La Naples antique et les raisons de son « effacement » à la fin de l’Empire romain d’Occident
La Naples antique et les raisons de son « effacement » à la
fin de l’Empire romain d’Occident
(par Philippe Durbecq)
A Madame Jacqueline
Leclercq-Marx, experte reconnue en matière de mythe des Sirènes, qui a eu la
bonté de relire mes épreuves à ce sujet,
A Madame Annie
Verbanck-Piérard, l’amie de Mariemont. En souvenir et en espérance,
A Madame Maria
Franchini, auteure, en remerciement pour les précieux renseignements sur Naples
qu’elle a eu la gentillesse de me communiquer,
A tous les Napolitains,
peuple tellurique et ingénieux, à la vitalité et à l’honnêteté exemplaires.
1. Rappel historique
1.1.
La fondation de Neapolis
Stendhal nous dit que « Naples est sans comparaison à ses yeux « la plus belle ville de l’univers [1] » et je lui donne raison : ma première découverte de cette ville prodigieusement riche a été, à mon adolescence, il y a plus de quarante ans, lorsque j’ai lu Graziella d’Alphonse de Lamartine et sa sublime description de la baie de Naples, car le roman ne se passe pas dans la Naples des palais, mais dans celle des petits paysans et pêcheurs des îles (Graziella est la fille « lumineuse » d’un pêcheur de Procida), « qui vivent parmi leurs jardins et leurs vignes aussi simplement qu'aux plus beaux jours du monde antique [2] ».
Comme tout le monde le sait, Naples fut fondée au VIIIe-VIIe siècle av. J.-C. par des colons Grecs [3] et « la cité apparaît au cours de son histoire comme un lieu carrefour où vinrent successivement se joindre des Grecs de diverses origines : des Eubéens d’abord, conduits par le dieu Apollon en personne [4], puis des Grecs de Pithecusses (Ischia) et de Cumes, enfin des Athéniens qui vinrent grossir la population de la cité. Dans cet empilement de strates grecques, la composante « attique » de la population napolitaine est toujours soulignée ; elle permet de conférer à la cité un peu du prestige détenu par les Athéniens dans l’imaginaire romain [5]. ».
Les colons chalcidiens (provenant de la ville de Chalcis située sur l’île d’Eubée) avaient d’abord débarqué à Punta Chiarito [6], au sud d’Ischia, l’antique Pithecusses, une île d’origine volcanique née du ventre du mont Epomeo. Les Grecs y avaient établi une première colonie, à l’ouest de l’île en s’installant finalement à l’emplacement du Castello Aragonese [7].
Le Castello aragonese à Ischia (auteur : — Travail personnel – URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ch%C3%A2teau_aragonais_%28Ischia%29#/media/Fichier:Castello_Aragonese.jpg) ; à gauche, le Vésuve, à droite, Capri
Ce n'est que lorsque la colonie de Pithecusses [8] fut assurée de sa
sécurité qu'une partie de la population osa s’aventurer sur la terre ferme, à
moins que la population de Pithecusses n'ait été poussée à quitter l’île
à la suite d’un tremblement de terre et ne soit venue se réfugier à Cumes (la Kyme grecque, la future Cumae
romaine). En tout cas, la colonie grecque de Cumes est
fondée peu après celle de Pithecusses par des Eubéens.
L'histoire de la Naples grecque débute donc vers le milieu du VIIe siècle av. J.-C. avec la fondation du premier noyau de la ville. Il s’agit de Parthenopè, la Palaiopolis ou vieille ville de Naples que les colons bâtissent en prenant appui sur l'îlot de Mégaride (aujourd'hui Castel dell'Ovo), en y construisant un epineion (port) [10] et en occupant le promontoire de Pizzofalcone.
DAO : Flore Lerosier d’après Pontrandolfo 1986, Longo-Tauro 2016 et Giampaola et al. 2017(licence : CC BY-NC-SA 4.0 – source : https://publications-prairial.fr/frontiere-s/index.php?id=682)
Les galeries, découvertes par le Professeur Filippo Avilia [11]
peuvent presque certainement être attribuées à la première phase grecque de Parthenopè
(dans la seconde moitié du VIIe siècle avant J.-C.), en tant que structures
défensives du débarquement (les colonies côtières grecques ont toujours connu un
double débarquement). La datation est indicative car les structures en tuf ne
conservent pas de fossiles marqueurs qui permettent une datation mais c'est
leur forme trapézoïdale et leur profondeur qui permettent d’établir une
correspondance avec cette période historique. De plus, sur le même site ont également
été retrouvés (toujours sous l'eau) une route creusée dans le tuf avec des
traces de chariots et un bassin circulaire. Pour le professeur Avilia, il
s’agit donc de structures bien adaptées à une phase ultérieure à un premier
débarquement, probablement au moment où la colonie commençait à prospérer.
A noter que Cumes (Kyme en grec, mot qui signifie « vague ») est la première colonie grecque continentale [12] de la Méditerranée occidentale et qu’au cours des années qui suivent sa fondation, celle-ci se développa très rapidement grâce au commerce avec le Latium et le reste de la Campanie, ce qui a engendré un essaimage de colonies dans les environs : à Baiae, Puteoli, Neapolis, Musenum et Capri. La Sibylle de Cumes a été l’un des oracles les plus connus et les plus consultés du monde antique. Elle apparaît dans la légende d'Énée [13] (le héros la consulte avant de descendre aux Enfers pour rendre visite à son père, Anchise, et être rassuré à propos de sa descendance) et dans celle du roi d'origine étrusque Tarquin le Superbe, qui achète à la prophétesse les trois derniers livres sibyllins (la Sibylle ayant détruit par le feu les six premiers).
La Sibylle de Cumes
(Michel Ange, chapelle Sixtine – photographie dans le domaine public – source/auteur :
en:wiki) ; à droite
« l’antre de la Sibylle [14] »
(Free Art License 1.3 – auteur : Bobbylamouche sur Wikipedia français)
Les tensions entre les Grecs et leurs voisins étrusques, déjà présentes auparavant, s’exacerbèrent au Ve siècle. Une confrontation eut lieu en 474 avant J.-C. lors de la bataille de Cumes entre les flottes étrusque et grecque. La bataille se solde par l’écrasante défaite des Étrusques [15], infligée par les flottes coalisées de Cumes et de Syracuse (avec à sa tête le tyran [16] Hiéron Ier). Un casque de bronze (dont un exemplaire se trouve au British Museum et un autre à celui d'Olympie) commémore l’événement [17].
Casque
du British Museum commémorant la bataille de Cumes. Photo dans le domaine
public (CC BY-SA 4.0) – auteur : G. Garitan (travail personnel) – URL :
https://en.wikipedia.org/wiki/Hiero_I_of_Syracuse#/media/File:Casque_Hieron_de_Syracuse_08827.jpg
Le musée di Villa Arbusto d’Ischia conserve un précieux témoignage de cette époque : il s’agit de la célèbre Coupe dite de Nestor, un vase de symposion à décor géométrique importé de Rhodes et portant une des plus anciennes inscriptions grecques (en alphabet eubéen [18]). L’inscription est dextroverse rétrograde (elle se lit de droite à gauche) et fait allusion à la coupe de Nestor décrite dans l’Iliade d’Homère [19].
Coupe de Nestor du Musée d’Ischia. Photo dans le domaine public (CC BY-SA 3.0) – auteur : Antonius Proximo (travail personnel) --URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Coupe_de_Nestor_(Pith%C3%A9cusses)#/media/Fichier:Nestor's_Cup_Ischia_Front.jpg
Deux siècles après la fondation du premier
noyau urbain de Naples (la Parthenopè), vers 470 av. J.-C., les habitants de l’île d’Ischia (désormais sous le
contrôle politique de Syracuse) et de la ville de Cumes implantèrent, à l’est de l’établissement primitif, à l’endroit exact de
l’actuel centre historique de Naples, leur « nouvelle » colonie, Neapolis,
la bien nommée « Nouvelle ville ». En italien, Napoli a
conservé, de manière mieux visible, cette trace de sa naissance. Ce toponyme a été donné à de nombreuses autres colonies
grecques autour du bassin méditerranéen, un nom qui a souvent évolué par la
suite : ainsi la ville de Naplouse en Cisjordanie est l’ancienne Flavia Neapolis,
idem pour Nabeul en Tunisie ou Novigrad en Croatie[20],
mais nous avons aussi la trace de ce phénomène avec les équivalents en français
(Neuville ou Villeneuve), en allemand (Neustadt) ou en anglais (Newtown). Notons
encore que « Neapolis, ne fut, à la différence d’autres noms de
lieux campaniens comme Cumae ou Puteoli, jamais latinisé. Non seulement ce nom
« sonne grec », mais il fait explicitement référence à l’histoire
grecque de la cité [21] ».
En 432 av. J.-C., une colonie d’Athénien conduite par le stratège athénien Diotime vint se fixer à son tour dans la ville grecque. Diotime institua des jeux annuels en l’honneur de Parthenopè. Cette présence athénienne est attestée par des pièces de monnaie.
Dans leur colonie de Neapolis, les Grecs apportèrent leurs techniques viticoles. En témoigne encore de nos jours le nom du vin Greco di Tufo [22] (grec et tuf) : « racines civilisatrices et racines volcaniques dans le nom même du vignoble ! Vin blanc qui glisse directement des collines de l’Irpina contre la voûte de votre palais [23] ».
Une digression s’impose, il nous faut en effet à ce stade définir les termes que nous venons d’énoncer : qu’est-ce qu’une colonie ? C’est un territoire occupé par une communauté qui provient d’une cité originelle et qui est fondée à l’occasion d’une cérémonie particulière (car l’expédition a un caractère religieux [24]) où l’on transporte le feu depuis la cité d’origine jusqu’à la colonie, ce feu représentant l’esprit de la mère-patrie. En embarquent avec eux le feu du foyer et les dieux de leur cité, les futurs colons honoreront les mêmes divinités, créant ainsi une solidarité de nature religieuse entre la métropole fondatrice et la colonie. Ces dieux étaient censés prendre possession du territoire de la colonie et évincer les dieux indigènes.
Remarquons d’emblée que la colonisation grecque est une expression qui pose problème aux historiens [25] : elle émane du latin colonia, qui relève donc de la culture romaine et est supposée correspondre au grec ancien apoikia, « éloignement du foyer », et au processus d’apoikismos. Ce terme « colonisation », appliqué à la Grèce archaïque, est encore employé par les spécialistes, mais uniquement par commodité, et en tenant compte de toutes les restrictions implicites partagées par la communauté des historiens et archéologues, surtout anglo-saxons. On parle plus couramment d'« essaimage [26] ».
Les causes de cette colonisation sont multiples : démographiques, politiques et économiques.
Les causes démographiques sont essentiellement liées au fait que la Grèce est composée de nombreux territoires séparés les uns des autres et qui sont arides. Celui qui est déjà allé en Crète se souviendra des paysages quasi désertiques qu’il aura traversés.
Il peut donc se produire un phénomène de surpopulation relative dans ce pays austère où les terres sont chiches en production et il est alors nécessaire de trouver d’autres surfaces cultivables, en particulier lorsque les terres des paysans sont morcelées dans le cadre d’un héritage entre les fils d’une même famille, par exemple.
Une deuxième cause, politique celle-là, peut être liée à des dissensions à l’intérieur de la métropole (« cité-mère », métro renvoyant à mater en latin). Lorsque l’on ne parvient pas à s’entendre et à partager le pouvoir, des groupes de dissidents se créent parfois et ceux-ci partent alors tenter leur chance ailleurs.
Enfin, il ne faudrait pas négliger les causes de type économiques. Quand l’on dit économiques, il ne faut surtout pas confondre la colonisation commerciale et la colonisation agricole. En effet, la colonisation commerciale – si elle a existé – ne doit en aucun cas être surestimée.
On remarque que c’est sur le pourtour de la Méditerranée que les colonies essaiment depuis la métropole. Elles s’implantent donc presque toujours à proximité de la mer.
Toutefois,
la plupart de ces colonies n’avaient pas la vocation à produire pour exporter
ou pour servir de relais (comptoirs) par rapport à des biens qui venaient du
bassin oriental de la Méditerranée (la mer Egée et l’Asie Mineure). La grande
majorité de ces colonies avaient une vocation agricole, au départ en
tout cas, ce qui rejoint la première cause évoquée. En effet, lorsque l’on quitte
sa patrie, ce n’est pas tellement pour faire du commerce, mais c’est
essentiellement pour trouver des terres qui permettront à une population de satisfaire
ses besoins élémentaires : se nourrir.
Image issue du site https://guycuvelier.weebly.com/uploads/1/7/4/1/17419819/le_monde_grec_-_s%C3%A9quence_4_-_version_%C3%A9l%C3%A8ve.pdf
Sur la carte, nous
voyons que les côtes de l’Asie Mineure ont été colonisées (dès le XIIe siècle),
avec des villes comme Milet ou Halicarnasse. Plus tard, le sud de l’Italie et
la Sicile vont constituer un terrain propice à la colonisation : on peut
citer, dans le sud de l’Italie, les villes de Sybaris (en Calabre actuelle,
détruite par la cité de Crotone) [27],
de Crotone, de Tarente, de Naples évidemment ; en Sicile, Tyndaris (fondée par Tyndare,
roi de Sparte, c’était aussi le nom de la fille de la maîtresse d’Horace, citée
à l’Ode I.17), Eryx, Cefalù (le rocher était l’acropole
de la cité grecque), Ségeste (détruite par Agathocle de Syracuse [28]
dans un massacre épouvantable raconté par Roger Peyrefitte [29]),
Agrigente, Gela, Motya [30], Syracuse,
Naxos (au pied de Taormina) [31]. Après la bataille des Iles
Egades, en 241 av. J.-C., toute la Sicile tombe sous le joug de Rome, sauf
Syracuse.
Les Grecs, en l’occurrence les Phocéens [32], iront beaucoup plus loin puisqu’ils fonderont une colonie à Marseille (Massilia, appelée aussi « cité phocéenne »), Agde (Agathé Tyché, « la bonne fortune »), Antibes (Antipolis, « la ville d’en face »), Nice (Nikaïa, « qui donne la victoire », épithète attachée au nom d’une divinité, peut-être Artémis ou Athéna honorée à Marseille), et Ampurias en Espagne (d’Emporion qui, en grec, désignait une place de commerce maritime).
Sur la côte africaine, nous trouvons Cyrène en Libye actuelle et Naucratis dans le delta égyptien.
Les Grecs vont aussi coloniser les côtes du Pont-Euxin en créant des relais vers les riches terres de l’Ukraine (une contrée tristement célèbre de nos jours en raison de la brutalité inouïe de son conflit avec la Russie) et de la Crimée. L’Ukraine était considérée comme un grenier à blé et l’est d’ailleurs toujours [33]. On ne le sait que trop puisque ce pays est sous les feux de l’actualité. Sur ce point, l’histoire rejoint donc le présent.
1.2.
Les mythes de fondation : la légende de Parthenopè
A chaque ville est attaché un mythe de fondation : Rome a sa louve, Naples a sa « petite sirène ». Or, le mythe est inséparable de l’art antique.
Contrairement à ce que l’on peut penser aujourd’hui, les artistes et les hommes de lettres grecs n’imaginaient nullement les Sirènes comme des créatures mi-femme mi-poisson, mais comme des oiseaux à tête ou buste humain. C’est ainsi qu’une mosaïque du musée du Bardo nous les montre, pourvues de pattes de gallinacé. Il en va de même pour la Sirène du Ve siècle av. J.-C. représentée sur un vase retrouvé à Sant’Agata sui Due Golfi et conservé à Piano di Sorrento dans le musée George Vallet.
La Sirène était en effet d’abord une femme à corps d'oiseau. Sur la représentation schématique de l'univers imaginaire des Grecs ci-dessous (à gauche), on constatera que les Sirènes se situent parmi les « êtres fabuleux » et dans la zone de la sauvagerie et de la barbarie [34] (celle qu’Ulysse parcourt lors de son retour à Ithaque). A droite, on a la tête du héros (en l’occurrence Ulysse) issue d'un groupe de sculptures en marbre du Ier siècle de notre ère (découvert dans la villa de Tibère à Sperlonga et conservé au Musée national archéologique de Sperlonga) représentant le héros tuant le cyclope Polyphème. Sur le schéma, on voit donc que le héros peut aller à la rencontre de ces êtres ou animaux fabuleux et les combattre à sa façon [35].
A
gauche, dessin personnel (Philippe Durbecq) sur ordinateur de l’univers
imaginaire des Grecs ; à droite, la tête d’Ulysse (photo dans le domaine
public – Source : travail personnel extrait de l’exposition
« Iliade » organisée au Colisée à Rome de Septembre 2006–Février 2007
– Auteur : Jastrow – URL : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Head_Odysseus_MAR_Sperlonga.jpg)
Comme le rappelle Madame Leclercq-Marx, l'île des Sirènes n'a pas échappé aux tentatives de localisation. Lorsque les aventures d'Ulysse furent situées dans la mer Tyrrhénienne, on plaça les Sirènes soit en Sicile – sur le cap Pelorias, dans l'Etna ou à Catane –, soit aux Sirénusses. Ce nom fut donné par certains à un petit archipel composé de trois îlots dans le golfe de Posidonia, par d'autres, au cap qui sépare le golfe de Cumes de celui de Posidonia sur lequel, par ailleurs, un temple leur était consacré.
La légende veut que le nom de l’archipel de Li Galli (« les coqs ») situées non loin de Positano et d’Amalfi, dérive de l’iconographie des sirènes, c’est-à-dire de l’apparence que l’art grec leur avait attribuée, à savoir celles de femmes-oiseaux. L’assimilation de l’archipel de Li Galli avec les sirènes n’est pas un hasard : ces dernières représentent dans la mythologie grecque les obstacles et les dangers pour la navigation, et dans cette zone en particulier, les courants marins qui ont souvent drossé les bateaux sur les rochers où ils s’y fracassaient, les faisant ainsi faire naufrage.
L’archipel de Li Galli (photo issue du site Campania e Dintorni – source : https://conosciamonapolielacampania.wordpress.com/2016/08/05/campania-terra-delle-sirene/ - auteur : Orlando Catalano)
Le nom
latin de Sorrente, Surrentum, pourrait également provenir de ces
créatures fabuleuses. Capri, elle aussi, est associée aux Sirènes : le
promontoire de Marina Piccola est appelé « Scoglio delle Sirene »
(« l'Ecueil des Sirènes »). Et ce n'est pas tout : de mystérieuses
grottes comparables à celles, plus célèbres, de Capri, s'appellent Grottes des
Sirènes et à Massa Lubrense (Lubrensis
vient de delubrum = partie du temple
– templum – dans laquelle était élevé l’autel ou la statue de la
divinité), près de Sorrente, un sanctuaire était voué au culte des Sirènes [36] (à côté de ce dernier on
a construit, pour exorciser le lieu, une église consacrée à Santa Maria della
Lobbra, mais les mêmes fêtes qu'on célèbre en l'honneur de la Madone demeurent,
tant la tradition inconsciente est vivace, les antiques fêtes des
sirènes).
La Sirène, c’est en effet la séduction de la mort. Elles sont au courant du sort des hommes (un peu comme les Parques) et il existe même une catégorie de sirènes psychopompes, comme on peut notamment le constater sur ce bas-relief du British Museum (photo de gauche) où l’on voit une Sirène funéraire porter l’âme d’une petite figure féminine qui tend la main pour toucher le menton de la créature (un geste traditionnel de supplication). Sur l’urne cinéraire campanienne du musée royal de Mariemont (photo de droite), le couvercle supporte quatre sirènes et un Hermès criophore, ce qui est très intéressant. Pourquoi ?
A gauche, bas-relief avec une Sirène psychopompe (photo dans le domaine public https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Kybernis_north_BM_B287_n2.jpg) ; à droite, l’une cinéraire campanienne du musée royal de Mariemont © Musée royal de Mariemont
Lécythe
attique à fond blanc du Peintre de Thanatos des Staatliche
Antikensammlungen de Munich (photo sous licence Creative
Commons Attribution-Share Alike
4.0 International
– auteur : ArchaiOptix (travail personnel) – URL : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Thanatos_Painter_ARV_1228_11_Charon_receiving_Hermes_and_a_deceased_woman_(06).jpg
Sur le couvercle de l’urne campanienne du musée royal de Mariemont, Hermès est figuré
en porteur de bélier (Hermès criophore), par allusion à sa fonction de dieu des
troupeaux d'ovins. Il fait penser au moscophore, le porteur de veau, un jeune
homme [38] barbu (signe d’un
homme mûr) et au sourire archaïque présentant l’animal qui va servir au
sacrifice (cette iconographie sera par ailleurs reprise dans l’art chrétien par
l’image du Bon Pasteur ramenant sur ses épaules la brebis égarée ou une chèvre
dans le cas de la fresque des catacombes de Priscille à Rome). Et, autour de
cet Hermès tournoie une ronde de quatre Sirènes qui, dans un geste
apotropaïque, lèvent les mains, paumes en avant pour protéger les cendres. Nous
avons donc Hermès et les Sirènes qui conjuguent leurs efforts pour assurer le
passage vers l’au-delà.
Toutefois,
les connaissances des Sirènes sont plus spécifiquement musicales. En Grèce, la
musique est considérée comme un art qui construit le cerveau (elle est
enseignée au même titre que les autres matières importantes) et elle se
présente sous forme de code (cf. les théories pythagoriciennes qui se basent
sur le calcul).
Parmi les Sirènes, combien d’entre elles chantaient ? En fait, dès la première évocation connue – chez Homère (au chant XII de son Odyssée) – elles chantent toutes les deux, Parthenopè [39] et Ligeia [40]), et ce sera le cas chez la majorité des auteurs (qui porteront parfois leur nombre à trois ou le multiplieront quelquefois à l'infini !), bien que l'un ou l'autre en fasse des musiciennes spécialisées. Cette double tradition se maintiendra au Moyen Âge et entraînera évidemment des répercussions sur les arts figurés (à moins que ce soit l'inverse...). Quoi qu'il en soit, c'est leur qualité de chanteuses qui explique à l'évidence leur confusion ultérieure avec des ondines germano-celtiques (nixes ou nix en allemand[41]) tantôt bénéfiques, tantôt dangereuses, auxquelles on attribuait une voix ensorcelante. Propriété qui a joué un rôle déterminant dans leur métamorphose, à terme, de femme-oiseau en femme-poisson[42] (cf. le mot sirena qui fut glosé par le mot merimenni [43] au très haut Moyen Âge) [44].
Ulysse, prévenu par la magicienne Circé, a pu ouïr leur chant magique destiné à attirer sur les récifs les marins dont elles faisaient leur pâture. Orphée a pu les entendre aussi, mais il jouera une musique encore plus mélodieuse lorsque passeront Jason et ses Argonautes [45]. Les Muses font une musique encore plus merveilleuse. Un concours aura lieu opposant les Sirènes aux Muses duquel ces dernières sortiront victorieuses.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que, si Naples devint la capitale de la musique, c’est que la musique a toujours eu une importance capitale dans cette ville. « Tite Live et Virgile le confirment en se disant émus par les voix mélodieuses qu’ils entendent dans les rues de Neapolis. Sénèque, lui, se plaint que les Napolitains désertent les lieux de la « haute culture » pour s’entasser dans les théâtres où se produisent des chanteurs. Quant à Néron, grand passionné de musique, il vient s’exhiber à Naples et chante en grec. A ces occasions, il aurait inventé la claque en enrôlant des groupes d’Alexandrins, nombreux à Naples, qui applaudissaient en faisant beaucoup de bruits avec leurs instruments (d’où dérive une partie de ceux utilisés pour jouer la musique traditionnelle). » nous confie l’auteure Maria Franchini dans son article « Brève histoire de la musique à Naples. Ce virus qui fait chanter les Napolitains [46] ». Ajoutons encore que le mythe de Parthenopè a servi d’argument à toute une série d’opéras baroques portant ce nom (œuvres de Caldara, Haendel, Hasse, Porpora, Scarlatti, Soler, Vinci pour ne citer que les compositeurs les plus célèbres).
Avec Platon (Livre X de La République), les sirènes ne sont plus seulement les gardiennes des cendres du mort, mais elles deviennent des actrices de la mécanique céleste : dans son monde parfait constitué de sphères qui s'emboîtent les unes dans les autres [47], chacune d’elles se tient sur l’une de ces sphères et fait entendre une note unique et différente qui, se conjuguant avec celle de ses sœurs, donne une octave parfaite : ensemble, les sirènes chantent l’harmonie des sphères (dans la Grèce antique, astronomie, mathématique et musique étaient des sciences étroitement liées entre elles). Les Sirènes de Platon ne sont donc plus là pour détourner les hommes de leur route, mais pour les inciter à reproduire dans leur vie l’harmonie dont elles donnent l’exemple. Cette conception des Sirènes revisitée par la philosophie la plus éthérée est une vision parmi d'autres, mais qui ne doit pas être négligée vu l'impact qu'aura cet auteur à la Renaissance.
(image
issue du site https://www.astronomie.dalzon.be/pythagore.htm avec
l’aimable autorisation d’Olivier Jaminon de l’Université de Namur)
Dans le règne animal, les lamantins sont liés aux légendes des Sirènes [48], même si les Grecs n’ont pas pu connaître ces animaux vivant en eaux littorales peu profondes, dans les lagunes ou à l'embouchure des fleuves et dans les marais côtiers de la zone tropicale de l'océan Atlantique.
Photo
de lamantin issue du site https://emmenez-nous-au-bout-de-la-terre.com/2018/11/12/lamantins-et-requins-du-golfe-du-mexique/
Nous connaissons tous ce célèbre épisode du chant XII de l'Odyssée dans lequel le rusé Ulysse est ligoté au mât de son navire afin d'entendre le chant mortifère des Sirènes [49], alors que ses compagnons ont les oreilles bouchées de cire pour éviter d’être ensorcelés par celui-ci. Les représentations conservées de cet épisode sont relativement nombreuses [50]
Philippe Durbecq
(travail personnel) sur une photo issue du site https://artifexinopere.com/blog/interpr/peintres/waterhouse/2-sirenes-de-proie/
Quand le peintre John William
Waterhouse a peint ce tableau, il a inversé la scène du vase du British Museum pour
la rendre plus lisible à ses contemporains (dans le sens habituel de lecture). Il
a respecté le rapport de force (sept Sirènes contre quatorze marins), le pilote
est presque entièrement masqué par une Sirène en plein vol, mais nous
retrouvons le gouvernail en forme de rame maintenu en position à l’aide
d’une corde. Le peintre a remplacé les bouchons de cire (difficiles à
représenter) par des foulards (un des marins a même gardé son casque et un
autre, assis contre le bastingage, se bouche, des deux mains, les oreilles, acoustiquement
saturé par les chants).
Contrairement à la scène du vase du British Museum, la voile, au lieu d’être carguée (afin d’offrir le moins de résistance possible au vent), est au contraire déployée et gonflée par un vent qui souffle dans la bonne direction, rendant incompréhensibles les efforts des rameurs. En répartissant les Sirènes en cercle à l’intérieur du cirque des falaises, Waterhouse donne l’impression d’oiseaux de proie tournoyant autour d’une charogne, plutôt que de divinités aériennes aux vocalises enchanteresses. L’œil propitiatoire de la proue, conforme à l’original grec, a été dupliqué sur la partie incurvée de la poupe.
Enfin, signalons qu’Homère n'a fourni aucune description physique de l'apparence des Sirènes. S’inspirant du vase du British Museum, Waterhouse a opté pour une représentation sous forme d’oiseaux à visages humains, typiquement préraphaélites (cf. Burne-Jones), un concept qui a surpris le public victorien, plus accoutumé à voir ces créatures mythiques dépeintes sous les traits de femmes-poissons.
Ulysse et les Sirènes – Peinture
de John William Waterhouse, National Gallery of Victoria, Melbourne, Australie
(domaine public – URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ulysse_et_les_Sir%C3%A8nes_(Waterhouse)
Devant la ruse d’Ulysse, Parthenopè et Leucosia tentèrent de rejoindre le bateau pour essayer de le détourner de son parcours, mais en vain. Elles se noyèrent alors de dépit [51] et leur corps fut transporté par les courants : l’un vers la Calabre (Ligeia [52]), le deuxième (Parthenopè) vers le Vésuve et Neapolis, le troisième enfin (Leucosie) vers le golfe de Salerne, sur l’île de Licosa, au sud de Paestum et les endroits furent baptisés respectivement « Ville de Parthenopè », ancien nom de Naples [53] et « Punta Licosa ».
Parthenopè échoua plus précisément sur l’île de Megaris. Toujours selon la légende, les colons grecs recueillirent sa dépouille et l’inhumèrent dans une tombe située à l’emplacement de l’actuel château de l’Œuf [54] qui correspond à celui de l’antique île de Megaris.
A gauche, vue de la « salle des
colonnes » du Castel dell’Ovo (photo Roberto De Martino (travail
personnel) – utilisateur : Dr. Conati – Licence CC BY-SA 2.0 ; à droite l'œuvre
« L'énigme de Virgile » de la rétrospective « Raimondo
Galeano 1970-2014 » au Castel dell'Ovo (photo du portail
Tuttosullegalline.it – URL : https://www.tuttosullegalline.it/le-galline-nella-storia-e-nella-cultura/castel-dell-ovo-napoli/)
La « petite sirène » de Naples, Partenope, est une fontaine de la place Sannazaro à Naples appelée, par les Napolitains goguenards, la funtana d'zizze (« la fontaine aux seins »). Elle y apparaît en femme-poisson (avec la queue enroulée autour des hanches et une lyre sous le bras droit). Mais sur une autre fontaine, celle de la Spinacorona [55], elle est montrée à nouveau sous son aspect de femme-oiseau, arrêtant une éruption volcanique en éteignant les flammes du Vésuve à travers l’eau qui jaillit de ses seins.
A gauche, la fontana della Sirena sur la piazza Sannazaro à Naples (Licence CC BY-SA 4.0 - auteur : Baku (travail personnel) ; à droite, la fontana della Spinacorona en cours de restauration en 2015 (photo issue du site https://monumentandonapoli.com/2015/06/30/restaurata-la-sirena-della-fontana-spina-corona/)
Les Sirènes semblent avoir évolué à
partir d'un récit primitif des dangers de l'exploration précoce combinée avec
une image orientale de femme-oiseau. Les anthropologues expliquent l'image
orientale comme une « âme-oiseau », un fantôme ailé (à cet égard, les
Sirènes avaient des affinités avec les harpies).
De nos jours, sur l'art antique fécondé par tout ce qui s'est fait au Moyen Âge, nous rebâtissons notre propre imaginaire : la petite sirène de Walt Disney [56], fillette qui s'arrache de l'adolescence vers l'âge adulte, n'est plus ce prédateur de la mythologie, mais au contraire la victime prête à être dévorée.
1.3. Les vestiges grecs à Naples
Le centre historique actuel de Naples occupe l’emplacement exact de l’ancienne cité grecque et romaine. Qu’en reste-t-il ?
La cité avait en fait deux noyaux primitifs : le premier est le Pizzofalcone [57] sur lequel naquit la cité de Parthenopè, la seconde est la zone des decumani d'où émergea Neapolis.
Le decumanus maximus, le Spaccanapoli (le « Fend-Naples » en français) est une artère de six mètres de large et de deux kilomètres de long qui tranche en deux la partie historique de la ville depuis l’église de la Madone des Sept-douleurs jusqu’à l’église de l’Annonciation.
En plein milieu de la Piazza Vincenzo Bellini où se dresse la statue homonyme du compositeur de Norma, le sol a été excavé et laisse voir les vestiges du tracé de l’ancien mur d’enceinte grec. Les Grecs, en extrayant du sol les blocs nécessaires à la construction de ces remparts ont créé d’énormes cavités sous le sol qui deviendront plus tard des sépultures souterraines. Les Romains ont ensuite utilisé ces cavités pour alimenter la ville en eau (elles devinrent alors des citernes). L’appareil rectangulaire de ces remparts est dit « isodome [58] », c’est-à-dire que l’on a affaire à une construction en maçonnerie dans laquelle les assises de pierres sont égales (iso, « égal », et dóma, dómatos « maison » dont est issu domus en latin).
L’association « Napoli Sotteranea » (« souterrains de Naples ») organise des visites [59] de l’itinéraire enfoui sous terre (à 40 mètres de profondeur) des galeries et cavités creusées initialement par les Grecs pour extraire le tuf nécessaire au renforcement des murs de la ville. Les Romains réutiliseront plus tard ces espaces souterrains comme citernes pour recueillir l'eau de pluie, dans le cadre d’un réseau complexe d’aqueducs.
Toujours dans la Naples souterraine, on trouve les vestiges de l’avant-scène (proscenium) du théâtre gréco-romain [60] de Neapolis où Néron s’est produit [61] (le reste de l’édifice (cavea) a été laissé volontairement parmi les immeubles « modernes »), ainsi que des hypogées hellénistiques qui faisaient partie d’une nécropole à ciel ouvert (ressemblant grosso modo à Petra, Jordanie), autrement dit, un ensemble de tombes grecques qui représentent un témoignage rare en Europe.
Mais les
traces de la longue influence grecque à Naples ne sont pas seulement visibles
dans les restes archéologiques encore présents dans le ventre de Naples, mais
également dans la langue [62] napolitaine.
Ainsi, des termes helléniques y sont-ils encore bien présents : par exemple le purtuallo (l'orange en français, l’arancia en italien), dériverait du mot grec portokalos [63] et la crisommola (l’abricot en français, l’albicocca en italien) vient du melon Chrysoun [64], qui signifie « fruit doré », probablement en raison de la couleur brillante et dorée du fruit, « comme s’il avait été embrassé par le soleil [65] ».
En napolitain, le basilic
s’appelle vanisicola terme qui provient du grec
ancien « vazilikon », qui à son tour fait référence au mot « vasilias »,
roi. Le mot se traduit donc par « digne
d'un roi ». La référence à la noblesse n'existe pas que
dans cette langue, en effet, en français, le basilic est appelé « herbe royale
». Après tout, le terme italien « basilic » dérive également du
latin « basilicum », c'est-à-dire « plante royale »,
qui vient de « basileus » qui se traduit par « roi ».
Ces trois exemples ne constituent qu’un maigre échantillon des racines grecques dont la langue napolitaine a gardé la mémoire [66].
1.4. La philosophie grecque et romaine à Naples et en Campanie
La Campanie est un creuset pour la philosophie antique. La colonie grecque d’Élée (ou Velia pour les Romains), patrie de Parménide et de son disciple Zénon, fut l’un des phares de celle-ci, avant qu’au Moyen Âge, le sable ne l’ensevelisse dans l’oubli.
Élée fut fondée vers 535 av. J.-C. par les Grecs de Phocée qui fuyaient l'invasion des Perses en Asie Mineure. La création de la cité est, comme d'autres de Campanie, rapportée par Strabon [67] dans sa Géographie, ainsi que par Hérodote. Elée a été le berceau de l’école éléatique, une école de pensée philosophique fondée par Xénophane de Colophon et qui s’est essentiellement intéressée à la métaphysique. Les principaux représentants de cette école sont Parménide et Zénon et Mélissos.
Naples, ce « réservoir de grécité » pour reprendre l’expression d’Emmanuelle Valette-Cagnac, fut, à cet égard, considérée comme un « lieu de formation [68] » par les Romains. A la fin de la République, entre 70 et 40 av. J.-C., s’épanouit à Naples une tradition d’études philosophiques inspirées d’Epicure, dont les promoteurs sont deux philosophes d’origine syrienne : Philodème de Gadara [69] et Siron.
Siron [70] possédait une petite maison de campagne à Naples. Virgile devint l’élève du philosophe dans son école de Naples où il suivait assidument ses leçons [71] et s’installera dans la maison de Siron après la mort de ce dernier, appelée depuis « l’école de Virgile » parce qu’il la transformera en un cénacle de lettrés et de poètes fréquenté entre autres par Horace [72].
Un peu plus bas, à Herculanum, Philodème de Gadara, « le maître épicurien de la baie de Naples », résidait dans la Villa des Papyri appartenant à Pison [73], son protecteur, où se réunissait le Cercle de Campanie [74]. Il a également été le précepteur de Virgile et a influencé l’Art poétique d’Horace [75]. Dans son De Finibus (Livre II, 35, 119), Cicéron [76] écrit que Siron et Philodème étaient des « citoyens excellents et des plus savants ». Le protecteur de Philodème, Pison, était un ami de César, lui-même sympathisant de la philosophie épicurienne.
L’épicurisme fut pourtant, à ses débuts, une philosophie honnie à Rome [77], mais la situation se renversa complètement à partir du Ier siècle av. J.-C. [78] et Naples devint l’un des centres importants du monde grec avec Lampsaque en Asie Mineure (Turquie actuelle, aujourd’hui Lapseki), Mytilène (ville de l’île grecque de Lesbos toute proche de la côte turque) et l’Egypte [79].
En 1752, en perçant des galeries à Herculanum pour trouver des objets de valeur, une bibliothèque antique, celle de la Villa de Pison fut mise au jour. Elle contenait 1800 rouleaux [80], pris d'abord pour des bouts de bois calcinés et qui se révélèrent ensuite être des papyrus [81]. C’est ce qui lui a valu sa dénomination actuelle de « Villa des papyri ».
Philodème avait en effet fondé la précieuse bibliothèque philosophique. Les papyrus qu’on y a retrouvés documentent ses études de logique inductive [82], de théologie, de critique musicale et littéraire. Le rôle du « maître épicurien de la baie de Naples » dans la formation de la philosophie romaine a commencé à être mieux connu, depuis que sont réédités scientifiquement les textes transmis par les papyrus d’Herculanum. Marcello Gigante signale d’ailleurs que Philodème apparaissait « non seulement comme un philosophe, mais aussi comme un philologue épicurien de haut rang [83] ».
La comparaison des différentes polémiques engagées par ces deux figures de la fin de la République romaine que sont Cicéron le Romain et Philodème de Gadara, l’Oriental hellénisé (sur le plan philosophique, politique, théologique et esthétique) a été réalisée dans le livre de Clara Auvray-Assayas et Daniel Delattre, Cicéron et Philodème. La polémique en philosophie.
Le Projet Philodème (en anglais Philodemus Project : https://classics.ucla.edu/faculty-projects/philodemus-project/) est une initiative internationale visant à établir une édition critique des textes de Philodème sur la poésie, la rhétorique et la musique. Ces textes seront publiés et traduits dans une édition critique de plusieurs volumes par les Oxford University Press.
Parmi les papyri de la Villa de Pison, on a également découvert des fragments d’Epicure et de Lucrèce (De la Nature des choses). Lucrèce est un poète latin qui vécut au Ier siècle avant notre ère et connaissant – comme Epicure – la fin d’un monde (celui de la République). Il est l’auteur d’un seul livre inachevé, un long poème philosophique : De la Nature des choses (De rerum natura) où il expose la doctrine d’Epicure et s’intéresse aux origines de l’univers et de la vie (il se situe dans la filiation de Démocrite). Comme le fait remarquer Lambros Couloubaritsis, « on peut considérer ce travail de Lucrèce comme une œuvre de contestation puisqu’il s’oppose à la religion [84] » qu’il considère comme opposée aux valeurs de l’épicurisme.
C’est l’humaniste italien Le Pogge (Poggio Bracciolini) qui, en 1417, découvre ce grand poème de Lucrèce dans l’abbaye de Fulda (près de Cassel en Allemagne), trouvaille à laquelle Stephen Greenblatt attribue, dans son étude historique Quattrocento, un rôle décisif dans la diffusion ultérieure de la philosophie d'Epicure et de ce qui serait son apport essentiel à la modernité, à savoir l'atomisme.
Or, un des éléments qui intervient dans l’intrigue concerne justement les découvertes de la Villa des Papyrus, sur le site archéologique d'Herculanum. En 1987, Tommaso Starace s’est rendu compte que l'un des rouleaux de papyrus était une copie du poème de Lucrèce – une copie du Ier siècle ! Stephen Greenblatt en profite alors pour se plonger dans les détails de la fouille de la villa et de son histoire.
« L’évolution de la philosophie romaine a son intelligibilité propre : elle n’est pas soluble dans l’histoire de la philosophie grecque, hellénistique ou chrétienne. Pas plus que la civilisation et la société romaines ne sont des moments d’autres civilisations et d’autres sociétés. Il y a des influences, des recoupements et des chevauchements, certes, mais pour être impure, la civilisation n’en demeure pas moins l’unité historique fondamentale. Un Romain pense en romain, même s’il adopte une doctrine étrangère. Lucrèce est romain de part en part, quoiqu’il se présente comme disciple d’Epicure ; Tertullien est romain, quoiqu’il se convertisse au christianisme (et le fait qu’il soit théologien ne l’empêche pas d’être aussi philosophe). Un Romain chrétien reste romain avant tout : par l’histoire qui le comprend, par son éducation, par sa mentalité, par sa langue, par son réseau social. C’est la culture romaine qui, de sa propre évolution et en vertu de son ouverture caractéristique, a engendré un christianisme romain. Les conversions, de plus en plus massives à partir du IIIe siècle, sont un fait de l’histoire romaine, qui s’explique par le devenir de la civilisation romaine. Il serait bien naïf de prétendre que l’influence de l’Orient sur les Occidentaux transforme ceux-ci en Orientaux. La pensée d’Augustin d’Hippone appartient à l’histoire de la philosophie romaine, et il y a un abîme entre les Romains chrétiens du Bas Empire et les Européens chrétiens à partir du XIe siècle. Même si leur doctrine a, en apparence, le même contenu, nous avons affaire à deux civilisations et deux cycles d’évolution intellectuelle. Ainsi, l’histoire de la philosophie romaine ne s’arrête pas aux limites du paganisme : elle se poursuit jusqu’à la disparition du tissu culturel romain, c’est-à-dire vers la fin du VIe siècle [85]. ».
1.5.
La Naples romaine
Même
quand elle a été vassale de Rome à l’issue des guerres samnites [86], Naples maintient son
statut de cité grecque [87] (un traité garantit l’indépendance de
la cité et, en -90/-89 av. J.-C., Rome concède la citoyenneté romaine aux
habitants de la Campanie). Les Romains respectent les structures tant
intellectuelles, qu’artistiques et même éducatives grecques de Naples : on y
constate une persistance d’un esprit et des mœurs grecs. La ville conserve en
effet encore ses gymnases, ses éphébies et ses phratries [88], les dénominations y
étaient généralement grecques, et les philosophes, ainsi que les hommes
politiques aimaient s’y réunir.
Comme
l’écrit très bien Emmanuelle Valette-Cagnac, Naples est une « enclave grecque en
pays romain, elle semble échapper aux problématiques traditionnelles de
l’acculturation et de la romanisation [89] ».
Dans le livre de Jean-Michel David par exemple, consacré à la romanisation et à
l’unification progressive de l’Italie [90],
Naples, avec Héraclée, est toujours citée comme une exception ».
Petite digression – mais nécessaire – sur l’acculturation, car ce phénomène est important dans le contexte de cet article : ce que l’on appelle l’acculturation, c’est « le choc des cultures ». Il se retrouve de la préhistoire (avec la néolithisation) jusqu’à nos jours, en passant par toutes les pérégrinations de l’histoire [91] (après l’invention de l’écriture) : ce qu’on appelle traditionnellement dans les manuels « les grandes invasions germaniques » et qui sont tout sauf de grandes invasions [92] (hormis peut-être au Ve siècle), la sinisation (en Extrême-Orient), l’hispanisation (des Amériques) et, actuellement, l’américanisation ! C’est un problème qui est récurrent dans l’histoire de l’humanité parce que les populations ne vivent pas en vase clos, parce qu’il y a des migrations, parce qu’il y a des conquêtes, …
L’acculturation est donc un phénomène où une culture s’impose à une autre par la voie militaire, par la voie économique, par sa culture, tout simplement parce qu’elle est considérée comme « supérieure ». Dans le cas de l’hellénisation de Rome, ce qui est intéressant de constater, c’est que la cité née sur les bords du Tibre, qui sera pourtant appelée à dominer militairement, politiquement et même économiquement la Méditerranée, subira l’influence – et c’est le moins que l’on puisse dire – de la culture grecque qui restera dominante – même s’il y aura de l’éclectisme dans la civilisation romaine – à partir du IIe siècle av. J.-C. (c’est-à-dire que l’absorption de la culture de l’autre ne s’est pas faite obligatoirement au détriment de la culture initiale).
Horace l’a d’ailleurs reconnu dans une de ses Epitres (Livre II, 1, vers 156-157) : « Graecia capta ferum victorem cepit » (« La Grèce conquise a conquis son farouche vainqueur et porté les arts [93] dans l’agreste Latium »). Le grand historien Paul Veyne l’a très bien compris aussi en écrivant son ouvrage L’Empire gréco-romain : il utilise les mots « gréco-romain » à dessein, car cet empire est vraiment une variante occidentale du monde hellénistique [94].
A présent, comme toute notion historique, je pense qu’il faut apporter un certain nombre de nuances. Il ne faudrait pas imaginer que l’hellénisme a supplanté la romanité. Certes, le monde grec qui a été vaincu par les armes, par Rome, disposant de cette très riche culture sur le plan artistique, sur le plan philosophique, sur le plan littéraire a très fortement influencé Rome à la fois dans ses modèles politiques, dans ses modèles artistiques et dans ses modèles de pensée. Il n’y a aucun doute à cela. Toutefois, les Romains, au contact des royaumes hellénistiques, se sont interrogés sur leur identité.
On connaît la réaction épidermique de Caton et des vieux conservateurs romains qui ne pouvaient accepter que Rome, en passe de devenir la maîtresse du monde connu à cette époque-là (c’est-à-dire du monde antique, du monde méditerranéen) puisse être dominée culturellement par une autre culture.
Mais la romanité est toujours présente. Il y a un certain nombre de valeurs qui, à la suite de cette rencontre avec l’Orient hellénistique, seront, remises à l’honneur par Octave lorsqu’il mettra en place le principat, c’est-à-dire l’Empire, à la fin du Ier siècle av. J.-C. (à partir de 27 av. J.-C.).
En fait, Octave essayera de réconcilier ces modèles hellénistiques (puisque lui-même récupère le concept de royauté hellénistique, même s’il ne le met pas en avant, la royauté étant détestée à Rome depuis la chute des Tarquin et l’instauration de la République en 509 avant notre ère) à cette romanité et c’est la raison pour laquelle, sous son règne, des poètes, des écrivains, des historiens s’attèleront à mettre en place toute une idéologie impériale qui visera à légitimer le pouvoir d’Auguste en tant qu’héritier de la romanité.
C’est le cas en particulier de l’historien Tite-Live qui écrit l’Histoire romaine et qui, à l’instar de Virgile dans son Enéide, assigne à celle-ci des racines grecques : dans le cas de Virgile, il la fait remonter à Enée, c’est-à-dire à la guerre de Troie ; dans le cas de Tite-Live à Romulus et Remus, c’est-à-dire aux descendants d’Enée dans le Latium.
Pour en revenir à Naples, grâce à sa « nature grecque », elle était la seule ville occidentale de la Grande Grèce (Magna Græcia) à accueillir les jeux italiques en l'honneur de Rome et de l'empereur Auguste. Sous Auguste, elle est proclamée siège des jeux « isolympiques », sur le modèle d'Olympie, un événement sportif certes, mais empreint, comme toujours dans la mentalité grecque, d’un caractère religieux, politique et artistique. Elle remplace Capoue comme capitale de la Campanie après la bataille de Zama, punie pour son alliance avec Hannibal avant la bataille de Cannes (la qualité de citoyenneté de ses habitants lui sera retirée et ses territoires seront confisqués). Auguste, toujours lui, confère le titre d’Agragopolis à Capri [95] ou « cité de la douce indolence » (« Ville sans travail » ou « ville oisive »).
L’otium à Naples
« Au tournant du IIe et du Ier siècle av. J.-C., la baie de Naples offrait aux Romains un espace entièrement dévolu au loisir [96] ». A Naples, « les Romains, troquant la toge pour un manteau « grec » (pallium), oubliaient, le temps d’un séjour, les obligations de la vie civique. Ils pouvaient le faire sans risque pour leur réputation, car l’hellénisme à Naples était sous contrôle romain [97] ».
« Les Romains ont inventé à Naples un mode de vie spécifique et c’est là la principale raison qui explique le succès de cette région. Très vite, les villae [98], « agrémentées de portiques, de bibliothèques privées, de jardins et de fontaines, […] de gymnases et de palestres » dont l’espace et le décor sont saturés de références grecques [99], servent de cadre à ce que Strabon désigne sous le terme d’hellènikè agôgè, un mode de vie « à la grecque », qui subsiste alors que, de l’aveu même du géographe, « la population est romaine [100] ».
L’otium est un substantif qui correspond à « loisir », à « temps libre » en français (il a donné notre mot « oisiveté »), mais qui a un sens bien plus vaste en latin. C’est en fait une forme d’oisiveté à la fois studieuse et spirituelle.
Ce terme d’otium a son antonyme qui est negotium, littéralement « sans otium » : ce sont les affaires, toutes les activités productives et profitables, en particulier le commerce (il a donné nos mots « négoce » et « négociation »).
Quand on réfléchit à l’idée de loisir aujourd’hui, on imagine s’installer confortablement dans un canapé et regarder la TV, mais les Romains en avaient une définition beaucoup plus active : il s’agissait de tirer bénéfice de ce temps pour s’enrichir l’âme et l’esprit (c’est l’occasion de lire, de s'instruire, de cultiver sa passion pour la philosophie, l’histoire, la rhétorique, l’écriture). L’otium était dès lors considéré comme un art noble et un élément essentiel de la vie du gentilhomme romain : c’était un comportement particulier qu’avaient les Romains aisés et d’un certain niveau culturel qui avaient besoin d’avoir, dans leur vie, des moments d’otium, des instants pendant lesquels ils pouvaient réfléchir sur le sens de la vie, se livrer à la philosophie. Donc, pour eux, la vie était faite de travail, mais elle était aussi faite de réflexion, de retour à la campagne, de contact avec la nature, de vie dans les villas. Le lieu où l’on pouvait se consacrer à ce loisir studieux était choisi avec soin et le jardin constituait en l’occurrence un endroit parfait. Pour lire, les Romains prenaient place sur l’exèdre, un banc circulaire en marbre où se déroulaient également des joutes poétiques, une sorte de concours d’éloquence en vers. On en a un bel exemple avec celle de la prêtresse Mamia (située le long de la Voie des tombeaux à Pompéi) ou sur la mosaïque des philosophes (dite de l’Académie de Platon [101]) du Musée archéologique national de Naples.
Ce chapitre mériterait bien une petite exploration de l'arrière-plan grec de l'otium romain, à savoir la scholè, qui a donné schola en latin (la vraie école étant toutefois celle de la vie).
On peut référer ici à Diogène d'Œnoanda [102] qui a fait graver un résumé [103] de la philosophie d'Épicure sur un mur de portique de la ville antique d'Œnoanda en Lycie : « Rien ne produit la tranquillité comme éviter de s'affairer beaucoup, de s'adonner à des occupations pénibles et de se contraindre au-delà de ses propres forces. Car tout cela installe le trouble dans notre nature » (Diogène d'Oenanda (fragment 114) [104].
Cette phrase synthétise ce que je viens d’écrire à propos de ce « loisir actif » qu'est l'otium pour les Romains, voire pour les Anciens. La scholè signifie d'abord « exemption d'activité politique » et non pas simplement « loisir », même si ces termes désignent tous deux l’exemption de travail [105]. Si néanmoins l’on traduit scholè par « loisir », le mot doit être « pris dans sa fonction la plus noble – réalisation de soi –, il définit véritablement un genre de vie (Bios) [106] ».
Pour les Anciens, le loisir est donc un repos et un délassement (qui dissipent la fatigue) dans un « havre de paix », un lieu de ressourcement qui assure un refuge tranquille et serein. C’est aussi un temps libre consacré au retour à soi et sur soi (le temps du « souci de soi », cura sui), à la méditation, au divertissement (qui fait permet de lutter contre l’ennui), à l’épanouissement (par la lecture – il y a un art de lire comme il y a un art de vivre –, l’écriture, la conversation), et à l'autre (qu’il soit un familier, un ami, un confident ou un partenaire).
Cette conception pouvait toutefois varier selon les auteurs et les sensibilités, comme le montre pour Platon l'article de Lambert Isebaert, « Le loisir selon Platon : paix, épanouissement et bonheur », ou encore pour Aristote l'article de Jacob T. Snyder, « Leisure in Aristotle’s political thought » (voir bibliographie).
« Une autre façon de faire le grec, la version « sérieuse » de l’otium napolitain, transparaît derrière une autre épithète fréquemment accolée à Naples, l’adjectif « docta » : « Naples la savante » ». Cette épithète fait en particulier référence au fait que Naples dès le premier siècle apr. J.-C. apparut pour les Romains comme un lieu de formation [107]. ».
« Naples est une cité qui dans le droit romain se situe entre la Grèce et Rome et l’accès à la citoyenneté de Naples est manifestement conçue comme une voie d’accès privilégiée pour les Grecs voulant devenir romains, car les Napolitains sont perçus comme des Grecs « presque romains ». Naples permet donc d’articuler étroitement la Grèce interne (ou incluse) et la Grèce externe. Tantôt l’existence de Naples permet de sortir, de projeter à l’extérieur de Rome des activités romaines pensées comme grecques – les banquets, l’otium cultivé, les bains, les gymnases et de s’y consacrer totalement tout en échappant à la censure sociale. Tantôt Naples fonctionne comme une sorte de « sas culturel », d’espace de transition permettant de transformer des pratiques qui appartiennent à la Grèce externe (les concours – agones –, les performances théâtrales impériales et les applaudissements qui les accompagnent, le triomphe à la grecque) avant de les introduire dans Rome. Enfin, la référence à Naples permet aussi éventuellement d’helléniser, a posteriori, un culte ou une pratique déjà romaine depuis longtemps, comme le culte de Cérès. (…) Naples apparaît comme une sorte de laboratoire d’expérimentation pour vivre « à la grecque » dans un espace-temps artificiel entièrement voué à l’otium, ou pour introduire à Rome des pratiques nouvelles pensées comme grecques, mais aussi comme un « réservoir de grécité », permettant d’avoir à portée de main des « Grecs » (qui sont en même temps citoyens de Rome) nécessaires à l’éducation des jeunes membres de l’aristocratie romaine ou à la pratique de cultes à la fois grecs et romains (…). Naples est aussi un lieu de peregrinatio, plus facilement accessible que la vraie Grèce, l’Achaïe, un lieu sur lequel les Romains peuvent plaquer et inventer tout ce qui, pour eux, est positivement associé à la Grèce : les monuments d’un passé prestigieux, la revendication politique d’autonomie d’une cité fière de ses origines, un lieu d’asile, loin des troubles et des conflits, susceptible d’accueillir les réfugiés politiques comme les « studiosi », enfin une langue et une culture, artificiellement figées, dans une sorte d’idéal hors du temps (…). Naples matérialise, dans la géographie, sur le sol même de l’Italie, ce qu’est pour les Romains « l’altérité incluse [108] » : une enclave de grécité à l’intérieur même de la culture romaine. [109] ».
La région enchante également les empereurs : Auguste a une villa à Sorrente (à l’emplacement de l’hôtel Excelsior Vittoria [110]) et, à l’apogée de l’Empire, Tibère se retire à Capri (à la Villa Jovis fouillée par Amedeo Maiuri à l’époque fasciste [111]).
On se rappelle le « saut de Tibère » (« Salto di Tiberio ») à Capri, un à-pic vertigineux d’où, selon la légende populaire Tibère faisait précipiter ses victimes à la mer se basant sur les écrits de Suétone, « historien », mais surtout un superbe raconteur de « bobards [112] », insistant bien, un peu trop même pour que ce soit vrai, sur les vices et les turpitudes de l’empereur. De toute façon, reconnaissons-le, l’homme, par nature, aime les légendes, … même si elles sont fausses.
Le « Salto di Tiberio » à Capri (Photographe
: Patrick Comerford, 2013 site – Licence http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0/
- source : https://www.patrickcomerford.com/2013/07/capri-makes-you-forget-everything-but.html?m=1)
Naples devint, à l’époque romaine, un lieu de villégiature très
prisé par les riches romains pour son climat et sa culture grecque. Ceux-ci bâtissent
leurs villas sur les pentes du Pausilippe (littéralement la colline « qui apaise
la douleur », « le lieu qui met fin aux soucis »), comme le très
célèbre Vedius Pollion [114].
César, Auguste, Néron et Caligula préférèrent toutefois leurs résidences de Baia, une station thermale que l’on pourrait comparer, toutes proportions gardées, à notre ville de Spa. L’antique Baies avait toutefois une réputation sulfureuse : surnommée la « capitale du vice », la ville est vilipendée par le moraliste Martial qui écrivait qu’« une femme y arrive telle Pénélope et en repart telle Hélène ». Les saints (Jérôme et Augustin) lui emboîtèrent le pas en affirmant que la cité était un lieu de perdition. C’est en tout cas à Baies que Néron machine son plan pour se débarrasser de son encombrante mère Agrippine, en la raccompagnant jusqu’à son navire truqué, mais Agrippine qui était une excellente nageuse s’en sort miraculeusement. Néron lui envoya cependant ses sbires pour achever le « travail ». « Frappe au ventre » aurait-elle crié à son assassin !
Baies était en fait un cénacle de patriciens lettrés [115]: tous les nantis y avaient leur opulente villa pour y passer l’été, loin de la capitale romaine écrasée en cette saison sous un soleil de plomb. Même Tibère y vint, mais il préférait Capri. Ce terreau propice attira évidemment les hommes de lettres comme Cicéron ou Sénèque, Tacite et Horace [116].
Un autre personnage important de Rome – mais qui a été très peu étudié [117] – avait établi ses quartiers dans la région : Lucullus. Il est essentiellement connu comme gastronome [118] pour différentes anecdotes telle celle selon laquelle le fin gourmet et grand amateur de faste aurait été surpris, un jour où il soupait seul, que ses serviteurs lui apportent un modeste repas. Il fit appeler sur le champ son cuisinier pour en connaître la raison. Celui-ci lui déclara qu’en l’absence d’invités, il avait estimé superfétatoire de préparer un festin. Lucullus lui rétorqua alors cette phrase qui eut un grand retentissement à l’époque et qui est devenue, depuis, mythique : « Comment, tu ne savais pas ? Ce soir Lucullus dîne chez Lucullus ! », voulant ainsi signifier à ses serviteurs qu’il désirait qu’on lui serve un repas somptueux, même quand il mangeait seul
Lucullus était aussi – et surtout – un personnage éminent sur le plan politique et militaire. Brillant général (César, qui n’était pas du même bord politique que lui – il appartenait au milieu populaire, c’est-à-dire des aristocrates réformistes et Lucullus à celui des aristocrates traditionnels –, et qui connaissait bien les questions militaires, l’a compté au nombre des grands généraux de l’histoire de Rome). Il dirigea notamment la guerre contre Mithridate VI Eupator (« de noble naissance », « bien-né ») et organisa la province d’Asie.
Mais, on découvre, en lisant le livre de Yann Le Bohec, que considérer Lucullus uniquement sous sa facette d’officier supérieur de l’armée romaine est une vision réductrice. Il a en effet rempli beaucoup d’autres fonctions et a eu bien d’autres activités : ce fut un grand juriste, un poète (il a écrit des vers) et un lettré de très haut niveau (il s’est intéressé à l’histoire et à la philosophie [119]). Quand Lucullus faisait la guerre, en tant que général, il recevait des parts de butin. Dans certains cas, il se contentait de prendre des livres du général vaincu (il a notamment pillé la bibliothèque de Mithridate – composée de livres écrits en grec – et l’a ramenée chez lui en Italie [120]).
Lucullus possédait de somptueuses villas dans diverses parties de l'Italie, dit Salluste. Il y passait quelques mois suivant les saisons de l'année, de manière à jouir d'un printemps perpétuel (à Pompée qui cherchait à lui être désagréable – il lui avait fait remarquer que sa villa était inhabitable en hiver –, Lucullus avait ironiquement répondu : « je suis plus intelligent que les cigognes. Je change de maison suivant les saisons »). Puisqu’il possédait de nombreuses résidences, Lucullus avait donc de nombreux jardins. Les jardins de Lucullus, au cap Misène [121], près de Baïes, étaient célèbres par leur magnificence[122]. L’attrait pour le luxe est sans doute également illustré par l’existence d’un marbre dit « de Lucullus », le marmor luculleum (la lucullite), extrait du sol de Teos, près de Smyrne, dans la Grèce d’Asie. Il est appelé ainsi parce que ce fut le proconsul qui le mit à la mode dans la Rome de son temps [123].
A Naples, sur le site du Castel dell’Ovo, Lucullus avait construit une villa magnifique [124], le Castellum Lucullanum. Elle était donc située en bord de mer, mais s’étendait de l’île de Mégaride [125] (cf. la « salle des colonnes » au Castel dell’Ovo) au mont Echia (sur lequel les Cumains avaient, au VIIIe siècle, fondé Parthenopè) du côté sud et, très probablement, selon les dernières découvertes archéologiques, du côté sud-est également jusqu’au quartier de Maschio Angioino, près de la Piazza Municipio.
Cette dispersion des vestiges à des endroits éloignés du Castel dell’Ovo nous permettent de nous rendre compte de l’immensité de la superficie sur laquelle la villa de Lucullus se déployait, comparable en cela à la « Maison dorée » de Néron à Rome. La villa de Lucullus s'étendait donc jusqu'à incorporer le cœur le plus ancien de la ville.
(extrait du site de
Vesuviolive.it – source : https://www.vesuviolive.it/cultura-napoletana/archeologia-vesuvio/311800-villa-di-licinio-lucullo-napoli/)
La pierre angulaire de la résidence de Lucullus était bien entendu l’ilot de Mégaride où le consul avait aménagé sa vaste bibliothèque, un environnement tout à fait approprié pour pouvoir s’adonner aux activités de l’otium dont il était féru (la personnalité de Lucullus elle-même incarne l’otium) et au cours desquelles il avait pris l’habitude de discuter avec les personnalités les plus illustres de la politique et de la culture de son époque.
La villa comportait des bassins avec des poissons [126] et des jetées qui s’avançaient dans la mer. Lucullus avait fait creuser dans le sol d’une colline près de Naples, un chenal (soit un euripe à ciel ouvert, soit une ou plusieurs galeries souterraines) à plus de frais que n’en avait coûté la construction de la villa proprement dite (!). Il y avait fait pénétrer la mer (c’est la raison pour laquelle Pompée avait coutume de l’appeler, non sans esprit, « le Xerxès en toge [127] »). L’eau se renouvelait avec le flux et le reflux de la mer. La pisciculture était une activité très prisée par la classe aristocratique romaine puisque l’on retrouve à la même époque des installations tout à fait similaires dans la villa de Vedius Pollion sur le Pausilippe.
Cependant, au fil du temps, la villa de Lucullus a subi de profondes altérations qui lui ont fait perdre intrinsèquement son aspect ancien. Ces altérations ont été provoquées par la volonté des hommes qui ont changé à plusieurs reprises son affectation (forteresse, monastère, …) en modifiant en conséquence toute l'architecture, par les vicissitudes militaires qui se sont succédé au cours des siècles ou, encore, par les multiples tremblements de terre qui ont transformé radicalement sa structure d’origine.
A ma connaissance, il n’y a aucune mention de deuxième villa de Lucullus à Neapolis, ni d’évergétisme [128] vis-à-vis des habitants de la cité, en revanche beaucoup de contacts avec des philosophes grecs, même pauvres, que Lucullus invitait chez lui et auquel il ne manquait pas de servir un repas digne de sa réputation.
La villa est d’ailleurs devenue si célèbre pour ses banquets, qu'aujourd'hui encore, il existe un adjectif dans la langue italienne « luculliano », qui désigne un repas particulièrement abondant et délicieux : un pranzo luculliano, « un repas de Lucullus ».
Les empereurs ne ménagèrent pas leurs efforts non plus pour développer la région en termes urbanistique en donnant la priorité à la réalisation d’ouvrages d’art de première nécessité. Ainsi, peut-on citer en particulier, à l’époque d’Auguste, la construction, sur 100 km ( !), de l’aqueduc de Serinum (ou aqueduc d’Auguste) qui alimentait la Campanie romaine dont la ville de Naples et la base de la flotte impériale située à Misène (où il aboutissait dans la Piscina mirabilis), et qui desservait entre autres également Pompéi et Herculanum (via des ramifications secondaires). Avec l’aqueduc, il devint superflu de stocker l’eau dans des citernes via les impluviums, du moins dans les maisons raccordées au réseau public d’eau courante (c’est-à-dire les plus riches).
Bien qu’il ne reste que peu de traces de ce grand ouvrage, le témoignage le plus évocateur à Naples est le pont-canal en briques rouges, appelé pour cette raison Ponti Rossi (« Ponts Rouges [129] »), situé entre Capodimonte et Capodichino.
Ponti
Rossi
(« Ponts Rouges ») – Photo sans copyright issue du site https://siiturista.it/tag/ponti-rossi/
La Crypta Neapolitana (en latin) ou Grotta di Posillipo (en italien) de Piedigrotta est aussi un ouvrage d’utilité publique. Ce tunnel routier creusé au début de l'Empire romain dans le tuf volcanique de la colline du Pausilippe, a permis de tracer une voie de communication entre Naples et les champs Phlégréens [130] situés à l’ouest de la baie de Naples. Les dimensions de cette galerie souterraine monumentale sont gigantesques : 705 mètres de long, 4,5 mètres de large et 5 m de haut. A l’entrée du tunnel se trouve le soi-disant tombeau de Virgile. Dans son autobiographie savoureuse intitulée Bourlinguer, l’aventurier suisse Blaise Cendrars qui a grandi dans la banlieue de Naples [131] avant de sillonner le monde, raconte son enfance dans la cité parthénopéenne et le drame qui s’est produit dans les environs de ce « tombeau [132] ».
A gauche, la Crypta Neapolitana (photo dans le domaine public – Licence CC Creative Commons – URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Crypta_Neapolitana#/media/Fichier:Grotto01.JPG) ; à droite, le soi-disant tombeau de Virgile (photo dans le domaine public – Licence CC Creative Commons –Auteur : Miguel Hermoso Cuesta (travail personnel) – URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Crypta_Neapolitana#/media/Fichier:N%C3%A1poles_Virgilio_07.JPG).
2. Les
raisons de l’« effacement » de Naples
Un article et un livre tout récent (2021) et fondamental de Taylor Rabun [133] permettent de placer les bouleversements (au pluriel, car il n'y a pas que l'éruption du Vésuve en 79) dans la région napolitaine dans un contexte plus large.
Toutefois, Naples est restée un centre de la culture grecque pendant au moins un siècle après l'éruption du Vésuve, comme en témoignent diverses sommités telles que Marc Aurèle, Fronton et Philostrate [134], mais ce volet culturel a commencé à régresser au troisième siècle.
2.1.
La crise du IIIe siècle
La « crise du IIIe siècle [135] » de l’Empire romain (appelée par
tradition Anarchie militaire) est la
plus grande crise de l’histoire de Rome depuis les guerres civiles
du Ier siècle avant J-C.
Elle
dure une cinquantaine d’années, entre la fin du règne de Sévère Alexandre (235)
et l’avènement de Dioclétien (284).
Cette période se caractérise par une succession parfois
extrêmement rapide des empereurs (les plus remarquables sont Gallien et
Aurélien), par l’apparition fréquente d’usurpateurs et par des attaques
incessantes des Barbares sur tous les fronts.
A partir des dernières années du règne
de Valérien (253 - 260) jusqu'à l'avènement d'Aurélien (270),
une kyrielle de généraux ou de politiciens profitèrent en effet de
l'affaiblissement du pouvoir central et des difficultés de l'Empire pour
usurper le titre d'empereur. Certains revêtirent la pourpre par nécessité, afin
de défendre plus efficacement des frontières menacées. D'autres ne
s'émancipèrent de Rome que par cupidité ou par ambition, afin d’accaparer les
richesses d'une province ou, tout simplement, pour devenir « César à la
place de César ».
L'appellation « Trente Tyrans » qui désigne
traditionnellement ces usurpateurs provient d'une comparaison très « tirée
par les cheveux » de l'auteur anonyme de l'Histoire Auguste. Selon
cet écrivain, ces généraux et politiciens qui tentèrent de renverser l'empereur
Gallien auraient irrésistiblement fait penser au gouvernement oligarchique
composé de trente nobles acquis à la cause de Sparte qui, après la Guerre de
Péloponnèse (fin du Ve siècle av. J.-C.), opprima la cité d'Athènes vaincue et
humiliée. Comme dit le bon Edward Gibbon : « Dans tous les points, ce
parallèle est imparfait et ridicule ! Quelle ressemblance pouvons-nous
apercevoir entre un conseil de trente personnes réunies pour opprimer une seule
ville, et une liste incertaine [136] de
rivaux indépendants, dont l'élévation et la chute se succédaient sans aucun
ordre dans l'étendue d'une vaste monarchie » (Edward Gibbon, Histoire
du Déclin et de la Chute de l'Empire romain).
L’histoire
romaine du IIIe siècle fait
depuis de nombreuses années l’objet de vifs débats entre les spécialistes. Certains
se rangent à l’opinion traditionnelle en vertu de laquelle on assiste pendant
ce siècle à un déclin inéluctable, résultat d’une crise du système qui s’étend
à tous les étages de l’empire. D’autres se montrent beaucoup plus prudents et,
sans remettre en question les diverses crises qui surgissent jusqu'à 260,
voient plutôt dans cette période une phase de transition pendant laquelle on
passe de l’Antiquité à l’Antiquité tardive, ou du Haut-Empire au Bas-Empire,
période qui porte en elle de nombreuses promesses de régénération. Pour eux,
certaines provinces, loin de participer au déclin général de l’Empire auraient
au contraire connu un développement remarquable. Quelques spécialistes vont même
jusqu’à remettre en question l’utilisation du concept de « crise »
pour décrire la situation qui prévaut au IIIe siècle.
La
dynastie des Sévères met en place une dictature militaire. On change de
système politique : on passe du
principat au dominat. Dorénavant, les empereurs ne respecteront les
institutions traditionnelles (comme le Sénat [137]) qui étaient censées
légitimer le régime (certes, depuis longtemps, c’était l’empereur qui dirigeait
de facto l’Empire, mais à partir du
dominat – de 200 jusqu’à la fin de l’Empire romain –, l’empereur est
véritablement un maître absolu et même un tyran à certaines périodes – et
surtout au IIIe siècle – où il va aller jusqu’à se considérer comme un dieu
vivant).
Il se fait que le IIIe siècle de notre ère est une période où l’Empire n’est plus du tout dans sa phase offensive comme il l’avait été auparavant : l’Empire est au contraire sur la défensive et doit subir des menaces (mais on ne peut pas véritablement parler d’invasions comme ce sera le cas à la fin de l’Empire romain) qui viennent tantôt du Nord (avec les Germains [138] et les Goths [139] sur le Rhin et le Danube), tantôt de l’Orient (en Iran actuel où un changement de dynastie va donner un sang nouveau et un nouveau souffle aux Perses : on va passer de la dynastie des Arsacides (dynastie de rois parthes) à celle des Sassanides (dynastie perse) qui mènera plusieurs campagnes contre Rome en envahissant la Mésopotamie romaine [140]).
2.2.
La chute de l’Empire romain d’Occident [141]
On l’oublie souvent,
mais Naples est un lieu emblématique sur le plan historique de ce qu’on appelle
la chute de l’Empire romain d’Occident. En effet, C'est au Castel
dell'Ovo, là où toute l’histoire de Naples a commencé environ onze siècles
plus tôt, que le dernier empereur romain d’Occident [142],
Romulus [143] Augustule (le diminutif
-ulus donnant une connotation ironique à son nom, à savoir « le
petit Auguste » [144]),
est détenu après avoir été déposé par Odoacre. Il était l'un des plus jeunes
empereurs à être monté sur le trône : Romulus Augustus a commencé à régner
à l'âge de quinze ans en 475. Il n'a jamais été reconnu par l'Empire romain
d'Orient et, forcément vu son jeune âge, n’a jamais été crédité d’aucune décision
importante.
C’est un événement que l’on doit relativiser, mais qui, sur le plan historiographique, est d’une très grande portée puisque la déposition de Romulus Augustule par Odoacre marque la fin de l'Empire romain en Occident, la fin de la Rome antique et le début du Moyen Âge en Europe occidentale.
Par la suite, Romulus Augustule « sort des radars » (c’est-à-dire des archives historiques) : plus personne ne sait quand Romulus est mort. Selon certaines sources, son décès aurait eu lieu en 530 après J.-C.
A gauche, Tiers de sou d’or à l’effigie de Romulus Augustule (Classical Numismatic Group, Inc. http://www.cngcoins.com – Licence CC BY-SA 3.0) ; à droite, Déposition de Romulus Augustule via GallicaBnf – source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8540559r/f1.item.
Traditionnellement, dans le cadre de
l’enseignement de l’histoire et lorsque le thème est abordé, on distingue les
causes internes et les causes externes à la chute de l’Empire romain.
Dans le monde de la recherche universitaire, la situation est quelque peu autre
puisque à la question « Pourquoi
l’Empire romain s’est-il effondré après avoir dominé des siècles durant le
pourtour méditerranéen ? », plus de deux cents
explications ont déjà été recensées en 1984 par l’historien
allemand Alexander Demandt qui vont de l’empoisonnement lent de
la population par la vaisselle contenant du plomb à l’influence du christianisme
ou à l’éloignement des valeurs morales [145]
qui fondaient la société romaine. L’article Déclin de l’Empire romain d’Occident de Wikipedia présente trois principales
théories. A côté de celle de l’Empire décadent et celle de l’effondrement
budgétaire figure la théorie mettant en avant les épidémies et le climat de
Kyle Harper (Comment l'Empire romain
s'est effondré – Le climat, les maladies et la chute de Rome), ce qui fait dire à certains que ce ne sont
pas les Germains, mais les germes [vraisemblablement en fait des virus, car le
mot « germes » fait plutôt allusion aux bactéries, mais le jeu de
mots s’effondre alors] qui ont fait chuter l’Empire romain !
En fait, cette thématique est constamment colorée par le présent. Edward Gibbon insistait sur la faillite morale et politique des élites et de la culture romaines. Les historiens du XIXe siècle mettaient l’accent sur les invasions barbares et leurs désastres. Les travaux du XXe siècle privilégiaient les facteurs économiques et sociaux. On ne s’étonnera donc pas de voir aujourd’hui émerger un scénario de la mort de Rome sous l’effet du changement climatique et des épidémies, deux de nos hantises. Toujours est-il que l’historien Kyle Harper renouvelle la question et intègre dans son modèle des données originales.
Un historien d’aujourd’hui ne se pose pas les mêmes questions qu’un historien d’il y a cent ans. En 1967, l’historien français Emmanuel Le Roy Ladurie publiait une Histoire du climat depuis l’an mil. Il est difficile d’imaginer qu’une telle histoire eut été envisageable cinquante ans plus tôt. Et, aujourd’hui, les historiens se penchent de plus en plus sur l’histoire du climat et de l’environnement : on se rend compte que l’être humain fait partie d’un écosystème où tout est interdépendant. Depuis quelques décennies, on s’est aperçu que l’être humain est un véritable acteur dans l’environnement et donc que lui-même influe sur le climat. On peut dès lors présumer que les historiens, à l’avenir, étudieront de plus en plus l’interaction entre la nature et la société, ce qui n’était pas le cas auparavant.
Mais ces hypothèses, directement inspirées des théories à la mode (en vogue surtout aux Etats-Unis dans la continuité des travaux de Kyle Harper) sur la pollution et le climat, doivent cependant être relativisées. Certaines voulant absolument donner une image d’un monde « interconnecté » ante litteram, sont plus ou moins saugrenues : ainsi celle mettant en corrélation l’éruption du volcan Okmok, en Alaska, en 43 avant notre ère et les guerres civiles de la fin de la République romaine (Joseph R. McConnell et al. Extreme climate after massive eruption of Alaska’s Okmok volcano in 43 BCE and effects on the late Roman Republic and Ptolemaic Kingdom [146]).
Dans son ouvrage Comment l'Empire romain s'est effondré, Kyle Harper, professeur d’histoire à l’université d’Oklahoma, avance la thèse selon laquelle la fin de l’Optimum climatique romain (OCR : https://fr.wikipedia.org/wiki/Optimum_climatique_romain) aurait joué un rôle majeur dans l’effondrement de l’Empire romain, de même que des pandémies récurrentes. Ce livre monumental avance donc une nouvelle hypothèse de la chute de Rome, faisant des forces de la nature un acteur essentiel de sa destinée. Certes, on ne peut plus écrire l'histoire de la fin de cet Empire en faisant comme si l'environnement était resté stable. Il ne faut cependant pas non plus surestimer ces causes potentielles : si le climat et les épidémies peuvent avoir été des éléments aggravants à la déliquescence de l’Empire romain d’Occident, ils ne peuvent certainement pas, à eux seuls, expliquer toute la problématique. Après avoir négligé trop longtemps le facteur environnemental dans l’histoire, il serait dangereux d’en faire le deus ex machina.
Aujourd’hui, pour désigner la période où se dessine la fin de l’Empire romain d’Occident, on ne parle plus de Bas-Empire, mais d’Antiquité tardive, cette dernière notion ne portant pas en elle de connotation péjorative et ne laissant pas supposer qu’il y avait eu une période d’apogée (le Haut-Empire) à laquelle avait succédé celle de la décadence romaine [147]. Il faut remonter au XVIIIe siècle pour trouver le point de départ de cette idée mise à mal par les historiens depuis une cinquantaine d’années : les deux auteurs qui ont popularisé cette idée sont d’une part Montesquieu en France et Gibbon en Angleterre.
Néanmoins, mépriser les auteurs plus anciens comme Gibbon serait une erreur aussi colossale ou magistrale pour un historien que celle consistant à adhérer, sans aucune réserve et sans faire jouer les principes de la critique historique, aux thèses de Kyle Harper.
A la fin de l'Empire, la ville de Neapolis résiste à l'invasion lombarde et reste rattachée à l'empire byzantin. Il faut en effet savoir qu’il existait des territoires byzantins en Occident, par exemple l’exarchat [148] de Ravenne [149].
Au milieu du VIe siècle, l'empereur Justinien entreprend de reconquérir l'Empire romain d'Occident tombé un demi-siècle auparavant aux mains des Barbares. Celui-ci envoie son meilleur général, Bélisaire, pour récupérer les anciens territoires perdus, y compris la ville de Rome elle-même. Bélisaire y parvient dans un premier temps, mais est rappelé à Byzance, confiant son commandement à des officiers moins aguerris.
En 552 a lieu la bataille décisive du mont Lactarius [150] dite aussi bataille du Vésuve [151]. Elle marque la fin de l’interminable guerre gothique qui a duré dix-huit longues années (de 535 à 553), rn opposant Ostrogoths et Romains d'Orient pour la possession de l'Italie [152]. Dans le cadre de ce conflit -ci, Naples joue dans un rôle important et stratégique que souligne d’ailleurs Procope de Césarée dans sa Guerre contre les Goths [153] : son port en particulier sert à l’arrivée du blé et des secours byzantins. Totila assiège cependant Naples qui se rend minée par la famine. Les Goths rassemblent alors une flotte avec laquelle ils verrouillent la mer Tyrrhénienne, menaçant ainsi les approvisionnements de blé en provenance de Sicile et destinés au ravitaillement de l’armée byzantine. Face aux revers subis par son armée en Italie, Justinien décide d'y envoyer un important corps expéditionnaire à la tête duquel il place, en qualité de commandant suprême, un homme en qui il a toute confiance, Narsès, un général d’origine arménienne (comme Bélisaire). En trois ans, Narsès écrase littéralement [154] les Ostrogoths et met définitivement un terme à leur suprématie : Totila est tué en 552 au nord de Rome sur la Via Flaminia lors de la bataille de Taginae (cette victoire permet à Narsès de prendre Rome sans rencontrer de véritable résistance) et son successeur Teias meurt au pied du Vésuve lors de la bataille du mont Lactarius (défaite qui marque la fin du royaume Ostrogoth d'Italie).
A la fin du VIe siècle,
Naples devient la capitale d’un duché byzantin et en 751, avec la chute de
l'exarchat de Ravenne dont il relève, ce duché devient indépendant. Le
duché reste autonome de 763 à 1139 avant de passer sous la domination
normande.
Ce lent déclin
de Naples avait débuté chronologiquement après la mort du dernier empereur de
la dynastie des Sévère [156] :
une sorte de léthargie s’était emparée de la ville (on a l’impression d’y vivre
le conte de la « Belle au Bois dormant ») et un silence littéraire
presque total [157]
s’y est abattu. « Par rapport à sa taille et son importance, Neapolis
est la plus muette de toutes les cités [158]
»).
Le « mini-âge sombre » qu’est la crise du IIIe siècle avec ses invasions barbares en province, pandémie, persécution religieuse, déclin économique, instabilité monétaire et intrigues de cour perpétuelles touche la Campanie, même si Neapolis semble avoir continué comme auparavant.
Ce qui est interpellant à Naples, c’est l’absence de « strate archéologique » (phénomène inhabituel en archéologie) : rien n’indique une crise financière, un dépeuplement, un déchaînement de violence, la survenance d’incendies ou de tremblements de terre. En fait, c’est le « silence historique » qui est étonnant, voire anormal. Ce fossé stratigraphique a commencé avant la crise du IIIe siècle (dès l’ère des Sévère) qui est paradoxalement une période de paix généralisée, d’abondance et de prospérité.
Toutefois la crise du IIIe siècle est bien patente dans les données polliniques [159] et aussi dans l'absence d'évidences archéologiques. Ce moment marque le début du déclin du port romain de Naples [160]. Ce dernier a été attribué au comblement graduel de la baie par les sédiments qui l’ont d’abord transformée en lagune (V-VIe siècle) et enfin en zone agricole. L'activité portuaire semble s’être poursuivie plus au sud mais l'importance du port de Neapolis avait déjà été affaiblie en raison de la construction du port de Puteoli. Les découvertes plus rares de céramiques du IIIe siècle indiquent un effondrement du transport des marchandises [161].
Pollens de Brassicaceae [162] recueillis
dans l’antique zone portuaire de
Naples (16
à 23) et leur comparaison avec les pollens actuels de
Brassica
incana (1-4), Brassica oleracea (5-8), Raphanus raphanistrum
(9-12) et Cakile
maritima (13-15). (photo extraite de Russo Ermolli et al.,
2014)
Ayant été rattaché aux possessions impériales à la mort de Lucullus, l'îlot de Mégaride sur lequel ce château se dresse refait surface –, si l’on peut dire en parlant du lieu d’échouage de la Sirène Parthenopè – dans l'histoire de Naples mais dans le contexte trouble des invasions barbares. L’empereur d’Occident, Valentinien III, fait renforcer les remparts de la ville et les édifices de l'ancienne villa de Lucullus sont fortifiés transformant la fastueuse demeure en Castrum Lucullanum.
Il faut aussi
noter la vulnérabilité potentielle des villes portuaires vis-à-vis de la
transmission des maladies contagieuses (thèse de Kyle Harper à propos de la
chute de l’Empire romain [164]).
A l’époque, le célèbre Claude Galien, médecin de Marc Aurèle a dû fuir et
rentrer dans sa Pergame [165]
natale [166].
Or, la peste antonine a ravagé la Méditerranée, se communiquant de port à port.
En termes de taux de mortalité (estimation : septante cinq millions
d’âmes), c’était, en termes absolus, le pire fléau de pandémie de l’histoire de
l’humanité (en fait, il y en a eu trois : la Peste antonine, la Peste de
Cyprien – évêque de Carthage – et la Peste Justinienne). Il suffit de comparer
avec notre pandémie de COVID-19 (six millions et demi de morts dans le monde).
Cependant, telles « des bombes à neutron », ces pandémies ne laissent
pas de trace, sauf celle de remplir les cimetières.
L’extraction de l’argent s’est effondrée, d’où une crise profonde et durable de la monnaie.
Sous le règne de Dioclétien, architecte de la tétrarchie [167], le latin a supplanté le Grec, l’enclave culturelle de Naples perdant ainsi son identité ethnique en tant que « dernier bastion de l’hellénisme » (ce changement est perceptible dans les inscriptions funéraires [168]). Le cimetière souterrain (catacombes [169]) remplace les inhumations dans des cimetières hors-sol « bondés ».
Avec la chute de l'Empire romain d’Occident, l’art théâtral tombe en désuétude (on constate une baisse considérable des représentations théâtrales en général) et disparaît de la culture occidentale pendant près de cinq cents ans [170]. Quant à la structure du théâtre de Neapolis, elle est abandonnée, d’autant plus que ce dernier subit une inondation entre le Ve et le VIe siècle.
La fin de l’Empire romain augure celle du temps des philosophes : l’histoire de la philosophie romaine ne survit pas à la disparition du tissu culturel romain qui se situe vers la fin du VIe siècle.
« Après la mort d’Augustin et la prise d’Hippone par les Vandales, l’histoire de la philosophie romaine entre dans sa dernière phase, qui est celle d’une lente extinction, parallèle à celle de la civilisation romaine. La culture classique s’éloigne, et la formation intellectuelle des auteurs devient plus frustre – d’autant que la compréhension du grec leur échappe souvent. Les philosophes chrétiens cèdent petit à petit la place à de simples lettrés religieux. (…). Au VIe siècle, Boèce est l’un des derniers Romains possédant une vraie culture classique. Il entreprend de mettre cette culture (Platon, Aristote et ce qu’il connaît de la science grecque) au service de sa foi chrétienne. (…) Au début du VIIe siècle, Isidore de Séville est le dernier auteur qui puisse encore se rattacher à l’histoire de la philosophie romaine. (…) La philosophie religieuse, avec lui, devient presque totalement pensée religieuse. Puis, la religion reprend totalement possession du champ intellectuel, comme aux débuts de l’histoire romaine. Il faudra tout recommencer [171] ».
Les villes de Campanie sont dépouillées de leur autonomie dans les années 280 (la Campanie est convertie en province, perdant son statut d’exonération fiscale – un peu comme si les îles Cayman étaient privées de leur statut de « paradis fiscal »). Or, la jet-set des riches sénateurs et hommes politiques dont les splendides résidences avaient fleuri à Baia et sur la colline du Pausilippe furent touchés de plein fouet.
Enfin, l’impact de Constantin sur l’évolution de Naples est sujet à débat : il éleva la Campanie au rang de province consulaire, une décision qui aurait véhiculé un certain nombre d’avantages pour toutes les grandes villes de la région, mais il déplace la capitale de l’Empire à Constantinople. Il fait restaurer l’Aqua Augusta (l’aqueduc de Serinum dont nous avons parlé plus haut, construit sous le règne d’Auguste, plus de trois cents ans plus tôt) [172]. La persécution des païens dans l'Empire romain tardif débute sous le règne de Constantin Ier [173].
Conclusion
Parthenopè, comme Cumes, Baia, Pouzzoles, Paestum…, subit la crise traversée par l’Empire romain au IIIe siècle, suivie par les invasions barbares. Les catastrophes naturelles (la terrible éruption de Pollena en 472 qui a donc eu lieu pendant la période critique de la chute de l’Empire romain d’Occident, le bradyséisme [174] qui fit disparaître une grande partie des zones côtières et l’ensablement de l’embouchure du fleuve Sélè pour Paestum) firent le reste.
On sait très, très peu de choses de la période ducale, qui dura près de cinq siècles : on continuait à parler le grec à Naples, en parallèle avec le latin, et à suivre certains rites et cultes byzantins. On connaît le nom des ducs et il subsiste quelques églises.
Naples a en tout cas eu le mérite d'être le berceau des philosophes « napolitains » de la modernité [175], preuve s’il en est que cette discipline n’est pas totalement morte avec la chute de l’Empire romain d’Occident, mais avait gardé des bourgeons bien verts.
Philippe Durbecq
« Comment une personne éduquée peut rester
loin des Grecs ? J’ai toujours été de loin beaucoup plus intéressé à eux
qu’à la science » (Albert Einstein)
(Phrase condensée de l’interview du New Yorker de 1947, écrite par Niccolo Tucci https://www.newyorker.com/magazine/1947/11/22/the-great-foreigner) [176].
Couverture de la brochure
pour les élèves des études classiques de l’Université privée de Stanford aux
Etats-Unis
Bibliographie
- Clara AUVRAY-ASSAYAS et Daniel DELATTRE, Cicéron et Philodème. La polémique en philosophie, Etudes de littérature ancienne, n° 12, Editions rue d’Ulm, 2001.
- Julius BELOCH, Campania. Storia e topografia della Napoli antica e dei suoi dintorni, Bibliopolis, Naples, 1989 (trad. de Campanien : Geschichte und Topographie des antiken Neapel und seiner Umgebung, Breslau, 1890).
- Jean BERARD, Colonisation grecque. De l’Italie méridionale et de la Sicile dans l’Antiquité, Publications de la Faculté des Lettres de Paris, PUF, Tome IV, 1957.
- John BOARDMAN, Les Grecs outre-mer. Colonisation et commerce archaïques, Centre Jean Bérard, 2019.
- Henri BROISE et Vincent JOLIVET « Recherches sur les jardins de Lucullus », Publications de l'École Française de Rome, n° 98, 1987, (URL : https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1987_act_98_1_2993).
- Paolo CAPUTO et Rosario SANTANASTASIO, Le Cavità archeologiche artificiali del Golfo di Napoli.
- Giovanni Pugliese CARRATELLI,. Storia e civiltà della Campania. Vol. 1 - L’Evo antico. Electa, Napoli, 1991.
- Olivier de CAZANOVE et Claude MOATTI, L’Italie romaine d’Hannibal à César, Armand Colin, 1994.
- Blaise CENDRARS, Bourlinguer,
Folio, 1988.
- Jean-François CERQUAND, Les Sirènes, Librairie Lacour, 1993 (éd. originale, 1873).
- Vincent CITOT, Grandeur et décadence de la philosophie romaine, dans le Philosophoire 2015/1 (n° 43) – URL : https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2015-1-page-199.htm.
- Lambros COULOUBARITSIS, Aux origines de la philosophie européenne. De la pensée archaïque au néoplatonisme, De Boeck-Wesmael, 1992.
- Jean-Michel DAVID, La Romanisation de l’Italie, Paris, Aubier, 1994.
- Stefano DE CARO, Angela GRECO, Campania, Guide archeologiche Laterza, Roma-Bari, 1981.
- Stefano DE CARO (sous la dir.), Musée archéologique national de Naples, Guide rapide, Electa Napoli, Soprintendenza archeologica di Napoli e Caserta, 1999.
- Valentino Di DONATO et al.,. Development and decline of the ancient harbor of Neapolis, Geoarchaeology volume 33, n° 5, 2018, 542-557.
- Luca DI FRANCO, « Da Augusto a Tiberio, da otium a secessus. », Mélanges de l’Ecole française de Rome, 134-1, 2022 (Dalmatie et Méditerranée antique: 50 ans après la Dalmatie de John J. Wilkes - Varia). URL : https://journals.openedition.org/mefra/13110.
- DIOGENE d’Oenoanda, La philosophie épicurienne sur pierre. Les fragments de Diogène d'Oenoanda, traduits par A. Etienne et D. O'Meara; Fribourg, Cerf, 1996.
- DION CASSIUS, Histoire romaine (traduction Remacle – URL : http://remacle.org/bloodwolf/historiens/Dion/table.htm).
- Elda Russo ERMOLLI et al., «The natural and cultural landscape of Naples (southern Italy) during the Graeco-Roman and Late Antique periods », Journal of Archaeological Science, 42 (2014).
- Detlef FECHNER et Peter SCHOLZ, « Schole und Otium in der griechischen und römischen Antike: eine Einführung in die Thematik und ein historischer Überblick anhand ausgewählter Texte. », Mensch - Natur - Technik: Perspektiven aus der Antike für das dritte Jahrtausend. Eds. Elisabeth Erdmann et Hans Kloft, Münster: Aschendorff, 2002.
- Maria FRANCHINI, « Brève histoire de la musique à Naples. Ce virus qui fait chanter les Napolitains » (URL : https://altritaliani.net/breve-histoire-de-la-musique-a-naples-ce-virus-qui-fait-chanter-les-napolitains/.
- Maria FRANCHINI, Campanie insolite et secrète, Editions Jonglez.
- Maria FRANCHINI, Naples insolite et secrète, Editions Jonglez.
- Daniela GIAMPAOLA, et al., « Evoluzione del paesaggio costiero tra Parthenope e Neapolis », Méditerranée, n° 112, 2009 (URL : https://journals.openedition.org/mediterranee/2943).
- Daniela GIAMPAOLA, et al., La Scoperta del porto di Neapolis dalla ricostruzione topografica allo scavo e al recupero dei relitti (URL : https://www.academia.edu/27239157/LA_SCOPERTA_DEL_PORTO_DI_NEAPOLIS_DALLA_RICOSTRUZIONE_TOPOGRAFICA_ALLO_SCAVO_E_AL_RECUPERO_DEI_RELITTI).
- Edward GIBBON, Histoire du Déclin et de la Chute de l'Empire romain, Fernand Nathan,1981.
- Marcello GIGANTE, Filodemo in Italia, Bibliotechina del Saggiatore, Mondadori education, 1990, Florence.
- Marcello GIGANTE (préface de Pierre Grimal), La Bibliothèque de Philodème et l’épicurisme romain, 1987, Les Belles Lettres.
- Pierre GIRARD, « L'invention de la modernité à Naples », dans Archives de Philosophie, 2017/3 (tome 80) (URL : https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2017-3-page-405.htm#:~:text=De%20ce%20point%20de%20vue%2C%20l'%C3%A9num%C3%A9ration%20des%20philosophes%20%C2%AB,%2C%20Giuseppe%20Donzelli%2C%20Lucantonio%20Porzio%2C).
- Pier Giovanni GOZZO, De Pithécusses à Pompéi. Histoires de fondations, Quatre conférences au Collège de France (Paris, 2014), CNRS, Centre Jean Bérard.
- Emanuele GRECO, En Grèce et en Grande Grèce. Archéologie, espace et société, CNRS, Centre Jean Bérard, 2020.
- Stephen GREENBLATT, Quattrocento, Flammarion, Prix Pulitzer 2012.
- Kyle HARPER, Comment l'Empire romain s'est effondré - Le climat, les maladies et la chute de Rome, La Découverte Poche, 2021.
- W.V. HARRIS (Ed.), The Ancient Mediterranean Environment between Science and History, Brill, Leiden-Boston, 2013.
- Histoire auguste. Les empereurs romains des II et IIIe siècles. Edition bilingue latin-français établie par André Chastagnol, Bouquins, Robert Laffont, 1994.
- HOMERE, l’Odyssée, Le Livre de Poche n° 602, 1983.
- HORACE, Œuvres, Garnier-Flammarion, 1967.
- Jessica HUGHES (ed) et Claudio BUONGIOVANNI (ed), Remembering Parthenope: The Reception of Classical Naples from Antiquity to the Present, Oxford University Press, 2015.
- Lambert ISEBAERT, « Le loisir selon Platon : paix, épanouissement et bonheur », Les Études Classiques, vol. LX, 1992.
- Xavier LAFON, Villa Maritima. Recherches sur les villas littorales de l’Italie romaine, Ecole Française de Rome, 2001.
- Bertrand LANCON, L’Antiquité tardive, PUF, Que sais-je ?
- Yann LE BOHEC, Lucullus : général et gastronome, Tallandier, collection l’Art de la guerre, 2019.
- Jacqueline LECLERCQ-MARX, La Sirène dans la pensée et dans l’art de l’Antiquité et du Moyen Âge. Du mythe païen au symbole chrétien, Académie royale de Belgique, 1997 (URL : https://koregos.org/fr/jacqueline-leclercq-marx-la-sirene-dans-la-pensee-et-dans-l-art-de-l-antiquite-et-du-moyen-age/4389/).
- Flore LEROSIER, « La polis grecque classique. L’exemple de Neapolis », Frontière-s, n° 4, 2021, consultable en ligne : https://publications-prairial.fr/frontiere-s/index.php?id=682.
- Martti LEIWO, Neapolitana. A study of Population and Language in Graeco-Roman Naples, Societas Scientiarum Fennica (Commentationes Humanarum Litterarum, 102), Helsinki, 1994.
- LLOYD W. DALY, « Roman Study abroad », AJPh, 71, 1950.
- Irad MALKIN, Un tout petit monde. Les réseaux grecs de l’Antiquité, Les Belles Lettres, 2018.
- Annalisa MARZANO et Guy P. R. METRAUX, The Roman Villa in the Mediterranean Basin. Late Republic to Late Antiquity, Cambridge University Press, 2018, pp. 61-156.
- Giuseppe MASTROLORENZO et al., «The 472 AD Pollena eruption of Somma-Vesuvius and its environmental impact at the end of the Roman Empire », Journal of Volcanology and Geothermal Research (URL : https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0377027301002487#)
- E. MIRANDA, Iscrizioni greche d’Italia, Napoli. I, Rome, 1990.
- Neapolis. Atti del venticinquesimo convegno di studi sulla Magna Grecia, Taranto, 3-7 ottobre 1985, Istituto per la storia e l’archeologia della Magna Grecia, Taranto, 1986.
- Roger PEYREFITTE, Du Vésuve à l’Etna, Le Livre de Poche, 1952.
- PLATON, La République, GF, 2016.
- PLINE l’Ancien, Histoire naturelle (traduction Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/erudits/plineancien/index.htm).
- PROCOPE de Césarée, traduction Remacle (URL : http://remacle.org/bloodwolf/historiens/procope/goth1.htm#).
- Taylor RABUN, Ancient Naples. A documentary History. Origins to C.350 CE, Italica Press, New York & Bristol, 2021.
- Taylor RABUN, « Roman Neapolis and the landscape of disaster ». Journal of Ancient History, vol. 3 (2015), p. 282-326 (URL : https://www.academia.edu/45242298/Roman_Neapolis_and_the_Landscape_of_Disaster).
- G. et M.F. RACHET, Dictionnaire de la civilisation grecque, Larousse.
- Mario RUSSO, Archeologia tra l'hôtel Vittoria e Capo Circé: scavi e rinvenimenti dal Settecento a oggi, Centro di studi e ricerche multimediali Bartolomeo Capasso, Sorrente, 1997.
- Jean-Noël SCHIFANO, Naples, collections Microcosme petite planète/Seuil n° 108.
- Joël SCHMIDT, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Larousse.
· SENEQUE, Entretiens (De Ira ; De Clementia), Lettres à Lucilius, Bouquins, Robert Laffont.
- Jacob T. SNYDER, « Leisure in Aristotle’s political thought », Polis, vol. 35, 2018.
- STRABON, Géographie (traduction Remacle – URL : http://remacle.org/bloodwolf/erudits/strabon/index.htm).
- SUETONE, Vie des Douze Césars (Vie de Tibère), Le livre de poche, 1961.
- TACITE, Annales, GF Flammarion 71.
- TITE-LIVE, Histoire romaine (URL : http://bcs.fltr.ucl.ac.be/LIV/VIII15-26.html).
- Marco VALLARIO, « La villa del Pausilypon. Analisi del contesto culturale e degli aspetti formali ».
- Emmanuelle VALETTE-CAGNAC, « Naples ou la Grèce en Italie », EHSS (Editions de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales), Dossier « Et si les Romains avaient inventé la Grèce ? », Mètis (URL : https://books.openedition.org/editionsehess/2153?lang=fr).
- Ivan VARRIALE, Pausilypon tra otium e potere imperiale, Mitteilungen des Deutschen Archaologischen Instituts - Romische Abteilung, Novembre 2015.
- Pierre VESPERINI, « Que faisaient dans la baie de Naples Pison, Philodème, Virgile et autres épicuriens ? Pour une approche hétérotopique des pratiques philosophiques romaines », Mélanges de l’Ecole française de Rome, 2009, 121/2 (URL : https://www.persee.fr/doc/mefr_0223-5102_2009_num_121_2).
- Paul VEYNE, L’Empire gréco-romain, Seuil, 2005.
- Paul VEYNE, Le Pain et le Cirque. Sociologie historique d’un pluralisme politique, Seuil, L’Univers historique, 1976.
- VIRGILE, L’Enéide, Le Livre de Poche, 1497-1498.
Sitographie
· https://www.pithecusae.it/en/
· https://www.areamarinaprotettagaiola.it/il-parco-archeologico-del-pausilypo
· https://www.metropolitanadinapoli.it/le-riscoperte/
[2] Présentation de Graziella – URL : https://www.babelio.com/livres/Lamartine-Graziella/13842.
[3] Sur l’histoire grecque de Naples, voir Karl Julius Beloch, Campania. Storia e topografia della Napoli antica e dei suoi dintorni, Bibliopolis, Naples, 1989 (trad. de Campanien : Geschichte und Topographie des antiken Neapel und seiner Umgebung, Breslau, 1890), chap. 1 (pp. 39-48) ; Stefano De Caro, Angela Greco, Campania, Guide archeologiche Laterza, Roma-Bari, 1981, pp. 10-18 et Neapolis. Atti del venticinquesimo convegno di studi sulla Magna Grecia, Taranto, 3-7 ottobre 1985, Istituto per la storia e l’archeologia della Magna Grecia, Taranto, 1986, pp. 9-81.
[4] Avant de quitter la métropole, les responsables de la future colonie (oikistes) allaient généralement consulter l’oracle d’Apollon à Delphes (si du moins l’on s’en réfère à ce qu’indiquent les sources, mais, comme l’écrit Henri Tréziny spécialiste reconnu de l’histoire et de l’archéologie de la colonisation grecque en Occident, dans son article « Les colonies grecques de Méditerranée occidentale », il est probable que la plupart de ces traditions littéraires soient apocryphes, car si l’oracle de Delphes a pris de plus en plus d’importance au fil du temps, ce n’était sans doute pas encore le cas à la fin du VIIIe siècle). La grande divinité de la colonisation est Apollon Archégétès (le qualificatif d’Archégète, « fondateur », est souvent accolé à Apollon, dieu fondateur par excellence).
[5] Emmanuelle Vallette-Cagnac, « Naples ou
la Grèce en Italie ».
[6] Le site archéologique du parc de
Punta Chiarito est similaire à celui d'Herculanum (englouti sous une énorme coulée
de boue), mais il a plus de sept siècles. L’intérieur d’une cabane du village de
Punta Chiarito a été reconstituée au musée archéologique national de Naples
(voir guide rapide du musée, p. 82).
[7] Genre de « Mont-Saint-Michel
napolitain », le château aragonais est une île volcanique proche de l'île d'Ischia sur laquelle a été
construit un village fortifié. Il doit
son nom à Alphonse d’Aragon qui le rebâtit en 1441 et fit ajouter un pont pour
relier l’îlot à Ischia. C’est
un des plus beaux sites que l'on puisse voir dans toute la région.
[8] L’île est si éloignée de la métropole que l’imaginaire grec la conçoit
peuplée d’une multitude de singes, d’où elle aurait tiré son nom de Pithecusses,
qui pourrait être issu du mot pithekos (« singe »),
en référence à la légende selon laquelle les premiers habitants de l'île,
les Cercopes (deux fils du Titan Océan et de l’Océanide Théia) avaient été
métamorphosés en singes par Zeus (Ovide, XIV, 92) en raison de
leurs mensonges et méfaits (cf. le vase du musée archéologique national de
Madrid montrant Hercule les transportant attachés à un bâton et la métope du
temple C de Sélinonte). Pline l'Ancien (Histoire naturelle, Livre
III, 6, 82) réfute cette étymologie et fait dériver ce nom de pythoi du
fait qu’à Ischia étaient implantées de nombreuses fabriques d’amphores. Le
matériel archéologique atteste effectivement que la production de poteries y
était florissante à l’époque géométrique.
[9] Pour l’anecdote, rappelons
que la mère des deux jumeaux avait averti ceux-ci de se méfier de l’homme « aux
fesses noires ». Or, le héros mélampyge, c’est Hercule. Suspendus la tête
en bas, ils virent les fesses tannées par le soleil d'Héraclès, dont le
vêtement en peau de lion ne couvrait que le dos, et ils éclatèrent d’un rire
sonore. Héraclès, lui-même amusé, décida alors de les libérer.
[10] Flore Lerosier,
« La polis grecque classique. L’exemple de Neapolis », Frontière-s,
n° 4, 2021, consultable en ligne : https://publications-prairial.fr/frontiere-s/index.php?id=682. D’après elle, le premier noyau de la Naples
antique n’était pas une ville au sens strict du terme, mais une petite station
maritime militaire et commerciale dépourvue de grands monuments. A l’origine,
donc, la Parthenopè n’aurait pas été une polis au sens strict du terme.
[11] Cf. son article « Evidenze
Geo-archeologiche nel Golfo di Napoli tra Posillipo e Castel dell’Ovo » (URL : https://www.academia.edu/39353496/GTA01_2019_art_Avilia_Santanastasio).
[12] Toutefois, il semblerait que, lors de fouilles
récentes (2020), les archéologues aient constaté que Cumes n’était pas une
colonie, mais une véritable ville grecque (polis) comme Naples (Neapolis).
Les dernières recherches archéologiques menées à
Cumes sur la stratigraphie archaïque aboutissent en effet à deux résultats
pertinents : une antidatation de la fondation de la colonie grecque, qui peut
se situer vers le milieu du VIIIe siècle av. J.-C., et donc plus proche de la
fondation de Pithecusa, et la reconstruction à travers les témoignages
archéologiques retrouvés d'un habitat, l'habitat colonial, déjà structuré et
urbanisé depuis les premières années de la phase coloniale. Pour une lecture des informations approfondies relatives
aux dernières fouilles et aux phases chronologiques archaïques primitives, voir
les publications les plus récentes de M. D'Acunto, G. Greco et A. Tomeo, C.
Rescigno.
[13] Au chant VI de l’Enéide
de Virgile.
[14] L’antre est un
tunnel de pierre et il n’y a en réalité aucune preuve que ce tunnel découvert
en 1932 par Maiuri soit réellement le lieu où la Sibylle de Cumes s’adonnait à
la divination (différence entre la Pythie de Delphes et la Sibylle de
Cumes : la Pythie n'est que la porte-parole
du dieu Apollon (l’oracle est la réponse d’un dieu à une question personnelle) ;
la Sibylle parle en son nom et revendique la singularité de sa prophétie et le
caractère indépendant de ses réponses). Pour certains archéologues,
l’« antre de la Sybille » pourrait n’avoir été qu’un simple ouvrage
défensif.
[15] Lors de la bataille
navale de Cumes, en 474 av. J.-C., la flotte étrusque, piégée dans la nasse de
la baie de Naples, a été complètement anéantie par celle conjointe de Cumes et
de Syracuse.
[16] Une tyrannie, dans son sens premier en grec, c’est en fait
l’exercice du pouvoir par une seule personne et le terme « tyran »
n’a pas, à l’origine, de connotation péjorative. Les tyrans sont des aristocrates qui
prennent le pouvoir dans de très nombreuses cités grecques de l’époque et ils
n’ont pas ce côté négatif qu’on va leur donner beaucoup plus tard, en
particulier à partir de la fin du Ve siècle lorsque trente tyrans vont prendre
le pouvoir à Athènes après la Guerre du Péloponnèse (les Trente : http://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Trente).
[17] Sur
le casque étrusque, Hiéron a fait inscrire « Hiéron, fils de Deinoménès,
et les Syracusains [l'ont offert] à Zeus [l'ayant pris] sur les Tyrrhéniens
(« Turana ») de Cumes » (voir Jean-Paul Thuillier, Les
Etrusques : la fin d’un mystère ? p. 96).
[18] Les lettres ont une graphie archaïque : la
lettre Epsilon, par exemple, est dotée d’une haste très penchée et la lettre H est
fermée pour indiquer l’aspiration (elle disparaîtra à l’époque classique).
Quant à la lettre Phi, elle est un ajout à l’alphabet phénicien.
[19] « De Nestor, je suis la coupe au bon
breuvage. Qui boira cette coupe sera aussitôt saisi du désir d’Aphrodite à la
belle couronne. » (Iliade, Livre 11, vers 632-637).
[20] https://revues.be/francophonie-vivante/329-franc-vivante-2-2019/856-voyage-des-mots-et-des-langues-en-mediterranee.
[22] Le Greco est un cépage blanc italien cultivé dans le sud de
l'Italie et l’une des quatre régions DOCG situées en Campanie. Le Greco di Tufo
tire son nom de la petite ville de Tufo à Avellino. Les sols volcaniques et
argileux riches en soufre et en tuf que l’on trouve dans les collines
volcaniques de Campanie centrale lui confèrent ses propriétés organoleptiques uniques.
Il a vraisemblablement été importé de Grèce au VIIe siècle
av. J.-C.
[23] Jean-Noël Schifano, Naples, page 12.
[24] Avant le départ, le fondateur (l'oïkiste) célèbre un sacrifice
qui permet de vérifier que les présages sont favorables à son entreprise et de
demander l'assistance des dieux de la cité pour le bon déroulement du voyage et
pour l’octroi d’une terre accueillante.
[25] Voir en particulier Irad
Malkin (professeur d’histoire de l’Antiquité grecque à l’Université de
Tel-Aviv), Un tout petit monde. Les réseaux grecs de l’Antiquité,
Les Belles Lettres, 2018.
[26] Voir l’article https://fr.wikipedia.org/wiki/Colonisation_grecque.
[27] Ses habitants, les Sybarites passaient pour
vivre dans la mollesse et la volupté. Les Sybarites avaient interdit l’exercice
dans leur cité de tous les métiers susceptibles de troubler le repos de ceux
qui dorment. Ils avaient banni les coqs pour la même raison ! Un Sybarite,
nommé Smyndiride, menait une vie encore plus délicieuse que les autres :
Sénèque (De Ira, Livre II, Chapitre
25) nous rapporte que Smyndiride (ou Myndiride comme il l’appelle) passa une
nuit sans dormir parce que, parmi les feuilles de rose dont son lit était semé,
il y en avait une sous lui qui s’était pliée en deux, lui meurtrissant l’épiderme
! Il raconte aussi qu’à la vue d’un homme qui travaillait la terre, Myndiride
s’en trouva lui-même si fatigué : il interdit à ce paysan de dorénavant labourer
en sa présence. Le mot désigne de nos jours une personne qui s'adonne aux
plaisirs de la vie dans le luxe et le raffinement. J’ai un très fidèle ami – qui se reconnaîtra –
qui m’avait confié une méthode d’identification originale, mais infaillible
d’un sybarite : « On reconnaît un Sybarite à ses chaussures ».
[28] La cathédrale de
Sainte-Lucie de Syracuse est un temple usurpé (« une
double colonnade grecque y répète celle des murs » « Cicéron raconte que les prêtres montraient au
peuple la place des tableaux volés par Verrès ». Tradition de
voleurs : « Denys le Tyran vola même la barbe d’Esculape ». (Roger Peyrefitte, Du Vésuve à l’Etna, p.
366).
[29] Du Vésuve à l’Etna, p. 333.
[30] La splendide statue de l’éphèbe ou de l’aurige de Mozia est renommée
pour la recherche du drapé mouillé.
[31] « C’est là que se déployèrent les flottes d’Alcibiade et de Marcellus »
(Roger Peyrefitte, Du Vésuve à l’Etna, p. 361).
[32] Phocée est une ancienne ville d’Ionie (aujourd’hui en turc : Foça,
dont le nom rappelle celui de l’antique cité), située sur la côte de la mer
Egée. Elle a été fondée entre le Xe et
le VIIIe siècle av. J.-C. par des Grecs venus de Grèce continentale.
[33] Aux dernières nouvelles, un accord d’exportation
du blé ukrainien a été signé entre Kiev et Moscou sous l’égide de la Turquie.
[34] Dans le mythe, les Sirènes sont repoussées aux
limites du monde connu : sur les bords de l’Océan, qui signalent aussi les
confins entre le monde des vivants et celui des morts, entre le monde grec et
le monde inconnu et barbare. Cela expliquerait que la sirène soit présente dans
les moments de passage, et notamment celui de la vie à la mort.
[35] Chaque héros utilise
ses propres méthodes. Ulysse emploie son talent inné : la ruse, la Mètis
en grec. Thésée (et le Minotaure), Persée (et Méduse), Hercule (et l’Hydre de
Lerne) et tant d’autres auront chacun leur propre « modus operandi »
(adapté forcément à l’être ou à l’animal fabuleux à affronter) mais celui-ci
restera un combat armé. Pour la sphinge, en revanche, ce sera un combat mental
qu’engagera Œdipe avec la créature qui tuait les jeunes Thébains ne sachant pas
répondre à sa question : « Quel est l'animal qui a quatre pieds au matin,
deux à midi et trois le soir ? ». Seul Œdipe trouvera la solution : « C’est
l'homme qui, dans son enfance, se traîne sur ses pieds et sur ses mains, qui se
tient debout à l'âge adulte, et qui s'aide d'un bâton dans sa vieillesse ».
Cette définition résume en fait toute l’énigme de la condition humaine. De rage
et de dépit, le Sphinx se tuera.
[36] Pour ce culte, voir l’ouvrage précité de Madame Leclercq-Marx.
[37] Hermès, associé aux Enfers, accompagne les Ombres
des mortels jusqu'au Styx, que Charon leur fait traverser.
[38] Il partage le même idéal de beauté que le Kouros.
[39] Partenu-opxis signifie
« celle
qui a un visage de jeune fille », de parthenos, « jeune fille »,
en particulier « vierge ».
[40] NB : chez Homère, elles ne
portent pas de nom, mais le duel est utilisé. On peut donc en déduire qu’elles
sont deux. Mais RIEN ne dit que dans le chef d’Homère, il s’agissait déjà de
Parthenopè et de Ligeia. A l'évidence, il s'agit de noms ajoutés postérieurement.
Une des premières apparitions du nom de Parthenopè se situe dans la Géographie
de Strabon (Livre V, Chapitre IV, 7).
[41] Les Filles du Rhin peuvent
être assimilées à des nixes. Cf. Wagner : dans l’interprétation,
très intelligente et fidèle au texte, de L’Or du Rhin, dirigé
par Pierre Boulez et mis en scène par Patrice Chéreau (« Ring du
centenaire »), le fleuve est transformé en barrage, mais ce n’est pas un
décor gratuit (comment se représenter autrement le lit du Rhin ? on est en
effet dans le fleuve). Les Filles du Rhin sont en train d’y jouer en tenue de
danseuse des Folies Bergère (car comment séduire en armure ?).
[42] Même si le fait qu'elles aient
été localisées sur une île a pu la faciliter.
[43] Le mot anglais « mermaid » n'est pas très ancien, avec
la plus ancienne attestation en moyen anglais (Chaucer).
[44] Voir Jacqueline Leclercq-Marx, La Sirène dans la pensée et dans l’art
de l’Antiquité et du Moyen Âge. Du mythe païen
au symbole chrétien,
Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1997, § III. Cette étude est désormais
consultable librement en ligne sur le site https://koregos.org/fr/jacqueline-leclercq-marx-la-sirene-dans-la-pensee-et-dans-l-art-de-l-antiquite-et-du-moyen-age/4389/.
[45] Ulysse et Orphée sont les deux héros à avoir
résisté à leurs charmes.
[46] URL : https://altritaliani.net/breve-histoire-de-la-musique-a-naples-ce-virus-qui-fait-chanter-les-napolitains/.
[47] Pour expliquer le
mouvement apparent des astres et planètes, Platon suppose qu’ils sont incrustés
dans des sphères concentriques, qui se meuvent les unes par rapport aux autres
autour de
[48] Le mot « lamantin » vient de
l'altération d'un mot caraïbe (manati),
par croisement avec le verbe « lamenter », d’après le cri de
l’animal. Les lamantins se « lamentent » en effet et le chant des Sirènes
aurait été assimilé à ces gémissements. De plus, lorsque la femelle lamantin
allaite, ses glandes mammaires, situées sous les bras et non sous le ventre
comme la plupart des mammifères, s'hypertrophient, évoquant des seins. Cette
légende date de l'expédition de Christophe Colomb qui avait noté sur son carnet
de bord en référence aux lamantins : « trois Sirènes ».
[49] Jacqueline Leclercq-Marx,
La Sirène…, op.
cit. , § I. D’Homère à Hygin.
Source du thème.
[50] La plus connue
d’entre elles figure sur un stamnos attique à figures rouges provenant de Vulci
et conservé au British Museum (le peintre de ce vase a été, en fonction de la
scène en question, dénommé le « Peintre des Sirènes »). En voici la
description : les Sirènes vivent sur des falaises abruptes (11 sur la photo) au
centre desquelles le bateau s’est engagé.
Au nombre de trois, elles sont reconnaissables à leur corps d’oiseau et à leur tête
féminine : deux sont perchées sur un rocher, l’une les ailes repliées,
l’autre, déployées ; la troisième opère un vol en piqué (1) soit pour donner
plus d’intensité à son chant mortifère (cf. le son effrayant de la sirène
hurlante des Stukas pendant la Seconde Guerre mondiale – signalons en passant
que le nom de « sirène »
a été donné à ce système par l’ingénieur et physicien français Charles Cagniard
de Latour en 1819, en référence aux Sirènes de la mythologie
grecque), soit pour se suicider, ayant failli à sa mission en laissant
passer le navire d’Ulysse. Suivant
les conseils de Circé, Ulysse avait ordonné à ses compagnons de se boucher les
oreilles avec de la cire (2), tandis qu’il s’était
fait attacher au mât de son bateau, mais sans s’être fait boucher les oreilles (3).
Le timonier (5) manœuvre le gouvernail (6) pour garder le cap et les rameurs (2) font lentement évoluer le navire dont
les voiles sont carguées (4).
Une anomalie notable : on compte six rames pour quatre rameurs. Le bateau
représenté est une embarcation grecque trapue de l’époque classique (une monère,
une galère à un seul rang de rameurs). On distingue l’éperon (8), une poupe terminée
par une tête de volatile et une minuscule draperie (9), un abri couvert de
croisillons (7) part de la proue jusqu’au mât au
sommet duquel se trouve un cercle de métal et des anneaux pour faire coulisser les
drisses (4). A la proue est
peint un œil apotropaïque (10) afin de « voir la
route » et d’éviter les écueils.
[51] Pour avoir laissé passer le rusé Ulysse. Un
devin leur aurait en effet prédit qu’elles mourraient « si quelqu’un
pouvait ouïr leur chant sans en devenir la victime » (voir Joël Schmidt, Dictionnaire
de la mythologie grecque et romaine, pp. 282-283).
[52] Le sanctuaire de Ligeia se trouvait sur la côte tyrrhénienne de
la Calabre, dans l’ancienne ville Terina, cité de la Grande Grèce,
l’actuelle Lamezia Terme.
[53] Mais le nom subsiste un peu partout dans la Naples actuelle : pour
ne prendre qu’un seul exemple, citons celui de l’Universita degli Studi di
Napoli qui porte ce nom et dont le sigle est une Sirène stylisée au corps
d’oiseau.
[54] Appelé ainsi parce que Virgile y aurait caché, selon la légende, un œuf de
la Sirène Partenopè, pondu juste avant sa mort, dans le cœur labyrinthique de
la forteresse (il l’aurait placé dans un récipient en verre rempli d’eau, protégé
lui-même par une cage de fer suspendue à une poutre en chêne dans une pièce
secrète construite à cet effet dans les entrailles du château). Il aurait
recommandé aux habitants de ne jamais y toucher sous peine de voir s’abattre un
cataclysme sur la cité parthénopéenne. En effet, si, par malheur, l’œuf se
brisait, le château s’abîmerait dans la mer et la ville de Naples serait
frappée par une série de malheurs. Voir Jean-Noël Schiffano, Naples, p.
60. Ce sont les passages
profonds situés sous le Castel dell'Ovo et datant du premier siècle avant J.C. qui
ont donné naissance à cette légende de l'œuf magique. La « salle des
colonnes » (dont le nom provient des colonnes romaines encore debout) remonte
à l’époque où la villa de Lucullus se dressait sur l’îlot. Au Moyen Âge,
lorsque des moines byzantins (basiliens) prirent possession de la
villa-forteresse la transformant en monastère, ils construisirent les cellules
des moines sur les vestiges de la villa romaine.
[55] Parce
qu’adossée à l’église Santa Caterina della Spina corona. Cf. l’article https://ecampania.it/event/napoli-fontana-spinacorona-o-delle-zizze/.
[56] Le dessin animé
« La Petite Sirène » s’inspire du conte éponyme de Hans Christian
Andersen. La statue sur un rocher dans le port de Copenhague, dont la taille
relativement petite (elle ne fait que
[57] Le nom de Pizzofalcone remonte
à la moitié du XIIIe siècle, lorsque le roi de Naples, Charles
Ier d'Anjou décide d’utiliser cette colline pour la chasse au faucon,
y faisant construire une fauconnerie. Voir Giovanni Battista de Ferrari, Mariano Vasi (1826) A new guide of Naples,
its environs, Procida, Ischia and Capri, compiled from Vasi's guide, pag.
184-187.
[58] Se dit d'un appareil plein-sur-joint où toutes les pierres ont même
hauteur et même longueur. Il
s’agit du vocabulaire historique grec : curieusement, quand il s’agit de
décrire les caractéristiques des murs romains, on emploie le terme d’« opus »
en lieu et place d’« appareil ».
[60] La Campanie était
riche en théâtres dont la typologie se réfère à celle des théâtres grecs
(une architecture qui épouse la forme naturelle du terrain) : la villa
impériale de Pausilypon, Herculanum, Pompéi et Veia (nom donné par les Romains à la colonie
grecque d’Elea, située à 40 km de Paestum) en possédaient un (cf. Le
cammino dei teatri de Luigi Petti - URL :
https://www.academia.edu/34539253/Il_Cammino_dei_Teatri_1_CITTA_METROPOLITANA_DI_NAPOLI_Progetto_patrocinato_da_International_Council_on_Monuments_and_Sites).
[61] Dans ses Annales, Tacite
(Livre XV, 33 et 34) raconte que Néron, qui n'avait chanté jusqu’alors que dans
son palais ou dans ses jardins, où les spectateurs étaient trop peu nombreux à
son gré, et la scène trop étroite eu égard à son talent, n’osant toutefois
faire ses débuts à Rome, choisit Naples, en qualité de ville grecque : là, il
aiguiserait ses couteaux pour se rendre ensuite en Grèce afin de recevoir les
couronnes cautionnant son talent. Il y arriva toutefois un événement funeste,
mais où Néron vit une providence de la part des dieux bienveillants : en plein
milieu du spectacle, un violent tremblement de terre se produisit provoquant
l’écroulement du théâtre. Heureusement, tous les spectateurs purent sortir à
temps et, comme le théâtre était vide, personne ne fut blessé. Néron composa
des chants pour remercier les dieux et retracer l'histoire de cette mémorable
aventure. Dans sa Vie des Douze Césars (Néron, XX), Suétone confirme que
« Ce
fut à Naples qu'il débuta. En vain un tremblement de terre ébranla le théâtre ;
il ne cessa de chanter que lorsqu'il eut fini son air. Il y chanta
souvent, et plusieurs jours de suite. Après avoir pris un peu de loisir pour
reposer sa voix, impatient de l'obscurité, au sortir du bain, il revint au
théâtre, mangea dans l'orchestre en présence d'un peuple nombreux, et promit en
grec qu'aussitôt qu'il aurait un peu bu, il ferait retentir quelque chose de
plein et de sonore. ».
[62] L’Unesco a reconnu en 2013 le napolitain comme
une langue à part entière (seconde langue officielle d’Italie) et non comme un
dialecte (voir l’article de Maria Franchini https://altritaliani.net/le-napolitain-une-langue-et-non-un-dialecte-lunesco-confirme/).
[63] Trois langues prétendent avoir
« injecté » le mot : le français, l’espagnol et le grec, cette
dernière étant l’hypothèse la plus crédible.
[64] Chrysos en grec a donné les mots
français chrysalide (à cause des belles
couleurs d'or dont
plusieurs chrysalides sont ornées), chryséléphantin (d’or et d’ivoire), chrysanthème (« la fleur d’or
très présente dans l’œuvre de Proust qui en égaie le salon d’Odette de Crécy,
la maîtresse de Swann), chrysobulle (« bulle d’or » pour sceller les
documents) ou encore dans le nom propre saint Jean Chrysostome (« à la
bouche d’or » pour sa brillante éloquence).
[65] Si sa couleur est due au « baiser du
soleil », son goût inimitable lui est conféré par la nature volcanique du
sol dans lequel l’abricotier du Vésuve puise ses nutriments (minéraux). C’est
en tout cas sa couleur qui indique le degré de maturité du fruit : quand
il a cette couleur tendant vers l’orange avec des nuances de rouge, cela
signifie qu’il est mûr et très sucré, et que chaque bouchée va fondre comme une
coulée d’or dans la bouche.
[66] Voir l’article de Erri De Luca, « Le
origini greco-latine del dialetto napoletano : a metà tra storia e mito » (URL
: https://www.qdnapoli.it/index.php?option=com_content&view=article&id=4325:le-origini-greco-latine-del-dialetto-napoletano-a-meta-tra-storia-e-mito&catid=25&Itemid=165).
[67] Voir l’article de Lorenzo Miletti
« Setting the Agenda: The Image of Classical Naples in Strabo’s Geography and
Other Ancient Literary Sources » qui constitue le chapitre 2 du livre
de Jessica Hughes et Claudio Buongiovanni, Remembering Parthenope: The
Reception of Classical Naples from Antiquity to the Present, pp. 18-38.
[68] Emmanuelle Valette-Cagnac, « Naples ou la Grèce en Italie ».
[69] Gadara est une cité
fortement hellénisée située dans la Décapolis de l’ancienne Syrie, actuellement
Um Qeis, en Jordanie actuelle.
[70] Anatole France en parle dans l’Ile des
Pingouins, un titre étonnant, mais qui relate l’histoire d’un vieil apôtre
qui, trompé
par sa mauvaise vue, baptise des pingouins, causant ainsi un trouble majeur
dans le Royaume des Cieux, situation pour laquelle Catherine d'Alexandrie a sa
solution : métamorphoser les pingouins en hommes (au travers de cette
fable, Anatole France s’attaque évidemment, avec sa verve bien connue, aux politiciens
de son temps : celui de Boulanger ou de l'affaire Dreyfus) : « Siron, qui jouissait parmi nous d’une
haute renommée, en m’enseignant le système d’Épicure, m’a affranchi des vaines
terreurs et détourné des cruautés que la religion persuade aux hommes
ignorants ; j’ai appris de Zénon à supporter avec constance les maux
inévitables » (page 151).
[71] « Nous mettons les voiles pour un port fortuné, nous allons entendre
les doctes préceptes du grand Siron, et nous libérons notre vie de tout souci, (…) »
(Virgile, Catalepton, 5 dans l’Appendix Vergiliana).
[72] Voir Lambros Couloubaritsis, Aux origines de
la philosophie européenne. De la pensée archaïque au néoplatonisme, p. 585.
[73] Lucius Calpurnius
Piso Caesoninus était un homme politique romain très influent et richissime
(la villa des papyri n’était que sa résidence secondaire). Il peut être comparé
à un milliardaire de nos jours (un Bill Gates, par exemple).
[74] Cf. Lambros Couloubaritsis, Aux origines de la
philosophie européenne. De la pensée archaïque au néoplatonisme, p. 585.
[75] Horace a étudié le grec et la philosophie à l’académie
d’Athènes
[76] Voir aussi Cicéron et Philodème. La polémique
en philosophie de Clara Auvray-Assayas et Daniel Delattre.
[77] Avec l’expulsion de Rome de philosophes
épicuriens (voir Lambros Couloubaritsis, Aux origines de la philosophie européenne. De
la pensée archaïque au néoplatonisme, p. 585).
[78] Cf. Pierre Vesperini, « Que faisaient
dans la baie de Naples Pison, Philodème, Virgile et autres épicuriens ?
Pour une approche hétérotopique des pratiques philosophiques romaines »,
p. 520.
[79] Voir Lambros Couloubaritsis, Aux origines de
la philosophie européenne. De la pensée archaïque au néoplatonisme, p. 585
[80] Si cette
bibliothèque ne contenait que 2000 ouvrages, ce qui paraît peu au regard des
standards d'aujourd'hui, songeons que 1300 ans plus tard, la bibliothèque du
Collège de Sorbonne, célèbre dans tout l'Occident au Moyen Âge, n'en contenait
qu'un petit millier.
[81] Au départ, on les a d’abord pris pour des morceaux de bois carbonisé, ce qui est
logique puisqu’ils se présentaient comme des petites buchettes noircies et que
la notion même de papyrus n’existait pas. Les trois ou quatre premiers ont
d’ailleurs même été utilisés comme combustible. Quelqu’un a fini par s’apercevoir –
probablement grâce à l’umbilicus
(l’orifice central des rouleaux originellement traversé par une tige en bois) –
qu’il y avait des écritures à l’intérieur et réaliser que leur véritable
nature était en fait des livres. Ces papyrus d’Herculanum firent aussi
l’objet d’un trafic. L’une des anecdotes les plus intéressantes sur ce trafic
concerne un échange (ou soi-disant échange) de dix-huit kangourous adultes
contre dix-huit rouleaux offerts au prince régent au XVIIIe siècle par le roi
de Naples. C’était le taux de change : un papyrus pour un kangourou.
Alexandre Dumas s’est fait l’écho de cette anecdote sur « les kangourous
de Caserte » dans son roman La San Felice.
[82] La logique inductive est un type de raisonnement qui cherche
à tirer des lois générales à partir de l'observation de faits individuels.
[83] Macello Gigante, Filodemo in Italia. Voir également son
autre ouvrage, La Bibliothèque de Philodème et l’épicurisme romain.
[84] Lambros Couloubaritsis, Aux origines de la
philosophie européenne. De la pensée archaïque au néoplatonisme, p. 586.
[85] Vincent Citot, Grandeur et décadence de la philosophie romaine, dans le
Philosophoire 2015/1 (n° 43) – URL : https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2015-1-page-199.htm.
[86] Lors de la deuxième guerre samnite (pour plus de détails, voir l’article https://fr.wikipedia.org/wiki/Deuxi%C3%A8me_guerre_samnite), une partie des citoyens grecs décidèrent de livrer la ville aux Romains en laissant entrer un contingent de leur armée par une poterne. La ville fut dès lors traitée favorablement par les Romains pour avoir changé de camp durant le conflit (voir Tite-Live, Histoire romaine, VIII, 25).
[87] Pour être précis, on devrait plutôt parler de
Cité-Etat, car la polis est un Etat, une communauté de citoyens –
d’hommes libres – indépendante, disposant de ses propres lois – autonomia
– et institutions, de son modèle politique spécifique – la politeia avec
trois familles de constitution : la tyrannie (dans laquelle le pouvoir,
reconnu par la cité, est confié à un seul homme), l’oligarchie (à quelques
personnes) ou la démocratie (au peuple) – et frappant sa monnaie distinctive à
l’effigie du dieu protecteur (par exemple, la chouette pour Athènes). Le poète
aristocrate et soldat Alcée en a donné la définition exacte en soulignant bien
que la cité était d’abord et avant tout une communauté humaine :
« Ce ne sont pas les pierres, ni le bois de charpente, ni l’art des
charpentiers (qui font) la cité ; mais partout où se trouvent des hommes
qui savent comment assurer leur salut, là se trouvent les remparts, là se
trouve la cité. Autrement dit, les citoyens peuvent migrer, mais la cohésion
est maintenue entre les hommes, même s’ils sont privés de leurs bases
géographiques. La polis comprend la ville proprement dite (l’asty
avec son acropole) qui peut être reliée à un port (l’epineion qui peut
être déconnecté de l’asty, comme c’est le cas pour le Pirée à Athènes ou
le Gythéion à Sparte) et son territoire (son arrière-pays ou hinterland), à
savoir ses campagnes (la chôra), domaine de l’agriculture, et ses
petites villages (kômaï) toujours situés dans la cité (ce sont les dèmes
pour Athènes).
[88] Voir Taylor Rabun intitulé Ancient Naples. A
documentary History. Origins to C.350 CE, p. 79.
[89] Emmanuelle Valette-Cagnac, « Naples ou la Grèce en Italie ».
[90] Jean-Michel
David, La Romanisation de
l’Italie.
[91] Toujours définie comme étant la période après
l’invention de l’écriture. Problème, l’écriture n’apparaît pas partout
simultanément. Donc, l’histoire ne commence pas universellement de manière
uniforme à une même date !
[92] Tandis que les historiens
français qualifient de Grandes Invasions l'entrée en masse des Germains dans
l'Empire romain, via le Danube ou le Rhin, leurs homologues allemands préfèrent
parler de Völkerwanderung ou « migration des peuples »
(littéralement « promenade des peuples » !). Du point de
vue des historiens qui sont de l’autre côté du Rhin, il s’agissait en effet de
simples mouvements migratoires, alors que pour ceux en deçà du Rhin, on avait
affaire à des invasions : pour expliquer cette divergence de vue, il ne
faut pas oublier les grandes guerres qui ont déchiré la France et l’Allemagne
au cours des deux derniers siècles (1870, 1914-1918, 1940-1945). Or, c’étaient
toujours les Teutons, les Germains, les Allemands qui envahissaient ou qui
pénétraient en Gaule ou en France. Donc, dans les manuels d’histoire, on
parlait des grandes invasions !
[93] Dans son Epître, Horace rappelle la place fondatrice de l’art grec – en
fait, les « arts » grecs au sens large, et plus particulièrement la
littérature comme le suggèrent les vers suivants – dans la formation de
l’esthétique, du goût et des styles de l’art romain.
[94] L'Empire dit « romain » fut en réalité gréco-romain à plus d'un
titre. Et d'abord par la langue. Certes, la langue véhiculaire qu'on pratiquait
dans sa moitié occidentale était le latin, mais c'était le grec autour de la
Méditerranée orientale et au Proche-Orient. Ensuite, la culture matérielle et
morale de Rome est issue d'un processus d'assimilation de cette civilisation
hellénique. L'hellénisation de
Rome, commencée déjà sous la République, s'accomplit sous le principat et le
Haut-Empire (Ier-IIe s. apr. J.-C). A partir d’Hadrien, les empereurs
eux-mêmes se feront représenter (et ce durant tout le IIe siècle) avec la barbe
des philosophes grecs, des sages (cf. notamment la statue équestre de Marc
Aurèle sur le Capitole), alors que les empereurs du Ier siècle sont toujours
imberbes (aucun des « douze Césars » ne porte la barbe). Le même Marc
Aurèle rédigera aussi des Pensées pour moi-même en grec : alors
qu’il est un empereur romain, il écrit en grec et non pas en latin. Enfin, l'Empire était gréco-romain en
un troisième sens : la culture y était hellénique et le pouvoir romain ; c'est
d'ailleurs pourquoi les Romains hellénisés ont pu continuer à se croire tout
aussi romains qu'ils l'avaient toujours été.
[95] Voir Luca di Franco, « Da Augusto a Tiberio, da otium a secessus. ».
[96] Cf. « Otiosa
Neapolis », Virgile, Géorgiques, IV, 563-564 ; Horace, Epodes,
V, 43) ; Ovide, Métamorphoses, XV, 711-712 ; Stace, Silves,
III, 5, 85) ; Silius Italicus, Punica, XII, 31-32).
[97] Pierre Vesperini, « Que faisaient dans la baie de Naples Pison,
Philodème, Virgile et autres épicuriens ? Pour une approche hétérotopique
des pratiques philosophiques romaines », Mélanges de l’Ecole française de
Rome, 2009, 121/2, p. 519.
[98] « Villae qui n’ont plus pour fonction d’être
économiquement rentables (de produire du fructus), mais de créer de la voluptas. Voir Lafon, 2001,
pp. 219-221 ».
[99] « Un poème de Stace (Silves, II. 2.63.)
évoquant la villa de
Pollius Felix à Sorrente fait de celle–ci une sorte de musée de la Grèce :
viennent s’y accumuler toutes sortes d’objets grecs, provenant des plus grands
sculpteurs, des plus grands peintres (veteres
figuras). En outre, chaque pièce est orientée de façon à faire pénétrer
un « paysage grec » à l’intérieur même de la villa (une des pièces
donne sur Naples). Enfin les marbres qui ont servi à la construire proviennent
des carrières les plus anciennes de Grèce (Grais
penitus delecta metallis saxa) et sont associés à divers mythes
grecs. ».
[100] Emmanuelle Valette-Cagnac,
« Naples ou la Grèce en Italie », (Editions de l’Ecole des Hautes
Etudes en Sciences Sociales), Dossier « Et si les Romains avaient inventé
la Grèce ? », Mètis.
[101] Cf. l’article
« Les intellectuels et leur représentation dans les mosaïques du Ier
siècle après J.-C. » (URL : https://peintureantique.wixsite.com/monsite/single-post/2017/03/29/les-intellectuels-et-leur-repr%C3%A9sentation-dans-les-mosa%C3%AFques-du-ie-s-ap-j-c) et celui de Marwan
Rashed, « La mosaïque des philosophes de Naples : une représentation
de l’académie platonicienne et son commanditaire » (https://www.academia.edu/15145829/LA_MOSA%C3%8FQUE_DES_PHILOSOPHES_DE_NAPLES_UNE_REPR%C3%89SENTATION_DE_LACAD%C3%89MIE_PLATONICIENNE_ET_SON_COMMANDITAIRE).
[102] A ne pas confondre donc avec Diogène le Cynique, ni avec Diogène Laërte,
ni avec Diogène de Sinope.
[103] Un résumé de 3500 lignes quand même !
[104] Voir La
philosophie épicurienne sur pierre. Les fragments de Diogène d'Oenoanda, traduits par Alexandre Etienne et Dominic O'Meara; Fribourg, Cerf,
1996.
[105] Hannah
Arendt, Condition de
l'homme moderne, Quarto Gallimard, 2012, p. 71, note 2.
[106] Lambert Isebaert, « Le loisir selon Platon : paix, épanouissement
et bonheur », pp. 297-298.
[107] Emmanuelle Valette-Cagnac, « Naples ou la Grèce en Italie ».
[108] On retrouve la même idée (une approche
hétérotopique) chez Pierre Vesperini dans son article « Que faisaient dans
la baie de Naples Pison, Philodème, Virgile et autres épicuriens ? Pour
une approche hétérotopique des pratiques philosophiques romaines »,
Mélanges de l’Ecole française de Rome, 2009, 121/2. Autrement dit, « les
Romains auraient un rapport différent à la philosophie selon le lieu où ils se
trouvent » (p. 515). L’auteur explique combien Rome est un « lieu
problématique » pour la philosophie (p. 516) et montre que
« l’inclusion de l’épicurisme dans la culture romaine, au Ier siècle av.
J.-C., passe par la baie de Naples » (p. 517).
[109] Ibid.
[110] On y a mis au jour d’importants témoignages du passé : les ruines d’une piscine romaine (natatio), découvertes à côté de l’actuelle piscine principale de l’hôtel (elle a été mise au jour lors de la rénovation de cette dernière) et toujours visibles, des éléments décoratifs en marbre (statues et chapiteaux) et un tuyau de plomb (fistula) pour l’écoulement de l’eau de la piscine. La natatio faisait certainement partie de la splendide villa de l’empereur Auguste, dont on dit, selon toute vraisemblance, qu’elle s’est élevée directement sur le sol où se dresse aujourd’hui l’Excelsior Vittoria. Aucune ruine de la villa n’est actuellement visible, à l’exception de ces vestiges de la piscine et de certaines parties des colonnes du jardin de l’hôtel. Dans le parc ont aussi été retrouvés les vestiges d’un complexe thermal et d’une galerie souterraine (crypta) parallèle à la voie publique de l’hôtel. Conservée sur environ 95 mètres (sur une longueur de 190 m) et encore ouverte de nos jours, cette galerie, taillée dans le tuf, débute en hauteur, descend en pente (15 %) de façon rectiligne et se termine au niveau de la mer (elle reliait la Via Minerva à Marina Piccola, peut-être utilisé comme port militaire pendant les guerres civiles). Ce genre de galerie, construite sous l’influence des cryptes phlégréennes réalisées par Lucius Cocceius Auctus (architecte et ingénieur romain originaire de Cumes), permettait de faire communiquer les villas romaines avec le littoral situé en contre-bas. Ventilée par deux puits, elle avait pour fonction, dans ce cas-ci, d’assurer le passage des personnes et le transport de matériaux pondéreux à usage militaire d’abord et civil par la suite. Pour plus de détails, voir Mario Russo, Archeologia tra l'hôtel Vittoria e Capo Circé: scavi e rinvenimenti dal Settecento un oggi, Centro di studi e ricerche multimediali Bartolomeo Capasso, Sorrente, 1997.
[111] En particulier, la Villa a connu un succès à
l'occasion du 2000e anniversaire de la naissance d'Auguste, honoré par le
Duce Benito Mussolini. La vue que l'on peut apprécier du côté nord embrasse une
grande partie du golfe de Naples, allant de l'île d’Ischia
à Punta Campanella, tandis que le côté sud surplombe l’agglomération urbaine
de Capri. Au centre de la villa se trouvaient les citernes pour la
collecte de l'eau de pluie, une ressource essentielle sur une île
sans sources naturelles, utilisée à la fois comme eau potable et comme réserve
pour les thermes.
[112] Cette légende a été contestée à plusieurs
reprises, car un corps jeté de cette hauteur ne tomberait pas dans la mer, mais
s’écraserait sur les rochers.
[113] Sa femme, Julie, la fille d’Auguste, avait une
réputation des plus sulfureuses (elle était surnommée « le matelas de
Rome » !).
[114] Cette villa de Vedius Pollion,
richissime homme d’affaire de l’époque d’Auguste, bâtie sur le Pausilippe à
Naples ne doit pas être confondue avec la villa sorrentine de Pollion Felix
(chantée par le poète latin Stace, Silvae, II.2. : cf. l’article de
M. Russo sur villa sorrentine de Pollion Felix paru en 2004 dans la revue Oebalus).
Pour Vedius Pollion, on retiendra l’anecdote des murènes rapportée par trois
auteurs latins : Sénèque (De ira, Livre III, 40 ; De clementia,
Livre I, 18, 2), Pline l’Ancien (Histoire naturelle, Livre IX, 39) et
Dion Cassius (Histoire romaine, Livre LIV, 23). On en trouve une allusion
dans l’album d’Alix, le Tombeau étrusque. A sa mort Vedius Pollion légua
une grande partie de ses biens dont sa grandiose villa du Pausilippe à Auguste,
avec le vœu qu’on construisît avec son argent un monument splendide au peuple
romain. L’empereur, sous prétexte de préparer cette entreprise, fit raser la
résidence de Pollion à Rome qui se trouvait sur l’Oppius et fit édifier à la
place le Portique d’Octavie. Selon Dion Cassius, l’objectif recherché était
d’effacer toute trace du personnage dans la ville (la superficie du Portique
donne une indication sur la dimension de la maison de Pollion à laquelle il
s’est substitué : 11 500 m2 !). Voir les articles d’Ivan
Varriale, Pausilypon tra otium e potere imperiale, Mitteilungen des Deutschen Archaologischen Instituts - Romische
Abteilung, Novembre 2015 et de Marco Vallario, « La
villa del Pausilypon. Analisi del contesto culturale e degli aspetti formali ».
[115] Même si le terme est utilisé dans certaines universités (cf. l’article « Les
intellectuels et leur représentation dans les mosaïques du Ier siècle après
J.-C. »), je suis réticent à l'usage du mot « intellectuels »,
anachronisme qui renvoie à une catégorie typiquement française et moderne. Voir
l’article https://fr.wikipedia.org/wiki/Intellectuel/. Il en est de même pour le terme « penseur ».
[116] Il en parle dans son Ode II.18 en fustigeant l’avidité d’Orcus :
« Et toi, aux approches de la mort, ce n’est pas au tombeau que tu penses,
mais tu donnes des marbres à tailler, tu bâtis des maisons, tu t’acharnes à
gagner de nouveaux rivages sur la mer sonore de Baies (= repousser plus au
large la mer retentissante de Baïes), tu ne te juges pas assez riche avec la
terre ferme. » (Horace, Œuvres, GF, p. 81)
[117] Yann Le Bohec, Lucullus : général et
gastronome.
[118] Quelques gastronomes
érudits lui savent gré d’un important bienfait apprécié de tous : selon Pline (Histoire
Naturelle, livre XV, 30), il a introduit la cerise comestible qui
s’est diffusée vers toute l’Europe (il y avait des cerisiers en Europe occidentale,
mais leurs fruits n’étaient pas consommables). C’est lors du siège d’une ville
au nord de l’Anatolie, Cerasus (actuellement, la ville turque de Giresun),
que Lucullus, après que ses soldats l’aient détruite, découvrit des arbres
fruitiers dont il trouva le fruit délicieux. Après avoir vaincu Mithridate et
son allié Tigrane, donc en 66 av. J.-C., il rapporta des plants en Italie et
donna au fruit le nom de la ville saccagée : le fruit de Cerasus (la
ville), ce qui donna kerasion (le fruit en grec), cerasum (le
fruit en latin), d’où notre mot cerise. Depuis les villas de Lucullus, les
cerises se sont ainsi répandues dans tout l’Occident.
[119] Il était aussi
parfaitement bilingue. Il y a une anecdote selon laquelle il dit un jour à un
ami qu’il envisage d’écrire une histoire de la guerre civile à laquelle il
avait participé. Il lui signale qu’il peut l’écrire en vers ou en prose, en
latin ou en grec, en précisant que s’il l’écrit en grec, il veillerait à
ce qu’il y ait quelques tournures – pas des fautes – qui montrent au lecteur
qu’il est un Romain. D’un point de vue linguistique, il était donc un
personnage extraordinaire.
[120] Lucullus mérite les
louanges de Plutarque pour sa bibliothèque et sa villa, qu’il qualifie de
« prytanée », de conservatoire de l’ancienne Académie, de
« retraite des Muses » ouverte à tous les lettrés, grecs et romains.
Le siège probable de la grande bibliothèque « pontique » paraît avoir
été la principale résidence romaine de son propriétaire.
[121] Les villas qu’on lui attribue
le sont toujours de manière hypothétique (les villas
campaniennes ont pu être localisées, avec de bons arguments à Misène, à Nisida
– petite île proche
de Pouzzoles, appartenant à l'archipel parthénopéen des îles
Phlégréennes et située à peu de distance des côtes de Capo Posillipo –
et à Naples). Seul l’emplacement du Pincio, à Rome, est assuré.
[122] Voir Henri Broise et Vincent Jolivet « Recherches sur les jardins
de Lucullus », Publications de l'École Française
de Rome, Année 1987, 98, pp. 747-761.
[123] C’est une brèche calcaire, avec un fond
généralement noir (une variété grise est attestée.
[124] Taylor Rabun, Ancient
Naples. A documentary History. Origins to C.350 CE, p. 334.
[125] Aujourd’hui encore,
un chemin
de pierre d’une centaine de mètres relie le Castel dell’Ovo à la terre ferme.
[126] Il est certain que les grands viviers de
Lucullus ont été aménagés à proximité immédiate de l’une des résidences
campaniennes (on a cherché à expliquer leur entière disparition par les
carrières de tuf médiévales qui sont nombreuses dans ce secteur de la côte). Lucullus
et ses émules sont désignés de manière insistante dans les lettres
de Cicéron à Atticus du surnom railleur de piscinarii.
[127] D’une manière générale, sur le luxe de Lucullus
dans le cadre de ses villas, voir Vincent Jolivet, « Xerxes togatus,
Lucullus en Campanie », in Mélanges de l’Ecole française de Rome,
Antiquité (MEFRA), n° 99, 2, 1987, pp. 875-904. Le surnom railleur de
« Xerxès en toge » aurait été donné à Lucullus par Pompée, selon
Velleius Paterculus (II, 33, 4) – suivi par Pline l’Ancien (Histoire
Naturelle, IX, 170) –, par le « stoïcien Tubero », selon
Plutarque (Lucullus, 39, 3). Dans les trois passages, il se rapporte à
un épisode précis : l’aménagement des grands viviers de Lucullus rappelait
fâcheusement à la mémoire romaine l’orgueil manifesté par Xerxès au cours des
préparatifs de la Seconde guerre médique (creusement d’un canal pour éviter à
sa flotte de doubler la péninsule du mont Athos), rapporté par Hérodote (Histoires,
VII, 22-24).
[128] L’évergétisme à Rome consiste, pour les notables,
à faire profiter la collectivité de leurs richesses, d'abord par
l'embellissement de leur ville (construction de monuments, érection de
statues), ensuite par la distraction (organisation de spectacles), les
bienfaits (distribution d'argent, de cadeaux ou de terres) et le ravitaillement
(distribution d’huile, de vin) de la plèbe. Il complète le clientélisme, lien
individuel et personnel entre le patron et ses clients. L'historien Paul Veyne
y a consacré son important ouvrage Le
Pain et le Cirque.
[129] Ce ne sont pas des ponts, mais les vestiges
d’un ancien aqueduc.
[130] Le nom Phlégra ou Phlégraion
donné à la plaine de Cumes est en lien soit avec la ville de Phlégra en
Chalcidique, soit avec le verbe grec phlégô, « je brûle » (cf. dans
la terminologie médicale les mots « phlegmon » et
« phlegmasie » ; le Phlégéthon est un fleuve de feu qui coule
dans les Enfers).
[131] Blaise Cendrars y passa en effet une partie de son enfance, entre 1894 et
1896, sur les pentes du Vomero, quartier alors
encore populaire et campagnard.
[132] Proche de la maison familiale, enclave dans le
quartier, la tombe de Virgile joue un rôle de repère, devenue comme sacré
par la mort qu’y trouve l'amour d'enfance du petit Blaise, Elena (à cause d’une
balle perdue d’un chasseur maladroit).
[133] Taylor Rabun, « Roman Neapolis and the landscape of disaster ». Journal of
Ancient History, vol. 3 (2015), p. 282-326 (URL : https://www.academia.edu/45242298/Roman_Neapolis_and_the_Landscape_of_Disaster) et A documentary History. Origins to C.350 CE.
[134] Philostrate (en grec ancien Philóstratos, en latin Lucius Flavius Philostratus), surnommé « Philostrate d'Athènes » (env. 170-240), est
un orateur et biographe romain de langue grecque, actif dans la première moitié du IIIe siècle.
[136] Comme on le dit couramment, « comparaison n'est
point raison » ! C'est pourquoi l'auteur de l'Histoire Auguste, tout
malicieux qu'il fût, se trouva bien embarrassé pour dénicher les trente
usurpateurs requis. Alors, comme l’auteur (inconnu) était aussi inventif que
peu soucieux de la vérité historique, il « remania » la biographie de
certains personnages pour en faire des prétendants potentiels au trône. Pour
d'autres, il « ajusta » la chronologie pour déplacer le tyran à
l'époque idoine. Et puis, comme cela ne suffisait sans doute pas encore pour
atteindre « le nombre canonique » athénien, il n'hésita pas à créer
de toutes pièces les « tyrans » qui lui manquaient encore… Et depuis,
des générations d'historiens se sont emparés de la bouteille à encre, publient,
« se brouillent et s'embrouillent » afin de distinguer les vrais
« tyrans » des faux, ou pour séparer les « à peu près
authentiques » des « tout à fait à écarter » !
[137] Jusqu’au IIe siècle,
on a une association sur le plan social entre la fortune, le prestige et le
pouvoir (l’aristocratie sénatoriale). A partir du IIIe siècle, on assiste à une
modification de la structure sociale
qui peut s’expliquer partiellement en tout cas par plusieurs facteurs.
[138] Gordien III les
contint péniblement.
[139] L’empereur Dèce fut
tué en se battant contre eux.
[140] Les Romains vont
alors connaître l’humiliation suprême puisque le roi Shapour Ier captura l’empereur
Valérien (qui demeura prisonnier à vie) et immortalisa ce triomphe en faisant
graver la scène à Naqsh-e Rostam,
et aussi à Bishapour (« la
belle ville de Shapour »), dans une version plus élaborée. Différentes
versions circulent sur son sort. Les traditions iraniennes disent qu'il est
bien traité par son vainqueur, mais le polémiste chrétien Lactance, sous Constantin Ier, décrit sa
fin comme une punition divine et humiliante, obligé de servir de marchepied
lorsque Shapur monte à cheval, et qu'après sa mort
Shapur aurait fait écorcher (en des termes qui rappellent le récit d’Ovide sur
Marsyas), tanner et teindre en rouge sa peau pour en habiller un mannequin
exposé dans un grand temple perse en symbole de la honte de Rome. Valérien fut
le premier empereur à mourir en sol étranger. Amin Maalouf, dans Les
jardins de lumière (roman),
décrit la capture de Valérien au cours de la bataille d'Edesse. Il évoque
ensuite l'édification d'un barrage sur le fleuve Karoun, portant le nom de
Band-é-Kaïsar (le barrage de César), par les légionnaires de Valérien.
[141] L'Empire romain d'Occident est une convention entre historiens désignant la
partie occidentale de l'Empire romain depuis l'instauration de
la Tétrarchie (« gouvernement à quatre ») par
l'empereur Dioclétien en 293. Il est important de préciser
d'emblée qu'il ne s'agit pas d'un État indépendant séparé de la partie
orientale : l'Empire romain reste un et indivisible malgré le partage des responsabilités, principalement militaires, entre
plusieurs empereurs. Ainsi, Rome reste la capitale officielle (même
si la résidence des empereurs pouvait varier) jusqu’en 330, date à laquelle Constantin
en fonde une nouvelle à son nom, Constantinople.
[142] Cependant, plusieurs historiens considèrent
Julius Nepos comme le dernier dirigeant de l'empire. Le père de Romulus,
Oreste, d’abord secrétaire d’Attila, ensuite maître de l’armée romaine, l’avait
éliminé pour nommer son fils empereur, car sa mère était en partie romaine.
[143] Il est nommé Romulus Augustule d’après son
grand-père maternel.
[144] Un peu comme Victor Hugo qualifiant Napoléon
III de Petit dans son pamphlet homonyme, mais ce n’est pas tout : il le
traite également de « dernier des hommes », « voleur », « criminel » et « filou ».
[145] Théorie classique
du « Christianisme contre les païens ».
[146] Article publié en juin 2020 dans Proceedings
of the National Academy of Sciences, 117 (27) – URL : https://www.pnas.org/doi/full/10.1073/pnas.2002722117.
[147] Voir Bertrand Lançon, L’Antiquité tardive, PUF, Que sais-je ?
[148] Le nom exarque vient du grec exarchonis par
l’intermédiaire du latin exarchus. Il est synonyme de gouverneur,
d’après le verbe exarchein, « diriger, gouverner ».
[149] Comme autre territoire, on peut aussi citer la Basilicate. On l’a
appelée ainsi parce que, pendant une longue période du Moyen Âge, dépendante de l’Empire byzantin, elle a été gouvernée par un
fonctionnaire qu’on appelait le basilicos.
[150] Epine dorsale de la péninsule sorrentine, les
monts Lattari doivent leur nom aux
chèvres et les vaches qui y paissent fournissant un excellent lait (d'où leur
nom latin lactariis).
[151] Cf. l’article https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_du_V%C3%A9suve_(552).
[152] Voir l’intéressant article https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_des_Goths_(535-553).
[153] Dans les Livres II
(chapitre IV et V) et III (chapitre VI et VIII). Giovanni Polara, dans son
article « Between Classical and Modern
Naples: « Cultural
Forgetting » at
the Time of the Gothic War passe au crible les informations de Procope de
Césarée et les recoupe en comparant avec d’autres sources latines et grecques (chapitre
6 du livre de Jessica Hughes et
Claudio Buongiovanni, Remembering Parthenope: The Reception of Classical
Naples from Antiquity to the Present, pp. 105-117).
[154] Narsès est surnommé par certains historiens de « marteau des
Goths » (cf. le livre de Lawrence Herbert Fauber, Narses : Hammer
of the Goths The Life and Times of Narses the Eunuch », une rarissime, pour ne pas dire la seule,
biographie de Narsès à ma connaissance).
[155] Il plane néanmoins de gros doutes sur cette
identification étant donné qu’un eunuque (ce qui était le cas de Narsès) ne
peut avoir de barbe « s'il
était castré avant la puberté comme l’étaient presque tous les eunuques
byzantins » (avis du byzantiniste américain Warren Treadgold).
[156] Voir l’Histoire Auguste. [Severus
Alexander 26.9–10].
[157] « L’absence de
preuve n’est [toutefois] pas une preuve d’absence », Taylors Rabun, Ibid., p. 349 (« Absence of evidence is
not evidence of absence »).
[158] Taylors Rabun, Ancient
Naples. A documentary History. Origins to C.350 CE, p. 348 (« Relative
to its size and importance, Neapolis is mutest of all »).
[159] Les pollens montrent une phase d'abandon qui se manifeste
avec l'interruption de la culture de choux aux alentours du port et
le développement de la végétation sauvage. Cela accompagné par
la stagnation de l'activité portuaire et l'absence de
nouvelles constructions. On trouvera les passages qui y font allusion dans
la discussion de l’article de E.
Russo Ermolli et al., « The natural and cultural landscape of Naples
(southern Italy) during the
Graeco-Roman and Late Antique periods », Journal of Archaeological Science, 42 (2014), pp. 408 dernier paragraphe.de 5.1, et page 409 dernier
paragraphe de 5.2.
[160] Les fouilles archéologiques,
entreprises depuis 2004 pour la construction du nouveau métro de Naples, ont
mis au jour le bassin portuaire de la ville gréco-romaine de Parthenopè-Neapolis,
donnant aux scientifiques la possibilité de récupérer d'abondants vestiges
archéologiques (voir Development and decline of the ancient harbor of Neapolis
dans la bibliographie).
[161] Le commerce et l’approvisionnement (notamment
la gestion de l’annone) ont été repris par Pouzzoles et Portus (Ostie).
[162] Les Brassicacées (Brassicaceae) sont la famille de
tous le types de choux, brocoli, radis...
[163] Voir l’article «The 472 AD Pollena eruption of
Somma-Vesuvius and its environmental impact at the end of the Roman Empire » de
Giuseppe Mastrolorenzo et al., Journal of Volcanology and Geothermal
Research (URL : https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0377027301002487#!).
[164] Kyle Harper, Comment
l'Empire romain s'est effondré - Le climat, les maladies et la chute de Rome,
La Découverte Poche 2021.
[165] Mais aussi pour échapper à la
jalousie de ses confrères à Rome. A la période romaine régnait en effet une rivalité
entre les différentes écoles de médecine (empirique, logique, méthodique,
pneumatique et même une école anonyme) et Thessalos, le représentant de l’école
méthodique était son pire ennemi).
Pergame était une ville d’un royaume hellénistique légué par testament à Rome par le
dernier roi de la dynastie attalide, sans héritier.
[166] En 2018 a été organisée au musée royal de
Mariemont une exposition à son sujet (suivre le lien http://www.musee-mariemont.be/index.php?id=16251).
[167] Dioclétien trouve une solution à
l’anarchie ambiante en mettant en place le régime de la tétrarchie. L’empire était devenu tellement vaste que cet empereur
se rend compte qu’il est impossible de le gouverner seul. Dans ce système de la
tétrarchie, on a quatre coempereurs qui vont diriger l’Empire : deux
Augustes flanqués de deux Césars. Mais ce système ne tiendra pas.
[168] A Neapolis, au
troisième siècle, les inscriptions grecques disparaissent. Le latin avait pris
pied dans l’épigraphie de la ville au IIe siècle.
[169] Pour beaucoup, les catacombes évoquent les
persécutions des chrétiens, mais cette allégation est due à l’imagination
fertile de certains auteurs et à la fama
(rumeur publique) : celles-ci n’ont en effet jamais été ni des lieux de culte,
ni de refuge pour les chrétiens persécutés. En fait, ces cimetières souterrains
n’étaient pas neufs : les Etrusques et les Juifs y avaient déjà eu recours.
Dans certains cas d’ailleurs, les chrétiens ont réutilisé des catacombes
païennes. Rome en compte cinquante-deux connues, dispersées tout autour de la
capitale. Cette situation des catacombes en périphérie de la cité n’est pas non
plus une nouveauté : en vertu de la loi des Douze Tables, il était interdit
d’inhumer les morts à l’intérieur des murs de la ville. Dans les catacombes de Rome, l’excavation d’un
loculus (« petite cavité ») était très simple : il suffisait
d’une pioche et d’une brouette pour créer son propre caveau, car la roche (tuf
granulaire) est relativement tendre et facile à creuser.
[170] Il ne survivra au Moyen Âge que sous la forme des jeux liturgiques et
dramatiques (les mystères), et il n’aura plus de lieu spécifique (les
représentations pouvant se faire dans l’église, au coin d’une rue, dans les
châteaux, etc.).
[171] Vincent Citot, Grandeur et décadence de la philosophie romaine, dans le
Philosophoire 2015/1 (n° 43) – URL : https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2015-1-page-199.htm.
[172] Remarquons que le
système d’approvisionnement en eau napolitain a été redéfini après la
catastrophe du Vésuve car le réseau de distribution a été réaménagé et remplacé
par de nouvelles conduites en plomb, l’eau provenant d’une autre source, située
ailleurs géographiquement parlant (les branches vers Pompéi et Herculanum
étant définitivement condamnées par l’éruption du Vésuve, il y avait un volume
d’eau plus élevé pour chacun).
[173] Cependant il persiste une tolérance relative envers le paganisme de 312
à 375. Elle prend fin sous les règnes de trois
empereurs, Gratien, Valentinien II et Théodose Ier.
L'influence des lois antipaïennes reste débattue : à une historiographie
ancienne considérant un rapide déclin du paganisme, confronté à un
christianisme intolérant, succède une interprétation plus nuancée, qui envisage
un lent déclin du paganisme, nourri d'interactions diverses avec les Chrétiens.
La sociologie moderne invite à la prudence lorsqu'on tente d'appliquer les
définitions modernes de la persécution et de la tolérance à l'époque antique.
[174] Du grec bradus,
« lent » : cf. les bradypes dont fait partie le paresseux), le
bradyséisme est un phénomène géologique dans lequel le sol se comporte comme la peau d’un
volcan, qui se gonfle ou se dégonfle, selon les périodes, sous l’effet de la
pression interne.
[175] Voir l'article de
Pierre Girard, « L'invention de la modernité à Naples », dans Archives de Philosophie, 2017/3
(tome 80)
(https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2017-3-page-405.htm#:~:text=De%20ce%20point%20de%20vue%2C%20l'%C3%A9num%C3%A9ration%20des%20philosophes%20%C2%AB,%2C%20Giuseppe%20Donzelli%2C%20Lucantonio%20Porzio%2C).
[176] « That’s
not a cheerful story, either », he said, « but if
they were able to absorb some of the spirit of the Greeks, that would serve
them a great deal later on in life. The more I read the Greeks, the more I
realize that nothing like them has ever appeared in the world since. ».
Article très complet et très documenté : bravo !
RépondreSupprimer