La Danse de Roxane

 

 

La Danse de Roxane

 


(par Philippe Durbecq)

 

 



Je tiens à exprimer mon infinie gratitude à Madame Hélène Delavaud Roux, Maître de conférences à l’Université de Bretagne occidentale, pour le partage humaniste de son savoir étendu et de sa grande érudition, ainsi que pour sa parfaite obligeance.

 

On est libre d’aimer ou de détester le film « Alexandre » d’Oliver Stone, mais peut-on rester insensible à l’exotisme raffiné, à l’ensorcelante mélodie et à l’intense sensualité [1] qui se dégagent de la danse de Roxane [2], un des moments-clés du film ? Cette danse (armée [3]) se déroule sur un tapis de fleurs. Elle se présente comme un mélange de danses soufie [4] iranienne avec des touches de danses indiennes.


 « Dance de Roxane » dans le film d’Oliver Stone (source : https://iranpoliticsclub.net/history/historical-women/index.htm, lien : IPC – La duplication du contenu est autorisée, uniquement en nommant la source et le lien vers IPC) - Lien vers l'extrait du film : https://www.youtube.com/watch?v=3xlJMavnO-g&t=1s .

Comme un serpent s’enroulant autour d’une branche d’arbre, la flûte enveloppe la base rythmique rapide et hypnotique des percussions et des cymbales à doigts. La harpe, ainsi que le sitar, l’accompagnent dans ce mouvement, ajoutant un ruissellement de notes (glissandi) qui adoucit le son aigrelet de la flûte. C’est un morceau musical enivrant, à l’ambiance orientale, ensorcelant et envoûtant comme une danse de derviche tourneurs.


Arrien ne décrit pas cette danse dans son Anabase. Quinte-Curce évoque, à propos de Roxane « une femme amenée en spectacle au milieu des jeux d'un festin », mais ne parle pas explicitement d’une danse.

 

En revanche, Plutarque en fait mention (Alexandre, 47, 7-8 (trad. Chambry et Flacelière, CUF) :

 

καὶ τὰ περὶ Ῥωξάνην ἔρωτι μὲν ἐπράχθη, καλὴν καὶ ὡραίαν ἔν τινι χορῷ παρὰ πότον ὀφθεῖσαν, ἔδοξε δ´ οὐκ ἀνάρμοστα τοῖς ὑποκειμένοις εἶναι πράγμασιν.

 

Ἐθάρρησαν γὰρ οἱ βάρβαροι τῇ κοινωνίᾳ τοῦ γάμου, καὶ τὸν Ἀλέξανδρον ὑπερηγάπησαν, ὅτι σωφρονέστατος περὶ ταῦτα γεγονὼς οὐδ´ ἧς μόνης ἡττήθη γυναικὸς ἄνευ νόμου θιγεῖν ὑπέμεινεν.

 

« En ce qui concerne Roxane, il agit par amour, car il l’avait trouvée très belle et fraîche, en la voyant dans un chœur de danse après un festin; mais son mariage avec elle n’en parut pas moins approprié à ses desseins, car les Barbares, mis en confiance par l’union de l’une des leurs avec le roi, conçurent pour lui une affection extrême, d’autant plus qu’en cette occasion, il montra la plus grande continence, même à l’égard de la seule femme qui l’eut soumis à son empire, et qu’il ne voulut point la toucher avant de l’avoir légalement épousée. ».

 

Plutarque ne dit toutefois rien au sujet d'armes qui seraient utilisées dans la danse de Roxane. Oliver Stone a utilisé des armes pour cette danse et certaines danses orientales se font avec un sabre, ce qui a dû l'inspirer. Mais ces danses ne remontent sans doute pas aussi loin que l'Antiquité.

 

Dans le film d’Oliver Stone, on constatera également qu’au début de sa rencontre avec Alexandre, Roxane porte un vêtement qui la dissimule complètement au regard des autres, mais qu’elle est à visage découvert lorsqu’elle danse.

 

À la période achéménide, les reines perses étaient déjà soustraites à la vue du commun des mortels, mais on ne parle pas de voile (Kalymna ou Kalyptra)Plutarque explique, par exemple, quand il décrit le règne d'Artaxerxès II, que la reine Stateira était populaire auprès du peuple car elle voyageait toujours en voiture découverte, sans rideaux et laissait s’approcher les femmes du peuple qui voulaient la saluer [5].

 

Il ne semble pourtant y avoir aucune preuve de femmes portant des voiles couvrant la tête, ou la bouche datant de la période Achéménide. Néanmoins, il existait une coutume consistant à placer les mains devant la bouche pour éviter de corrompre l'air que le souverain respire. Cette coutume est notamment attestée par un bas-relief de Persépolis qui se trouvait le long des grands escaliers de l’Apadana (l’original est conservé aujourd’hui au musée national de Téhéran), où l'on peut voir un officiel Mède reçu en audience et séparé de Darius, assis sur son trône, par deux grands brûle-encens, porter l'extrémité de ses doigts à la bouche. 

 

Scène de proskynèse (proskynesis) [6] montrant un officier mède reçu en audience par Darius (escalier nord de l’Apadana, original au musée national de Téhéran), photo issue du site Livius (licence : CC 1.0 Universal – créateur : Marco Prins)


Roxane

Roxane était une princesse de Sogdiane (plus ou moins l’Ouzbékistan actuel), pas de Bactriane (dans l’Afghanistan moderne), même si les deux régions étaient deux satrapies contiguës [7] et faisaient partie de la Perse [8] achéménide.

 


(licence : CC BY-SA 2.5 – auteur : Fabienkhan (travail personnel) – source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Carte_empire_ach%C3%A9m%C3%A9nide.png)

 

Roxane est d’ailleurs un nom persan (farsi) : Rochanak ou Rochaniâ, « la Lumineuse », « la petite étoile ». Ce n’est sans doute pas un hasard si l’astronome Auguste Charlois baptisa de ce nom l’un des 99 astéroïdes qu’il a découvert en l’honneur de Roxane, la première épouse d’Alexandre le Grand.


Même si un roman (Le Portrait de Roxane de Philippe Flandrin) évoque la découverte d’une pièce de dix-sept grammes d'or frappée à l'effigie de Roxane, par Alexandre le Grand, aucun portrait, ni monnaie représentant la princesse Roxane ne semble, dans l’état actuel des connaissances, être parvenu jusqu’à nous.

 

En revanche, des médailles macédoniennes et des médaillons romains [9] existent représentant la reine Olympias chez qui Roxane trouva refuge avec son fils vers la fin de sa vie. 



A gauche, médaille en or avec portrait d’Olympias frappée vers le milieu du IIIe siècle av. J.-C. à l’occasion des jeux olympiques célébrés en Macédoine (musée de Thessalonique) ; à droite, portrait semblable sur un médaillon commandé par Caracalla (Walter Art Museum à Baltimore). Les deux photos sont dans le domaine public (licence CC BY-SA 3.0 – auteur : Fotogeniss (travail personnel) pour la photo de gauche ; pour celle de droite le Walter Art Museum estime que « les images numériques de sa collection étendent la portée du musée. Pour faciliter l'accès et la convivialité, nous choisissons de rendre les images numériques d'œuvres d'art considérées comme étant dans le domaine public disponibles pour une utilisation sans limitation, libres de droits et de redevances [10]. »)

 

Il faut donc nous tourner vers les peintres de la Renaissance pour trouver des représentations forcément imaginaires de Roxane. Mais pas nécessairement sans aucun fondement historique. Ainsi, une fresque de Giovanni Antonio Bazzi dit le Sodoma de la Villa Farnésine à Rome est une tentative de reconstitution d’un tableau perdu du peintre Echion (également connu sous le nom d’Aetion), peut-être un contemporain d'Apelle, de Protogènes et de Nicomaque. Lucien de Samosate en fait une description dans « Hérodote ou Aétion » :

« Dans une chambre magnifique est un lit nuptial : Roxane y est assise ; c’est une jeune vierge d’une beauté parfaite : elle regarde à terre, toute confuse de la présence d’Alexandre ; une troupe d’Amours voltige en souriant. L’un, placé derrière la jeune épouse, soulève le voile qui lui couvre la tête, et montre Roxane à son époux. Un autre, esclave empressé, délie la sandale comme pour hâter le moment du bonheur ; un troisième saisit Alexandre par son manteau, et l’entraine de toutes ses forces vers Roxane. Le roi présente une couronne à la jeune mariée ; près de lui, comme paranymphe, se tient Héphestion, une torche allumée dans la main, et appuyé sur un beau jeune homme, que je crois être l’Hyménée [11], son nom n’étant point écrit. Dans une autre partie du tableau, sont des Amours qui jouent avec les armes d’Alexandre : deux d’entre eux portent sa lance, comme un lourd fardeau, et paraissent accablés sous le poids d’un ais ; deux autres traînent par les courroies le bouclier, sur lequel est assis un troisième, qui a l’air d’un souverain sur son char ; un dernier s’est glissé sous la cuirasse qui gît à terre, et il semble épier les autres, pour leur faire peur, quand ils passeront près de lui [12]. »

 


Fresque du Sodoma à la Farnésine (photo dans le domaine public (source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Noces_d%27Alexandre_et_de_Roxane)

(Détail de la photo précédente)

Alexandre le Grand eut trois épouses : la princesse Stateira II, fille de Darius III de Perse ; la princesse Parysatis II, fille d'Artaxerxès III de Perse, cousine de Stateira II ; la princesse Roxane de Sogdiane qui fut sa première épouse [13].

 

Après la défaite de Darius, Alexandre capture à Damas (où les nobles de Perse avaient été envoyés par sécurité) la famille de Darius, y compris sa femme, la reine Stateira I (qui était peut-être aussi sa sœur, comme le suggère Justin [14]). Stateira I était réputée être la plus belle femme de toute l’Asie. Alexandre la respecta et la traita avec déférence. Plutarque, Quinte-Curce et Justin prétendent qu’Alexandre ne l’aurait vue qu’une seule fois, au moment de la capture de la famille royale.   


 


A gauche, Stateira II incarnée par l’actrice Annelise Hesme (photo issue du site https://m.imdb.com/title/tt0346491/mediaviewer/rm3811558657/?ft0=name&fv0=nm0381418&ft1=image_type&fv1=still_frame) ; à droite, Alexandre (en Arès) épousant Stateira (en Aphrodite), fresque trouvée à Pompéi, musée archéologique de Naples (photo dans le domaine public – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Noces_de_Suse).

 

Alexandre le Grand avait en outre une maîtresse [15] gréco-perse [16] nommée Barsine [17] (son père était persan et sa mère était grecque). Barsine était l'épouse de Memnon, le commandant grec, après la mort de Memnon, les historiens anciens ont écrit une histoire d'amour entre Barsine et Alexandre. Plutarque mentionne qu’« Alexandre tomba amoureux de sa captive Barsine pour sa beauté ». Quand Alexandre épouse Roxane, elle quitte l’entourage du roi et se retire avec son fils Héraclès à Pergame.


Le garçon aurait été le seul enfant d'Alexandre né de son vivant. Cassandre a assassiné Héraclès en 309 av. J.-C. (il avait 17 ans) sur ordre de Polyperchon, un des généraux d’Alexandre. Auparavant, les Macédoniens avaient également tué Roxane et son fils en 310 av. J.-C.


           

A gauche, Claire Bloom dans le rôle de Barsine et Richard Burton dans celui d’Alexandre le Grand, dans le film « Alexandre le Grand, 1956 – photo dans le domaine public - Popular Library Inc. Photo from United Artists, producer of the film. – pp. 58-59 Screenland Plus TV Land March 1956 – source : https://en.wikipedia.org/wiki/Barsine#/media/File:Claire_Bloom_Richard_Burton_Alexander_the_Great.jpg) ; à droite l’actrice indienne Riya Deepsi dans le rôle de Barsine (série « Porus [18] »)

 

Inutile de dire qu’aucun des péplums consacrés à Alexandre le Grand ne respecte les ethnies en ce qui concerne le choix des actrices incarnant les épouses et concubines du conquérant : l’actrice Rosario Dawson est née d’une mère d’origine portoricaine et cubaine et ne correspond évidemment pas au physique de la Roxane historique qui était une princesse perse, mais d’Asie centrale ; Claire Bloom était britannique, née d’une famille originaire de Russie et de Lettonie (nom d’origine : Blumenthal), alors que Barsine était gréco-perse. Toutes partagent néanmoins ce point commun d’être de très jolies actrices, ce qui, sur le plan esthétique, correspond évidemment à la description des sources antiques : « les hommes qui participaient à la campagne disaient qu'elle était la plus belle femme qu'ils aient vue en Asie, à la seule exception de la femme de Darius [, sa mère]. Alexandre est tombé amoureux d'elle à vue ; mais, toute captive qu'elle était, il refusa, malgré toute sa passion, de la forcer à sa volonté, et condescendit à l'épouser » (Arrien [19]).

 

Le mariage d’Alexandre et de Roxane

 

C’est après que ses soldats se soient emparés de la « roche des Sogdiens [20] » qu’Alexandre rencontre Roxane.

 

« Parmi les prisonniers on compta un grand nombre de femmes et d'enfants entre autres ceux d'Oxyarte ; l'une de ses filles, Roxane, nubile depuis peu était la plus distinguée des beautés de l'Asie, après la femme de Darius. Alexandre en est épris, et loin d'user des droits du vainqueur sur sa captive, il l'élève au rang de son épouse, action bien plus digne d'éloge que de blâme. » (Arrien, IV, 19).

 

Les détails du mariage (qui s’est déroulé en 327) sont relatés en particulier par Quinte-Curce (Histoires, Livre VIII, chap. 4), qui est le seul à décrire avec précision les détails de la cérémonie :

 

« Il (le satrape) avait préparé, pour recevoir le roi (Alexandre), un festin où régnait toute la magnificence asiatique. (23) Occupé d'en faire les honneurs avec beaucoup de recherche, il fit amener trente jeunes vierges de nobles familles, et parmi elles sa propre fille, nommée Roxane, qui, à une beauté merveilleuse, unissait des grâces bien rares chez les Barbares. (24) Quoique environnée d'une troupe de beautés choisies, elle attira sur elle tous les regards, ceux du roi surtout, qui déjà ne commandait plus si bien à ses passions au milieu des faveurs de la fortune, dont les mortels ne savent jamais assez se garder. (25) Aussi ce même prince qui avait vu l'épouse de Darius et ses filles, auxquelles nulle femme, hormis Roxane, ne pouvait être égalée en beauté, sans éprouver d'autres sentiments que ceux d'un père, se laissa-t-il aller à un fol amour pour une jeune fille de bien humble naissance auprès de l'éclat du sang royal; et on l'entendit dire hautement qu'il importait à l'affermissement de son empire que les Macédoniens et les Perses se mêlassent par des mariages; que c'était le seul moyen d'ôter et la honte aux vaincus et l'orgueil aux vainqueurs. (26) Achille même dont il descendait, ne s'était-il pas uni à une captive ? Qu'on se gardât donc de croire qu'il se déshonorait en voulant contracter une pareille alliance. (27) Le père accueillit ses paroles avec les transports d'une joie inespérée ; et le roi, dans l'entraînement de son ardente passion, fit apporter un pain, selon la coutume de son pays : c'était là, chez les Macédoniens, le gage le plus sacré de l'union conjugale : on le coupait en deux avec une épée, et chacun des futurs époux en goûtait. (28) Sans doute les premiers législateurs de cette nation, en choisissant cet aliment simple et peu coûteux, ont voulu enseigner à ceux qui associent leur fortune, de combien peu ils doivent se contenter. (29) C'est ainsi que le maître de l'Asie et de l'Europe s'unit par le mariage à une femme amenée en spectacle au milieu des jeux d'un festin, et que, du sein d'une captive, dut naître l'héritier destiné à régner sur un peuple de vainqueurs. (30) Ses amis avaient honte de le voir, au milieu des vins et des mets, se choisir un beau-père dans la nation conquise ; mais toute liberté ayant disparu depuis le meurtre de Clitus, ils donnaient l'air de l'approbation à leur visage, l'instrument de flatterie le plus complaisant. ».

 

Etait-ce un mariage d'amour ou une alliance politique comme le suggérait Plutarque [21] ? Il ne faut pas être manichéen et les deux ne s’excluent pas, surtout si le but est noble : celui de réaliser, au travers de ce mariage, un rêve d’universalité et non un prosaïque « mariage d’argent [22] » : ce mariage était conforme à la politique d'Alexandre de rapprocher (ce qui ne signifie pas unir) les cultures grecque et perse, ou du moins leurs élites [23]Alexandre insistera d’ailleurs pour que ses commandants (y compris son amant Héphaistion) prennent des épouses persanes lors des fameuses noces de Suse, en 324, un mariage collectif d’une très grande ampleur puisqu’elles concernaient 10.000 Macédoniens.

 

Rompre le pain ensemble est une coutume macédonienne. Cette communion alimentaire rappelle le rituel de la confarreatio, qui est décrit par Gaius, confirmé par Ulpien [24], bien que l’on ne sache pas si les époux goûtaient ou non au gâteau d’épeautre.

 

Pourquoi du pain et pas un autre aliment ? « Sans doute les premiers législateurs de cette nation, en choisissant cet aliment simple et peu coûteux, ont voulu enseigner à ceux qui associent leur fortune, de combien peu ils doivent se contenter [25]. »

 

La forme du pain était « vraisemblablement ronde [26] » et donc pas allongée comme dans le film « Alexandre » d’Oliver Stone. On peut donc comparer le pain qui a dû être servi au mariage d’Alexandre et de Roxane comme ayant plutôt l’apparence de ces pains retrouvés à Pompéi [27].

  



A gauche, photo tirée du film d’Oliver Stone (source : https://makedonia-alexandros.blogspot.com/2012/07/alexander-and-roxane-central-asia-13.html) ; à droite, pain découvert à Pompéi (licence : CC BY-SA 2.0 – auteur : user Beatrice (travail personnel) – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pain_sous_la_Rome_antique)

 

On peut comparer ce rituel à la confarreatio romaine dans laquelle intervient un pain d’épeautre [28].

 

Poursuivons avec le rituel macédonien : ce pain, en principe rond, devait être tranché en deux à l’aide d’un glaive [29] avant que les époux n’en goûtent rituellement les moitiés.

 

Il est fort probable qu’Alexandre, lors de sa cérémonie de mariage avec Roxane, ait employé sa propre épée à cet effet, la kopis [30], une arme utilisée dans la cavalerie macédonienne (les phalangistes et les hoplites avaient un couteau plus court, le xiphos) [31]. 

 

Illustration d’une kopis (Licence : CC BY-SA 4.0 – Auteur : Auge=mit – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Kopis#:~:text=Le%20kopis%20(en%20grec%20ancien,est%20parfois%20compar%C3%A9%20au%20khukuri)

 

Comme le dit Quinte-Curce : « cette arme noble, qui intervient souvent dans les cérémonies du genre, était bien à la mesure de cette solennelle occasion ». 

 

Dans leur article « A propos du mariage d’Alexandre et de Roxane », Marcel Renard et Jean Servais nous éclairent sur l’utilisation du glaive : « Dans la plupart des folklores et des magies, glaives, épées et couteaux jouent un rôle apotropaïque : instruments tranchants et piquants, ils blessent les démons, les mauvais esprits, les morts errants, tous ceux qui viennent rôder dans l’intention de nuire, et par conséquents ils sont utilisés pour les écarter. (…) En Grèce, on enfermait un couteau dans le mât des bateaux pour les préserver des λάμιαι et des tempêtes ».

 

Selon la légende, Alexandre le Grand gardait deux choses sous son oreiller : un poignard et une copie de l'Iliade d'Homère. On le voit également dans le film d’Oliver Stone : Alexandre passe les volumina de l’Iliade sur son visage et Roxane découvre le couteau.

 

La mort de Roxane

 

Alexandre le Grand ne vit pas très vieux. Il va mourir d’épuisement [32] à l’âge de 33 ans et, au moment de sa mort, son épouse Roxane porte le fruit de leurs amours, un fils, Alexandre IV de Macédoine [33], qui naîtra de manière posthume pour son père, quoique cet enfant fût pratiquement déjà roi in utero [34]. Quatre ans à peine se seront écoulés entre le mariage avec Roxane et la mort d'Alexandre.

 

Pendant les treize années qui vont suivre, l'enfant-roi est ballotté entre différents diadoques [35], qui se disputent sa garde comme un gage sur la royauté macédonienne apportant une légitimité à leurs ambitions politiques.

 

Par ailleurs, après la mort d'Alexandre, Roxane s'était alliée avec la reine-mère Olympias contre Philippe III et son épouse Eurydice qui furent éliminés, puis s’était placée sous la protection de Polyperchon, le successeur d'Antipater à la régence de Macédoine de 319 à 317, mais Polyperchon se rallie à Cassandre. Roxane se réfugie alors avec son fils à Pydna [36] pour échapper à ce dernier [37].

 

Après la prise de cette ville et le meurtre d'Olympias en 316 av. J.-C. (elle est lapidée par des proches de ses victimes), Roxane est enfermée avec son fils dans la citadelle d'Amphipolis en Macédoine [38]. Cassandre, épimélète (intendant des finances) depuis le traité de paix de -311, les fait mettre à mort en -310, laissant vacant le titre de roi de Macédoine jusqu'en -305, date à laquelle il se fait proclamer roi.

 

La paix de -311 entre les diadoques stipulait en effet que Cassandre ne resterait épimélète du roi que jusqu'à la majorité d’Alexandre IV, une clause qui scellait ipso facto le destin du jeune monarque : pour rester en place, Cassandre devait l’éliminer au plus vite.

 

Cependant, Polyperchon entre de nouveau en conflit contre lui. Polyperchon prend sous sa protection Héraclès, le fils illégitime d’Alexandre et de Barsine, et le présente comme un successeur potentiel. Cassandre, plutôt que de s’engager dans un combat au succès incertain propose à Polyperchon un marché consistant à conserver ses possessions. En 309, le jeune Héraclès et sa mère, Barsine, périssent empoisonnés sur l'ordre de Polyperchon qui tente ainsi d’obtenir les faveurs de Cassandre.


La tombe dite « du Prince », à Vergina [39], pourrait très probablement être celle d'Alexandre IV : les cendres qui y ont été découvertes dans une hydrie funéraire en argent appartiennent à un jeune garçon de 13 à 16 ans (l'âge d'Alexandre IV à sa mort), et la datation du matériel archéologique permet d'établir une datation entre 330 et 290 av. J.-C environ, ce qui correspondrait également avec l’époque du décès d’Alexandre IV (311 ou 310 av. J.-C.).

 

Inauguré en 1993, le Musée des Tombes royales d’Aigai (Vergina) a été bâti à l’intérieur du tumulus, mais sur les tombes royales afin de pouvoir les maintenir in situ et de conserver au « Grand tumulus » de Vergina sa forme initiale (celle qu’il avait avant les fouilles). On y dénombre quatre tombes et un petit temple (héroon). L’entrée aux tombes royales se fait par une rampe et un long couloir dans la pénombre : la scénographie nous invite à entrer au royaume d’Hadès.  



A gauche, le « Grand tumulus » dans lequel sont enfouies les tombes de Philippe II et, très probablement, d’Alexandre IV ; à droite, l’entrée des tombes royales de Vergina (Licences : respectivement CC BY 3.0 et CC BY-SA 3.0 - Auteurs : Astaldo (travail personnel) et Colin W – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Tombe_de_Philippe_II_de_Mac%C3%A9doine)


La tombe du Prince est ornée d'une frise peinte représentant une course de chars, dont l’un des protagonistes pourrait être le jeune prince assassiné.

 

Quant à Olympias et Roxane, les scientifiques n'ont toujours pas découvert leur tombe, même si le site d’Amphipolis alimente toutes les spéculations.

 

Vue 3D de la tombe d’Amphipolis (Licence : CC BY-SA 4.0 - auteur : Magikos fakos http://greektoys.org/ (travail personnel) – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Tombeau_d%27Amphipolis)


La danse amoureuse de Roxane se termine donc par une double tragédie, mêlant tout ce que l’homme peut avoir de meilleur en lui ou de plus mauvais, ce qui est bien grec comme épilogue.


                                                                                                    Philippe Durbecq



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    • XENOPHON, De l’Art équestre, Les Belles Lettres, 1978.   

    • Sitographie


            (Maria Bildea · Irina Valentinovna Karpouchina · Konstantinos Paliatsaras · Vanessa-                Mae Vanakorn Nicholson · Epirus Polyphonic Ensemble. Chef d’orchestre : Nic Raine)

     



    [1] Cette danse n’est pas sans évoquer celle de Salomé dans la Bible, la funeste danse des sept voiles qui entraîne la décapitation de Jean-Baptiste (Selon Matthieu 14 et Marc 6, car Flavius Josèphe ne fait mention d’aucune danse dans ses Antiquités juives). Extrait du film d’Oliver Stone : https://www.youtube.com/watch?v=3xlJMavnO-g.

    [2] Toute la chorégraphie de cette danse est décrite dans le documentaire « Dancing for Oliver » réalisé par Suzanne Gielgud, l’épouse du chorégraphe britannique Piers Gielgud (voir l’article https://fr.wikipedia.org/wiki/Dancing_for_Oliver) sur le travail de son mari et des danseurs.

    [3] Les danseuses tiennent une dague en main. Cette danse rappelle donc également, par certains côtés, les danses armées antiques en Orient. Cf. le passage de Xénophon, Anabase IV, 7, 16 sur les danses armées de Chalybes dès qu'ils sont en vue de l'ennemi, puis V, 4, 14 et V, 4, 17, les danses armées des Mossynèques, ainsi que VI, 4, 10 le spectacle de danses armées où figure une persique effectuée par un Mysien avec deux boucliers. C'est la même danse qu'effectue le roi de Perse le jour de la fête de Mithra. Pour plus de détails à ce sujet, voir Hélène Delavaud-Roux, « Les Grecs à la découverte de l'Orient à travers l'Anabase de Xénophon », pp. 89-125, 114, 116-117, 118-120.

    [4] Il s'agit de danse soufie iranienne. Ce type de danse a pu inspirer Oliver Stone. Mais ce sont généralement des pratiques plutôt réservées aux hommes. Le lien https://danse-soufie.com/rana-gorgani-2/ renvoie vers une femme qui pratique cette danse. Il n'est pas du tout certain que ce type de danse ait existé à l'époque d'Alexandre. L'origine de la danse soufie est plutôt médiévale. Je dois ces indications à Madame Hélène Delavaud Roux que je remercie vivement.

    [5] Plutarque, Artaxerxès, 5 et Xénophon, Cyropaedia, 6,4,11. Voir aussi les travaux de Madame Nathalie Martin sur la question du voile en Grèce ancienne.

    [6] Littéralement « envoyer un baiser vers »

    [7] Elles étaient séparées par le fleuve Oxus (Strabon, Géographie, Livre XI.11)

    [8] La Perse est un nom grec pour l'Iran. En langue persane, les Perses ont toujours appelé leur pays l'Iran. Iran signifie « le pays des Aryens », les Perses/Iraniens sont des Aryens. IRAN est l'ancien nom de la Perse dans la langue persane et la littérature persane, il vient de IRANSHAHR.

    [9] Cette pièce fait partie d'une série de grands médaillons en or trouvés à Aboukir en Haute-Égypte qui ont été commandés pour honorer l'empereur Caracalla, le représentant comme le descendant d'Alexandre le Grand et le comparant également à Achille (le verso montre une « néréide », peut-être Thétis, la mère d'Achille, chevauchant un hippocampe). Voir le site https://art.thewalters.org/detail/35838/medallion-with-olympias/.

    [10] Qu’ils soient félicités ici pour cette ouverture d’esprit.

    [11] Le dieu protecteur du mariage.

    [12] Lucien de Samosate (trad. Eugène Talbot), « Hérodote ou Aétion », dans Œuvres complètes, t. 1, Hachette, 1866 (https://fr.wikisource.org/wiki/H%C3%A9rodote_ou_A%C3%A9tion).

    [13] Alexandre se marie avec la fille de Darius III, Stateira II et avec Parysatis II, pendant les noces de Suse en 324, Roxane qui était alors enceinte d’Alexandre fait une fausse couche. De concert avec Perdiccas, elle fait étrangler Stateira II, fille de Darius III et seconde épouse d'Alexandre. Elle fait alors reconnaître son propre fils comme héritier du trône sous le nom d'Alexandre IV. Ne pas confondre Stateira I, l’épouse de Darius III et Stateira II, sa fille.

    [14] Justin, Abrégé des Histoires philippiques de Trogue Pompée, 11, 9. (URL : http://www.forumromanum.org/literature/justin/).

    [15] En réalité, ni maîtresse, ni concubine (du moins dans la conception grecque de l’hétaïre), sa position était presque celle d’une reine (« une femme du roi »), avec tout le prestige qui lui était attaché, et une certaine influence politique. Son statut était donc respectable. Voir Pierre Briant, Histoire de l'Empire perse de Cyrus à Alexandre.

    [16] Elle était l'aînée des dix filles du satrape perse Artabaze et d'une Grecque originaire de Rhodes.

    [17] Attention aussi, Barsine est parfois confondue avec Stateira II, épouse d'Alexandre, et qui peut aussi avoir été appelée « Barsine » (Plutarque, Diodore, Curtius Rufus, Justin et Pausanias).

    [18] Série télévisée racontant la vie du guerrier et souverain indien Porus, roi du royaume des Pauravas (ancienne dynastie de l’Indus) et d'Alexandre le Grand.

    [19] Lucius Flavius ​​Arrianus, mieux connu sous le nom d' Arrien, était un historien grec du IIe siècle après J.-C, qui a servi comme commandant militaire dans l'Empire romain. Arrien a eu la chance d’avoir en main la biographie d’Alexandre écrite par Ptolémée. Les récits des historiens contemporains (Callisthène, Onésicrite, Nearchus et Aristobulle) ne nous sont parvenus que sous forme de fragments. Ce que nous savons aujourd'hui a été enregistré par une poignée d'écrivains anciens (Diodore, Curtius Rufus et Plutarque principalement) qui avaient encore accès à ces anciens documents, et Arrien est l'un de ces écrivains.

    [20] Voir Arrien, Livre IV, chapitre 18 : « La prise de ce poste enlevait aux Sogdiens leur dernier boulevard. Alexandre s'approche mais il ne voit de tous côtés qu'une hauteur escarpée, couverte de neige ; inabordable. Les Barbares étaient approvisionnés pour un long siège, et ne manquaient point d'eau. Alexandre leur fait proposer d'entrer en composition, avec la facilité de se retirer chez eux ; mais les Barbares se prenant à rire, lui demandent si ses soldats ont des ailes ; qu'ils se croyaient au-dessus de toute atteinte. Irrité de cette réponse superbe, Alexandre, pour satisfaire à la fois sa vengeance et sa gloire, résolut d'emporter la place. Il fait publier par un héraut, que le premier de tous qui montera à l'assaut obtiendra douze talents ; le second, le troisième et tous ceux qui leur succéderont, des récompenses proportionnées, jusqu'au dernier, qui recevra trois cents dariques. Des Macédoniens, excités à la fois par leur courage et la récompense, se présentent au nombre de trois cents, choisis parmi ceux exercés à ces sortes de travaux. Ils sont armés de crampons de fer qu'ils doivent ficher clans la glace ou dans la roche, et auxquels ils attachent de fortes cordes. Se dirigeant pendant la nuit du côté le plus escarpé et le moins gardé, à l'aide de ces crampons et d'efforts redoublés, ils arrivent de différents côtés sur le sommet. À cet assaut, trente roulèrent dans les précipices et dans les neiges ; on ne put retrouver leurs corps. Arrivés sur le sommet, les Macédoniens élèvent un drapeau, c'était le signal convenu. Alexandre députe un héraut vers les postes avancés des Barbares pour leur annoncer qu'ils aient à se rendre ; que ses soldats ont des ailes ; qu'ils lèvent les yeux, les hauteurs sont occupées par les Macédoniens. À cet aspect imprévu, s'imaginant que les assaillants étaient en plus grand nombre et mieux armés, les Barbares se rendirent. ».

    [21] « Quant à son mariage avec Roxane, dont la jeunesse et la beauté l'avaient charmé lors d'une soirée arrosée, où il la vit pour la première fois participer à une danse, il s'agissait bien d'une histoire d'amour, mais qui semblait en même temps propice à l'objet qu'il avait en main. Car cela faisait plaisir au peuple vaincu de le voir choisir une femme parmi eux. »

    [22] Bien qu’Alexandre eût besoin de l’or perse, ne fût-ce que pour payer sa flotte qui ravitaillait son armée.

    [23] Contrairement à ce qu’a prétendu l’historien helléniste allemand du XIXe siècle Johann Gustav Droysen, il n’y a pas eu de fusion entre les Grecs et les populations indigènes. Droysen soutenait que les cultures grecque, d’une part, et orientale, d’autre part, s’étaient harmonieusement confondues in fine et avaient donné naissance à une nouvelle civilisation gréco-orientale qui aurait été la civilisation hellénistique (c’est lui d’ailleurs qui forge le terme « hellénistique », l'appliquant à la période allant de la mort d'Alexandre (323 av. J.-C.) jusqu'au suicide de Cléopâtre VII (30 av. J.-C.). Or, dans le courant du XXe siècle, de nombreux travaux ont montré que cette vue était trop idyllique et idéaliste et que, bien au contraire, les Grecs (les Macédoniens plus particulièrement) étaient restés à l’écart des cultures orientales et n’avaient pas cherché à comprendre celles-ci. Il y avait même un certain dédain des Grecs : ils se sentaient très supérieurs face à ces populations et vivaient entre eux, séparément (il n’y avait pas de mariages mixtes ou très rarement). On peut comparer cette situation aux « gated communities » (résidences fermées) aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, et à la sécession urbaine (compartiments dans les villes) avec la création d’enclaves ethniques dans certains tissus urbains comme les ghettos, ChinatownLittle Sicily ou Harlem. Il y a donc une révision totale de l’idée qu’on en avait précédemment. En revanche, les élites des populations conquises par Alexandre le Grand, pour maintenir leur pouvoir localement et pour essayer d’être bien vus par le conquérant macédonien ont cherché à imiter, à s’adapter à la culture grecque. Donc, le mouvement n’est pas venu des Grecs mais des élites locales dans un but essentiellement opportuniste. S’il y a eu influence et contact, c’est pratiquement uniquement dans le domaine religieux. Les Macédoniens ne sont pas parvenus à réaliser ce que les Romains ont réussi à faire, en étendant leur système politique et la citoyenneté à l’ensemble des territoires qu’ils avaient conquis : les indigènes ne seront jamais des citoyens grecs et ne participeront jamais à la vie politique des cités.

    [24] Institutes, I, 112 et 9.1.

    [25] Quinte-Curce - Histoire d’Alexandre, Livre VIII.

    [26] Marcel Renard et Jean Servais, A propos du mariage d’Alexandre et de Roxane, p. 35. Dans les Deipnosophistes d’Athénée de Naucratis (Livre XI, 489d), celui écrit que « Les anciens, qui, les premiers, ont appris aux hommes à quitter la vie sauvage pour prendre une nourriture plus douce, s'étant persuadés que le monde était rond, et prenant des idées claires d'une rotation continuelle, d'après la forme du soleil et de la lune, crurent aussi devoir donner à tout ce qui servait à la vie une forme analogue à celle de l'espace infini qui embrassait la terre. C'est pourquoi ils ont donné une forme ronde à la table, aux trépieds consacrés aux dieux, [489d] aux gâteaux qu'ils leur offraient, et qu'ils parsemaient d'étoiles, les appelant en même temps lunes. Ils ont appelé le pain artos, qui veut dire parfait, parce que de toutes les figures, le cercle est la seule parfaite dans toutes ses parties. ».

    [27] Dans les temps anciens, les Romains consommaient leurs céréales uniquement sous forme de bouillies, et ils considéraient le pain comme une spécialité grecque. Quant aux Grecs, tout comme les Anglais aiment brocarder les Français en les appelant « Frog eaters », ils nommaient les Romains les « mangeurs de bouillies ». D'abord préparé à la maison, le pain fut ensuite fabriqué par les boulangers. Au IIe siècle av. J.-C., cet usage se répand avec l’installation de boulangers (pistores) grecs à Rome (on compte une trentaine de boulangeries, appelées pistrina, à Pompéi et sous le règne d'Auguste, 329 boulangeries à Rome). Voir Michèle Barrière, « Le pain », Historia,‎ novembre 2011p. 10.

    [28] La confarreatio est l’une des trois formes juridiques par lesquelles la femme romaine pouvait se placer sous l’autorité juridique de son mari. Le nom de cette cérémonie vient justement du pain d’épeautre (farreus panis, selon le juriste et professeur de droit Gaius (Institutes, I, 112), farreum, d’après Festus grammaticus). Nous ignorons toutefois la teneur des formules solennelles qui étaient prononcées en cette occasion ni si le pain était partagé par les futurs époux ou s’il constituait uniquement une offrande au dieu Jupiter.

    [29] Marcel Renard et Jean Servais, A propos du mariage d’Alexandre et de Roxane, p. 34.

    [30] En grec ancien κοπίς / kopis, ce qui signifie « hachoir » (son nom serait dérivé du khépesh égyptien). Autrement dit, cette épée lourde avec une lame incurvée (une courbe rentrante et une courbe sortante) à un seul tranchant, était utilisée de préférence de taille, mais pouvait l’être également d’estoc. La kopis a une apparence proche de la falcata, cette épée en fer d’Ibérie, qui est contemporaine de la kopis. Comme le fait remarquer à juste titre dans sa conclusion l’auteur de l’article « Types d’épées grecques antiques » du 29.10.2002 (https://www.greecehighdefinition.com/blog/2022/10/29/types-of-ancient-greek-swords), « bien que les lances aient été très mises en avant dans les batailles de la Grèce antique, les épées étaient également vitales car elles étaient utilisées comme armes secondaires. ». Voir aussi Peter Connolly, L’armée grecque, page 61 et surtout Fernando Quesada-Sanz, « Machaira, kopis, falcata », pages 88 à 92.

    [31] Dans son Art équestre (chapitre XII, 11), Xénophon écrit très clairement qu’il préfère la kopis au xiphos (« le sabre à l’épée » dit le traducteur), car « un coup de taille, porté de la hauteur du cavalier [ce qu’était Alexandre], vaut mieux qu’un coup d’estoc ». Mais il faut être attentif au fait que le mot kopis se rencontre déjà dans le théâtre grec notamment chez Sophocle – comme me l’a judicieusement fait remarquer Madame Hélène Delavaud Roux. Il ne s’agit donc pas d’un objet spécifiquement macédonien. Le terme désigne alors le couteau de sacrifice ou de cuisine. Cependant, les Grecs utilisaient aussi ce mot pour désigner l’épée courte et tranchante des Orientaux comme on le constate dans la Cyropédie du même Xénophon (et les mercenaires grecs peltastes de Cyrus le jeune en semblent aussi équipés). Enfin, Fernando Quesada-Sanz (op. cit.) attire également l’attention sur le fait qu’il faut prendre garde également de l’apparente synonymie de machaira et kopis dans l’esprit de Xénophon. Autrement dit, la plus grande prudence s’impose dans l’emploi de cette appellation.

    [32] En fait, la cause de la mort d'Alexandre le Grand est inconnue. On a évoqué la maladie bien sûr (en particulier le neuropaludisme ou le coma éthylique), mais cette thèse est peut-être destinée à éloigner celle de l'assassinat politique (avec un poison versé par Iolas, le fils du régent de Macédoine, Antipatros qui venait de se faire démettre de ses fonctions ou même par d'autres Macédoniens, soit lassés de la soif inextinguible de conquêtes d’Alexandre, soit furieux que celui-ci ait recruté des milliers de soldats perses, leurs anciens ennemis). On peut aussi envisager la possibilité d'un empoisonnement accidentel en forçant la dose d'un médicament à base d'hellébore. Diodore de Sicile est le seul qui parle de l’intervention des médecins. Les Éphémérides royales, journaux dans lesquels Eumène de Cardia et Diodote d’Érythrée consignaient jour après jour tous les événements (au moins dans les extraits qui nous ont été conservés par Arrien et Plutarque) omettent toute mention des médecins et des secours médicaux : elles ne parlent que des sacrifices qu’Alexandre fit régulièrement.

    [34] Mais pas forcément car le bébé aurait pu être une fille ! Il fallait donc attendre la naissance pour connaître son genre.

    [35] Le mot vient de διά / diá (« par ») et δέχομαι / dékhomai (« recevoir »), c'est-à-dire, littéralement, « celui par qui le sceptre est transmis ». Ne pas confondre avec les Epigones, du grec ancien ἐπίγονος, epígonos (« descendant, né après »), qui est le nom donné aux fils et successeurs des diadoques.

    [36] Ville de Macédoine célèbre dans l’histoire pour avoir été le lieu de la défaite ultime des Macédoniens face aux Romains.

    [37] Diodore, Bh, XIX, 11.

    [38] Diodore, Bh, XIX, 16.

    [39] Vergina est l’antique Agai, une des deux capitales que connut la Macédoine (l’autre étant Pella). Selon la tradition en effet, il était dit que les souverains macédoniens règneraient sur leur empire tant qu’ils seraient enterrés à Agai.

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