di Bretscheider, 2007.

[38] Parce que décorée comme celle d’un palais royal. Cette expression latine est utilisée par les archéologues, à la suite de Vitruve, pour désigner la porte centrale du front de scène. Certains recourent à l'expression valva regia, mais le latin emploie plutôt le mot au pluriel car il renvoie aux battants de la porte.

[40] Un paragraphe entier des Res Gestae est dédié à la description de l’aménagement du lieu de spectacle et à son déroulement (Res Gestae Divi Augusti, 23) : « J’ai donné au peuple (~2) le spectacle d’un combat naval de l’autre côté du Tibre, à l’endroit où se trouve maintenant le bois sacré des Césars. Le sol avait été creusé sur une longueur de mille huit cents pieds (530 m) et sur une largeur de mille deux cents (353 m). Dans ce bassin, trente navires à éperon, trirèmes ou birèmes, et davantage encore de plus petits s’affrontèrent. Dans ces flottes combattirent outre les rameurs environ trois mille hommes. » (à comparer avec Suétone, Vies des Douze Césars, Auguste, 43).

[41] Voir l’ouvrage de Gerald Cariou, La naumachie : Morituri te salutant, PU Paris-Sorbonne, Coll. Passé Présent, 2009.

[43] Dans l’Antiquité romaine, les seviri augustales sont un groupe de six (sex viri) affranchis, désignés pour l’année par la curie de leur cité, et choisis en fonction de leur richesse et de leur honorabilité. Ils participent à la célébration du culte impérial dans les provinces à partir d’Auguste, et assument les frais des sacrifices et des fêtes pluriannuels liés à ce culte, au nom de la population. Marque honorifique, la fonction de sevir donne droit à un licteur, qui le précède dans ses déplacements (Pétrone, Satiricon (65)).

[44] Ensemble de bordages plus épais que les autres formant une ceinture de protection autour de la coque d'un navire.

[45] Le proembolon à tête de bélier ou d’un autre animal empêchait une pénétration excessive du rostre à l’intérieur du bateau ennemi.

[46] A quelques exceptions près, la figure de proue a longtemps été la seule femme présente à bord des navires ! Une superstition tenace parmi les marins était en effet qu’une femme sur un bateau portait malheur : les équipages étant jusqu’à récemment uniquement masculins, une femme ne pouvait qu’y semer la discorde… Sa présence était donc souvent réduite à un buste avantageux, à l’avant du bateau, représentant une divinité protectrice.

[48] La profession d'Eurysacès est confirmée par l'urne des cendres de son épouse (une seule urne a été retrouvée) en forme de « corbeille à pain » (panarium, à l’origine de notre mot « panier », en l’occurrence ici un pétrin : voir La vannerie dans l’Antiquité romaine de Magali Cullin-Mingaud, chapitre premier, « Paniers et corbeilles »), conservée au Musée national des Thermes. 

[49] Celle-ci est due à l’adaptation à l’espace disponible et aux structures funéraires préexistantes.

[50] On a comparé ces cavités à des mesures à grain (modii ou « boisseaux »), à de grands vases à blé (dolia frumentarii) ou à des récipients de pétrissage (pétrins). On pense qu’il s’agit en fait d’une copie en travertin d’un grand four avec ses bouches constituées de dolia en argile réfractaire.

[51] Il est aussi évident qu'Encolpe ne comprend pas grand-chose de ce qu'il voit et se laisse facilement berner par son cicerone.

[52] Signalons que les musées de Modène (Palazzo dei musei, complexe de musées d'art, d'archéologie, d'histoire et d'éducation civique) conserve également un monument funéraire en forme de proue de navire.

[53] Soluntum (Solunto) est une ville ancienne hellénistique sur la côte nord de Sicile, près de Palerme, puis l’une des trois villes phéniciennes en Sicile avec Palerme et Motya (Mozia). Après la bataille des Iles Egades, en 241 av. J.-C., toute la Sicile est tombée sous le joug de Rome, sauf Syracuse.

[54] Bâtiment résidentiel de grande valeur ayant appartenu au Navarque Héraclius, un ami de Cicéron, la « Casa del Navarca » a pris ce nom pour les décorations en forme de proue de navire avec rostre qui sont sculptées sur les côtés d'un élégant péristyle, à l'intérieur d'une grande pièce au sol en mosaïque. Deux de ces décorations sont momentanément exposées au Palais normand.

[55] Cette indication m’a été aimablement communiquée par le Dr. Jonathan Prag et est reprise dans son article « cave canem » :

[56] Elles mesurent 0,96 x 0,38 x 0,36 m.

[57] Marion Elisabeth Blake, « Roman Mosaics of the Second Century in Italy » in : Memoirs of the American Academy in Rome, XIII, Roma, 1936, p. 69-207.

[58] Romain Sauterel, Iconographie romaine majeure de la navigation en Gaule narbonnaise et dans le bassin rhodanien, mémoire de maîtrise défendue en 2019 à l’Université de Lausanne.

[59] Pour un médecin, ces yeux sont le symptôme d’un profil clinique précis : la maladie de Basedow, un dérèglement hormonal héréditaire dont la perpétuation aurait été favorisée par la consanguinité des Lagides. La spécialiste des pathologies illustrées par l’art antique est Danièle Gourevitch de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes à la Sorbonne (cf. son livre rédigé avec Mirko Grmek, Les maladies dans l’art antique, collection Penser la Médecine aux Editions Fayard). 

[60] La coupe a été découverte à Vulci et est conservée à la Staatliche Antikensammlungen de Munich.

[61] Le centre de la coupe était occupé par un gorgoneion, mais celui-ci est manquant (il n’y a plus que quelques éléments de la tête qui sont conservés).

[62] In: L'antiquité classique, Tome 58, 1989. pp. 17-31 – Lien : https://www.persee.fr/doc/antiq_0770-2817_1989_num_58_1_2256.

[63] Déesse née (de « l’écume ») de la mer et protectrice de la navigation. Dans la zone sacrée d’Herculanum, les deux petits temples, dont l'un possède encore une cella complète de la divinité, auraient été tous deux consacrés à la déesse, mais sous deux aspects différents : celui, traditionnel, de la fertilité et de l'amour d’une part et celui de protectrice de la navigation d’autre part, une déesse Euploia donc (qui, en grec, signifie « heureux voyage » ou « bonne navigation »). On connaît par exemple le célèbre temple à Aphrodite Euploia à Cnide ou l’inscription qui se détache sur un casque romain remonté des profondeurs de la mer, devant les îles Egades, mais le mot est aujourd’hui utilisé par de nombreuses sociétés expérimentées dans les services maritimes. Herculanum était en effet une ville surplombant la mer qui voyait maints de ses habitants effectuer des travaux sur des bateaux. Le temple dédié à Vénus atteste donc d’une forte dévotion des Herculanais envers cette divinité, une vénération qui a des origines anciennes (on a découvert une inscription osque dans laquelle elle est nommée Herentas, « désir ») mais qui a certainement été renforcée par des raisons politiques puisque la fortune de Marcus Nonius Balbus, le grand bienfaiteur d'Herculanum, est étroitement liée à la dynastie julio-claudienne dont Auguste était membre (Balbus faisait partie de son cercle fermé) qui était censée descendre directement de Vénus ! Voir la vidéo https://youtu.be/MVXG7FK0xyY.

[64] Voir Laura Ambrosini, « Sui vasi plastici configurati a prua di nave (trireme) in ceramica argentata e a figure rosse », Mélanges de l’Ecole française de Rome. Pour le canthare du musée du Louvre, cf. https://collections.louvre.fr/en/ark:/53355/cl010262689.

[65] Voir l’article « scaphium » dans le Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines de Daremberg et Saglio.

[66] Les substructions de l’île du Tibre reproduisaient le navire de guerre romain (trirème) sur lequel fut apporté d’Epidaure à Rome le serpent sacré d’Esculape lors de l’épidémie de peste de 293 avant J.-C. L’unique vestige qui en subsiste est un fragment de la proue ou de la poupe (en pépérin et travertin) avec les restes en relief de l’effigie d’Esculape, son symbole (le « caducée ») et une tête de bœuf (sans oreille ni cornes) qui servait probablement à l’amarrage d’embarcations. Les navires romains avaient leur propre divinité protectrice, le génie tutélaire ou la tutela souvent figuré sur le bordé de la coque. Voir le site http://www.maquettes-historiques.net/page15.html. 

[67] A. Maiuri, Ercolano. I nuovi scavi (1927-1958), vol. 1, Roma, Libreria della Stato, 1958.

[68] Deux collections des « journaux de fouille d’Herculanum » (Giornali degli scavi di ErcolanoGSE) existent encore, l’une conservée à l’Ufficio scavi d’Herculanum, la seconde dans l’Archivio storico du Museo archeologico nazionale di Napoli

[69] Nicolas Monteix « Les archives des fouilles d’Herculanum au XXe siècle : analyse critique et pistes d’exploitation », Anabases. Traditions et Réceptions de l’Antiquité, 26 I 2017, Varia, Traditions du patrimoine antique (hyperlien : https://journals.openedition.org/anabases/6346?lang=en#tocto1n3).

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