MIROIR ETRUSQUE, MIROIR DU PASSE, MIROIR DES DIEUX
MIROIR ETRUSQUE, MIROIR DU PASSE, MIROIR DES DIEUX
Vendredi 25 juillet 1997
Au coin d'une vitrine, un objet m'appelle : un splendide miroir étrusque en bronze, qui ne livre tous ses secrets qu'en lumière rasante, veut me parler de son époque. Je m'approche.
«Aimable visiteur, accorde-moi quelques instants. Ce que j'ai à te dire est important. Je porte prosaïquement la référence B. 206, mais je suis plus qu'un simple numéro de catalogue, qu'un accessoire de toilette sans vie ou une triste antiquaille de musée.
Je ne te montrerai pas mon côté poli, car ton imagination pourrait trop facilement s'égarer dans la magie de ton reflet. Je ne te ferai pas non plus passer, comme Cocteau, dans un autre monde. Car, cette face appartient à la douce Etrusque qui s'y mirait voici vingt-trois siècles et qui nouait avec moi d'étranges dialogues.
Non, regarde bien mon dos où les doigts habiles d'un artiste ont
gravé un absolu de beauté et une quintessence de sentiments. Une scène
poignante s'y joue : les mains crispées, la Néréide Thétis vient supplier la
terrible Minerve et son protégé de toujours, le solide Hercule, d'intercéder en
faveur de son fils, Achille, qui vient de mourir au combat. Elle comprend
pourtant que sa supplique est vaine. Nonchalamment appuyés - Minerve sur sa
lance, Hercule sur sa lourde massue -, ses interlocuteurs ne lui prêtent qu'une
oreille distraite. Hercule n'est-il pas en train de caresser, dans un geste
bien familier, le cimier de la déesse ? Minerve n'est-elle pas plus préoccupée
des plis de sa robe que des paroles de la pauvre mère ? Quant à Eris, cette
figure florale et parfumée à la droite de Minerve, elle ne pense qu'à se montrer
dans sa nudité triomphale, parée de bijoux. La chaste Minerve n'a d'ailleurs
pas hésité à tendre le bras pour «cacher ce sein qu'on ne saurait voir». Ne t'y
fie cependant pas : sous ses apparences frivoles, Eris sème discorde et
querelle. C'est elle qui est à la base de la sanglante guerre de Troie où le
fils de Thétis a connu un sort si funeste.
Le message que je voulais te transmettre, mon ami, c'est que si je
suis le miroir du passé, je suis aussi celui de l'âme et du cœur de l'homme.
Au travers des dieux et des légendes, je t'ai conté ses passions et le tragique
de sa condition. Fais maintenant ta propre analyse. Remets-toi en question et
connais-toi un peu mieux toi-même comme le recommandait la sagesse des Anciens.
Grâce à moi, tu sortiras d'ici transformé, plein d'humilité pour les êtres et
les choses.»
Philippe Durbecq
(article paru dans le Bulletin d'information trimestriel n° 82 de Mars-avril-mai 1998 du musée royal de Mariemont, pp. 15-16)
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