Le « Colosse de Néron » et son « palais du Soleil »

 

(par Sophie Madeleine, Philippe Fleury et Philippe Durbecq)

 

 

Quandiu stabit coliseus, stabit et Roma ; quando cadet coliseus, cadet et Roma ; quando cadet Roma, cadet et mundus (Bède le Vénérable)


 

(source : capture d’écran de la Nocturne « Nouvelle vision du Capitole depuis le Forum romain » - URL : https://www.youtube.com/watch?v=Hn68vdgIizI&list=PL8Pdu-rCrd3q2IREBQF9HL4_ua1fGWNJl&index=5) – avec l’aimable autorisation de Monsieur Philippe Fleury)

 

Ce que l’on appelle, dans la littérature moderne le « Colosse de Néron » et que Bède le Vénérable présentait, dans l’épigramme précitée, comme le symbole iconique de la permanence de Rome [1], est une statue qui se trouvait à Rome, derrière la fontaine monumentale de la Meta Sudans, « La borne qui suinte [2] », elle-même située derrière l’arc de Constantin.

 

 (source : capture d’écran de la Nocturne « Nouvelle vision du Capitole depuis le Forum romain » - URL : https://www.youtube.com/watch?v=Hn68vdgIizI&list=PL8Pdu-rCrd3q2IREBQF9HL4_ua1fGWNJl&index=5) – avec l’aimable autorisation de Monsieur Philippe Fleury)

 

Initialement, elle avait été destinée à décorer le vestibule de la Maison dorée de Néron. Cette information capitale est donnée par Suétone (« Vie de Néron », XXXI), car elle constitue l’une des rares certitudes à propos du Colosse de Néron : il se trouvait, à l’origine, sur la petite colline de la Velia entre le Palatin et l’Oppius [3] en position dominante. 

 

Localisation de l’Oppius sur une carte topographique simplifiée de la ville de Rome antique (Licence : CCBY-SA 4.0 – auteur : Cassius Ahenobarbus (travail personnel) – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Oppius)

 

Mais avant de nous intéresser de plus près à ce Colosse, plantons d’abord le décor en faisant rapidement le tour du propriétaire.

 

Deux remarques importantes s’imposent d’ores et déjà : le domaine de la Domus aurea s’étendait sur plus de 50 hectares et empiétait sur trois des collines de Rome : le Caelius, le Palatin et l’Esquilin. De nos jours, on ne se rend pas très bien compte de l’ampleur de cette demeure, car les quelques pièces que l’on visite comme étant la Domus aurea, ne constituent qu’une infime partie du palais située sous l’Oppius, qui n’est lui-même qu’une portion de l’Esquilin (son sommet le plus méridional).   

 

Les différentes zones archéologiques de la Domus aurea (carte issue de la Nocturne « Néron : un empereur fou … d’ingénierie », avec l’aimable autorisation de M. Philippe Fleury). Seule la partie entourée d’une ellipse rouge est accessible au public actuellement (avec un casque, car c’est un chantier !).

 

D’autre part, quand l’on parle de vestibule (du latin : vestibulum, de ve-, « hors de », et stabulum, « séjour, gîte »), il ne s’agissait pas d’un simple hall d’entrée de HLM. Il faut évidemment tout remettre à l’échelle de la Maison dorée de Néron : ce vestibule était en fait constitué d’une immense cour entourée d’un portique à trois rangs de colonnes (« d’un mille de longueur [4] ») au centre de laquelle devait se dresser la statue en question (n° 4 sur la restitution ci-dessous de la Domus aurea). Sur le plan d’eau (stagnum, n° 3 sur la restitution) qui jouxte le vestibule, on construira plus tard le Colisée, après qu’il aura été asséché sur ordre de Vespasien. 

 

Légende : Circus Maximus ; (2) Colline du Palatin ; (3) Lac artificiel ; (4) Statue du « colosse de Néron » (photographie issue d’un document pédagogique exempt de copyright –  source : https://www.arretetonchar.fr/wp-content/uploads/2016/01/latin3e_II03-N%C3%A9ron-et-le-mythe-solaire.pdf)

 

Cette cour du grand vestibule de la Domus aurea et sa colossale statue en bronze était visible depuis la fameuse Cenatio rotunda, une fabuleuse salle à manger tournante qui constituait une sorte de synthèse de l’univers [5] et dont on n’avait aucune trace archéologique, jusqu’à ce que, en 2009, une équipe dirigée par l’archéologue française Françoise Villedieu [6] trouve les restes de cette salle à manger enfouie sous une terrasse, au nord-est du Palatin, dans le secteur de la Vigna Barberini.

  
Photographie aérienne indiquant la localisation de la Vigna Barberini au sein du Palatin (issue de la Nocturne « invité » : F. Villedieu - La salle à manger tournante du palais de Néron - 06 mars 2019 – source : https://www.youtube.com/watch?v=TwCU3vrUE_I (avec l’aimable autorisation de M. Philippe Fleury)

 

Il est même possible que l’emplacement initial de la statue colossale ait été déterminé pour être dans l’axe par rapport à la salle à manger, puisque l’implantation du bâtiment de la Cenatio [7] se situe, à peu de choses près, dans l'axe du centre de l'ancien grand portique du vestibule.


 

Plan général de la Domus aurea de Néron (Licence : Creative Commons Attribution (partage les mêmes conditions 3.0) – Auteur : Cristiano 64 – source : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Domus_Aurea_pianta_generale.png) 


Il semble également que la Cenatio qui se présentait sous forme de plan circulaire (repris de la Tholos grecque) ait été placée sous le signe d’Hélios-Apollon. D’après les schémas de restitution possibles, la coupe de la Cenatio rotunda montre que la coupole présentait une ouverture zénithale, symbole du Soleil (Hélios). Si ces hypothèses de restitution se vérifient, une telle lecture enrichirait encore la référence solaire et apollinienne de l’ensemble « statue – salle à manger [8] ».

Signalons au passage que l’archéologue norvégien Hans Peter L’Orange avait déjà souligné la signification cosmique du complexe de la Domus aurea, le qualifiant de « Sonnenpalast » (« palais du Soleil ») [9].

 

Coupe proposée de la Cenatio rotunda (Licence : CC BY-SA 4.0 – auteur : Franck devedjian (travail personnel) – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Cenatio_rotunda#/media/Fichier:Coupe_Cenatio_rotunda_N%C3%A9ron.jpg)

 

Evocation de la splendeur de la Cenatio Rotunda (Licence : CC BY-SA 4.0 – auteur : Franck devedjian (travail personnel) – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Cenatio_rotunda#/media/Fichier:Salle_manger_tournante_n%C3%A9ron_%C3%A9vocation_d%C3%A9cor_peint.jpg ; image retravaillée au niveau de la statue et du pavement par Ph. Durbecq, adaptation permise dans le cadre de cette licence)

Dans l’hypothèse où le Colosse de Néron était fini au moment où la Cenatio rotonda était déjà fonctionnelle – ce dont on n’est pas sûr – on peut inférer que, même si ce n’était pas le cas, les convives dînaient, en imagination, doublement avec leur hôte : avec le Néron, physiquement présent dans la salle à manger, et avec sa représentation artistique en cours d’élaboration.


La Cenatio rotunda offrait une vue panoramique à 360° sur les collines depuis le sommet du Palatin, le Caelius, l'Esquilin, le Forum et le Capitole et, évidemment, l'ensemble de la résidence de Néron. Pour avoir un point de comparaison moderne, on peut mettre la salle à manger de Néron en parallèle avec les restaurants tournants modernes comme le Piz Gloria sur le sommet du Schilthorn en Suisse offrant une vue imprenable sur l'Eiger, le Mönch et la Jungfrau.

 


Le restaurant tournant Piz Gloria sur le sommet du Schilthorn en Suisse offrant une vue imprenable sur l'Eiger, le Mönch et la Jungfrau (Licence CC BY-SA 3.0 et source pour les deux photos : https://fr.wikipedia.org/wiki/Piz_Gloria#/media/Fichier:Piz_Gloria_restaurant.jpgauteurs, respectivement BKP et Ingenieurlösungen (travail personnel)) 

 

On peut imaginer le ressenti de Néron et de ses invités [10], lorsqu’ils participaient à un festin dans cette salle à manger, confortablement installés sur leur lit de table (en sigma sur la reconstitution virtuelle du Plan de Rome [11]) : du haut de leur sommet, ils devaient se sentir bien au-dessus du « vulgum pecus [12] » (le commun des mortels) et, sans nul doute, éprouver l’impression de dominer le monde et de se rapprocher ainsi des cieux et des dieux.  

 

Figure issue de la Nocturne du Plan de Rome « Néron : un empereur fou… d’ingénierie » : https://www.youtube.com/watch?v=lZefYfTuDt8 (avec l’aimable autorisation de M. Philippe Fleury)

 

Structurellement, la salle à manger était pourvue de deux niveaux différents : la salle à manger proprement dite située dans la partie supérieure, qui est circulaire et bordée de colonnes ; en dessous, nous avons un soubassement massif complètement dévolu à la machinerie (il faut considérer ce soubassement comme une annexe purement technique de la salle à manger qui se trouve au-dessus). 

Illustration issue de la Nocturne du Plan de Rome « Néron : un empereur fou… d’ingénierie » : https://www.youtube.com/watch?v=lZefYfTuDt8 (avec l’aimable autorisation de M. Philippe Fleury)

 

Enfin, signalons que des aménagements techniques étaient vraisemblablement prévus pour ménager des surprises pendant les banquets. A cet effet, dissimulées entre les deux rangées de colonnes de la salle à manger (dans le plancher en bois couvrant le couloir annulaire périphérique), des trappes s’ouvraient, exactement comme celles cachées sous l’arène du Colisée, afin de faire monter des décors dans la salle à manger et faire apparaître des musiciens, un orgue hydraulique, des danseurs, des acrobates, … Bref, tout ce qui aurait pu concourir à faire également de ce banquet un véritable spectacle. Le plancher tournant, quant à lui, se trouvait uniquement dans l’espace central, enveloppé par la double colonnade (là où l’on distingue les lits de table rouges). Ces trappes devaient normalement épouser parfaitement le forme de la marqueterie. 

 

Illustration issue de la Nocturne du Plan de Rome « Néron : un empereur fou… d’ingénierie » : https://www.youtube.com/watch?v=lZefYfTuDt8 (avec l’aimable autorisation de M. Philippe Fleury)  

Illustration issue de la Nocturne du Plan de Rome « Néron : un empereur fou… d’ingénierie » : https://www.youtube.com/watch?v=lZefYfTuDt8 (avec l’aimable autorisation de M. Philippe Fleury)

 

Cette hypothèse expliquerait à elle seule pourquoi les ingénieurs de Néron ont prévu deux systèmes de couverture différente au-dessus des couloirs annulaires du soubassement : par des voûtes [13] pour les espaces surlignés en jaune (couloir annulaire central), un plancher en bois pour le couloir annulaire périphérique (en rouge sur le plan ci-dessous). 

Figure issue de la Nocturne du Plan de Rome « Néron : un empereur fou… d’ingénierie » : https://www.youtube.com/watch?v=lZefYfTuDt8 (avec l’aimable autorisation de M. Philippe Fleury)

 

La salle à manger tournante de Néron a été démantelée dès la fin du premier siècle après J.-C. Une fois que tous éléments précieux ont été récupérés, elle a été noyée dans une immense substruction qui a servi de fondation pour créer une terrasse artificielle. En effet, construite sur les flancs du Palatin, les Romains ont, afin de disposer d’une plateforme suffisamment grande, fait venir des tonnes et des tonnes de remblais. Ils ont ainsi pu repousser la limite naturelle de la colline jusqu’à obtenir un espace plat de la taille souhaitée pour construire une immense terrasse. C’est ainsi que la Cenatio rotunda a été littéralement engloutie dans la fondation de cette gigantesque terrasse. Au IIIe siècle, l’espace a été récupéré par le temple d’Élagabal qui a été dédié, un peu plus tard, à Jupiter Ultor (à ne pas confondre avec celui d’Auguste). On peut apercevoir ce temple à dominante blanche derrière le bouquet d’arbres. 



Le cylindre rouge marque l’emplacement de la Cenatio rotunda (les deux illustrations sont issues de la Nocturne du Plan de Rome « Néron : un empereur fou… d’ingénierie » : https://www.youtube.com/watch?v=lZefYfTuDt8 avec l’aimable autorisation de M. Philippe Fleury)

 

Aujourd’hui, il ne reste quasiment rien de ce temple si ce n’est les quelques maçonneries de fondation.

 

 

Photo issue de la Nocturne du Plan de Rome « Néron : un empereur fou… d’ingénierie » : https://www.youtube.com/watch?v=lZefYfTuDt8 (avec l’aimable autorisation de M. Philippe Fleury)

  

Quant à la statue du Colosse de Néron en bronze [14], elle devait irradier, sous le soleil romain, d’un éclat et d’un scintillement visibles depuis de nombreux endroits de la ville.

 

Bref, ces initiatives de Néron dans sa Maison dorée nous dévoilent un aspect méconnu d’un empereur que l’on a souvent considéré au mieux comme un artiste, au pire comme un fou sanguinaire [15]. Une des images d’Epinal de cet empereur est celle montrant Néron s’emparant de sa lyre et déclamant des vers pendant le catastrophique incendie de 64, image d’ailleurs relayée dans des péplums comme « Quo vadis ? ». Or, il n’y a pas moins pyromane que Néron [16], d’autant plus qu’il séjournait, au moment où l’incendie s’est déclaré, dans sa ville natale d’Antium (actuellement Anzio) et qu’il s’est mis en route pour Rome immédiatement après avoir été averti de l’incendie. Lorsqu’il y arrive précipitamment, les flammes s’y étaient déjà répandues depuis quasiment deux jours. Il faut minimum trois jours pour se rendre d’Antium à Rome, un délai auquel Néron ne pouvait se soustraire. Cette image malheureuse, on la doit à Tacite [17]. Elle colle tellement au personnage que l’ordre édicté en 1945 par Adolf Hitler de destruction massive des infrastructures allemandes pour empêcher leur utilisation par les forces alliées alors qu'elles pénétraient profondément en Allemagne est connu sous le nom de cet empereur : l’Ordre de Néron, « Nerobefehl ! ».

 

Ce qui est peu sujet à caution aujourd’hui, c’est sa culpabilité dans le drame. Néron ne brûla pas Rome mais, plus probablement impuissant, il la regarda brûler.

 

Des études modernes sur les incendies ont prouvé qu’un tel brasier, alimenté par les matériaux inflammables abondants dans la ville, était incontrôlable par les moyens de l’époque. Le foyer central de ce genre d’embrasement, inaccessible pour les secours, finissait par générer des circulations ascendantes d’air qui provoquaient, au niveau du sol, des vents violents pouvant atteindre les 250 km/h (il s’agit d’un type d’incendie qui engendre et maintient son propre système de vents), créant ce que les pompiers modernes appellent une « tempête de feu » (cf. l’incendie de Tokyo le 9 mars 1945 [18], mais aussi ceux de Dresde et de Hambourg). Pour en savoir plus à ce sujet, voir l’article de Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Temp%C3%AAte_de_feu. En 64, Rome fut pendant neuf jours, la proie d’un tel cataclysme (les foyers multiples sont en fait le mécanisme de la tempête de feu).


 

A gauche, capture d’écran du documentaire « 2e Guerre Mondiale - Les grandes batailles, Pacifique (partie 2 : La reconquête) » (source : https://www.dailymotion.com/video/x4fuam6 , sans mention de copyright, mais tirée elle-même des archives japonaises) montrant les sapeurs-pompiers de Tokyo tentant en vain de circonscrire l’incendie (le drapeau qui claque au vent indique la violence des courants d’air surchauffés) ; à droite, schéma de l’ouragan de feu (Licence : CC BY 2.5. – source : Firestorm thermal column - Tempête de feu — Wikipédia (wikipedia.org) – auteur :  Thermal_column.svg: Dake derivative work: RicHard-59 — Thermal_column.svg). Légende : Brasier (1), courant ascendant d'air chauffé (2), rafales violentes alimentant le feu (3) et pyrocumulus se formant en altitude (A).

 

Pour ne pas outrepasser le cadre de cet article, nous ne parlerons pas ici de la thèse de la Neropolis qui se serait étendue de Rome au port d’Ostie, ni de l’impartialité pas toujours exemplaire des historiens, ni de l’implication éventuelle des Chrétiens [19] si l’on exclut l’origine accidentelle, qui demeure l’hypothèse privilégiée (Rome était construite avec plus de bois que de pierre).  


Une exposition (« Nerone ») organisée du 12 avril au 18 septembre 2011 au Colisée (https://romaaeterna753.wordpress.com/2015/07/18/rome-exposition-consacree-a-neron-en-2011/) a d’ailleurs rassemblé 200 pièces archéologiques à partir desquelles les historiens ont réalisé une véritable contre-enquête qui est venue réhabiliter Néron. Des reconstitutions en trois dimensions ont permis d’admirer la Rome reconstruite par Néron après l'incendie, avec la Domus aurea bien sûr, mais aussi tous les autres aménagements apportés par Néron : des ponts sur le Tibre et des aqueducs pour acheminer l'eau. Le mythe de l'empereur fou s'écroule ; celui d'un bâtisseur se dévoile.   

 

A gauche, Peter Ustinov, les yeux écarquillés et campant un Néron caricatural, admire Rome en flammes, et exécute une de ses œuvres [20], dans le film de Merwyn Leroy : Quo Vadis ? (source : http://liviaaugustae.eklablog.fr/empereurs-romains-a79708397) ; à droite, la stèle portant l’inscription de Seikilos (Nationalmuseet, Copenhague – Licence : CC BY 2.0 – auteur : inharecherche – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89pitaphe_de_Seikilos)

 

Cet aspect négligé de la personnalité de Néron, c’est son goût pour la technique [21], car sa demeure « enfin digne de sa personne [22] », était truffée d’innovations – oserait-on dire de bijoux – de « haute technologie », pour utiliser une terminologie actuelle (pour en citer quelques autres : la voûte avec oculus de la salle octogonale, des salles à manger avec un plafond mobile [23], un lac artificiel « semblable à une mer [24] », etc.).

 

A gauche sur la photo, les restes des murs arasés des pavillons entourant le lac ; à droite, l’emplacement de la Meta Sudans ; à l’avant plan, la Via dei Verbiti (Google Street view)

 

En dehors de Rome, on connaît aussi la passion de Néron pour de grands travaux, en particulier de canaux. Il avait trois projets : un canal entre Rome et Ostie (qui s’intégrait dans l’idée d’agrandir Rome vers le sud-ouest [25]), un autre entre Ostie et Pouzzoles [26] et il débuta les travaux du canal de Corinthe [27]). Examinés à la loupe, ces travaux n’ont rien de loufoque, mais au contraire sont bien fondés, et même visionnaires (exemple : si l’on avait relié, au temps de Néron le lac Averne au port d’Ostie, aurait permis, dans des conditions difficiles, de passer par l’intérieur des terres et de mettre ainsi les navires à l’abri de toute tempête : on aurait dès lors évité les travaux que Trajan a dû faire exécuter à Ostie (un bassin bien abrité, mais artificiel). 

Les projets de canaux de Néron (carte issue de la Nocturne du Plan de Rome « Néron : un empereur fou… d’ingénierie » : https://www.youtube.com/watch?v=lZefYfTuDt8 – avec l’aimable autorisation de M. Philippe Fleury) 

Cela dit, il a employé son goût de la technologie à des fins disons « moins louables » (comme le bateau truqué [28] destiner à noyer sa mère Agrippine la Jeune). 

Le naufrage du navire d’Agrippine du peintre autrichien Gustave Wertheimer (The Reading Public Museum, Reading, Pennsylvanie – œuvre dans le domaine public – source : https://en.wikipedia.org/wiki/Gustav_Wertheimer#/media/File:Gustav_Wertheimer_-_Der_Schiffbruch_der_Agrippina.jpg)

 

Ce Colosse que nous avons évoqué au début de cet article est donc dit de Néron. Et pourtant, si cette statue a effectivement été commandée par cet empereur (à sa propre effigie, bien sûr, et en apparaissant dans la nudité héroïque, selon le modèle grec pour exprimer le caractère exceptionnel du personnage concerné), elle ne l’a probablement jamais représenté. En fait, la date à laquelle les travaux sur le colosse ont réellement commencé est difficile à déterminer (Pierre Grimal indique après l’année 66 [29]), mais nous savons, par les sources, qu’à la mort de Néron (en 68), la statue n’était pas terminée. En effet, le délai nécessaire pour produire des statues en bronze d’une grandeur aussi imposante que celle du colosse de Néron est d’au moins neuf ans, plus si elle atteignait effectivement une hauteur de 120 pieds, comme l’écrit Suétone.

 

Or, en supposant que la fabrication de la statue ait déjà pu débuter après le grand incendie de 64, au moment où Néron pouvait disposer de l’espace nécessaire pour édifier sa résidence, et après avoir confié dès l’an 64 [30] l’édification de son somptueux palais aux architectes Severus et Celer (Tacite, Annales, XV, 42), il ne restait plus que quatre ans à vivre à Néron [31].

 

Néanmoins, un certain nombre d’indices laissent à penser que Néron aurait s’était peut-être déjà fait représenter avec les attributs et les traits du soleil de son vivant, mais nous n’avons pas de certitude sur le sujet. Donc, la question est toujours ouverte.

 

De toute façon, cet empereur n’était guère populaire à la fin de sa vie et il est tout à fait vraisemblable que, dans le cadre de sa damnatio memoriae, le visage de Néron ait été modifié pour représenter quelqu’un d’autre. Mais qui ?

 

On dispose d’un texte de Pline l’Ancien (Histoire naturelle, livre XXXIV, 18.6, traitant du cuivre) qui nous informe que dans la région du Colisée, s’élevait une statue de 110 pieds [32] de haut (soit un peu plus de 32 mètres). Dans sa « Vie de Néron » (XXXI), l’historien Suétone lui ajoute encore dix pieds de plus (120 pieds, soit environ 35 mètres), 100 selon seulement selon Dion Cassius qui écrit un siècle plus tard ou 102 selon le « Chronographe [33] » de 354 ap. J.-C. qui était un calendrier illustré, œuvre de Furius Dionysius Philocalus, un calligraphe et lapicide romain, actif à la période de l’Antiquité tardive (deuxième moitié du IVe siècle ap. J.-C.). Toute la question est ici de savoir si l’on compte la hauteur du piédestal et de la couronne dans celle de la statue (un problème supplémentaire est la longueur du pied romain qui est une approximation et est diversement mesuré aujourd’hui). A l’époque d’Hadrien, la statue fut placée sur un nouveau socle (de hauteur sans doute différente de celui d’origine), ce qui complique encore les choses (pour rappel, Suétone était le secrétaire d’Hadrien). 

Illustration issue de la Nocturne « Néron : un empereur fou … d’ingénierie » (avec l’aimable autorisation de M. Philippe Fleury) 

Quoiqu’il en soit, la statue du « Colosse de Néron » était d’une taille supérieure au célèbre Colosse de Rhodes dont elle était probablement inspirée, et aussi haute que la colonne de Trajan à Rome. On peut la comparer à la statue de la Liberté (elle porte également une couronne radiée) qui mesure 46 mètres (sans le socle, et 93 socle compris). 



A gauche, la reconstitution du Colosse de Néron source : capture d’écran de la Nocturne « Nouvelle vision du Capitole depuis le Forum romain » - URL : https://www.youtube.com/watch?v=Hn68vdgIizI&list=PL8Pdu-rCrd3q2IREBQF9HL4_ua1fGWNJl&index=5) – avec l’aimable autorisation de Monsieur Philippe Fleury ; à droite, la tête de la statue de la Liberté avec Nancy Reagan (en rouge) célébrant la réouverture du monument au public (Use : unrestricted – source : https://catalog.archives.gov/id/75854909)

 

En outre, la statue gigantesque du dieu Soleil de Rhodes qui était considérée comme l’une des Sept Merveilles du monde antique, a été un colosse éphémère : au bout d’une soixantaine d’années, elle a été détruite par un tremblement de terre, alors que celle du Colosse de Néron est restée en place pendant cinq siècles.

 

Ce n’était pas une tâche simple que de réaliser une statue colossale. Un auteur ancien Sextus Empiricus, nous raconte [34] l’erreur de calcul faite par le sculpteur Charès de Lindos [35], élève de Lysippe et constructeur du colosse de Rhodes : celui-ci avait établi un premier devis à la demande des Rhodiens. Quand ceux-ci lui demandèrent une estimation pour une statue deux fois plus grande, il se contenta de doubler le montant. La commande lui fut confiée, mais il épuisa rapidement les fonds dans les préparatifs et se suicida de honte. On comprit alors que, pour évaluer le budget nécessaire, le montant initial aurait dû être multiplié par huit.

 

Comme pour les colosses d’Hélios par Charès de Lindos et de Mercure par Zénodore, les sources ne nous donnent pas de description précise en ce qui concerne la posture de la statue.

 

Nous devons donc avoir recours à une source auxiliaire de l’histoire, à savoir la numismatique. Si l’on se base sur une pièce monétaire (aureus) montrant Néron sur son avers et son colosse sur son revers, on peut se faire une idée de l’apparence de cette statue : la tête est radiée et elle tient à la main droite une branche et à la main gauche un globe [36] nicéphore [37].  

Aureus avec profil de Néron sur l’avers et son colosse sur le revers, la tête radiée, tenant à la main le globe nicéphore représentant le mondeLégende : NERO CAESAR / AVGVSTVS GERMANICVS © HAYNAULT (avec l’aimable autorisation de Edouard Wyngaard)

 

S’il s’agit effectivement du globe terrestre, son image nous permet de rappeler que la connaissance de la Terre ronde date du monde grec (au moins depuis le début du IIIe siècle av. J.-C. avec le savant Eratosthène de Cyrène qui avait déjà calculé sa circonférence).           


A gauche, la statue de Lucius Verus tenant un globe nicéphore dans la main gauche (Braccio Nuovo, Cité du Vatican – source :https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Angel_Sculpture_in_Vatican_Museum.jpg ; à droite, la vue schématique de l’expérience d’Eratosthène Crédit: Cyril Langlois – source : https://planet-terre.ens-lyon.fr/pdf/Terre-ronde-Eratosthene.pdf)

 

Ce globe dans la main gauche n’est toutefois pas totalement assuré. La numismatique peut nous donner à penser que le Colosse de Néron avait, comme Hélios, la tête auréolée de rayons et qu’il tenait un globe dans sa main gauche, mais la reconstruction telle qu’Ernest Coquart en a faite sur une aquarelle en 1863 est parfois contestée, car elle semblerait issue de représentations postérieures de Sol Invictus. Dans certaines représentations (comme celle visible sur la monnaie de Gordien III), le globe pourrait avoir été confondu avec l’ornement surmontant la Meta Sudans. Cela dit, la présence d’un globe dans la main gauche est attestée sur d’autres statues impériales (cf. la statue de Lucius Verus tenant un globe nicéphore dans la main gauche au Braccio Nuovo du musée Chiaramonti à la Cité du Vatican). Donc, ce n’est pas impossible, mais il n’y a pas de certitude. 

 

Temple de Vénus et de Rome. État restauré, élévation de la façade vers le Colisée, Ernest Coquart, 1863, encre de Chine et aquarelle sur papier entoilé (87 x 216 cm). Collection École nationale supérieure des beaux-arts (Env 93-01). Reproduction Jean-Michel Lapelerie (ENSBA) – source : https://journals.openedition.org/insitu/28842?lang=en

 

Une vision semblable, mais dans l’autre sens datant de 2002, soit presque un siècle et demi après l’aquarelle d’Ernest Coquart par Gilles Chaillet et Jacques Martin, Les Voyages d’Alix, Rome 1, pp. 38-39 (© Editions Casterman SA/Jacques Martin 1968 – lien http://www.casterman.com : ces illustrations sont protégées par le droit d’auteur, elles ne peuvent être utilisées sans l’autorisation des Editions Casterman S.A. – qui a été recueillie dans le cas du présent article – et toute reproduction ou utilisation non autorisée est constitutive de contrefaçon et passible de poursuites pénales)Casterman, pp. 38-39 – source : https://www.romanoimpero.com/2012/02/colossus-neronis.html) 

 

Reconstitution de la Meta Sudans et du temple de Vénus et de Rome vus depuis l’arc de Constantin (source : https://www.romanoimpero.com/2010/10/meta-sudante.html)

 

A partir du moment où il est représenté en dieu soleil, le Colosse de Néron est un cosmocrator, le maître de l’univers. En Belgique, on en a un bel exemple avec le Mercure d’Anthée (conservé au musée archéologique de Namur). Mercure est facilement reconnaissable aux deux ailerons qu'il porte sur le haut du front et le buste repose sur un globe d’origine. Or, Mercure surmontant un globe est dit « cosmocrator », maître de l’univers [38]. La villa romaine d’Anteia, la plus grande villa répertoriée en Wallonie, d’où cette belle pièce provient a donné son nom à la commune d’Anthée. 

                                   

 

A gauche, le buste du Mercure d’Anthée (crédits : Musée archéologique de Namur – Coll. Fondation-SAN Inv. A04227. Photo A. Ledouppe – Ville de Namur) ; à droite, les armes de la commune d’Anthée (source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Onhaye)

 

Cependant, en 240 après J.-C., sous le règne de Gordien III, le Colosse apparaît sur le revers d’un médaillon commémoratif en bronze où il tient, à la main droite, un gouvernail comme attribut, montrant que c’est cet empereur qui gouverne [39] l’ensemble de l’humanité, mais aussi que la statue du Colosse a pris une connotation différente, par le port de cet attribut, Sol s’est mué en Fortuna [40] (du Ier au IIIe siècle, Sol a subi une transformation significative) [41]. Dans l’arène du Colisée, on assiste à une scène de venatio où un taureau affronte un éléphant, conduit par un homme.

 


Médaillon commémoratif de Gordien III (Licence : Creative Commons Attribution-Share Alike 2.5 Generic –source : https://en.wikipedia.org/wiki/File:Gordianus_III_%C3%86_medallion_125357.jpg)

 

Qu’est-ce qu’un colosse ?

 

Les Grecs avaient plusieurs mots pour désigner la statue.

 

L’agalma était un objet qui faisait honneur ou qui plaisait aux dieux. C’était donc un rapport un peu subjectif qui était privilégié dans cette dénomination.

 

Pour les statues de culte, les Grecs utilisaient le substantif hedos, le siège, le trône (donc un ouvrage stable, ce qui nous rapproche de l’étymologie du mot « statue » : une chose qui ne bouge pas).

 

Le terme colossos s’appliquait à une statue fixe, pas nécessairement monumentale (la dérivation vers la monumentalité s’est faite à partir du colosse de Rhodes, puis avec la statue de Néron et le Colisée). Le terme grec a été repris tel quel en latin, ainsi qu’en anglais : colossus. Il désigne aujourd’hui une statue de grande taille, supérieure à la taille humaine (on a, en général, proposé de situer cette hauteur à environ une fois et demie la taille naturelle, ce qui est, bien entendu, difficile d’établir précisément [42]).

 

Le nom eikon faisait quant à lui référence au visuel (ce mot donnera l’icône) : c’était la statue dans ce qu’elle était censée représenter (l’image).

 

On rencontre aussi, surtout chez Pausanias (qui a rédigé son petit « guide Michelin » de la Grèce), le mot xoanon (œuvres grattées), appellation qu’il donne à toutes les vieilles statues qu’il découvre sur son passage. Pour lui, Dédale est l’inventeur de la sculpture. Dès lors tout ce qui est ancien lui est attribué. On se servira aussi du terme bretas pour renvoyer aux vieilles idoles.

 

On peut encore trouver, pour les statues d’hommes, le mot andrias. Pline parle des andriantopoios, c’est-à-dire des fabricants de statues d’hommes.

 

Qui était l’auteur de cette statue ?

 

Selon Pline l’Ancien (Histoire naturelle, XXXIV, 18), l’auteur est le sculpteur grec Zénodore (en grec ancien : Ζηνόδωρος, « don de Zeus »), qui vécut au Ier siècle et qui s’était rendu célèbre par la réalisation d’une statue colossale de Mercure pour un sanctuaire de la tribu gauloise des Arvernes, l’une des plus puissantes de la Gaule [43] (ce peuple celte occupait un territoire correspondant à l’Auvergne actuelle, qui lui doit d’ailleurs son nom). Zénodore passa dix ans chez les Arvernes pour réaliser sa statue. Il en revint riche comme Crésus (400.000 sesterces).  

 

Il n'existe malheureusement aucune représentation de la statue commandée par les Arvernes à Zénodore, sa destination n'est pas connue, et il faut savoir que le sanctuaire de « Mercure [44] » du Puy de Dôme dans le Massif central en Auvergne n'a été bâti qu'au IIe s. ap. J.-C (en remplacement d'un temple datant du Ier siècle, mais dont on ignore à la fois l’importance et le nom du dieu honoré[45]. 

Vue des ruines du Temple de Mercure situation au sommet du Puy de Dôme (Licence CC BY-SA 2.0 fr – photographe : Fabien 1309 (travail personnel) – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Temple_de_Mercure_(puy_de_D%C3%B4me)#/media/Fichier:Puy_de_dome_temple_mercure.jpg)

 

L'Hermès de la couverture du roman de Michel Peyramaure, visiblement inspiré de l'Hermès Logios du musée Altemps à Rome est donc évidemment une vue d'artiste de la statue du Mercure de Zénodore.  

   

 

A gauche, la photographie de la couverture du roman de Michel Peyramaure (source : Rome URBS Colossus Neronis :Maquetland.com:: Le monde de la maquette), avec l'aimable autorisation de  amm 34000 , Claude Balmefrezol Maquetland.com) ; à droite, l'Hermès Logios du musée Altemps à Rome (Licence : Creative Common Attribution 2.5 Générique – Auteur : original photo by Marie-Lan Nguyen – source : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Hermes_Logios_Altemps_Inv8624_n2bb.jpg)

 

Si l’on n’a aucune certitude au sujet de l’emplacement du Mercure de Zénodore, ni de l’apparence que pouvait avoir son colosse destiné à un sanctuaire arverne, le dieu est néanmoins connu par une documentation épigraphique mise au jour sur le site même du temple (ou dans ses environs) et en Rhénanie (les dédicants pouvaient être des étrangers à la cité des Arvernes [46]). 

 

Lors des fouilles de 1874, une petite tablette en bronze pourvue d'anses en queue d'aronde a été découverte, portant une dédicace votive en hommage au génie de l’empereur (numen) et au dieu Mercure « dumias » (du Dôme) : « NUM[ini] AUG[usti] ET DEO MERCURI[o] DUMIATI MATUTINIUS VICTORINUS D[onum] D[edit] » (« A la puissance divine de l'Auguste et au dieu Mercure Dumias [47] (Mercure du Dôme), Matutinius Victorinus a fait cette offrande. »). Une statuette de Mercure en bronze a également été trouvée à proximité du temple.  

 



A gauche, plaque de bronze avec dédicace à Mercure (conservée au musée Bargoin de Clermont-Ferrand – source : https://www.puy-de-dome.fr/culture-sport/archeologie/temple-de-mercure.html) ; à droite, statuette de Mercure en bronze retrouvée à proximité (également au musée Bargoin de Clermont-Ferrand – licence : Creative Commons Attribution – auteur : Eunostos (travail personnel) – source : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Statuette_de_Mercure_du_temple_de_Mercure_du_Puy-de-D%C3%B4me,_Mus%C3%A9e_Bargoin.jpg)

 

La découverte en 2007 d’un pied colossal à Clermont-Ferrand dont la chaussure présente une magnifique décoration (feuilles d'acanthe, rinceaux, palmettes...) [48] est une œuvre qui « se fait l’écho du témoignage de Pline puisque nous sommes à Augustonemetumcapitale des Arvernes qui ont commandé à Zénodore un Mercure colossal [49] », mais qu’il est hasardeux de mettre en relation avec l’atelier de Zénodore (pour de délicats problèmes chronologiques, mais les éléments techniques semblent en revanche suffisants pour au moins devoir évoquer son influence). 

Pied colossal en bronze (conservé au musée Bargoin de Clermont-Ferrand Licence : Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International –auteur : Eunostos – source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pied_de_statue_monumentale_gallo-romaine,_Mus%C3%A9e_Bargoin_-_vue_du_profil_droit.jpg)

   

Ayant ainsi démontré ses talents en province, il fut appelé par Néron pour réaliser son colosse à Rome.

 

L’exploit technologique et l’impact urbanistique de la statue

 

Ce qu’on a du mal à mesurer aujourd’hui, c’est à la fois l’exploit technologique et l’impact urbanistique de cette statue à l’époque de Néron.

 

On ignore la technique utilisée par Zénodore pour façonner la statue du Colosse de Néron, mais on connaît celle employée par le sculpteur Charès de Lindos, l’auteur de Colosse de Rhodes. Il l’a en fait coulé sur place. Il a fait un premier moule à la hauteur de sa première strate, il a coulé ensuite, il a reconstruit par-dessus un nouveau moule et il a monté ainsi de suite tous les éléments les uns au-dessus des autres, de sorte qu’ils se trouvaient naturellement soudés les uns aux autres. 

Illustration issue de la Nocturne « Néron : un empereur fou … d’ingénierie » (avec l’aimable autorisation de M. Philippe Fleury)

 

Ce n’était pas une technique habituelle puisqu’en général, les statues étaient construites morceau par morceau et assemblées les unes sur les autres.

 

Lorsque Hadrien a déplacé la statue parce qu’elle gênait le chantier de construction de son temple de Vénus et de Rome, il l’a fait descendre de plusieurs mètres par rapport à son niveau antérieur, de sorte que son impact urbanistique a grandement diminué. On estime en effet que les pieds de la statue étaient 10 mètres au-dessus du sol du temple. Ces dix mètres peuvent correspondre tout simplement au socle de la statue ou à un arasement du haut de la colline de la Velia sur laquelle cette statue était placée parce que Hadrien a sûrement eu besoin de niveler une partie de la colline pour construire son immense plate-forme. 

 

Illustration issue de la Nocturne « Néron : un empereur fou … d’ingénierie » (avec l’aimable autorisation de M. Philippe Fleury)

                                                              

La postérité de la statue après la mort de Néron

 

A la suite de sa damnatio memoriae, la statue a été remodelée par ses successeurs en une figure d'Hélios (Sol ou Apollon), dieu du soleil, par l'ajout de la couronne solaire comme le rapporte Pline l’Ancien (Histoire naturelle, XXXIV, 18, 6).

 

On a par ailleurs un autre texte latin (le Chronographe de 354) qui nous dit que, dans la région du Colisée (Regio IV, Templus Pacis [50]), se dressait une statue coiffée d’une couronne solaire comportant sept rayons, chacun mesurant 6 mètres 60 de long ! (« colossum altum pedes CII s. habet in capite radia VII singula pedum XXII s. »).

 

Cette couronne radiée posée sur la tête du Colosse est l’œuvre de Vespasien qui en profite pour lui faire un tenir un sceptre. Dion Cassius (LXVI, 15, 1) signale que le Colosse aurait pris alors les traits de Titus. 

Page de titre et de dédicace du manuscrit telle que recopiée dans le manuscrit du XVIIe siècle, Bibliothèque apostolique vaticane, Cod. Barb. Lat 2154 (œuvre dans le domaine public – https://fr.wikipedia.org/wiki/Chronographe_de_354#/media/Fichier:01_dedicatio354.png)

 

Les rayons de la couronne ceignant la tête de l’empereur sont empruntés à une fonction que ce dieu Hélios a acquise tardivement [51] en se confondant avec d’autres divinités. En effet, Hélios était une divinité relativement mineure dans la Grèce antique [52] et son culte ne devint plus important que vers la fin de l'Antiquité grâce à son assimilation avec les divinités solaires de la mythologie romaine, notamment Apollon et Sol.

 



    Tétradrachme d’argent de l’île de Rhodes (source Pinterest (dans le cadre de l’abonnement de Ph. Durbecq https://www.pinterest.com/pin/339458890636348906/) ; à droite, une fleur de balaustier ou grenadier sauvage (planche offerte – source : http://www.afleurdepau.com/Flore/lythraceae/punica-granatum/index.php?print=1)

 

Longtemps, on a cru que Sol Invictus était un dieu-soleil syrien, dont le culte aurait été importé à Rome par Aurélien, après sa victoire sur la reine Zénobie et la prise de Palmyre. Or, des études récentes ont montré que le Sol Invictus d’Aurélien n’était ni nouveau ni étranger et que le culte du soleil s’était maintenu à Rome sans interruption, depuis les débuts de la cité jusqu’à la disparition de la (des) religion(s) romaine(s) [53]

 

D'ordinaire l'empereur romain, à cette époque, a la tête ceinte de lauriers, mais une pièce interpellante a été exposée lors de l’exposition « Nerone » de 2011 : sur un autel retrouvé à Rome [54] et portant une dédicace en l’honneur de Sol et de Luna (faite par Eumolpus, un préposé de Néron, et sa fille Claudia Pallas) figure la représentation de Néron en Sol. 

 

Dédicace en l’honneur de Sol et Luna
© Roma Aeterna (source :
https://romaaeterna753.wordpress.com/2015/07/18/rome-exposition-consacree-a-neron-en-2011/)

 

L’association Néron et Sol/Hélios, déjà mise en évidence en 1933 par Franz Cumont a été explicitée par Pierre Grimal dans son article « Clementia et la royauté solaire de Néron ». En fait, l’historien rappelle que la référence au culte solaire remonte bien avant Cumont et à l’initiation de Néron au culte de Mithra en 66 qui fait l’objet de son article, puisque Sénèque compare déjà le jeune prince au soleil levant dans son œuvre satirique de l’Apocoloquintose [55] (ou Transformation de l'empereur Claude en citrouille).

 

Pierre Grimal cherche l’origine de la « théologie solaire » dont s’entoure Néron ailleurs que chez Mithra, mais en Egypte : au moment précis où Néron venait au monde, il fut baigné, dit Suétone (Nero, VI, 1, confirmé par Dion Cassius, LXI, 2.1. qui ajoute que ce phénomène fut interprété comme le présage que le jeune Néron serait roi), par les rayons du soleil levant, avant même que ceux-ci ne touchent la terre. Ce « miracle d’Antium » a été mis relation avec le fait que l’empereur romain était aussi le pharaon de l’Egypte ancienne. N’oublions pas, poursuit Pierre Grimal, que l’un des premiers actes du jeune empereur a été de faire désensabler, une nouvelle fois, le sphinx de Gizeh en envoyant sur place son préfet Claudius Balbillus et renouvelant ainsi, par ce geste symbolique, l’alliance avec Amon-Rê conclue par Thoutmosis IV par le même travail de désensablage du sphinx (avec la promesse de devenir roi !). 

 


A gauche, le buste en granit rose de Thoutmosis IV (musée du LouvreLicence : CC BY-SA 3.0 fr – auteur : Rama et un auteur supplémentaire (travail personnel) – à droite, le sphinx encore ensablé en 1880 (auteur : National Media Museum – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Thoutm%C3%B4sis_IV) ; https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:'Le_Sphinx_Armachis,_Caire'_(The_Sphinx_Armachis,_Cairo).jpg)

 

Le déplacement du Colosse sous le règne d’Hadrien

 

Au IIe siècle, autour des années 127 [56], l’empereur Hadrien décide de construire le temple de Vénus et de Rome et fait déplacer le Colosse en le soulevant du sol en position verticale, opération si formidable [57] qu’elle nécessita le concours de 24 éléphants d’Afrique (acheminés en bateau, ils servaient pour ce genre de travaux lourds, mais aussi dans le cadre des venationes dans l’amphithéâtre). Il consacra la statue au soleil et entreprit, avec l’architecte Apollodore [58], d’en ériger une autre semblable et dédiée à la Lune, pendant de Sol, ayant remarqué l’isolement de cette dernière à son nouvel emplacement, mais il ne la termina pas [59]. 

 

(Utilisation gratuite –  auteur : Christels – source : https://pixabay.com/fr/photos/%C3%A9l%C3%A9phant-gros-plan-noir-et-blanc-3677871/) 


L’Histoire Auguste nous rapporte cet exploit extraordinaire : « Sous la direction de l’architecte Décrianus [60], [Hadrien] fit déplacer le colosse de l’endroit où se trouve maintenant le temple de la Ville en le soulevant du sol en position verticale, opération si formidable qu’elle nécessita le concours de vingt éléphants. Il consacra au Soleil cette statue qui avait auparavant le visage de Néron, son premier dédicataire ».

 

Sans vouloir minimiser la prouesse en question, notons tout de même que le trajet réalisé par la statue est relativement court (cf. la flèche rouge sur le plan ci-dessous) et que la statue en bronze est creuse évidemment (son poids est toutefois difficile à évaluer, mais elle devait certainement être moins lourde que l’obélisque du Grand Cirque, car l’obélisque était un monolithe plein et en granit). 


Carte de Rome indiquant (en rouge) le déplacement du Colosse de Néron (source : https://fr-academic.com/pictures/frwiki/67/ColosseNeron_planrome.PNG)

 

A la page 111 de son article « Le Colosse et la Fortune de Rome », Jean Gagé explique que « l’architecte Décrianus [61] réussit ce tour de force d’accomplir ce transport sans démonter l’énorme masse ; usant sans doute d’un plan incliné, il l’enleva « debout et suspendue ». L’exactitude du fait est confirmée par le Chronicon Paschale [année 130] [62], preuve que l’opération, merveilleuse pour la technique et entourée de pompe, avait frappé vivement l’imagination des contemporains. »

 

Bref donc, la statue a été déplacée d’un bloc, debout et sans la démonter avec un attelage d’éléphants. Cela dit, on voit bien la technique utilisée par les Romains : on est dans un cas de figure exactement inverse à celui de l’avancée d’une tour de siège que l’on faisait monter en haut d’une rampe construite à cet effet pour arriver jusqu’aux remparts (cf. la reconstitution du siège d’Avaricum par César au musée de l’Académie militaire des Etats-Unis à Westpoint [63]). Pour le Colosse, ils ont dû construire l’équivalent d’une tour de siège tout autour du Colosse (« l’emprisonner » dedans), casser le bloc du socle en dessous, comme ils savaient le faire par exemple pour extraire un obélisque ou un gros bloc d’une carrière ; ensuite, ils ont dû le soulever et le descendre sur le plan incliné dont on a d’ailleurs retrouvé des traces lors des fouilles (voir l’article très bien documenté de Claudia Lega, « Il Colosso di Nerone »).

 

Le siège d’Avaricum (maquette du musée de l’Académie de Westpoint – Licence : GDFL – auteur : Rolf Müller (User:Rolfmueller) — Travail personnel – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Si%C3%A8ge_d%27Avaricum#/media/Fichier:Avaricum_westpoint_july_2006.jpg) 

 


A gauche, chromolithographie de Liebig (recadrée) pour montrer l’attelage d’éléphants – artiste inconnu - émission belge de 1906 (dans le domaine public après 70 ans) – source : Pinterest https://br.pinterest.com/pin/368028600777876045/ (dans le cadre de l’abonnement de Ph. Durbecq) ; à droite, le replacement de la statue sur son socle encore encoffré (source : https://www.romanoimpero.com/2012/02/colossus-neronis.html)

 

Selon l’Histoire Auguste (Commodus, 17), Commode préfère l’individualiser par les attributs d'Hercule (une massue et la peau du lion de Némée) et sa propre physionomie (ajout d’une barbe [64] et remoulage du nez pour lui donner une forme courbée en bec d’aigle [65]). « [Commode] ajouta au colosse quelques ornements, qui en furent tous arrachés dans la suite. Il fit enlever à cette immense statue la tête de Néron, pour y substituer la sienne, et il y fit graver les inscriptions d’usage, sans oublier ses noms de gladiateur et de débauché ». 



A gauche, portrait de Commode en Hercule (Licence : CC BY-SA – auteur : Merulana (travail personnel) – source :https://fr.wikipedia.org/wiki/Portrait_de_Commode_en_Hercule#/media/Fichier:Commodo_vestito_da_Ercole_ai_Musei_Capitolini.jpg) ; à droite, illustration dans le domaine public de Pietro Paolo Montagnani, Il Museo Capitolino e li monumenti antichi che sono nel Campodiglio, t. II, Rome, 1820, p. 122-125, pl. CXXVIII (URL : https://archive.org/details/ilmuseocapitolin02mont/page/122/mode/1up et https://fr.wikipedia.org/wiki/Colosse_en_bronze_de_Constantin#/media/Fichier:Testa_colossale_di_bronzo.jpg)

 

Commode a, lui aussi, été frappé de la « damnatio memoriae » (le groupe de Commode en Hercule entre deux Tritons a échappé à cette mesure parce qu’il était caché dans une chambre souterraine des Horti Lamiani). C’est la raison pour laquelle, à la mort de ce dernier empereur, le Colosse redevint l'image d'Hélios et le resta sous le règne de Septime Sévère, comme en témoignent les monnaies de l'époque : la barbe fut ôtée et l’on remodela les traits par un nouveau remoulage.

 

En fait, le Colosse se transformait à chaque règne pour donner une image du souverain régnant.

 

Selon l'archéologue Serena Ensoli [66], des fragments de la statue auraient pu être réemployés en tant que spolia (ou remplois [67]) dans le colosse en bronze de Constantin (qui a retrouvé tout récemment son index, conservé au Louvre). Mais leurs dimensions ne sont pas compatibles avec celles données par les sources antiques pour le Colosse de Néron.

 

Les conclusions de l’étude de Serena Ensoli, Professeur ordinaire au Departimento di Lettere e Beni Culturali (DILBEC) ont néanmoins été partiellement contredites par une autre chercheuse, Marina Prusac-Lindhagen de l’Université d’Oslo.

 

 

Le colosse en bronze de Constantin avec son index restitué récemment par le musée du Louvre (capture d'écran Facebook/Virginia Raggi, 29.4.2021 – source : https://www.facebook.com/watch/?ref=embed_video&v=580227806703447)


A la coiffure de la statue avec la typique frange julio-claudienne, définie comme « indice capillaire » a été ajoutée, sous Constantin, une nouvelle rangée de mèches (frange bouclée). La partie arrière de la tête date également de l’ère néronienne. Des traces de soudure présentes autour des oreilles, constituent des indices d’une modification du visage. C’est de cette époque que daterait l’incision des pupilles [68]. 


(source : Rome URBS Colossus Neronis :Maquetland.com:: Le monde de la maquette, avec l'aimable autorisation de amm 34000, Claude Balmefrezol Maquetland.com) 

Au VIIIe siècle, le moine et historien anglais Bède le Vénérable, écrivit la célèbre épigramme dont nous avons parlé au début de cet article, conférant une signification symbolique à la statue : Quandiu stabit coliseus, stabit et Roma ; quando cadet coliseus, cadet et Roma ; quando cadet Roma, cadet et mundus (« Tant que durera le Colosse, Rome durera ; quand le Colosse tombera, Rome tombera ; quand Rome tombera, le monde tombera »). Cette épigramme est souvent mal traduite, en se référant au Colisée plutôt qu'au colosse (exemple : dans le fameux poème de Byron « Childe Harold's Pilgrimage ») : à l'époque de Bède, le nom masculin coliseus était appliqué à la statue plutôt qu'au vaste édifice public connu encore à l’époque sous le nom d'amphithéâtre Flavien.

 

On ignore le sort réservé au Colosse de Néron, mais il a quand même fini par tomber, sans que Rome ne disparaisse fort heureusement et sans que le monde ne soit anéanti (ce que l’homme arrivera bien à faire un jour par ses écocides ou l’apocalypse atomique !). Le bronze étant un matériau fort convoité, le colosse aura probablement été démantelé en vue de la réutilisation de ses éléments de bronze, comme ce fut le cas pour les plaques et les clous qui revêtaient initialement les poutres de la toiture du portique du Panthéon et qui avaient été démontés sur ordre d’Urbain VIII pour, selon une interprétation populaire, fabriquer le baldaquin du Bernin [69].

 

Certaines hypothèses de disparition du Colosse ont été proposées (le colosse aurait pu être abattu et détruit lors du premier sac de Rome [70] en 410 après J.-C., ou s’être effondré à la suite d'un des tremblements de terre du Ve siècle), mais elles sont incompatibles avec la date de Bède (VIIIe siècle).

 

Quelle qu'ait été la destination du bronze du Panthéon ou du « colosse de Néron », on ne peut que regretter leur utilisation à des fins aussi déplorables que la fabrication de canons ou celle de ce baldaquin grandiloquent mais ridicule, au cœur d'une basilique pour laquelle ces fameux « génies » venaient de détruire le vieux Saint-Pierre, joyau de l'ère constantinienne. Encore heureux qu'ils n'aient pas déraciné ses admirables colonnes pour les réutiliser à leur fantaisie !

 

Ce n’est qu’au Moyen-Age, vers l'an 1000, que le nom de Colosseum (nom neutre) fut employé pour désigner l'amphithéâtre qui, pendant quatre cents ans, n’avait été connu que sous la seule dénomination d’« Amphithéâtre flavien », du nom de la dynastie de l’empereur qui l’avait édifié.

 

La statue proprement dite a été en grande partie oubliée, et seuls quelques vestiges de sa base ont survécu, entre le Colisée et le Temple de Vénus et de Rome tout proche. La base de la statue sur laquelle Hadrien l’avait fait dresser à son époque, découverte par l’archéologue italien Antonio Nibby en 1828, a en effet malheureusement été démolie entre 1933 et 1936 sur ordre de Mussolini, avec ce qui restait de la Meta sudans pour laisser passer la Voie des Forums impériaux.

Buste en marbre d’Antonio Nibby au Pincio à Rome (Licence : CC BY-Sa – auteur : Flazaza  (travail personnel) – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Antonio_Nibby)

 

Avant la démolition, on a néanmoins eu le temps de relever des traces qui sont très intéressantes sur la base parce qu’elles nous indiquent que la statue reposait sur trois points d’appui (d’où la restitution concordante proposée par de l’Université de Caen dans son plan virtuel de Rome). 

(image issue de la Nocturne « Néron : un empereur fou … d’ingénierie », avec l’aimable autorisation de M. Philippe Fleury)

 

Aujourd’hui, seule une petite zone surélevée marque son emplacement entre le Colisée et l’arc de triomphe de Constantin. La statue elle-même a disparu, comme nous l’avons vu, au cours du VIe siècle, au moment des premières invasions gothiques.

 

L’Empire était alors devenu entièrement chrétien et la statue n’intéresse plus grand monde. D’autre part, le Colisée a servi une dernière fois en 523 sous Théodoric (malgré l’interdiction de ce type de spectacles par les Chrétiens) pour un spectacle de de gladiateurs. Le quartier meurt alors : le Colisée est exploité comme carrière de matériaux et le Colosse probablement démantelé (on manquait de métal à l’époque) ou, peut-être, s’est-il effondré à la suite d’un tremblement de terre, comme son homologue de Rhodes).

 

 

En rouge, l’emplacement du Colosse de Néron (source : https://www.romanoimpero.com/2012/02/colossus-neronis.html)

 

   

 

Le piédestal du Colosse de Néron. Rome, 1920. Via Roma Ieri Oggi

 

Vers où regardait le Colosse de Néron ?

 

Il existe énormément de publications sur ce colosse et pas une ne donne la même orientation.

 

Filippo Coarelli estime que le colosse regarde Vénus, la déesse installée dans le Temple de Vénus et de Rome (les traces laissées sur la base ne permettent d’ailleurs aucun doute sur son orientation), parce que Vénus est une déesse très importante pour les Romains. C’est la mère d’Enée qui est à l’origine de la fondation de Rome. Si l’on met en parallèle le temple de Vénus victrix qui domine le Capitole et le colosse du soleil qui dialogue par le regard avec Vénus, on se rend compte que la déesse importante de Rome, c’est la déesse de l’Amour.

 

Conclusion

 

Quand on évoque Néron, on pense plutôt à une Rome en flammes comme l’a magnifiquement peinte Hubert Robert qu’une ville relevée de ses cendres et truffée de merveilles technologiques, comme on a tenté de le montrer dans le cadre de cet article.

 

(Hubert Robert, Le Grand Incendie de Rome, 18 juillet 64 apr. J.-C., Musée des Beaux-Arts André Malraux, Le Havre – œuvre dans le domaine public – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Robert,_Hubert_-_Incendie_%C3%A0_Rome_-.jpg)

 

Certes, il n'est pas évident de se faire une idée objective de Néron : les témoignages qui sont parvenus jusqu’à nous émanent de sénateurs et de membres de la nobilitas, c’est-à-dire une minorité de citoyens, les plus riches et les plus influents, mais les plus mécontents aussi du règne de Néron (ce n’est pas pour rien que ce dernier subit une damnatio memoriae). On peut dès lors raisonnablement estimer que les défauts de Néron ont été, à dessein, hypertrophiés et ses actions présentées sous un jour défavorable. On l’a vu dans le cas spécifique de l’incendie de Rome : toutes les mesures prises pendant l’incendie étaient pleinement justifiées sur un plan sécuritaire et humanitaire, mais cette réalité a été dénaturée, travestie, déformée par des historiens à la plume trempée dans du vitriol [71], revanchards [72] ou à l’impartialité de façade. Et même après l’incendie, que fallait-il faire devant les restes calcinés de la Ville éternelle ? Laisser Rome en ruines ? Dès la fin de l’incendie, les travaux de reconstruction ont commencé. Voyons les choses 2000 ans plus tard et comparons avec une phrase de feu Berlusconi au sujet des 17.000 sans-abri du séisme de 2009 à L’Aquila dans les Abruzzes : « les sinistrés sont « comme au camping » » !

 

Pour ce qui a trait à la Domus Aurea proprement dite, qui est une « ville dans la ville » et une demeure d’un faste inouï, combien d’autres empereurs ne se sont fait construire de tels ensembles (à commencer par Hadrien) ? Et combien de richissimes hommes d’affaires ou généraux romains ? La demeure de Pollion sur la colline du Pausilippe devait occuper une superficie d’environ 8 400 m2, l’équivalent de 10 à 12 unités résidentielles moyennes [73] ; celle de Lucullus, également à Naples, s'étendait depuis l’actuel Castel dell’Ovo jusqu’à incorporer le cœur le plus ancien de la ville et, par son déploiement, était tout à fait comparable à la « Maison dorée » de Néron à Rome [74]. D’autre part, il faut jauger de quelle manière la destruction et/ou l’ouverture au public de la Domus Aurea a joué un rôle dans la propagande impériale flavienne [75].

 

Enfin, qui, de nos jours s’intéresse aux villas les plus chères au monde comme l’Antilla, à Bombay en Inde (plus de 37 000 m2, soit une surface habitable comparable au château de Versailles et ses 2 000 pièces), une ville où il n’y a pas de SDF, car on les appelle « habitants des trottoirs » (« pavement dwellers ») ou celle de Fairfield Pond, aux États-Unis (l’une des demeures les plus vastes de l’état, pour une surface de 10 000 m2 habitable et 255 000 m2 d’extérieur), à quelques kilomètres de New York, la ville la plus riche des USA, mais où l’on traque les SDF ? Nihil nove sub sole !

 

Un « habitant des trottoirs » (Licence : Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License – source : https://theperfectslum.blogspot.com/2014/02/pavement-dwellings.html)

 

Sur le plan archéologique, les découvertes sont loin d’être terminées, puisqu’une nouvelle salle (dite de la sphinge) a été mise au jour dans la Domus Aurea en 2019 [76]. On peut donc raisonnablement s’attendre à d’autres nouvelles trouvailles à l’avenir. 

Domus Aurea, Salle de la sphinge (œuvre dans le domaine public – source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Sala_della_Sfinge_%28Sphinx_Room%29,_Domus_aurea,_Rome.jpg)

 

Quant aux meurtres perpétrés par Néron, que dire ? Sans aucunement vouloir minimiser des actes aussi effroyables, on ne peut faire que constater une chose : le crime règne en maître au sein de la famille Julio-claudienne depuis déjà Auguste qui fit subir à Julia, son unique fille biologique, un régime quasi carcéral dans l’île de Pandateria, pour cause d’adultère (sans parler de ses listes de proscriptions destinées à s’approprier les biens des victimes et de renflouer les caisses de l’Etat, c’est-à-dire celles des « triumvirs »), et Tibère qui exila Agrippine l’Aînée sur la même île où elle mourut de faim, « parce que chaque empereur craignait qu’un autre descendant d’Auguste n’invoquât cette parenté pour prendre la succession, peut-être avec trop de hâte [77] ». Bref, « Des crimes qui ne méritent aucune clémence, mais dont les autres souverains n'étaient pas exempts [78] ». Et que penser du jugement public ? Constantin, un empereur chrétien, a été sanctifié (son baptême par Eusèbe de Nicomédie, un évêque fidèle à l'arianisme [79] à l’article de la mort lui assurant la rémission de tous ses (innombrables) péchés), alors qu’il a à son actif au moins trois meurtres (son fils Crispus, accusé d'adultère, sa femme Fausta qu’il fait périr dans des bains brûlants et son beau-père l'ex-empereur Maximien qu’il a fait exécuter). Néron, lui, a été diabolisé pour un pareil sinistre panégyrique. L’un ne peut pas être un saint et l’autre le prince des ténèbres. N’oublions jamais que le sang a coulé à flots sur les pavés de Rome durant toute l’Antiquité (comme le rappelle la jaquette de la série « Rome » diffusée sur la chaîne HBO). En fait, Néron n’était, dans ce domaine, ni meilleur, ni pire que ses prédécesseurs et ses successeurs. 


Jaquette de la série « Rome » (photo HBO – source : https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/plus-on-est-de-fous-plus-on-lit/segments/chronique/141043/antiquite-rome-spartacus-cluaius)


Les projets de Néron comportent ce que certains considèrent comme une part de folie et de mégalomanie, mais ne correspondent-ils pas à une vision avant-gardiste puisqu’ils répondent non seulement à des besoins réels, et qu’ils seront soit réalisés tels quels beaucoup plus tard, soit repris d’une autre manière. Même le satiriste Martial écrit : « Quoi de pire que Néron ? », mais répond à sa propre question à la ligne suivante par une nouvelle question : « Quoi de mieux que les Thermes de Néron ? »

 

« Les vrais monstres, comme Hitler et Staline », disait Roberto Gervaso, « manquaient de l'imagination de Néron. Aujourd'hui encore, il serait (…) en avance sur son temps [80]. ».

 

Dès lors, repensons Néron dans sa complexité et dans son contexte !


 

                                                   Sophie Madeleine, Philippe Fleury, Philippe Durbecq  



Statue moderne de Néron (inaugurée en 2010) face à la mer (devant l’ancien port romain et à proximité immédiate de la villa de Néron), à Anzio, sa ville natale (Licence (permission de réutiliser ce fichier) : Statue of Nero | Helen Cook | Flickr – auteur : Helen Cook – source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Statue_of_Nero.jpg)

 

Bibliographie (essentielle)

  • Fred C. ALBERTSON, Zenodorus's « colossus of Nero », Memoirs of the American Academy in Rome, Vol. 46 (2001) ;
  • Catalogo della mostra (Roma, 13 aprile – 18 settembre 2011) « Nerone » (M. A. Tomei et R. Rea, curatori), Mondadori, Electa, 2011 ; 
  • Catalogue de l’exposition « Nero, the man behind the myth » (Thorsten Opper (Dir.), Ed. British Museum, 2021  ;
  • Eugen CIZEK, Néron, Fayard, 1982 ; 
  • Eugen CIZEK, La Rome de NéronMilanEd.Garzanti, 1986 ; 
  • Amanda CLARIDGE, Rome : An Oxford Archaeological Guide, Oxford University Press, 1998, pp. 276–28 ; 
  • Filippo COARELLI, Guide archéologique de Rome, Hachette, 1994 ; 
  • Filippo COARELLI, Rome, Bari Roma, Laterza, 2012 ;
  • Gérard COULON (texte) et Jean-Claude GOLVIN (illustrations), Le Génie civil de l'armée romaine, Arles, Actes Sud-Errance, 2018 ;
  •  Franz CUMONT, L’iniziazione di Nerone, Riv. di Filol., 1933, pp. 145 et suiv. ;
  • Maria-Pia DARBLADE-AUDOIN, Benoît MILLE avec la collaboration de Guy ALFONSO, Olivier TAVOSO – Le pied colossal en bronze de Clermont-Ferrand. Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot, tome 87, Paris, Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 2008, p. 31-68 ;
  • Éva DUBOIS-PELERIN, « Luxe privé/faste public : le thème de l’aedificatio du IIsiècle av. J.-C. au début de l’Empire », Mélanges de l'École française de Rome - Antiquité, 128-1 | 2016 (URL : https://journals.openedition.org/mefra/3227#quotation) ; 
  • Serena ENSOLI, « Il Colosso di Nerone-Sol a Roma : una « falsa » imitazione del Colosso di Helios a Rodi. A proposito della testimonianza di Plinio e della ricostruzione del basamento nella valle del Colosseo », in Yves Perrin (dir.), Neronia VII. Rome, l’Italie et la Grèce. Hellénisme et philhellénisme au premier siècle après J.-C. Actes du VIIe colloque international de la SIEN (Athènes, 21-23 octobre 2004), Bruxelles, Latomus, 2007, p. 406-427 ;

  • Antoine HERMARY, « Le corps colossal et la valeur hiérarchique des tailles dans la littérature et la sculpture grecques archaïques », In : Penser et représenter le corps dans l'Antiquité, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2006 (URL : https://books.openedition.org/pur/7328) ;
  • Histoire antique, n° 35, janv.-fév. 2008, « Néron étrange et excentrique » ;
  • Histoire Auguste, Collection Bouquins, Robert Laffont, 2014 (traduction : André Chastagnol) ;
  • Le Figaro Histoire, Néron, tyran ou mal-aimé ? Novembre-Décembre 2018 ;
  • Pierre LAMBRECHTS, « Notes sur un buste en bronze de Mercure au Musée de Namur », dans l’Antiquité classique, VII, 1938, pp. 217-225 ;
  • Claudia LEGA, « Il Colosso di Nerone », Bullettino della Commissione Archeologica Comunale di Roma, Vol. 93, No. 2, publié par L’Erma di Bretschneider (1989-1990), pp. 339-378 ; 
  • Hans Peter L’ORANGE, « Domus Aurea – Der Sonnenpalast », In Serta Eitremania, Oslo, 1942, pp. 68-100 ; 
  • Benoît MILLE et Maria-Pia DARBLADE-AUDOIN, « Le pied colossal de bronze de Clermont-Ferrand et la question de l’atelier de Zénodore », in Martine Denoyelle, Sophie Descamps-Lequime, Benoît Mille et Stéphane Verger (dir.), Bronzes grecs et romains, recherches récentes. Hommage à Claude Rolley, Paris, Publications de l’Institut national d’histoire de l’art, coll. « Voies de la recherche », 2012 (URL : https://books.openedition.org/inha/3909) ;
  •  André PIGANIOL, Ve siècle, le sac de Rome, Albin Michel, Collection Le mémorial des siècles, Paris, 1964 ;
  • Matthieu POUX (avec la collaboration de Magali Garcia et de Noémie Beck), « De Mercure Arverne à Mercure Dumias, sanctuaires périurbains, géosymboles et lieux de mémoire en Basse Auvergne », In : Dechezleprêtre T., Gruel K. Joly M., Agglomérations et sanctuaires. Actes du colloque de Grand, 2015, pp. 319-347 ;
  • François PRECHAC, « La date du déplacement du Colosse de Rome sous Hadrien », In : Mélanges d'archéologie et d'histoire, tome 37, 1918. pp. 285-296 (URL : https://doi.org/10.3406/mefr.1918.7144) ;
  • Marina PRUSAC, « The Constantinian bronze Colossus: Nero's hairstyle and the beard of Commodus », Acta ad Archaeologiam et Artium Historiam Pertinentia, vol.29, 2017, pp. 113-130 sur le site FRITT de l'Université d'Oslo (URL : https://journals.uio.no/acta/article/view/6078) ;
  • François RIPOLL, Aspects et fonction de Néron dans la propagande impériale flavienne, dans J. M. Croisille, R. Martin, Y. Perrin (dir.), Neronia V. Néron : histoire et légende, Bruxelles, 1999 (coll. Latomus 247), p. 137-151 ;
  • Georges ROUX, « Qu’est-ce qu’un κολοσσός ? Le « colosse » de Rhodes ; Les « colosses » mentionnés par Eschyle, Hérodote, Théocrite et par diverses inscriptions. », InRevue des Études Anciennes. Tome 62, n°1-2, 1960, pp. 5-40 ;
  • Valérie SAFI, avec Floriane SERRE-DURIN et Antonin GILLET, Livret pédagogique « Le puy de Dôme, grand site de France. Le temple de Mercure. Pistes pour une visite pédagogique », Puy-de-Dôme, terre d’archéologie ; 
  • Catherine SALLES, Le Grand Incendie de Rome, 64 ap. J.-C., Paris, 2015 ;
  • Ida SCIORTINO et Elisabetta SEGALA, Domus Aurea, Milan, Electa Mondadori, 2005 ;
  •  SENEQUE, L’Apocoloquintose (édition Université de Liège) ;
  • SEXTUS EMPIRICUS, Contre les mathématiciens, Paris, Les Belles Lettres, 2019 (traduction de René Lefebvre) ; 
  • SUETONE, La Vie des Douze Césars (« Vie de Néron », XXXI, 1, Vie de Vespasien, 18), Le Livre de Poche classique 718/719, Paris, 1970 ;
  •  TACITE, Annales, GF n° 71, Flammarion, 1965 ;
  • Jean-Louis VOISIN, « Exoriente Sole (Suétone, Ner. 6), d'Alexandrie à la Domus Aurea », L'Urbs, Actes du colloque international organisé par le CNRS et l'EFR à Rome les 8-12 mai 1985, Rome, 1987, pp. 510-520 ; 
  • Marguerite YOURCENAR, Mémoires d’Hadrien, Folio, n° 921, 1980.

Documentaires - sitologie


  • Françoise VILLEDIEU, « La cenatio rotunda de Néron : état des recherches », vidéo de la communication à l'Académie des inscriptions et belles-lettres ;
  • La Cenatio rotunda, un édifice hors du commun, film de Christine Durand (CCJ CNRS/AMU), Recherche en architecture, archéologie et numérique (RAAN), publié le 21 mars 2017 par Nathalie André (URL : https://youtu.be/uuBTUBhhdu8) ;


[1] « Tant que durera le Colosse, Rome durera ; quand le Colosse tombera, Rome tombera ; quand Rome tombera, le monde tombera ». L’inscription apparaît partiellement dans le film « Gladiator » de Ridley Scott, mais dans un latin inexact (comme le fait remarquer Michel Dubuisson de l’Université de Liège, « quitte à fabriquer une inscription amusante, ut Roma cadit ita orbis terrae, autant le faire en latin correct et dire terrarum … » : voir  son analyse sur le site http://web.philo.ulg.ac.be/classiques/wp-content/uploads/sites/18/2016/05/gladiator.pdf).

[2] Une « meta » était une haute structure conique qui se situait de chaque côté des pistes de courses de chars, tandis que le mot latin « sudans » signifie « transpiration ». La Meta Sudans était donc une imposante fontaine de forme conique qui semblait transpirer de l'eau. Dans le cas des pistes de courses de chars, les cônes des metae indiquaient les virages. Ces cônes permettaient aux auriges de jauger la distance avant de tourner (parce qu’ils devaient virer à 180°). S’ils touchaient la spina avec une roue, c’était l’accident. D’autre part, il était très important de faire un virage serré, parce que l’on pouvait très vite perdre le contrôle des chevaux. Tout comme ces metae, la Meta Sudans de la vallée du Colisée jouait un rôle utilitaire un peu similaire : elle marquait le point où une procession triomphale passerait à gauche de la Via Triumphalis, sur la Via Sacra et dans le Forum romain (https://www.timetravelrome.com/2019/08/17/meta-sudans-rediscovered-coins-other-stories/).

[3] Une élévation de l’Esquilin qui tire son nom, selon Varron, de celui d'Opiter Oppius, un général de Tusculum (Tivoli) envoyé à Rome pour protéger la ville pendant que le roi Tullus Hostilius met le siège devant la cité étrusque de Véies avec le gros de l'armée romaine. 

[4] D’après Suétone (Néron, XXXI), soit environ 1 478 mètres (estimation à deux mètres près).

[5] Elle ne nous est connue que par une seule source : Suétone. Celui-ci nous dit qu’elle était ronde et tournait jour et nuit sur elle-même en imitant le mouvement du monde (Néron, XXXI, 3). Le plancher de cette salle à manger tournait, à l’aide d’un mécanisme hydraulique (relié à une roue à aubes alimentée par une branche de l'aqueduc de Claude construite sous le règne de Néron pour desservir le Palatin), à une vitesse continue et réglable (suffisamment lente pour éviter tout désagrément aux invités, mais à une allure néanmoins perceptible pour que ceux-ci se rendent compte que leur point de vue sur le paysage environnant s’était modifié). On ignore à quelle vitesse s'effectuaient les rotations, mais à titre d'hypothèse (et en prenant pour exemple les restaurants tournants actuels), on suppose que le plancher devait effectuer un tour complet en deux heures environ. Le mécanisme d’entraînement du plateau de la salle à manger devait par ailleurs actionner un minimum de pièces mécaniques afin de pouvoir réduire autant que possible le niveau de bruit engendré par la mise en mouvement de celles-ci (il y avait des roulements à billes géants avec, dans les cavités hémisphériques, une argile très fine qui servait de lubrifiant dont on a retrouvé des traces lors des fouilles de 2009 et la machinerie était logée dans une partie qui lui était dédiée en dessous de la salle à manger proprement dite).

[6] Voir Françoise Villedieu, « La cenatio rotunda de la Maison dorée de Néron », Comptes rendus des séances de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, ainsi que les documentaires dont les liens sont repris en bibliographie.

[7] La résidence initiale de Néron sur le Palatin était la Domus transitoria, « la maison du passage » (appelée ainsi parce qu’elle constituait un point de jonction entre le Palatin et l’Esquilin), détruite en 64 par le grand incendie et reconstruite dans le cadre du complexe de la Domus aurea (voir Filippo Coarelli, Guide archéologique de Rome, p. 140.

[8] Un peu comme l’horlogium d’Auguste (et l’obélisque qui en constituait son « aiguille ») devait être mis en relation avec l’Ara Pacis tout proche.

[9] Dans son article « Domus Aurea – Der Sonnenpalast ». La villa d’Hadrien à Tivoli est, elle aussi, un macrocosme (avec une symbolique cosmique, comme au Panthéon avec son oculus), mais qui se double d’un microcosme (représentation à échelle réduite de l’Empire).

[10] En aucun cas, ces invités n’arrivaient à la salle à manger par le niveau inférieur. On doit imaginer que la cenatio communiquait avec une aile du palais et qu’elle constituait en quelque sorte le point d’orgue du palais.

[11] Nocturne du Plan de Rome « Néron : un empereur fou… d’ingénierie » : https://www.youtube.com/watch?v=lZefYfTuDt8. 

[12] Barbarisme et imitation incorrecte du latin servum pecus, « troupeau servile » — (Horace, Épîtres, I, XIX, 19) avec vulgus (« foule ») remplaçant servus.

[13] Très faciles à construire et assurant une parfaite liaison entre les différents éléments du bâtiment.

[14] On sait simplement que la statue était en bronze. On ignore si le bronze était doré comme c’est le cas pour la statue de l’Héraclès de la Salle ronde du musée Pio-Clementino au Vatican, un des rares exemples d'une statue antique en bronze doré à avoir été conservée (elle avait été soigneusement enterrée parce que frappée par la foudre et avait donc échappé à la fonte).

[15] Son règne assez animé a vu des événements marquants comme le Grand incendie de Rome, la rébellion de Boudicca dans la province nouvellement conquise de Grande-Bretagne, l'assassinat de sa propre mère (Agrippine) et de sa première épouse (Octavia), de grands projets et des excès extravagants. S'appuyant sur les dernières recherches, une grande exposition a eu lieu en 2021 au British Museum (« Nero, The Man behind the myth » : URL : https://www.britishmuseum.org/exhibitions/nero-man-behind-myth) qui remet en question le récit traditionnel du tyran impitoyable et excentrique, révélant un Néron bien différent.

[16] Néron a été la première victime de l’incendie (qui a pris naissance dans le Circus maximus) qui a détruit sa propre maison. En effet, les premiers bâtiments d'importance touchés par les flammes sont ceux qui le concernaient personnellement : le Palatin et une partie de son palais (la domus transitoria) où il conservait une multitude d’œuvres d’art auxquelles il était très attaché et qu’il avait fait venir de Grèce et de toutes les régions artistiques du monde antique. Il est peu probable qu'un homme, même un peu fou, souhaite voir partir en cendres ce qu'il avait de plus précieux. Il est évident que s'il avait voulu brûler la ville pour la reconstruire entièrement, il aurait pris soin de déménager préalablement ses œuvres d'art et de vider les appartements de son palais de tout son contenu pour les transférer en lieu sûr. D’autre part, la première préoccupation de Néron a été de tenter de diriger les efforts des vigiles sur les points sensibles du sinistre afin de créer des coupe-feux et d’aider la population en ouvrant les parcs impériaux (et ses propres jardins) aux réfugiés, ainsi que de prendre les mesures d’urgence en assurant rapidement le ravitaillement de la foule en vivres et en blé. Tacite précise (Annales, XV, 39) qu’« il fit construire à la hâte des abris pour la multitude indigente ; des meubles furent apportés d'Ostie et des municipes voisins, et le prix du blé fut baissé jusqu'à trois sesterces. ».

[17] « Le bruit [c’est nous qui soulignons] s’était répandu qu’au moment même où la Ville était en flammes, le prince était monté sur son théâtre domestique et avait chanté la ruine de Troie, cherchant dans le passé des comparaisons avec le désastre présent. » (Annales, XV, 39). A noter que Tacite mentionne cette rumeur, mais sans vraiment la confirmer (de la même manière que Suétone écrit « on dit que »). Une rumeur n’est pas un fait. Si néanmoins, elle s’avérait exacte, on peut effectivement reconnaître que la sensibilité de Néron s’est exprimée de façon incongrue, mais on peut aussi réfléchir un peu plus loin, car chanter Troie, c’est aussi chanter la naissance de Rome, et, en l’occurrence, sa renaissance. Ce qui s'est réellement passé se résume sans doute à bien peu de chose : tout en contemplant le désastre qui frappe sa chère cité (mais certainement pas depuis la Tour de Mécène qui, située dans les jardins de l'Esquilin, fut la proie des flammes aux premières heures de l'incendie), peut-être un vers d'Homère, peut-être même un court extrait de son propre poème épique, revient à l'esprit lyrique de Néron, et il le murmure sotto voce. Sur ce, un premier « témoin » assurera l'avoir entendu réciter une strophe entière ; un autre, tout aussi « digne de foi », l'aura vu prendre sa lyre ; un autre renchérira en prétendant que Néron avait revêtu son beau costume de scène et qu'il chantait à tue-tête sur une estrade ; un autre l'aura vu se réjouir malignement, et ainsi de suite de plus en plus loin dans l’hypertrophie, un scénario classique dans le cas des rumeurs. C'est comme ça qu'un petit éternuement devient un ouragan, et la citation apitoyée de l'empereur une représentation théâtrale méprisante.

[18] Suite à un « raid de terreur » lancé sur la ville par l’US Air Force. 324 superforteresses ont bombardé Tokyo pendant trois heures avec des containeurs explosant à 100 mètres et libérant une pluie de petites bombes incendiaires au napalm. Les superforteresses étaient ballotées comme de simples fétus de paille par les colonnes d’air brûlant qui tourbillonnaient dans le ciel. L’incendie a provoqué un ouragan qui charriait des vents de 100 km/heure.

[19] A cette époque, la secte chrétienne, se distinguait peu du judaïsme radical. Elle était encore très influencée par le mouvement zélote. A la veille de la grande révolte juive, la destruction de la capitale de l'Empire aurait pu venir à point nommé pour désorganiser l'ennemi.

[20] Dans le film « Quo Vadis ? », la chanson entonnée par Néron « O turbulente flamme » utilise la mélodie de « l'épitaphe de Seikilos », le plus ancien exemple découvert à ce jour d'une composition musicale complète avec sa notation.

[21] Peut-être alliait-il technique et art : on lui connaissait en effet aussi une passion pour l’orgue hydraulique (il en jouait lui-même et en possédait plusieurs), instrument auquel il s’intéressait à la fois à l’aspect technique et musical, comme c’est le cas chez tous les passionnés d’orgue. Suétone raconte une anecdote éclairante à ce sujet (confirmée par Dion Cassius) : lors d’une révolte en Gaule (celle de Julius Vindex), le prince doit tenir conseil. Il convoque chez lui les principaux citoyens (mais pas le Sénat, ni le peuple), bâcle la réunion avec eux et passe le reste de la journée (Dion Cassius dit que c’est la nuit) à leur faire visiter sa collection d’orgues et à leur expliquer les moindres détails (« Vie de Néron », XXXI). Ce désintérêt, voire ce mépris pour tout ce qui est art mécanique ne sont pas à imputer à Néron, mais aux érudits de l’époque tels que Sénèque et Tacite qui ne considèrent pas ces apports comme dignes de l’Histoire.

[22] « Lorsqu’après l'avoir achevé, Néron inaugura son palais, tout l'éloge qu'il en fit se réduisit à ces mots : « Je commence enfin à être logé comme un homme. » » (Suétone, « Vie de Néron », XXXI).

[23] Suétone, malgré le fait qu’il n’ait pas pu avoir vu la Domus aurea de ses propres yeux puisqu’il vit à l’époque d’Hadrien n’est pas avare de superlatifs : « (…) tout était couvert de dorures, rehaussé de pierres précieuses et de nacre. Le plafond des salles à manger était fait de tablettes d’ivoire mobiles et percées de trous afin qu’on pût répandre sur les convives des fleurs ou des parfums. La principale salle était ronde et tournait continuellement sur elle-même, alternant jour et nuit comme l’univers. ». Observons que Suétone qui n’est pas favorable, dans son ensemble à Néron, mentionne la Cenatio rotunda simplement d’une manière étonnée. Quel jugement les Romains pouvaient-ils avoir à son sujet ? Difficile à dire. Il faut savoir qu’elle a eu une durée de vie très courte (commencée en 64 et Néron s’est suicidé en 68)

[24] Suétone, « Vie de Néron », XXXI. Tout le palais de Néron était agencé autour de ce lac artificiel creusé pour la navigation de plaisance et pour lui offrir une fenêtre sur la nature en plein cœur d’une Rome déjà bien urbanisée. Ce lac privé était en effet entouré de pavillons (dont on découvre encore les restes des murs arasés entre le Colisée et l’arc de Constantin), de jardins somptueux, de vignobles, des forêts. Quand nous visitons le Colisée, n’oublions pas donc pas, qu’à l’époque de Néron, nous aurions été les pieds dans l’eau !

[25] Ce qui était astucieux parce que les terrains y sont plats (pas de collines comme à Rome) et on se rapproche d’Ostie qui est le point de ravitaillement principal de la ville. Or, le Tibre avait un cours sinueux et il était très encombré, et souvent embouteillé (on sait par Tacite – Annales XV, 18, 3 – qu’en 62, cent navires, serrés les uns contre les autres, avaient brûlé simultanément, le feu s’étant communiqué d’un bateau à l’autre !). Ce canal aurait permis de fluidifier le trafic, l’aurait accéléré et aurait complété les travaux de son beau-père Claude (en l’occurrence Portus Augusti, car Néron profitait d’infrastructures existantes comme c’est le cas aussi à Pouzzoles, dans le cadre de son deuxième projet, où Agrippa avait relié le port au lac Averne, si bien que les flottes pouvaient se mettre à l’abri, en hiver, se mettre à l’abri dans ce lac et être hors d’atteinte des pires tempêtes).

[26] Ce deuxième projet – puisqu’aucun de ces travaux n’a été mené à son terme – peut paraître beaucoup plus fou, puisqu’il s’agissait de relier Ostie à Pouzzoles dans la baie de Naples – 200 kilomètres –, mais tout est relatif puisque, en Belgique, le Canal Albert reliant le port d’Anvers à Liège fait déjà 130 kilomètres de long. Ensuite, ce canal avait son utilité : entre Ostie et Pouzzoles (port d’arrivée du ravitaillement de Rome en blé d’Afrique, en particulier d’Egypte et où l’on pouvait y entrer même par mauvais temps, ce qui n’était pas le cas à Ostie où il faudra attendre le Portus Traiani Felicis), il n’y avait aucun abri côtier. Or, l’on sait, de nouveau par Tacite – Annales XV, 18, 3 –, qu’une flotte de 200 navires avait été détruite dans le port même d’Ostie par une violente tempête. Derrière ces pertes de navires, il ne faut pas oublier le problème vital de Rome : son approvisionnement en blé. La population de la ville s’agrandissait sans cesse (déjà sous Auguste, il y avait un million de bouches à nourrir à Rome) et jusqu’à Trajan, les disettes sont fréquentes, de sorte que les rotations de navires entre les deux ports devenaient excessives (on a retrouvé des milliers de lampes à huile utilisées à Pouzzoles, preuve qu’il était nécessaire de travailler de nuit pour pouvoir absorber la quantité démesurée de manutentions de marchandises nécessaires à un trafic aussi intense : cf. André Tchernia, Les Romains et le commerce, « Le ravitaillement de Rome et le commerce »). Un tiers de ce travail colossal avait été réalisé. La mort de Néron l’interrompra.

[27] On sait que Néron s’est investi personnellement dans le percement de ce canal, un peu comme Mussolini maniant la pioche à Rome pour dégager les vestiges de l’Antiquité des constructions modernes : Suétone nous raconte qu’il donna, lui-même, les premiers coups de bêche (en or !), remplit une hotte de terre et l’emporta sur ses épaules. On ne voit aujourd’hui aucune trace des travaux effectués sous Néron et pour cause : les ingénieurs français qui ont percé l’isthme ont suivi exactement le tracé prévu par les ingénieurs de Néron ! (heureusement, les ingénieurs français ont relevé toutes les traces des travaux de Néron avant de les effacer pour l’éternité en réalisant leur propre creusement. Pour plus de détails concernant l’hypothèse (échafaudée sur base de la présence de puits) de deux tunnels au lieu d’un canal à ciel ouvert, voir Coulon et Golvin, Le Génie civil de l'armée romaine (moins de déblais à enlever en faisant ces tunnels qu’en creusant l’immense tranchée).

[28] Un trucage à double effet : d’abord le toit de la cabine, chargé de plomb, devait s’effondrer sur Agrippine et ensuite, le navire devait s’ouvrir en deux et couler d’un seul coup, mais rien n’a marché comme prévu (le plafond n’a tué qu’une personne de l’entourage d’Agrippine et le bateau au lieu de sombrer en un instant, s’est enfoncé lentement dans l’eau, de sorte qu’Agrippine a pu rejoindre le rivage à la nage. D’après Dion Cassius, Néron avait imaginé ce stratagème après une représentation théâtrale.

[29] Pierre Grimal, « Clementia et la royauté solaire de Néron », p. 225.   

[31] Dion Cassius (Histoire romaine, ) affirme même que la statue a en fait été achevée et érigée sous Vespasien, mais en dehors du vestibule de Néron et même de la Domus Aurea elle-même puisque l’auteur la situe sur la Voie sacrée (cf. également l’article de David Hulme, « Le Colosse de Néron » (https://www.vision.org/fr/le-colosse-de-neron-714).

[32] Le « pied romain » équivalait à 29,64 cm. Mais cette hauteur ne tient pas compte du piédestal recouvert de bronze et haut de onze mètres, ce qui nous donne une hauteur totale de 43 mètres environ. Ce qui signifie que cette statue était en fait visible d’un peu partout dans Rome.

[33] Appelé le Calendrier Philocalus, dont l'original n'est pas conservé. Il s'agit du plus ancien calendrier chrétien connu, avec la plus ancienne référence connue à la célébration de Noël, bien qu'il intègre également les fêtes romaines. La copie la plus complète qui nous soit parvenue est un manuscrit du XVIIe siècle de la collection Barberini. Il s'agit d'une reproduction d'un Codex Luxemburgensis de l'époque carolingienne, perdu au XVIIe siècle.

[34] Sextus Empiricus, Contre les logiciens, VII, 107.

[35] Lindos est une ville et un site archéologique (célèbre pour son acropole) situé sur la côte est de l’île de Rhodes.

[36] Voir l’article de Pascal Arnaud, « L’Image du globe dans le monde romain : science, iconographie, symbolique ». Pascal Arnaud, précise que « si le globe terrestre a pu être représenté dans l’iconographie romaine, deux réserves s’imposent : le cas est très rare, et il a été réservé à une situation bien précise, lorsqu’il est intégré à un système cosmologique où il apparaît comme un globe qui ne peut être la sphère céleste. Le globe désigne donc une seule réalité, la sphère céleste, sauf lorsque le globe par excellence est flanqué de son inférieur ou lorsque celui-ci se réduit à un point et participe d’un système relativisé : lorsque l’on a représentation de corps astraux, le Grand Tout, qui peut être le contenant universel, ne peut être inférieur à ces corps astraux. » (p. 116).

[37] Nicéphore = « qui porte la Victoire ».

[38] Pour plus de renseignements, voir l’article de Pierre Lambrechts, « Notes sur un buste en bronze de Mercure au Musée de Namur ».

[39] D’ailleurs, le mot « gouverner » vient de « gouvernail » (issu du latin gubernare, emprunté du grec kubernân, « diriger un navire, gouverner »). Les idées de confiance dans ce dispositif afin de pouvoir garder le cap (le contrôle directionnel du navire) et de parvenir à bon port sont (théoriquement) bien en phase avec celles de la bonne gouvernance, de l’atteinte de ses objectifs et de la capacité à savoir gérer des situations difficiles. On le retrouve dans les expressions « prendre, tenir, abandonner le gouvernail ».

[40] Dans la mythologie romaine, le gouvernail est l’attribut classique de la Fortune, la déesse de la chance (et du destin), celle dont le proverbe dit qu’elle « sourit aux audacieux » (audaces fortuna juvat comme l’a reformulé Virgile dans l’Enéide, X,284). Tyché est son équivalent dans la mythologie grecque. Le gouvernail est aussi un symbole solaire.

[41] Voir à ce sujet l’article de Jean Gagé, « Le Colosse et la Fortune de Rome », p. 111.

[42] Cf. l’article d’Antoine Hermary, « Le corps colossal et la valeur hiérarchique des tailles dans la littérature et la sculpture grecques archaïques ».

[43] Leur chef Celtillos ou Celtill, père de Vercingétorix, exerçait même son autorité sur l’ensemble de la Gaule (Caesar, De Bello Gallico, VII, 4). Malgré la conquête romaine, la tribu des Arvernes resta riche, grâce à la présence de mines d’or (Auguste Audollent, « Mines d’or en Auvergne » - URL : https://www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_1911_num_13_2_1669). La Gaule était d’ailleurs appelée « Gallia aurifera » dans les écrits de Strabon, de Diodore de Sicile et de Pline. Comme en témoignent ces historiens et géographes de l'Antiquité, l'orpaillage était très productif ; il semble avoir été pratiqué sur tous les réseaux hydrographiques aurifères des Pyrénées, du Massif central, des Alpes, du Massif armoricain et des Ardennes.

[44] Comme c’est souvent le cas dans le monde romain, le temple dit de « Mercure » du Puy de Dôme, n’est en fait pas dédié au seul dieu du commerce et des voyageurs. On y honorait plusieurs divinités (outre Mercure, les inscriptions mentionnent le numen de l’empereur et Jupiter).

[45] Pline ne précise pas si le Mercure de Zénodore a été érigé dans le sanctuaire du Puy de Dôme. Si tel est le cas, il n'en subsiste aucune trace archéologique. Ce temple était toutefois le plus grand sanctuaire de montagne (à 1435 m d’altitude) de la Gaule romaine (le complexe cultuel est organisé en différents ensembles monumentaux étagés en terrasses sur les pentes du dôme de lave).

[46] Livret pédagogique « Le puy de Dôme, grand site de France. Le temple de Mercure. Pistes pour une visite pédagogique, Puy-de-Dôme, terre d’archéologie, page 31.

[47] Voir Matthieu Poux, « De Mercure Arverne à Mercure Dumias, sanctuaires périurbains, géosymboles et lieux de mémoire en Basse Auvergne ».

[48] La décoration de ces chaussures est similaire à celle des mullei de la statue de Septime Sévère aux Musées royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles.

[49] Benoît Mille et Maria-Pia Darblade-Audoin, « Le pied colossal de bronze de Clermont-Ferrand et la question de l’atelier de Zénodore ».

[51] Dans la littérature homérique, Apollon est clairement identifié comme un dieu différent de Hélios, avec un arc en argent (et non en or) et sans caractéristiques solaires. La référence la plus ancienne où l'on mélange les identités d'Apollon et de Hélios est dans les fragments survivants de la pièce Phaéton d'Euripide, dans un monologue où Clymène, la mère de Phaéton, se désole qu’Hélios ait été responsable de la disparition de son enfant, « cet Hélios que les hommes appellent justement Apollon ».

[52] Hélios était toutefois le grand dieu de Rhodes et vénéré comme une divinité majeure. Selon une légende dont parle Pindare, Zeus divisa le monde entre les dieux, mais quand il opéra ce partage, Apollon était occupé à parcourir le ciel sur son char. Quand il eut terminé son voyage, il avait déjà choisi Rhodes où il était tombé amoureux de la nymphe Rhodia. Les monnaies de Rhodes portent d’ailleurs, sur une face, la fleur de balaustier (la balauste, balaustion en grec) ou grenadier sauvage qui est son emblème et, sur l’autre, la tête d’Apollon.

[53] Cf. Steven Hijmans, Temples and Priests of Sol in the City of Rome.

[54] Il est dorénavant conservé au Musée d’archéologie nationale de Florence.

[55] IV, 1, vers 27 et suiv.

[56] « La date de ce déplacement n’est indiquée nulle part ; peut-elle être déterminée par conjecture ? (…). Les monnaies qui me semblent commémorer l’opération furent frappées en 119 ou dans les années qui suivirent ; elles ne nous fournissent qu’un terminus post quem (118). Le déplacement ne pouvait avoir lieu qu’après le temps où fut posée la première pierre du temple – 21 avril 121 – et même après l’année 121. Car le colosse ne devait pas être un obstacle aux premiers travaux. (…) Suétone ne fait aucune allusion au tour de force de son maître [Or, il était pourtant son secrétaire] : n’est-ce pas qu’au moment où il écrivait ces chapitres, il n’avait pas encore vu s’ébranler la statue ? Il les publia en 121. La date en question [doit donc] être cherchée à partir des derniers mois de 126, (…) et le 21 avril 128 [en fonction des périodes de présence d’Hadrien, « prince voyageur », à Rome et du début de la disgrâce d’Apollodore de Damas]. Le déplacement eut donc lieu entre la fin de l’année 126 et le 21 avril 128 (…) probablement dans les premiers mois de 128 » (François Préchac, « La date du déplacement du Colosse de Rome sous Hadrien », pp. 285 à 296).  

[57] Le colosse de Néron était une statue de bronze de plusieurs centaines de tonnes, et de 35 mètres de haut, soit l'équivalent d'un immeuble de près de quinze étages ! La carte ci-dessous indique le déplacement du colosse de Néron à l’époque d’Hadrien.

[58] Architecte qui commanda l’aménagement du Forum de Trajan et celui du pont de Trajan sur le Danube. Il se brouilla ensuite avec Hadrien, qui, selon Dion Cassius, l’exila et le poussa à la mort (pour s'être moqué de plans que lui-même avait élaborés).

[59] Vie d’Hadrien, 19.

[60] Dans les Mémoires d’Hadrien (page 246), Marguerite Yourcenar précise que Décrianus « avait habilement remanié les plans » de son mausolée.

[61] La représentation de l’architecte est rare dans l’art romain. Nous ne possédons aucun buste des grands architectes comme ceux de la Domus Aurea de Néron (Severus et Celer (Tacite, Annales, XV, 42)) ou d’Apollodore de Damas, sous Trajan et Hadrien. Même l’idenité de l’architecte du Colisée nous est inconnue, comme c'était généralement le cas pour la plupart des ouvrages romains. Vitruve, lui-même, nous signale ses œuvres, mais nous ne connaissons pas ses traits.

[62] Le Chronicon Paschale (appelé aussi Chronique pascale ou Chronicum Alexandrinum ou Constantinopolitanum, ou encore Fasti Siculi) est une chronique byzantine de l'histoire du monde rédigée au VIIe siècle. Son nom vient du fait qu'elle utilise un système de chronologie fondé sur le cycle pascal.

[63] Une maquette semblable existe également au musée de la Civilisation romaine à Rome (malheureusement fermé depuis de nombreuses années).

[64] Comme semblent l'indiquer les traces de réparation et les entailles (échancrures rectangulaires) notamment visibles entre la joue et l'oreille droites. Le bronze colossal de Constantin montre en outre un espace ouvert entre les oreilles et la face où une barbe pouvait être attachée.

[65] Un nez aquilin.

[66] Cf. Son article « Il Colosso di Nerone-Sol a Roma : una « falsa » imitazione del Colosso di Helios a Rodi. A proposito della testimonianza di Plinio e della ricostruzione del basamento nella valle del Colosseo ».

[67] C’est-à-dire la réutilisation de matériaux (colonnes, des chapiteaux et des plaques de marbre comme c’est le cas dans l’arc de Constantin), soit pour des raisons purement économiques, soit dans un but d’appropriation culturelle (motifs idéologiques, esthétiques ou apotropaïques. C’est ainsi que l’arc de Constantin montre des remplois de monuments antérieurs, depuis l'époque de Trajan.

[68] Marina Prusac, pp. 124-128.

[69] Il existe une autre interprétation selon laquelle ces matériaux auraient été fondus pour couler des canons (un usage classique du bronze) pour les fortifications du Château Saint-Ange.

[70] Il y eut en fait trois pillages « barbares » de Rome : en 410 (les Wisigoths d’Alaric), en 455 (invasion vandale de Genséric) et en 546 (les Ostrogoths de Totila). En 476, Romulus Augustule, le dernier empereur romain avait été déposé par Odoacre, commandant de la garde prétorienne et premier roi « barbare » de l’Italie, ce qui mettait fin ipso facto à l'Empire romain d'Occident et marquait le début du Moyen Age.

[71] « Il eut le malheur de tomber sous la plume de Suétone et de Tacite, qui en ont transmis une image perfide et vicieuse. » (Nerone de Roberto Gervaso). Résumé FNAC (https://www.fnac.com/livre-numerique/a13328615/Roberto-Gervaso-Nerone).

[72] Suétone et Tacite avaient des relations dans l'élite du Sénat et commémoraient le règne de Néron avec un solennel mépris.

[73] Éva Dubois-Pelerin, « Luxe privé/faste public : le thème de l’aedificatio du IIsiècle av. J.-C. au début de l’Empire », Mélanges de l'École française de Rome - Antiquité, 128-1 | 2016.

[74] Voir Philippe Durbecq, « La Naples antique et les raisons de son « effacement » à la fin de l’Empire romain d’Occident ».

[75] François Ripoll, Aspects et fonction de Néron dans la propagande impériale flavienne, dans J. M. Croisille, R. Martin, Y. Perrin (dir.), Neronia V. Néron : histoire et légende, Bruxelles, 1999 (coll. Latomus 247), p. 137-151.

[77] Alain Michel, Tacite et le destin de l’Empire, p. 165.

[78] Nerone de Roberto Gervaso.

[79] Doctrine que le Concile de Nicée, présidé par Constantin venait de condamner deux ans plus tôt comme hérétique ! Cédant aux arguments d’Eusèbe de Nicomédie, Constantin remet en selle l’arianisme qui ne sera réellement éradiquée que lors du concile de Chalcédoine.

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