Poppée : Du côté de chez Balzac


 

 

 Poppée : Du côté de chez Balzac   

Philippe Durbecq 


Louis Auguste Bisson, Honoré de Balzac (1799-1850), daguerréotype [1], vers 1842 (licence Creative Commons 'Attribution – NonCommercial - ShareAlike 2.0 – source : https://geudensherman.wordpress.com/lit-19-fr/19-03-rea/honore-de-balzac/)

 

A Philippe Dieudonné,

     L’Homme et l’ami que je n’oublierai jamais.


Avant-propos

Un ami, grand liseur, Philippe Dieudonné, m’a initié à la lecture de Balzac (qu’il soit ici remercié). Connaissant mon goût, en fait ma passion dévorante pour l’Antiquité romaine, il m’a signalé, par boutade, mais aussi agité comme appât pour oser me jeter moi-même dans ce fleuve Pactole charriant ses paillettes d’or, à savoir la Comédie humaine, l’œuvre colossale de Balzac, un petit vermisseau au bout de sa canne sous une forme énigmatique : « N’hésite pas à y plonger vraiment et... tu m'en diras des nouvelles. P.S. : Si tu fais ce que je te recommande, tu rencontreras un personnage féminin dont HB compare le visage séduisant à celui de ... Poppée. ». Evidemment, l’appât a fonctionné. Le terreau était fertile aussi.

Pour lui, la Comédie humaine est en effet un fleuve qui roule des pépites à chaque page. « Il est le premier à avoir compris que pour donner de la consistance à une intrigue et à ses personnages, il faut les montrer et non seulement raconter. On y trouve un humour digne de Courteline [2] et de Proust [3] et une peinture sans pitié de la société bourgeoise qui est encore la nôtre. En réalité, on y trouve tout et c’est fabuleux : il a tout vu, tout lu, tout compris à la vie sociale et à la vie publique, sans compter son style souvent somptueux et son humour ravageur. ».

Si on veut encore s'amuser un peu (mais un court moment, car son style devient vite agaçant, pompeux, puritain, et même d’une misogynie outrancière, ...), dans la série des « Grandes pécheresses » (incroyable !), on peut lire Poppée, l'Amante de l'Antéchrist d’Abel Hermant sur Gallica (Hyperlien : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4812871f/f17.item.texteImage), un académicien (radié en 1945 et remplacé comme Abel Bonnard, pour faits de collaboration) dont Léon Daudet (qui l'avait rencontré chez son papa, témoin d'un des mariages d'Hermant), fit sa « tête de Turc » et l'affubla de toute une série de sobriquets (« Bebel [4] », « coin-coin » , et autres noms d’oiseaux. Le meilleur est pour l'ami d'Hermant : « La Belle au bras d'Hermant »). D'après ce que j'ai lu de la vie de cet Hermant, c'était un personnage humainement médiocre, voire méprisable, un peu comme Morand, mais Morand était un écrivain nettement supérieur : sa plume le sauve. 

Ce que Monsieur Philippe Dieudonné admire chez Balzac, c’est le fait que l'introspection soit sublimée par la force de l'écriture, « poussant par son génie jusqu'à l'autopsie des passions (au sens le plus large) qui gouvernent ses personnages, c'est-à-dire nous-mêmes. Avant lui, on lit, parfois avec grand plaisir, les agréables aventures de silhouettes désincarnées. Avec Balzac et Proust, on accède à un niveau vraiment supérieur de compréhension. ».

En second lieu, son métier d’historien y trouve son dû : « sous un autre aspect, on découvre, à chaque page du grand Honoré, un tableau de la société et des mœurs du premier XIXe siècle qui va beaucoup plus loin que les travaux d'historiens patentés. ».

Ce que, de mon côté, j’admire le plus chez Balzac, c’est son style somptueux, velouté, soyeux : la lecture de chaque page de son œuvre met en branle un ensemble de sens, pas un seul (une synesthésie en quelque sorte [5]) : j’ai l’impression de caresser du velours en sirotant un verre de délicieux Porto, cette boisson hautement civilisée.

1.     Plantons le décor : les deux acteurs

Balzac, « stakhanoviste de l’écriture »

Balzac avait des horaires de travail de stakhanoviste (il se mettait à écrire tous les soirs vers minuit et se livrait à des « orgies de travail »). Son carburant est universellement connu : le café. Balzac en avalait des litres (30 à 50 tasses par jour, dit-on !) [6] pour pouvoir mener à bien son travail herculéen.

Balzac était en effet un « galérien de plume et d’encre [7] » (dans sa correspondance, il utilise l’expression de « forçat littéraire [8] ») : dans sa maison de Passy, il travaillait dix-huit heures par jour. Dans cette même maison, devenue aujourd’hui la Maison de Balzac, un musée consacré à l’écrivain, on a conservé sa cafetière et le système de veilleuse qui permettait, pendant les longues veilles de l’auteur, de garder le café au chaud à l’aide d’une petite bougie placée sous le récipient.

Cette cafetière avec les initiales « HB » [9] est donc, comme le dit Yves Gagneux, Directeur de la Maison de Balzac, cette petite cafetière  « c’est le moteur des romans de Balzac, le moteur de la Comédie humaine [10] ».

 

Balzac était aussi un séduisant séducteur, marié sur le tard avec une aristocrate polonaise [11] et décédé prématurément – et horriblement –, dans une sorte de gangrène généralisée.

Poppée à présent :

Née en 30 après Jésus-Christ à Pompéi, rien ne prédestinait pourtant Poppæa Sabina, mieux connue sous le nom de Poppée, à devenir impératrice en épousant Néron et à accéder ainsi aux plus hautes sphères de l’Etat. La riche famille d’origine pompéienne dont elle était issue (la « gens Poppæa ») n’était en effet pas « en odeur de sainteté » à la cour : son père Titus Ollius avait été entraîné dans la chute de Séjan, le préfet de la garde prétorienne. Mais, du côté maternel, la situation était plus reluisante : Poppée était la petite-fille de Caius Poppeus Sabinus, un ami de la famille impériale qui avait rendu d’éminents service à l’Empire (en ayant mâté une révolte dans la province de Thrace). Aussi, la future impératrice n’hésita-t-elle pas à adopter le nom de sa mère, Poppæa Sabina.

Les membres de la « gens Poppaea » possédaient plusieurs majestueuses villas à Pompéi et dans ses environs (dont la Maison de Ménandre, la Maison des Amours dorés et la fabuleuse villa d’Oplontis). Mais nous allons en rester là pour sa fortune et son influence politique. Ce qui nous intéresse ici – et Balzac aussi – c’est sa beauté éclatante, parfaite et à nulle autre pareille.

Poppée fut la femme la plus coquette de l'histoire romaine, et sa personne est certainement liée au développement des cosmétiques féminins dans le monde romain. A part Poppée, on ne connaît pas d'exemple romain d'idéal de beauté féminine, sauf pour ce qui se rapporte à Aphrodite/Vénus, dont la beauté relève de l’harmonie de ses proportions et de ses traits, mais sans précision de coloris capillaire, tandis que nous savons que Poppée était blonde, du moins blond vénitien ou rousse, selon les historiens.

Dans son article « Poppée, la Cléopâtre de Rome (1) », l'historien et journaliste Lucas-Joël Houllé précise que « Poppée était la plus belle femme de Rome » et « d’une coquetterie époustouflante » : « Dotée d’une magnifique chevelure flamboyante, la belle Romaine n’hésitait pas jouer de cet atout. Il fut dit qu’afin de paraître pudique, elle sortait uniquement en public, couverte de nombreux voiles, chose qui ne se faisait plus du tout à Rome depuis des siècles, car elle adorait l’effet qu’elle produisait en dévoilant sa longue chevelure, aux témoins de la scène, une fois arrivée à destination. D’ailleurs, dans un des poèmes qu’il avait composés, Néron fait l’éloge en vers des cheveux de sa belle et tendre, qu’il comparait à de l’ambre [12] » : « Domitien Néron, entre tant d'autres extravagances, avait donné le nom de succin [ambre jaune] aux cheveux de sa femme Poppée, et il les avait même ainsi appelés dans une pièce de vers ; car on ne manque jamais de beaux noms pour des défauts corporels : depuis ce moment, la couleur du succin fut une troisième couleur recherchée par les dames. » (Pline, Histoire naturelle, Livre XXXVII, XII, 3).

Comment, devant la photographie de ce visage d’Octavie (rôle joué par l’actrice irlandaise Kerry Condon) tirée de la série Rome, ne pas citer ce passage extrait de l’Ane d’or [13] d’Apulée et d’une poésie absolue ?

                                                 

Kerry Condon dans le rôle d’Octavie (source : épingle Pinterest – auteur : Terri Richards utilisée dans le cadre de mon compte et sur base de la politique adoptée et mise en place par Pinterest, relative au droit d’auteur conforme au Digital Millennium Copyright Act et à d’autres lois applicables en matière de droit d’auteur) 


« (II, 9, 1) Que sera-ce si la nature a donné aux cheveux une couleur avantageuse ou un lustre qui en relève l'éclat ; de ces teintes vigoureuses qui rayonnent au soleil, ou (2) de ces nuances tendres, dont le doux reflet se joue aux divers aspects de la lumière ? Tantôt c'est une chevelure blonde, toute d'or à la surface, et qui prend vers la racine le brun du miel dans l'alvéole ; tantôt c'est un noir de jais, dont l'émail rivalise avec l'azur de la gorge des pigeons. (3) Lorsque, luisants des essences d'Arabie, et lissés par l'ivoire aux dents serrées, les cheveux sont ramenés derrière la tête, c'est une glace où se mirent avec délices les yeux d'un amant : (4) ici ils simulent une couronne tressée en nattes serrées et fournies ; là, libres de toute contrainte, ils descendent en ondes derrière la taille. (5) Telle est l'importance de la coiffure, qu'une femme eût-elle mis en œuvre l'or, les pierreries, les riches tissus, toutes les séductions de la toilette ; si elle n'a pris un soin égal de ses cheveux, elle ne paraîtra point parée. (6) Cet arrangement chez ma Photis n'avait coûté ni temps, ni peine ; un heureux négligé en faisait tous les frais. (7) Réunis en nœud au sommet de la tête, ses cheveux retombaient, gracieusement partagés, des deux côtés de son cou d'ivoire, et de leurs extrémités bouclées atteignaient la bordure supérieure de son vêtement. ».

A l’époque, la mode du blond était exclusivement réservée aux personnages les plus aisés à Rome, justement afin d’exhiber leur statut social et économique (« marqueur social »). A cet effet, les riches Romaines avaient le choix entre trois possibilités : soit se décolorer les cheveux, soit se les teindre, soit cacher leurs boucles brunes sous des perruques couleur jaune paille.

Le blond est une couleur rare, mais c’est aussi un marqueur d’exotisme à partir du moment où il faut « importer » des cheveux ou des perruques, ou encore couper la chevelure des esclaves en provenance des régions du Nord (Germanie). En plus du marqueur social et du marqueur d’exotisme, on se rend compte que les coiffures et les perruques étaient tout sauf une affaire futile.

En effet, dans plusieurs reliefs (par exemple, celui du Rheinisches Landesmuseum de Trèves) et fresques (cf la scène de toilette nuptiale de la fresque de la villa des Mystères à Pompéi), on voit la matrone romaine se faire coiffer et maquiller par l’ornatrix, femme de chambre esclave. Cette ornatrix jouait un rôle-clé auprès des très riches romaines pour lesquelles suivre la mode était un must et le paraître (« être vu ») en société une priorité, une valeur plus que jamais d’application à notre époque.

Les bains dans du lait d’ânesse

Comme nous le verrons plus loin, l’énumération par Balzac dans sa Physiologie du mariage des différentes catégories d’esclaves affectés aux bains de Poppée nous indique à quel point cet aspect de la personnalité de Poppée était présente dans son esprit.

C'est Dion Cassius qui raconte dans son Histoire romaine (9e volume, Livre LXII, chapitre 28) combien Poppée tenait à la perfection de son corps au point de souhaiter mourir avant que l'âge vienne apporter ses flétrissures. « Elle faisait traire chaque jour cinq cents ânesses qui venaient de mettre bas pour se baigner dans leur lait ! ».

Dion Cassius écrit en grec ancien. C'est en effet un historien romain d'expression grecque, proche des empereurs Septime Sévère et Sévère Alexandre. Il est né en Bithynie à Nicée exactement (nord de l'Asie Mineure, Turquie actuelle) vers 155, une partie du monde romain où l'on parlait le grec [14] (Dion Cassius est issu d'une famille sénatoriale, donc aisée sur le plan financier).

Outre Dion Cassius, Pline l’ancien parle également de Poppée [15(donc cela rend plus ou moins crédible l'histoire à partir du moment où deux historiens différents relatent un même fait).

Cela dit, je me suis toute de même posé la question de la faisabilité technique de traire chaque jour cinq cents ânesses et je me suis renseigné auprès de Madame Cécile Lacroze, propriétaire d’une asinerie [16et qui a aimablement répondu à mes interrogations sur le sujet. D’un point de vue de la main d'œuvre, cela ne pose aucun problème, puisque celle-ci est abondante et gratuite à l'époque romaine (esclavage). Traire une ânesse donne environ un demi-litre de lait par jour [17] et ne prend que dix minutes. Il fallait en revanche trouver un moyen de séparer temporairement les ânons de leur mère (une séparation définitive entraine la perte de la lactation chez une ânesse). 

Sur le plan transport du lait, il fallait quand même imaginer un troupeau paissant dans un lieu assez proche du bain (le lait d'ânesse contient des enzymes de protection qui le protègent assez bien des contaminations à température ambiante, mais seulement pendant quelques heures). Dans son Histoire naturelle (tome second, Livre XXVIII), Pline explique d’ailleurs que « des troupeaux d’ânesses suivaient Poppée lors de ses voyages ». Donc, l’anecdote rapportée par Dion Cassius et Pline tient la route.

Dans les conditions de traite décrites ci-avant (séparation de quelques heures de l'ânon). 500 ânesses donneraient donc au maximum 250 litres, ce qui est largement supérieur à la capacité d’une baignoire de l’Antiquité telle que celle retrouvée à Herculanum (dont c’est le seul exemplaire en bronze connu [18]). Les baignoires en marbre ont été souvent recyclées en auges, fontaines (comme celle de la Piazza Farnese à Rome provenant des thermes de Caracalla) ou en fonts baptismaux (comme celle de la cathédrale de Milan ou celle de Saint-Etienne de Metz) [19]. 

 


A gauche, une des deux fontaines de la Piazza Farnèse (licence : CC BY-SA 3.0 – auteur : Chris 73 (travail personnel) – source : https://en.wikipedia.org/wiki/Fontane_di_Piazza_Farnese) ; à droite, fonts baptismaux de la cathédrale Saint-Etienne de Metz (licence : CC BY-SA 3.0 – auteur : Oimabe (travail personnel) – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Baignoire)


Quant aux vertus réelles du lait d'ânesse sur la peau, elles sont innombrables et sont, pour la plupart, attribuables au lysozyme et aux autres protéines du lait d'ânesse. C'est de façon générale un excellent hydratant naturel doté d'un pouvoir apaisant sur les rougeurs et irritations [20]. Ces propriétés semblent avoir été connues dès l'Antiquité.

En effet, toujours d’après Pline, Poppée inventa également une crème de visage, la Pinguia Poppaena, à partir de ce même lait d’ânesse, pour effacer les rides, rendre plus douce la peau et la blanchir.

Poppée, une poupée ?

L'analogie entre le mot « poupée » et le nom propre Poppaea est une belle et touchante légende, rapportée par Marise Kassab mais malheureusement fausse : notre mot « poupée » ne vient pas de poppaea mais de pupa en latin, c'est-à-dire « la petite fille [21]».

Après consultation de l’Epigraphischer Database de Clauss et Slaby (EDCS – hyperlien : https://db.edcs.eu/epigr/hinweise/hinweis-fr.html), j’ai pu trouver de nombreux textes (quarante-deux entrées pour Poppaea). De l’avis du Professeur Manfred Clauss que j’ai pu contacter par courriel le 7.8.2022, il n’y a aucun rapport entre le nom de Poppée et pupa.

Les sources littéraires

On le verra plus loin, peu de traces subsistent sur le plan iconographique de la fabuleuse beauté de Poppée.

Même la mirobolante Villa Poppaea située près de Pompéi, à Torre Annunziata a été prudemment rebaptisée « Villa « A ».

Les sources littéraires, quant à elles, sont relativement contradictoires : Suétone, auteur/amateur à/de cancans (un « colporteur d'histoires d'antichambre » comme le qualifiait le contemporain de Balzac, l'helléniste Pierre-Alexis Pierron (1814-1878)), profite de l'occasion pour mettre deux nouveaux meurtres sur le dos de Néron et faire de lui l'odieux assassin d'une jeune femme enceinte.

Tacite quant à lui précise que : « Rien ne manquait à Poppée, si ce n’est une âme honnête. Sa mère, qui surpassait en beauté toutes les femmes de son temps, lui avait transmis tout ensemble ses traits et l’éclat de son nom. Ses richesses suffisaient à son rang ; son langage était poli, son esprit agréable. Cachant, sous les dehors de la modestie, des mœurs dissolues, elle paraissait rarement en public, et toujours à demi voilée, soit pour ne pas rassasier les regards, soit qu’elle eût ainsi plus de charmes. ».

Flavius Josèphe est plus nuancé et plus crédible. À l'exception de ce dernier, les historiens de l’Antiquité lui trouvent peu de qualités en dehors de sa beauté et mettent en évidence ses intrigues pour devenir impératrice (elle sert les manigances d'Agrippine, la mère de Néron qui veut installer son fils à la place de Claude, et y parviendra puisque ce dernier mourra empoisonné).

2. Balzac et l’Antique

Evelyn Maggiore, que je remercie ici, a effectué une recherche dans les dossiers documentaires consacrés à Balzac collectionneur (d’après l’Inventaire de Balzac reproduit à la fin des Lettres à Mme Hanka). Ceux-ci mentionnent quelques sculptures (cf. Paul Jarry, « Le véritable Cousin Pons : Honoré de Balzac amateur d’antiquités ») 

  • Une réduction de la figure antique « La joueuse d’osselets » dite « Petite Julie » (œuvre aujourd’hui conservée au Louvre [22] datée II-IIIe siècle ap. J.-C.) ;
  • François-Joseph Bosio (élève de Canova) réduction en marbre de la nymphe Salmacis sortant du bain [23] (vers 1836, Louvre) ;
  • Benvenuto Cellini, Vénus dont on a une reproduction (ivoire) de la version en bronze [24].

Dans son article sur « Balzac et la Rome antique », Alex Lascar estime, à propos des œuvres de l’art romain prisées par Balzac, que l’on peut affirmer que Balzac n’en collectionna pas (mis à part l’achat d’une cariatide en 1847).

Anne-Marie Baron a, quant à elle, attiré mon attention sur un aspect méconnu de Balzac : comme beaucoup de ses contemporains, l’auteur de la Comédie humaine s'est en effet passionné pour les hiéroglyphes, dont Champollion venait de découvrir le secret et de livrer la clé de l’énigme. « Mais c'est surtout la valeur symbolique de ces caractères qui l'intéressait, par son potentiel philosophique et romanesque » fait-elle remarquer. « Peut-être y reconnaissait-il son propre fonctionnement mental, celui d'un visionnaire, pensant et écrivant d'abord en images [25]. ».

Balzac et les auteurs latins

Quel a été le cursus scolaire de Balzac ? A-t-il suivi des études classiques ?

Alex Lascar répond à notre question : « A la différence d’un Félix de Vandenesse (et d’un Julien Sorel), si fins connaisseurs, traducteurs si subtils de vers latins, Balzac est sans doute un piètre linguiste, un piètre latiniste et cela dès le collège [26] ». « Il y obtient cependant en 1809 un accessit de discours latin.

Ce qui n’empêche pas notre ami Balzac de prendre toute une série de libertés avec la langue de Cicéron, comme le raconte, avec humour, Alex Lascar aux pages 56 et suivantes de son article.

Quels sont les auteurs classiques préférés de Balzac ?

Dans son article précité, Alex Lascar (page 58) nous signale que Balzac « a réellement le goût de Virgile. Le créateur de l’Enéide est à chaque instant le compagnon de Bongarus, le héros d’Agathise [27], et de Job del Ryès, le personnage de Sténie : pour eux, comme pour l’auteur de Cromwell, de Jean-Louis et, plus tard, de la Comédie humaine, Virgile est d’abord le peintre de l’amour, de ses grâces, de ses fureurs.

D’autre part l’abbé Savonati, auteur d’Agathise, n’était pas un écrivain sage, et son traducteur Balzac met « ad pudiciam », un voile sur les audaces de ce « digne émule des Tibulle et des Martial, tout en comprenant les regrets des « amateurs de Catulle » dont il privilégie certains poèmes. Rome, en fait, est aussi pour Balzac la ville de l’érotisme (songeons à la présentation des courtisanes spécialisées dans la Physiologie du mariage) et, dans la Peau de chagrin, devient même pour Raphaël, quittant la vie banale, plongeant dans le passé, survolant les siècles, être de désir montant peu à peu vers « les palais enchantés de l’Extase », l’incarnation de la sensualité. D'abord, il sourit de voir sur un fond rouge la jeune fille brune dansant dans la fine argile d’un vase étrusque devant le Dieu Priape qu’elle saluait d’un air joyeux [28] », et l’on devine un contentement ardent et ébloui devant cette impudeur de la chair exempte de tout sentiment de péché, devant cette juvénilité provocatrice [29]. Il y a là aussi, « en regard, une reine latine [qui] caressait sa chimère avec amour ». Mais surtout « les caprices de la Rome impériale, respiraient […] tout entiers » dans sa vision. Ils lui « révélaient » (et lui rappelaient sans doute, à lui qui avait épié Foedora) « le bain, la couche, la toilette d’une Julie indolente sans doute mais soumise et disponible, si différente de la femme sans cœur. Enfin, au dernier étage du magasin, celui du Christ de Raphaël et de la Peau de chagrin, Valentin rencontre, au terme de son ascension, un nouveau choix de chefs-d’œuvre, plus admirables encore, et parmi eux « un vase inestimable en porphyre antique et dont les sculptures circulaires représentaient de toutes les priapées romaines la plus grotesquement licencieuse. ».

Notons au passage que toute l'Enéide ne sert qu'à attribuer une ascendance troyenne aux Romains : en faisant d’Énée l’ancêtre mythique de Rome, Virgile veut donner aux Romains un passé aussi prestigieux que celui des Grecs, et glorifier l’empereur Auguste dont la famille prétendait descendre du héros troyen. A cet égard, il n’est pas interdit, comme le souligne Alex Lascar, de considérer Le Chemin de traverse comme un roman virgilien (« Balzac et la Rome antique », page 53, note 3).

Dans la préface d’Une Fille d’Eve, Balzac écrit de Pétrone : « quel prix n’a pas, à nos yeux » son Satiricon « qui n’est guère, après tout, qu’une scène de la vie privée des Romains » (« le morceau de Pétrone sur la vie privée des Romains irrite plutôt qu’il ne satisfait notre curiosité »).

Balzac s’était aussi intéressé, dans une certaine mesure, à l’histoire de la politique romaine : il cite Tacite dans Agathise mais ne mentionne pas Suétone. Alex Lascar (page 60 de son article) pense que Balzac le trouve déjà « trop anecdotier » et précise que l’on ne trouve, dans la Comédie humaine, que deux ou trois mentions de lui, d’ailleurs répétitives.

Tite-Live est lui aussi « oublié » puisqu’il n’apparaît qu’une seule fois dans toute la Comédie humaine (dans la Peau de Chagrin) et encore, sans aucun commentaire de la part de Balzac.

Connaît-on l'inventaire de la bibliothèque de Balzac ? Comme l'écrit Yourcenar, pour se faire une idée de la pensée d'un homme, la meilleure façon est d’essayer de reconstituer sa bibliothèque (ce qu'elle a fait pour les Mémoires d'Hadrien). Quant à la bibliothèque de Balzac, c’est le point le plus épineux, m’explique Madame Anne-Marie Baron : le travail en cours d’Hervé Yon a été abandonné.

Mais il est sûr que Balzac connaissait les auteurs latins et consultait beaucoup les biographies comme celle de Michaud [30] et les dictionnaires comme celui de François Xavier Feller [31], ouvrages dont beaucoup sont en ligne.

Balzac rend hommage à Tacite à de nombreuses reprises (un des phares de l’humanité : « le secrétaire de son époque [32] »), mais il sait marier la culture à l’humour : « Fi des Grecs et des Latins qui dinent d’une pensée de Tacite, soupent d’une phrase de Thucydide. » (Physiologie du mariage).

D’autre part, nous avons connaissance des emprunts faits par Balzac à la Bibliothèque, entre 1825 et 1830 : « il semble qu’aux environs de 1830, il ait eu entre les mains le Recueil des Antiquités d’Herculanum et de Pompéi. On sait aussi, grâce aux factures de son relieur qu’il avait un Plutarque en 25 volumes, le Musée des statues secrètes de Naples, ainsi que la Biographie universelle de Michaud (Alex Lascar, ibid., page 60).

La philosophie gréco-romaine

Comme l’écrit Balzac lui-même, sa confrontation avec la philosophie gréco-romaine date de l’époque où il fréquentait les bancs de l’école : « nous [..] cultivions déjà la philosophie à l’âge où nous ne devions cultiver que le De Viris (à Barchou de Penhöen dans la dédicace de Gobseck).

Balzac pêche aussi dans Voltaire et Pierre Bayle des renseignements (notamment au mot « âme »). C’est de nouveau Alex Lascar qui décortique, pour nous, les réflexions de Balzac sur l’immortalité de l’âme. « Je te plains – dit Balzac –, sauvage du Canada, tu ignores Tibulle, Valère, Catulle (nous reviendrons plus loin sur les Elégiaques), César […], mais aussi tu ignores les mensonges et les vices » (Discours sur l’Immortalité de l’âme) illustrant avec brio cette position (le précepte de Claudel) : pour aimer l’humanité, il faut la voir de loin ...

La nécessité de se baser sur une vraie biographie

« Trop de fables qui entourent la vie de Balzac remontent en effet à des contemporains ou mémorialistes à la mémoire défaillante, soucieux de se mettre en valeur à ses dépens [33] ».

Deux documents fondamentaux trouvent grâce à nos yeux.

Il s’agit tout d’abord de la biographie d’Honoré de Balzac par Roger Pierrot aux Editions Fayard, un livre de 582 pages, solidement échafaudé, et où l’auteur a remué des tonnes d’archives. « L'étude attentive du milieu familial et des années de formation permet [en particulier] de mieux comprendre dans quelles extraordinaires circonstances a été construite en moins de vingt ans la « cathédrale de papier » que constitue La Comédie humaine ».

L’autre ouvrage est de la plume de Stefan Zweig. Car l’auteur aimait les biographies (cf. par exemple Marie Stuart). L’écrivain se place sur un autre plan naturellement que la biographie dont nous venons de dire un mot. Tout est résumé dans le passage suivant : « Celui qui parut un fou à ses contemporains fut en réalité l'intelligence artistique la plus disciplinée de l'époque ; l'homme que l'on raillait comme le pire des prodigues fut un ascète avec la persévérance inflexible d'un anachorète, le plus grand travailleur de la littérature moderne. Le hâbleur dont ils se moquent, eux les gens normaux, bien équilibrés, parce qu'il jette de la poudre aux yeux et fait le malin en public, a, en réalité, fait surgir de son cerveau plus de choses que tous ses confrères parisiens pris ensemble ; c'est le seul homme peut-être dont on peut dire sans exagération qu'il s'est tué au travail. Jamais le calendrier de Balzac n'a été d'accord avec celui de son temps : quand pour les autres c'était le jour c'était pour lui la nuit, quand c'était la nuit pour les autres c'était le jour pour lui. Son existence ne se déroule pas dans le monde vulgaire, mais dans le sien propre, celui qu'il a créé ; le vrai Balzac, seuls les quatre murs de sa cellule de travail l'ont connu, observé et étudié. Aucun contemporain ne pouvait écrire sa biographie, ses œuvres l'ont écrite pour lui [34]. ».

Bien qu’il soit édité dans la collection « Le Livre de Poche », c’est quand même une fameuse « brique » également de 506 pages qui devrait tout de même abîmer les poches des costumes des élégants !

Balzac en Italie

J'ai essayé de tirer quelques lignes de force de l'article de Monsieur Alex Lascar sur Balzac et l’Antiquité :

En ce qui concerne ses voyages, sur le peu qu’il en a faits en Italie, un seul apparemment avait un objectif culturel bien précis, les autres ont été des voyages d'affaires.

Balzac a connu deux phases ou conceptions différentes et successives de l’Italie, une modification qui a été perçue par la critique littéraire dans l’esprit de Balzac : l’une d’avant 1837 (c’est-à-dire d’avant son séjour à Milan), l’autre d’après 1837. Que s’est-il passé ? Quel a été l'événement déclencheur de ce revirement ? 

Balzac était-il attiré par l’Antique ? Il faut avouer qu’en grand séducteur, ce ne sont toutefois pas tellement les statues antiques en marbre qui l’intéressent, mais les belles Italiennes en chair et en os.

« Les deux plus grands romanciers français du dix-neuvième siècle, Stendhal et Balzac se rejoignent par leur amour de l’Italie [35en général et de Milan en particulier. Pour l’un comme pour l’autre, l’Italie fut comme une seconde patrie. » 

« Le troisième fut un décevant voyage de prospecteur minier malchanceux [36en Sardaigne (HB a d’ailleurs tenu de durs propos contre les habitants de cette île) ; le quatrième fut un simple voyage d’accompagnement ; le cinquième, pur voyage de plaisir, marque, en quelque sorte, l’apogée de son amour pour cette Italie où Balzac passa au total quelque dix mois.

C’est lors de ce cinquième voyage que Balzac visite Rome, ville magique. On ne peut mieux mesurer l’effet qu’elle lui fit qu’en lisant la lettre écrite à sa sœur Laure du 20 avril 1846 :

« Ma chère Laure, j’éprouve par avance le plaisir que tu goûteras en pensant que ton frère a mis la main à la plume, dans la ville des Césars, des papes et autres. De t’en faire la description, je ne saurais !... J’ai été reçu avec distinction par notre Saint-Père et tu diras à ma mère qu’en me prosternant aux pieds du père commun des fidèles dont la pantoufle hiérarchique a été baisée par moi en compagnie d’un « podestat d’Avignon » (un affreux maire d’une commune du Vaucluse qui s’est réclamé de son ancienne sujétion) j’ai pensé à elle et je lui rapporte un petit chapelet., béni par Sa Sainteté. J’ai vu tout Rome depuis A jusqu’à Z [37]. L’illumination du dôme de Saint-Pierre, le jour de Pâques vaut à elle seule le voyage ; mais comme on peut en dire autant de la bénédiction donnée « urbi et orbi », de Saint-Pierre, du Vatican, des ruines, il se trouve que mon voyage peut compter pour dix. Malheureusement, Rome est chère, elle a autant de mendiants que d’habitants ... Il y a eu cinquante mille étrangers à Rome pour la Semaine Sainte, et tous ces touristes veulent partir à la fois... Je suis si content de Rome que j’ai l’intention d’y passer l’hiver prochain tout entier... Vraiment, il faut amasser de l’argent et aller une fois dans sa vie à Rome, ou l’on ne saura rien de l’antiquité, de l’architecture, de la splendeur, et de l’impossible réalisés. Rome, dans le peu de temps que j’y suis resté, sera l’un des plus grands et des plus beaux souvenirs de ma vie [38... ».

« Il ne saurait y avoir meilleur document que cette lettre pour montrer l’impression profonde et durable que Rome fit sur Balzac. Son séjour dans la Ville Éternelle fut un séjour heureux, bénéfique pour sa santé physique et morale. Reprenant le titre d’un film célèbre, on pourrait parler des « vacances romaines » de Balzac. Jusqu’à sa mort, il garda la nostalgie de Rome [39]. ».

Une rue, à côté de l’EUR, porte aujourd’hui son nom, malheureusement bétonnée de HLM et qui ne lui rend pas vraiment hommage.

Telle une éponge gorgée d’eau, tout l’œuvre de HB est imprégné par son attirance pour l’Italie : sur les 91 œuvres de la Comédie Humaine, il n’y en que cinq où l’Italie soit totalement absente. En revanche, neuf sont particulièrement focalisées sur la péninsule, à savoir : Sarrasine, La Vendetta, Les Proscrits (où Dante tient une place majeure), L'Élixir de longue vie, Les Marana, Albert Savarus, Facino Cane, Gambara, Massimilla Doni. Dans ces trois derniers, c’est Venise qui est mise à l’honneur (et Rossini dans Massimilla Doni). Rome, quant à elle, apparaît dans Sur Catherine de Médicis, Le Cousin Pons et Mémoires de deux jeunes mariées [40].

Quelle était l’approche de Balzac vis-à-vis des œuvres de l’Antiquité ?

Pour répondre à cette question, c’est encore et toujours vers l’article fondamental d’Alex Lascar qu’il faut se tourner.

Comme le souligne l’auteur, Balzac ne visite pas « à la manière de tous les « fils de famille » cités dans Jean-Louis « que l’on envoie […] dépenser leur argent sur les grandes routes pour savoir […] que le panthéon a tant de pieds de haut. ».

On comparera avec la conception d’un Louis Veuillot, polémiste très violent et très talentueux (une sorte de Léon Daudet super-ultramontain), savoureux combattant du Pape mais à coup sûr un sectaire de première quand il juge le Panthéon, que son catholicisme extrême l'empêche même de voir : « Le Panthéon d'Agrippa. Je ne trouve pas que ce soit la merveille de l'architecture. La forme conçue par l'architecte païen avait besoin de passer par le cerveau de Michel-Ange, comme la pensée même d'Agrippa, d'être redressée par le Pape. Balayant les faux dieux, le Pape a consacré l'édifice à tous les saints qui ont servi le vrai Dieu. Ramassant le dôme posé à plat sur le sol, Michel-Ange l'a jeté dans les airs » (Le Parfum de Rome).

Il est donc fort à parier que c’est la même philosophie qui anime Balzac lorsqu’il visite châteaux [41et musées où sont conservés des Antiques, c’est-à-dire que Balzac ne se préoccupait pas des caractéristiques telles que les dimensions d’une œuvre, mais s’intéressait à l’œuvre en elle-même, à son essence.

Néanmoins, Madame Agnès Schérer, Documentaliste scientifique au Louvre, m’a avisé, par son courriel du 21.7.2022, que l’on ne dispose d’aucune trace de la visite d’Honoré de Balzac au Louvre.

Balzac et son ambition d’écrire une Histoire des mœurs dans l’Antiquité

Balzac est un romancier. C’est presque une Lapalissade, puisqu’il est l’un des plus grands de l’histoire de la littérature. Mais il ne se contentait pas d’être seulement un romancier. Il ambitionnait aussi d’être un historien des mœurs. Sa Comédie Humaine, s’oriente d’ailleurs clairement vers les sciences humaines (ce qu’on appelle aujourd’hui « les sciences molles », un terme assez ridicule au fond). En 1842, au moment de publier pour la première fois sa Comédie humaine, il rédige d’ailleurs un « Avant-propos » dans lequel il expose son projet :

« En lisant les sèches et rebutantes nomenclatures de faits appelées histoires, qui ne s’est aperçu que les écrivains ont oublié, dans tous les temps, en Egypte, en Perse, en Grèce, à Rome, de nous donner l’histoire des mœurs. (…). En dressant l’inventaire des vices et des vertus, en rassemblant les principaux faits des passions, en peignant les caractères, en choisissant les événements principaux de la Société, en composant des types par la réunion des traits de plusieurs caractères homogènes, peut-être pouvais-je arriver à écrire l’histoire oubliée par tant d’historiens, celle des mœurs. »

Bref, l'histoire des mœurs de la Rome antique est une simple velléité.

Balzac et les œuvres évoquant l’Antiquité dans les galeries parisiennes

Dans Balzac à 20 ans (aux pages 44 et 45), Madame Anne-Marie Baron évoque les pérégrinations de Balzac dans les galeries parisiennes à la recherche de trésors en rapportavec l’Antiquité. C’est ainsi que Balzac voit Le Sommeil d’Endymion de Girodet [42] avec son « effet de lune [43] » (qui fut inspiré au peintre par des œuvres d’art vues à Rome [44]) et Pygmalion amoureux de sa statue [45] du même Girodet. 

Pygmalion amoureux de sa statue (domaine public – photographe : Shonagon – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pygmalion_amoureux_de_sa_statue)


3. Les occurrences de Poppée dans Balzac

Dans Une Fille d’Eve, on rencontre un personnage féminin dont Honoré de Balzac compare le visage séduisant à celui de Poppée : Florine, la maîtresse de Raoul Nathan.

« Quand elle tournait la tête, il se formait dans son cou des plis magnifiques, l’admiration des sculpteurs. Elle avait sur ce cou triomphant une petite tête d’impératrice romaine, la tête élégante et fine, ronde et volontaire de Poppée, des traits d’une correction spirituelle, le front lisse des femelles qui chassent le souci et les réflexions, qui cèdent facilement, mais qui se butent aussi comme des mules et n’écoutent alors plus rien. Ce front taillé comme d’un seul coup de ciseau faisait valoir de beaux cheveux cendrés presque toujours relevés par-devant en deux masses égales, à la romaine, et mis en mamelon derrière la tête pour la prolonger et rehausser par leur couleur le blanc du col. Des sourcils noirs et fins, dessinés par quelque peintre chinois, encadraient des paupières molles où se voyait un réseau de fibrilles roses. Ses prunelles allumées par une vive lumière, mais tigrées par des rayures brunes, donnaient à son regard la cruelle fixité des bêtes fauves et révélaient la malice froide de la courtisane. Ses adorables yeux de gazelle étaient d’un beau gris et frangés de longs cils noirs, charmante opposition qui rendait encore plus sensible leur expression. ».

Mais Poppée semble avoir très marqué Balzac, car il n'en fait pas seulement mention dans Une Fille d'Eve en la personne de Florine.

HB en parle également dans Physiologie du mariage avec pas mal d'humour (qu’il partage avec Proust) : — Vous êtes digne de m’entendre !  ... m’écriai-je. Eh ! bien, monsieur, vous lui mangerez quatre heures par jour si vous voulez lui apprendre un art inconnu aux plus recherchées de nos petites-maîtresses modernes… Dénombrez à madame de V les étonnantes précautions créées par le luxe oriental des dames romaines, nommez-lui les esclaves employées seulement au bain chez l’impératrice Poppée : les Unctores, les Fricatores, les Alipilariti, les Dropacistae, les Paratiltriae, les Picatrices, les Tractatrices, les essuyeurs en cygne, que sais-je ! … Entretenez-la de cette multitude d’esclaves dont la nomenclature a été donnée par Mirabeau dans son Erotika Biblion [46]. Pour qu’elle essaie à remplacer tout ce monde-là, vous aurez de belles heures de tranquillité, sans compter les agréments personnels qui résulteront pour vous de l’importation dans votre ménage du système de ces illustres Romaines, dont les moindres cheveux artistement disposés avaient reçu des rosées de parfums, dont la moindre veine semblait avoir conquis un sang nouveau dans la myrrhe, le lin, les parfums, les ondes, les fleurs, le tout au son d’une musique voluptueuse. ».

Dans la Duchesse de Langeais on trouve une autre allusion encore à Poppée : « La duchesse éprouva ces émotions cérébrales dont l’habitude lui avait rendu l’amour d’Armand nécessaire autant que l’étaient le monde, le bal et l’opéra. Se voir adorée par un homme dont la supériorité, le caractère inspirent de l’effroi ; en faire un enfant ; jouer, comme Poppée, avec un Néron ; beaucoup de femmes, comme firent les épouses d’Henri VIII, ont payé ce périlleux bonheur de tout le sang de leurs veines. ».

Il faut enfin citer Un début dans la vie  (page 560 dans https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9601293x/f11.item#) : « Elle avait sur ce cou triomphant une petite tête d'impératrice romaine, la tête élégante et fine, ronde et volontaire de Poppée, des traits d'une correction spirituelle, le front lisse des femmes qui chassent le souci et les réflexions, qui cèdent facilement, mais qui se butent aussi comme des mules et n'écoutent alors plus rien ».

Cette fréquence relative des occurrences poppéennes chez Balzac mériterait donc bien une étude approfondie. Sans aller jusque-là, au travers de cet article, je vais simplement tâcher non pas de faire le tour du sujet – ce qui serait présomptueux, mais de jeter quelques coups de projecteurs sur ce point. Je ne cacherai pas que c’est tout de même à une véritable enquête de détective que je me suis livré, ouvrant des pistes et « fermant des portes ».

Cependant, d’un point de vue iconographique, en dehors des sources écrites, les traces de la fabuleuse beauté de Poppée sont relativement pauvres : on possède le tétradrachme d'Alexandrie en Egypte (avers et revers ci-dessous à gauche) représentant son buste drapé associé à une tête radiée de Néron et le très beau buste en marbre (à droite) exposé au Palazzo Massimo alle Terme de Rome (où elle est représentée avec la couronne d'Augusta [47])                                                       


A gauche, un tétradrachme de Néron et de Poppée (Licence : CC BY-SA 3.0 – Classical Numismatic Group, Inc. http://www.cngcoins.com ; à droite, buste de Poppée du Palazzo Massimo alle Terme à Rome avec la couronne d’Augusta (licence Creative Commons Attribution – auteur : TcfkaPanairjdde (travail personnel)) 

 

Et, sauf erreur de ma part, je crois que c'est à peu près tout ce que nous avons comme portraits d’elle avérés.

En effet, après tout d’abord une vérification dans l’ouvrage de Fittschen et Zanker [48], il apparaît qu’aucune représentation étudiée dans le volume III consacré aux portraits d’impératrices et de princesses dans les collections romaines n’est reconnue avec certitude comme Poppée.

Ensuite, en dehors des collections romaines, on trouve bien en Grèce, au musée archéologique d’Olympie dans le Péloponnèse une splendide statue qui se trouvait dans la cella de l’Héraïon (temple d’Héra) et représentait, comme on l’a cru un temps, l’impératrice Poppée en prêtresse. Mais l’identification de cette statue avec Poppée (pour la haute qualité de son exécution et pour sa taille héroïque) est à présent rejetée [49]. 

 


Statue dite de Poppée du musée d’Olympie (domaine public – Auteur : Nanosanchez (travail personnel) – Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Poppaea_Olimpia.jpg

Enfin, la pseudo-Poppée (anciennement dans la collection Campana) du Louvre-Lens (MA 1269) identifiée un temps, du fait de sa beauté, comme l'impératrice, est aujourd’hui radiée de la liste des véritables portraits de Poppée. Même s’il s’agit d’une œuvre qui est datée autour de 55-60 ap. J.-C. (de l'époque de Néron donc : il est mort en 68 ap. J.-C. et Poppée en 65 ap. J.-C., à l'âge de 35 ans, probablement des complications de son accouchement), ce portrait de jeune femme n’appartient pas à l’iconographie de Poppée (on pense à une princesse orientale élevée à Rome. Sa coupe de cheveux, a été travaillée au trépan et ce portrait a été repoli dans l'Antiquité (le cou et le vêtement sont dépolis). 


 Pseudo-Poppée du Louvre (domaine public – Auteur : Marie-Lan Nguyen – cercle rouge ajouté : Ph. Durbecq –source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Popp%C3%A9e)

Aujourd'hui, la critique l'a retiré effectivement des portraits de Poppée. Madame Agnès Schérer, documentaliste au Louvre, m’informe – témoignage extrêmement précieux dans notre recherche – par courriel du 21.7.2022 « qu’il paraît peu probable qu’Honoré de Balzac ait eu connaissance de cette tête d’une jeune inconnue Ma 1269, car ce portrait faisait partie de la collection Campana qui a été acquise en 1861 (Honoré de Balzac était mort à cette date).

D’après les écrits de Kate de Kersauson dans la notice du catalogue portraits romains t.1 de 1986 p. 218, n° 103, elle y mentionne que cette œuvre a été reconnue comme Poppée un temps.  Le questionnement sur la reconnaissance de Poppée ou non semble dater de la décennie de 1950, et est rejeté à cette période. Notons que dans le catalogue d’Héron de Villefosse de 1896, elle est mentionnée comme « Jeune dame romaine du temps de Néron, buste ».

La récente notice sur ce buste rédigée pour le catalogue de l’exposition « Rome : la cité et l’empire » qui se tient jusqu’au 25 juillet 2022 à Lens au Musée du Louvre-Lens, n’envisage pas qu’il s’agisse de Poppée. 

Dans notre recherche de la source potentielle d'inspiration de Balzac pour le portrait de Florine, il ne faut peut-être pas non plus exclure d'office, la peinture du XVIe siècle du Maître anonyme de l'Ecole de Fontainebleau du musée de Genève. Le tableau évoque naturellement Diane de Poitiers. Le cartouche de pierre et la « morbidezza » de la peau du personnage sur un fond sombre confèrent un aspect sculptural à la représentation : c'est une statue ! La fine gaze - faussement pudique [50] - qui enveloppe son corps évoque irrésistiblement les drapés mouillés de la sculpture grecque hellénistique, mais aussi la Pudeur [51] (!) du sculpteur vénitien Antonio Corradini dans la chapelle Sansevero à Naples.        

 

A gauche, Poppée d’un Maître anonyme de l’Ecole de Fontainebleau – The Yorck Project (2002) 10.000 Meisterwerke der Malerei (DVD-ROM), distributed bDIRECTMEDIA Publishing GmbH. ISBN : 3936122202 ; à droite, la Pudeur d’Antonio Corradini dans la chapelle Sansevero à Naples (photo tirée de l’article de « Lunettes rouges » du 23.1.2009).

Montaigne parle du voile de Poppée, comme d’un artifice utilisé par la courtisane pour cacher ses charmes afin d’attiser les désirs : « Pourquoy inventa Poppaea de masquer les beautez de son visage, que pour les rencherir à ses amans ? » (Essais, II, 15 [52]).

Toutefois, au fil de cette recherche, est née une nouvelle hypothèse en particulier pour sa description du visage de Florine, celle selon laquelle Balzac se serait inspiré d'une autre impératrice que Poppée (comme Faustine), plutôt que d'un portrait de Poppée.

Ce qui donne du crédit à cette hypothèse, comme nous l’avons écrit par ailleurs, est l’indigence, en dehors des sources écrites, des représentations de la fameuse beauté de Poppée.

Or, dans la Cour de marbre à Versailles, figure un buste de Faustine l'Ancienne (la n° 8 dans la liste reprise sur le site Internet du Château de Versailles – Hyperlien https://www.chateauversailles.fr/sites/default/files/depliant_phase6_2021_0.pdf).

Dans la demi-lune du Bassin de Neptune, se trouve également une statue en pied par Nicolas Frémery de Faustine la Jeune (Faustina Minor, femme de Marc Aurèle, dont Commode et Lucilla sont entre autres ses enfants, et qui est morte dans la ville qui porte son nom, Faustinopolis, un site oublié en Turquie actuelle).  

 

Buste de Faustine l’Ancienne avant restauration, 2014.00.1388 © EPV / Christophe Fouin (avec l’aimable autorisation de Mme Sixtine Verpiot)

Faustine l'Ancienne (Faustina Maior) était l'épouse d'Antonin le Pieux et était également renommée pour sa beauté. Elle est citée dans l'Histoire Auguste, un ouvrage très instructif et injustement négligé par les historiens qui le rejettent souvent en bloc.                        

Conclusion

Les informations extrêmement précieuses de Madame Agnès Schérer (et pour lesquelles je la remercie très chaleureusement) permettent de rejeter définitivement aux oubliettes le portrait MA 1269 comme source d’inspiration d’Honoré de Balzac. On peut donc, en termes de détectives, « fermer une porte ».

Monsieur Gautier se pose la question de savoir si « Balzac ne pensait pas à une Faustine comme le buste à Versailles de la Cour de marbre que l’on disait être parfois Poppée ? Il semble en fait probable qu’il se soit arrêté sur une gravure de collections muséales comme les publications du comte de Clarac [53]. Autrement dit, ce ne serait pas un buste, une statue de marbre que nous devrions chercher mais une gravure ou une médaille en bronze.

Il faudra peut-être aussi se résoudre à ne jamais voir l’énigme se dévoiler, mais cette courte étude m’aura permis de pratiquer ma passion et de jeter un coup de projecteur sur un aspect peut-être méconnu de Balzac. Et pour cela, le défi en a valu la chandelle.

Je termine ici par une phrase qui me plaît beaucoup et que je dois, de nouveau, à M. Gautier : «   Enfin, ne faut-il pas plutôt considérer que Balzac associe, destiné au lecteur, sous le nom de Poppée, le port d’une impératrice et une ambitieuse néronienne ? L’ivresse l’emportant sur le flacon, comme souvent chez Balzac, l’image de Florine-Poppée sur les traits d’une Faustine-Agrippine-Poppée ? ». J’adhère totalement à cette hypothèse.

Je remercie profondément Monsieur Gautier pour cette splendide péroraison bien balzacienne. Honoré ne l’aurait pas boudée ! Merci à Balzac pour son style somptueux et à Monsieur Gautier, son digne défenseur et successeur. Merci à Evelyn Maggiore, la bibliothécaire de la Maison de Balzac, très active, très motivée et très efficace.

 

Philippe Durbecq

 

 

 

« Un grand livre ne se condense pas, il se lit ! » (Philippe Dieudonné)

 

 

Bibliographie


Bases de données

Catalogues d’exposition

  • « Palais disparus de Napoléon : Tuileries, Saint-Cloud, Meudon » cat. exp. Galerie des Gobelins, direction de Thierry Sarmant, MN, Infine, 2021.
  • Balzac et la peinture : [exposition], Musée des beaux-arts de Tours, [29 mai-30 août 1999] / catalogue par Jean-Pierre Boyer et Elisabeth Boyer-Peigné Tours : Musée des beaux-arts : Farrago, 1999.
  • « Charles Percier (1764-1838). Architecture et Design », cat. exp. New York, Bard graduate Center Gallery, Château de Fontainebleau, RMN, Paris, 2016.

  • L’artiste selon Balzac : entre la toise du savant et le vertige du fou : exposition, Paris, Maison de Balzac, 22 mai-5 septembre 1999 / [Yves Gagneux... et al.] Paris : Paris-musées, 1999.
  • « Versailles et l’antique », cat. exp. Château de Versailles, direction d’Alexandre Maral et Nicolas Milovanovic, Art Lys, Paris, 2012. 
  • « Vivre à l’Antique de Marie-Antoinette à Napoléon Ier », cat. exp. Château de Rambouillet, direction de Renaud Serrette et Gabriel Wick, CMN, éd. Monelle Hayot, 2021.
  • Catalogue de l’exposition « Rome : la cité et l’empire » qui se tient jusqu’au 25 juillet 2022 au Musée du Louvre-Lens

Ouvrages spécialisés

  • BALZAC, Correspondance, La Pléiade et le premier volume des Œuvres diverses.
  • Balzac et l’Italie, Lectures croisées, Paris, Paris-Musées/Editions des Cendres, 2003 (les articles de Raffaelle de Cesare en particulier).
  • Mariolina BERTINI, « L’Italie de Balzac et le Balzac de l'Italie. L’œuvre pionnière de René Guise et Raffaele de Cesare », Lectures croisées, Paris Musées/Des Cendres, 2003.
  • Elisabeth BARMAN, « Hair and the Artifice of Roman Female Adornment ».
  • Anne-Marie BARON, Honoré de Balzac à 20 ans, Au diable Vauvert, 2011,
  •  Anne-Marie BARON, Balzac ou les hiéroglyphes de l’imaginaire, Honoré Champion, 2002.
  • Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio (Coma et Galerus) ;
  • Dictionnaire Balzac, Larousse.
  • Philippe DIEUDONNE, Correspondance avec un ami (inédit).
  • Claude-Gilbert DUBOIS, « Les voiles de Poppée : Une dialectique du découvrement et du recouvrement du corps féminin au XVIe siècle » dans Vêtement et littérature de Frédéric Monneyron aux Presses universitaires de Perpignan.
  • Le Figaro artistique 1924.
  • Jean GALARD, Le Louvre des écrivains / une anthologie réunie et présentée par Jean Galard, Paris : Citadelles & Mazenod : Louvre éditions, DL 2015.
  • Paul JARRY, Le Dernier logis de Balzac rue Fortunée, l'ancienne chartreuse Beaujon. L'achat, l'aménagement, mariage et mort de Balzac, l'hôtel Rothschild, 1 janvier 1924.
  • Paul JARRY, « Le véritable Cousin Pons : Honoré de Balzac amateur d’antiquités ».
  • Kate de KERSAUSON, Catalogue portraits romains, Réunion des Musées Nationaux (12 mars 1996). 
  • Alex LASCAR, « Balzac et la Rome antique », paru dans L'Année Balzacienne (Paris Vol. 13, Jan 1, 1992) : 53.  
  • Pierre LAUBRIET, L'intelligence de l'art chez Balzac : d'une esthétique balzacienne.
  • « Les cheveux et l'artifice de la parure féminine romaine », Journal américain d’archéologie, 105 (1) :1 (janvier 2001).
  • Paola Dècina LOMBARDI, Balzac è l’Italia, Saggi, Arti è Lettere, Donzelli Editore, 1999.
  • Attilio MASTROCINQUE, L’ambra e l’Eridano (Studi sulla letterature e sul commercio dell’ambra in età predomina), Este, éd. Zielo, 1991.
  • Isabelle MIMOUNI, « Balzac et l’architecture italienne. Le cas de Venise », l’Année balzacienne, 1992.  
  • Isabelle MIMOUNI, Balzac illusionniste : les arts dans l’œuvre de l’écrivain, Paris : A. Biro, 1999. 
  • Gérard MINAUD, Les Vies de 12 femmes d’empereur romain - Devoirs, Intrigues & Voluptés, Paris, L’Harmattan, 2012, ch. 4, La vie de Poppée, femme de Néron, p. 97-120.
  • Octave MIRBAUX, La 628-E8, Edition du Boucher, Société Octave Mirbeau.
  •  Olga PALAGIA, Sculptures from the Peloponnese in the roman imperial period, in A. D. Rizakis and C.E. Lepenioti, eds Roman Peloponnese III. Society, Economy and Culture under ther Roman Empire. Continuity and Innovations, Athens.  
  • Roger PIERROT, Honoré de Balzac, Fayard.                                   
  • Nathalie PREISS et Jean-Jean-Jacques GAUTIER, Catalogue « Balzac architecte d’intérieur » (Saché, 2016) 
  • TACITE, Annales, XIII, 44 (traduction par Ph. Remacle).
  • Paul VEYNE, L’Elégie poétique romaine. L’Amour, la poésie et l’Occident, Essai.
  • Paul VEYNE, L’empire gréco-romain, Seuil, 2005. 
  • ZANKER/FITTSCHEN, Katalog der Römischen Porträts in den Capitolinischen Museen und den anderen Kommunalen Sammlungen der Stadt Rom. Band III (Kaizerinnen und Prinzessinnenbilnisse), De Gruyter, 1st edition (24 Oct. 2014).
  • Stefan ZWEIG, Balzac. Le roman de sa vie (traducteur : Fernand Delmas), Le Livre de Poche, 1996.     

[1] Sur l’impact de l’invention du daguerréotype sur le monde artistique, cf. l'article  https://fr.wikipedia.org/wiki/Balzac_et_le_daguerr%C3%A9otype. Malgré une certaine appréhension, l’écrivain fera part à Madame Hanska, dans une lettre qu’il lui adresse, de son enthousiasme le plus fervent : « Je reviens de chez le daguerréotypeur, et je suis ébaubi par la perfection avec laquelle agit la lumière. » (Balzac, Lettres à l’étrangère, t. II (1842-1844), Paris, Calmann-Lévy, 1906 ; Omnibus, 1999, t. IV, p. 837).

[2] Malgré quelques morceaux un peu lourdsMessieurs les ronds-de-cuir est bidonnant (le legs Broutesapin est inénarrable !). Dans Un client sérieux, Maître Barbemolle, l’avocat de Lagoupille est nommé procureur en pleine séance et prononce un réquisitoire sévère... contre son ex-client dont il venait de présenter la défense !

[3] Proust avait, lui aussi, un humour exceptionnel. Chez Proust, les personnages sont tous caractérisés, avant tout, par la manière dont ils parlent. Les personnages de Proust, ce sont des mots qui dégagent ce comique qui est très fort. A cet effet, Proust ne dédaigne pas les formes les plus élémentaires du risible : le calembour et le malaprop (le malapropisme est une impropriété de langage, un emploi impropre d’un mot, le plus souvent avec un effet comique involontaire). Les exemples pullulent dans le roman de Proust mais surtout quand il donne la parole au directeur du Grand Hôtel de Balbec qui a logé Marcel tout en haut : « J’espère, dit-il, que vous ne verrez pas là un manque d’impolitesse, j’étais ennuyé de vous donner une chambre dont vous êtes indigne, mais je l’ai fait rapport au bruit, parce que comme cela vous n’aurez personne au-dessus de vous pour vous fatiguer le trépan » (Sodome et Gomorrhe, I, 170). Proust ne s’arrête cependant pas là : on a aussi des personnages comiques par leurs traits de caractère ou des scènes comiques, créées par exemple par des quiproquos. En fait, le rire est partout chez Proust : même la phrase qui ouvre la Recherche (incipit), « Longtemps, je me suis couché de bonne heure », on imagine Proust l’écrire avec le sourire aux lèvres, lui qui ne se couchait pas avant 6 heures du matin !

[4] « Un seul livre d’Hermant, à l’époque où je parle, a fait scandale. Il s’appelait le Cavalier Miserey et il était, avouons-le, fort ennuyeux. Mais il eut la chance de tomber entre les mains d’un colonel plein de candeur et peut-être aussi de miséricorde, qui le fit brûler dans la cour du quartier. Ainsi fut lancé notre Bébel, à qui Alphonse Daudet dit un jour devant moi, avec une intonation paternelle, mais inoubliable : « Mon cher Hermant, quand donc me ferez-vous le plaisir de venir me voir sans avoir quelque chose à me demander ? » Le Cavalier Miserey dut à cet autodafé inespéré une vente que son auteur, en dépit de ses efforts, ne devait plus retrouver. J’ai connu un artificier qui murmurait avec mélancolie, devant sa boutique vide d’acheteurs : « Mes bombes n’éclatent pas. » Si Hermant, en un jour de franchise littéraire, nous donnait sa petite clé, peut-être la bombe enfin éclaterait-elle et encore je n’en suis pas sûr. » (Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV), pp. 95 et 96).

[5] On appelle synesthésie (du grec, syn, « union » et aesthesis, « sensation »), le parallèle établi entre nos sens (transfert d’impressions). Autrement dit, des sensations correspondant à un sens évoquent spontanément des sensations liées à un autre sens. Le cas le plus fréquent est la synopsie (perception d’un son qui produit chez un individu des phénomènes de vision colorée).

[6] Balzac a d'ailleurs bien détaillé les effets du café dans son Traité des excitants modernes un ouvrage dans lequel l’écrivain mène une véritable réflexion philosophique sur ces substances, ainsi que sur les différentes façons de le préparer (« café concassé à la turque » ou « moulu dans un moulin ») : « Le café tombe dans votre estomac [...] Dès lors, tout s’agite : les idées s’ébranlent comme les bataillons de la Grande Armée sur le terrain d’une bataille, et la bataille a lieu. Les souvenirs arrivent au pas de charge, enseignes déployées ; la cavalerie légère des comparaisons se développe par un magnifique galop ; l’artillerie de la logique arrive avec son train et ses gargousses ; les traits d’esprit arrivent en tirailleurs ; les figures se dressent ; le papier se couvre d’encre, car la veille commence et finit par des torrents d’eau noire, comme la bataille par sa poudre noire. » (Honoré de Balzac, Traité des excitants modernes). Balzac faisait faire son propre mélange, à base de trois variétés originaires de l'île Bourbon, de la Martinique et de moka du Yémen. Puis il s'occupait lui-même de préparer la décoction qu'il faisait bouillir des heures pour obtenir un concentré de caféine capable de le faire tenir toute la nuit. Balzac préparait donc son café « à la turque », c'est-à-dire par décoction, ce qui était un mode de préparation courant chez ses contemporains.

[7] « C'est le seul homme peut-être dont on peut dire sans exagération qu'il s'est tué au travail » (Stefan Zweig, Balzac. Le roman de sa vie).

[8] Lettre du 1er septembre 1836 au comte Sclopis de Salerno.

[9] Balzac a fait faire cette cafetière en porcelaine de Limoges blanche ornée de bandes amarante par une amie (Zulma Carraud) dans le Limousin. Pour réussir la couleur amarante, il a fallu trois couches et par conséquent trois mises au feu.

[10Voir le documentaire « Les incroyables trésors de l’histoire : la cafetière qui tua Balzac » (URL : https://www.lepoint.fr/culture/les-incroyables-tresors-de-l-histoire-la-cafetiere-qui-tua-balzac-01-11-2014-1877742_3.php).

[11] Ewelina Hanska. Elle était également une célèbre mécène. Octave Mirbaux inclut, dans son « récit de voyage » La 628-E8 (la lettre E désignait, à l’époque, l’arrondissement minéralogique de Paris), un chapitre intitulé « La Mort de Balzac ». Il y rapporte des confidences que le peintre Jean Gigoux aurait faites dans son atelier, selon lesquelles, pendant que Balzac agonisait, madame Hanska recevait son amant dans la chambre voisine. Le fait d’avoir rendu ces faits publics amenèrent l’interdiction pure et simple de son texte qui ne fut redécouvert qu’à la fin des années 1980. Il faut reconnaître néanmoins, avec François L’Yvonnet, qui signe la préface de la publication séparée de « La Mort de Balzac », que « ces pages sont remarquablement écrites, féroces, [et] sans doute un peu injustes ».

[12La majorité de ce que nous savons de l’origine de l’ambre chez les Romains vient de Pline, Histoire Naturelle XXXVII.42-46. Très peu de choses nous sont rapportées par Tacite, dans son Germania. « C'est notre luxe qui a fait la réputation de cette matière. Les gens du pays [les Estiens, peuple germain vivant près de la Baltique et dans les États baltes actuels] n'en font aucun usage. Ils la recueillent brute, nous la remettent informe et s'étonnent du prix qu'on leur en donne » Germania, XLV,

Pline dit que Néron envoya une expédition jusqu’aux côtes de la Germania pour acheter beaucoup d’ambre : il raconte comment, à la fin du règne de Néron, vers 65-68, un chevalier romain a été envoyé en Pologne actuelle à la recherche d'ambre pour orner l'amphithéâtre lors de jeux du cirque un décor qui était renouvelé tous les jours ! Pline nous donne tous les détails de l’itinéraire de cette expédition : partie de Carnuntum (aujourd'hui en Slovaquie, pas très loin de Vienne). Elle a parcouru 900 km pour arriver jusqu'aux rivages de la Baltique, en traversant la Slovaquie actuelle, puis la Pologne d’aujourd’hui, le long de la Morava. Il s’agissait, en tout cas, de frotter l’ambre pour en obtenir du parfum (Martial, XI.8.5). Pour plus de détails à ce sujet, voir l’excellent ouvrage d’Attilio Mastrocinque, L’ambra e l’Eridano (Studi sulla letterature e sul commercio dell’ambra in età predomina), Este, éd. Zielo, 1991.

[13] L’Ane d’or est un roman à l'atmosphère libertine et fantastique qui décrit toutes les mésaventures survenues à un jeune homme nommé Lucius, métamorphosé en âne, mais qui conserve, sous sa forme animale, l’intégralité de sa raison humaine.

[14] Cf. Paul Veyne, L’Empire gréco-romain.

[15] Il décrit les vertus pour la peau de ce bain : « On croit que le lait d'ânesse efface les rides du visage, rend la peau plus délicate et en entretient la blancheur. On sait que certaines femmes s'en fomentent le visage sept cents fois par jour, observant scrupuleusement ce nombre. Poppée, femme de l'empereur Néron, mit le lait d'ânesse à la mode ; elle s'en faisait même des bains et pour cela elle avait des troupeaux d'ânesses qui la suivaient dans ses voyages » (Histoire naturelle. Tome second. Livre XXVIII.

[16« Les ânes en culotte » à Saint-Martin-de-la-Rochelle, municipalité du Canada, dans la province du Québec.

[17] C'est une traite partagée qui doit être pratiquée pour pouvoir conserver la lactation de l'ânesse : l’ânon boit le lait de sa mère et stimule la lactation. On les sépare quelques heures par jour, et l'ânesse produit un peu plus que les besoins de son bébé pour cette traite supplémentaire.

[18] Cette baignoire insolite dans une maison privée (les Romains préférant en général se rendre dans les bains publics) était, dans ce cas d’espèce (Casa dei Cervi : voir https://herculaneum.uk/Ins%204/Herculaneum%204%2021%20p9.htm), utilisée par ceux qui ne voulaient pas ou ne pouvaient pas fréquenter les thermes publics.

[20] Cette phrase me rappelle un souvenir personnel : lors de la visite de l’Acropole d’Athènes, mon épouse et moi étions brûlés par le soleil et un Grec bien avisé et au fait des « remèdes de grand-mère » – bien efficaces cela dit – me conseille très judicieusement d’appliquer du yaourt (grec naturellement !) sur la peau. Nous nous rapprochions de Poppée sans le savoir.

Mais il y a peut-être une autre solution que d’exclure totalement pupa : si le nom de Poppaea vient de pupa. il aurait pu être un sobriquet. Poppeius était un nom romain, comme Pompeius, Poppedius.

[24] Nichée dans le socle de son Persée.

[25] Dans cet essai, Anne-Marie Baron s’est fondée sur des méthodes freudienne et jungienne d'analyse pour sa recherche des « fantasmes balzaciens, qui composent un texte iconique originaire, riche de virtualités narratives ».

[26] Alex Lascar, « Balzac et la Rome antique », paru dans L'Année Balzacienne (Paris, Vol. 13, Jan 1, 1992) : 53. Page 55 (+ note 16).

[27] Les deux textes Agathise et Falthurne, réunis sous le nom d’Œuvres de l'abbé Savonati, un abbé imaginaire, constituent un projet de roman avorté, dont on n’a conservé que deux ébauches successives. Il a été « traduit » par un instituteur, tout aussi fictif, M. Matricante.

[28] « En 1830, Mérimée publie Le Vase étrusque, mais on commence à savoir à cette époque que les beaux vases peints trouvés notamment à Vulci à partir de 1828, étaient en fait des créations attiques. Balzac en donnant une origine étrusque à ce vase à figures noires reste fidèle à des idées qui avaient pour ainsi dire force de loi juste avant la Révolution et au début du XIXe siècle (note de M. Alex Lascar).

[29] On remarquera que les Etrusques ont aussi fort impressionné Balzac : on retrouve des allusions ailleurs dans son œuvre, par exemple dans le portrait de Gabrielle Beauvouloir, la fille du rebouteur dans l’Enfant maudit.

[30] Michaud, Biographie universelle ancienne et moderne, 1811.

[31Biographie universelle ou Dictionnaire Historique, édition revue et continuée jusqu’en 1848 sous la dir. de M. Ch. Weiss et Buisson. T. IX, Supplément depuis 1850 jusqu'en 1856.

[32] Théorie de la démarche.

[33] Extrait du résumé de l’ouvrage de Roger Pierrot.

[34] Stefan Zweig, Balzac. Le roman de sa vie, Le Livre de Poche.

[35] Stendhal joue d’ailleurs un rôle dans l’élaboration d’un « fantasme de l’Italie balzacienne » (voir la contribution de Philippe Berthier dans Balzac et l’Italie, Lectures croisées. Le parallèle Stendhal-Balzac en matière d’histoire de l’art est également évoqué dans ces actes du colloque international organisé les 10 et 11 novembre 2000 par la Maison de Balzac et l’Institut italien de Paris dans les articles regroupés sous la rubrique « Beau comme un Titien ».

[36] Premier accroc : le choléra l’oblige à rester confiné à bord de son navire dans la baie d’Alghero, mais le pire est la trahison de son homme de « confiance » qui a acquis des concessions avant l’arrivée de HB sur l’île. Au lieu de blâmer cet ami, Balzac s’en est pris aux Sardes.

[37Mais comme le fait pertinemment remarquer Alex Lascar, Balzac fait surtout allusion à la Rome moderne et nous ne savons en fait rien de ce qu’a vu HB de la Rome antique. La visite de Balzac aux thermes de Caracalla, de même que son excursion sur l’Aventin restent controversés (voir Alex Lascar, page 71, note 81).

[38] Correspondance, tome V, pages 110 et 111.

[39André Meyer, « Les cinq voyages de Balzac en Italie », Hommes, idées, journaux. Mélanges en l’honneur de Pierre Guiral, Editions de la Sorbonne (hyperlien : https://books.openedition.org/psorbonne/69959?lang=fr).

[40] Mais pas exclusivement puisqu’on peut relever 115 occurrences dans 38 romans ou nouvelles (source : http://hbalzac.free.fr/lieux.php?livre=2002084.0&nombre=1).

[41] Dans le château de Saché, près de Tours, Balzac fit même une série de séjours (une dizaine), car il y trouvait un « refuge » et un « monastère » (Lettre du 21 novembre 1831 à Zulma Carraud, ), le calme, le silence et l’austérité nécessaires à l’éclosion de son œuvre, loin des turbulences de la vie parisienne : Le Père Goriot, Louis Lambert, César Birotteau ou encore Illusions perdues virent le jour dans ce château. Celui-ci abrite d’ailleurs, depuis 1951, un musée consacré à Balzac. Y sont conservés des manuscrits, dont trois recueils d'épreuves corrigées du Lys dans la Vallée, le parc du château ayant également été une source d’inspiration pour Balzac (le Lys dans la Vallée se situe dans la vallée de l’Indre). Voir le documentaire « Balzac à Saché » de Paul Métadier (Hyperlien : https://youtu.be/KeafBy4UgAc).

[42] Comparer avec le tableau d’Adonis dans Sarrazine : « Ah ! le beau tableau ! » ajouta t-elle en se levant, et allant se mettre en face d'une toile magnifiquement encadrée. Nous restâmes pendant un moment dans la contemplation de cette merveille, qui semblait due à quelque pinceau surnaturel. Le tableau représentait Adonis étendu sur une peau de lion. La lampe suspendue au milieu du boudoir, et contenue dans vase d'albâtre, illuminait alors cette toile d'une lueur douce qui nous permit de saisir toutes les beautés de la peinture. « Un être si parfait existe-t-il ? » me demanda-t-elle après avoir examiné, non sans un doux sourire de contentement, la grâce exquise des contours, la pose, la couleur, les cheveux, tout enfin.« Il est trop beau pour un homme », ajouta-t-elle après un examen pareil à celui qu'elle aurait fait d'une rivale. Oh ! comme je ressentis alors les atteintes de jalousie à laquelle un poète avait essayé vainement de me faire croire la jalousie des gravures, des tableaux, des statues, où les artistes exagèrent la beauté humaine, par suite de la doctrine qui les porte à tout idéaliser. « C'est un portrait, lui répondis-je. Il est dû au talent de Vien. Mais ce grand peintre n'a jamais vu l'original, et votre admiration sera moins vive peut-être quand vous saurez que cette académie a été faite d'après une statue de femme. ».

[44] Citons un très beau relief au musée du Capitole d’Endymion endormi avec son chien qui gronde vers la déesse Diane et soulève sa patte comme pour protéger son maître endormi. Le relief est décrit par Chateaubriand dans son Voyage en Italie, dans la relation de sa visite au musée capitolin, le 23 décembre 1803 : « Un bas-relief : Endymion dormant assis sur rocher ; sa tête est penchée dans sa poitrine, et un peu appuyée sur le bois de sa lance, qui repose sur son épaule gauche ; la main gauche, jetée négligemment sur cette lance, tient à peine la laisse d’un chien qui, planté sur ses pattes de derrière, cherche à regarder au-dessus du rocher. C’est un des plus beaux bas-reliefs connus. ».

[45] Cf. Sarrazine : « La Zambinella lui montrait réunies, bien vivantes et délicates, ces exquises proportions de la nature féminine, desquelles un sculpteur est si ardemment désirées, C'était une bouche expressive, des yeux d'amour, un teint d'une blancheur éblouissante. Et joignez à ces détails, qui eussent ravi un peintre, toutes les merveilles des Vénus révérées et rendues par le ciseau des Grecs. L’artiste ne se lassait pas d'admirer la grâce inimitable avec laquelle les qui bras étaient attachés au buste, la rondeur prestigieuse du cou, les lignes harmonieusement décrites par les sourcils, par le nez, puis l'ovale parfait du visage, la pureté de ses contours vifs, et l'effet de cils fournis, recourbés qui terminaient de larges et voluptueuses paupières. C'était plus qu'une femme, c'était un chef- d'œuvre ! Il se trouvait dans cette création inespérée de l'amour à ravir tous les hommes, et des beautés dignes de satisfaire un critique. Sarrasine dévorait des yeux la statue de Pygmalion, pour lui descendue de son piédestal. ».

[46Voici l’extrait concerné de l’ouvrage de Mirabeau « Quand une femme avait corycobolé une demi-heure, de jeunes personnes, soit filles, soit garçons, selon le goût de l’actrice, l’essuyaient avec des peaux de cygnes. Ces jeunes gens s’appelaient Jatraliptæ. Les Unctores répandaient ensuite les essences. Les Fricatores détergeaient la peau. Les Alipilarii épilaient. Les Dropacistæ enlevaient les cors et les durillons. Les Paratiltriæ étaient de petits enfants qui nettoyaient toutes les ouvertures, les oreilles, l’anus, la vulve, etc. Les Picatrices étaient de jeunes filles uniquement chargées du soin de peigner tous les cheveux que la nature a répandus sur le corps, pour éviter les croisements qui nuisent aux intromissions. Enfin, les Tractatrices pétrissaient voluptueusement toutes les jointures pour les rendre plus souples. Une femme ainsi préparée se couvrait d’une de ces gazes qui, selon l’expression d’un ancien, ressemblaient à du vent tissu, et laissait briller tout l’éclat de la beauté ; elle passait dans le cabinet des parfums, où, au son des instruments qui versaient une autre sorte de volupté dans son âme, elle se livrait aux transports de l’amour… Portons-nous les raffinements de la jouissance jusqu’à cet excès de recherches ? ». La nomenclature complète, reprise par Balzac, se trouve à la page 125 de l’ouvrage : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Mirabeau_l%27a%C3%AEn%C3%A9_-_Erotika_Biblion,_1867.djvu/147

[47] Poppée donnera à Néron, une fillette du nom de Claudia Augusta, qui meurt quatre mois plus tard au très grand dam de Néron. D'ailleurs, à l'anniversaire de Claudia, Néron honore la mère et la fille du titre d'Augusta.

[48] Katalog der Römischen Porträts in den Capitolinischen Museen und den anderen Kommunalen Sammlungen der Stadt Rom. Band III (Kaizerinnen und Prinzessinnenbilnisse), De Gruyter, 1st edition (24 Oct. 2014)

[49] Olga Palagia, Sculptures from the Peloponnese in the roman imperial period, in A. D. Rizakis and C.E. Lepenioti, eds Roman Peloponnese III. Society, Economy and Culture under ther Roman Empire. Continuity and Innovations, Athens, page 431, note 3.  

[50] Cette gaze transparente, au lieu de masquer sa nudité, amplifie, au contraire, son charme.

[51] Le titre de l’œuvre est l’un des plus insolites qui soit : pour certains esprits chagrins, la Pudeur serait, tout le contraire, bien impudique sous cette gaze diaphane qui érotise plutôt qu’elle ne cache les merveilleuses courbes de cette statue. Certes que le titre soit sémantiquement inexact, on n'en disconvient pas. Mais, il n’y a rien d’indécent dans cette sculpture : c’est beau le corps d’une femme. Pourquoi devrait-elle se cacher sous une burqa ? Petit bémol, il s’agit tout de même d’« une représentation de la mère du Prince [Sansevero], morte peu après sa naissance et qu’il ne connut donc jamais. La pierre tombale brisée sur laquelle elle s’appuie chante ses mérites. (…) Quelle étrange idée donc que de représenter sa propre mère, quasi inconnue, sous ces traits érotiques, pour symboliser la pudeur : c’est bien plus la sagesse initiatique qui semble être ici en jeu » (« Lunettes rouges », 23 janvier 2009 – source : https://www.lemonde.fr/blog/lunettesrouges/2009/01/23/pudeur-et-desillusion/).

[52] N.B. : la phrase est un ajout à l’édition posthume. La phrase de Montaigne et le tableau sont utilisés par Jean Starobinski, dans son introduction au recueil d’essais intitulé L’Oeil vivat, Paris, Gallimard, 1961. Voir l’article de Claude-Gilbert Dubois, « Les voiles de Poppée : Une dialectique du découvrement et du recouvrement du corps féminin au XVIe siècle » dans Vêtement et littérature de Frédéric Monneyron aux Presses universitaires de Perpignan (hyperlien : https://books.openedition.org/pupvd/28104?lang=fr).

[53] Dans les publications de Frédéric Clarac (Musée de Sculpture), Poppée apparaît sur une médaille en bronze.

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