La Renaissance en Italie (introduction)

 

La Renaissance en Italie (introduction)

(par Philippe Durbecq)

 

 

De même qu’il est impossible de cerner un individu [1] parce qu’il faudrait multiplier les catégories à l’infini, il est très malaisé de parvenir à une définition satisfaisante de concepts historiques tels que la Renaissance [2], en particulier parce que sa signification s’est progressivement élargie avec le temps : au sens originel de mouvement de restauration en Italie des valeurs culturelles et artistiques de l’Antiquité s’étendant du XIVe au XVIe siècles, se sont d’abord ajoutées, avec les travaux de Michelet et Burckhardt [3], les notions de « découverte de l’homme et du monde » et de réaction contre l’esprit scolastique du Moyen-âge [4] avant que, de nos jours, on ne lui donne, en outre, un contenu politique, économique, technique et religieux, c’est-à-dire comprenant, par exemple, l’invention de l’imprimerie et les grandes découvertes géographiques.

 

Le symbole emblématique de la Renaissance est l’Homme de Vitruve, un dessin annoté [5] de Léonard de Vinci qui illustre les proportions du corps humain selon l’architecte romain Vitruve.

 

Il s’agit donc d’une représentation des proportions idéales du corps humain dont l’architecte doit s’inspirer pour être en mesure de concevoir des bâtiments qui soient esthétiques. L’homme est montré dans deux positions superposées : la première, les pieds joints et les bras en extension dans l’axe des épaules ; la seconde, les jambes écartées et les bras étendus pour que le bout de ses doigts soit à hauteur du sommet de sa tête, le tout étant inscrit dans un cercle et un carré, les deux formes géométriques considérées comme parfaites à la Renaissance. Le centre des membres étendus se situera au niveau du nombril et l’espace entre les jambes dessinera un triangle équilatéral.    

 

Dès lors, l’Homme de Vitruve a été considéré comme la métaphore de la Renaissance, de l’Homme au centre de l’Univers, de la mesure [6] et de la représentation du monde.

 


L’homme de Vitruve (image dans le domaine public – auteur Luc Viatour / https://Lucnix.be – Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Humanisme#/media/Fichier:Da_Vinci_Vitruve_Luc_Viatour.jpg)

  

Les artisans passionnés de ce mouvement, ce sont les humanistes, c’est-à-dire des lettrés versés dans la connaissance des langues anciennes (grec, latin, hébreu). Ceux-ci se livraient, parfois avec des méthodes de fins limiers, à une véritable chasse aux manuscrits et travaillaient à débarrasser les textes des grands écrivains de l’Antiquité de leur gangue de gloses et d’interprétations erronées qui, avec les siècles, avaient fini par en dénaturer le sens. Le terme humaniste existe depuis le XVIe siècle pour désigner celui qui s’adonne aux humanités, aux studia humanitatis [7] en latin. La notion d'humanisme s’entend donc, au départ, dans le sens d'étude littéraire et philologique de la culture antique.

 

Cependant, la définition de la notion d’humanisme aujourd’hui se heurte à de très nombreuses difficultés : la multitude de penseurs se réclamant de l’humanisme à l’époque contemporaine, mais défendant des thèses différentes, parfois même divergentes, et élargissant son champ sémantique à un point extrême, n’a fait que rendre les choses de plus en plus floues, de sorte qu’il a engendré l’éclosion d’une infinité d’humanismes [8].

 

Le pionnier en ce domaine fut Pétrarque qui contribua notamment pour une grande part à la connaissance de Cicéron, de Catulle et de Properce. Ne se contentant pas d’être un humaniste éminent, il fut aussi un poète de renom au point d’être couronné en 1341 « prince des poètes » sur le Capitole à Rome. Ses œuvres ont d’ailleurs gardé une note de modernité puisque ses Trionfi (« Triomphes ») ont été portés à la scène à Rome et à Bruxelles en 1974-1975 par le ballet du XXe siècle de Maurice Béjart.

 

Initialement, le programme d’action que ces humanistes avaient élaboré ambitionnait d’embrasser toutes les activités humaines y compris la politique. Il n’y a d’ailleurs pas lieu de s’étonner de ce renouveau d’un sentiment national au XIVe siècle en Italie : la péninsule n’est, à cette époque, qu’une « marqueterie » de petits états et la papauté elle-même s’est exilée à Avignon, dans une nation ennemie. Mais après le règne éphémère de l’aventurier « renaissant » Cola di Rienzo [9], ce programme va s’épurer pour ne plus se réduire qu’aux axes culturels (littérature, art et éthique).

 

 

Cola di Rienzo statufié sur le Capitole à Rome (Licence CC BY 2.0 – photographe : WolgangM – Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Roma-statua_cola_di_rienzo.jpg)

 

Divers éléments ont favorisé l’éclosion de la Renaissance en Italie. Le premier d’entre eux est l’afflux de nombreux savants grecs venues d’Orient, chassés par la poussée turque (prise de Constantinople en 1453) et dont le plus connu est le cardinal Bessarion [10]. Ceux-ci cherchèrent refuge de préférence en Italie en raison des affinités qui unissaient les deux peuples : non seulement, il existait des monastères et des minorités linguistiques grecs dans le sud de l’Italie, mais les républiques maritimes dont Venise entretenaient d’étroites relations commerciales et culturelles avec Constantinople.

 

L'invention de l'imprimerie (d'abord la xylographie, impression de textes à l’aide de planches de bois gravées, puis la typographie, au moyen de caractères mobiles en plomb avec Gutenberg) et la création de bibliothèques publiques, par exemple la bibliothèque vaticane fondée par le pape Nicolas V qui voulut recréer la splendeur de celle d’Alexandrie et dont le premier bibliothécaire fut Platina, contribuèrent grandement à la diffusion des idées. Les artistes trouvèrent leurs modèles dans les vestiges présents en abondance sur le sol italien et leur soutien dans le mécénat des cours princières et papale. 

 Sixte IV nommant l’humaniste Platina conservateur de la Bibliothèque du Vatican, tableau de Melozzo da Forli, 1477 (fresque transposée sur toile, pinacothèque vaticane – œuvre dans le domaine public – Source/photographe : The Yorck Project (2002) 10.000 Meisterwerke der Malerei (DVD-ROM), distributed by DIRECTMEDIA Publishing GmbH. ISBN: 3936122202)

 

Le renouveau des arts

 

Comme l’a finement observé ce prince de l’histoire de l’art que fut Erwin Panofsky [11], le mérite de la Renaissance réside dans sa détermination à vouloir transformer le chaos de culture en cosmos de culture, c’est-à-dire à désirer ardemment étudier, interpréter et transposer aux arts et aux lettres les témoignages de l’Antiquité.

 

Les recherches dans le domaine de la perspective, par exemple, ont fait l’objet de nombreux traités – ceux de Ghiberti et de Piero della Francesca notamment – et allèrent même jusqu’à troubler la raison d’un Paolo Uccello. 

Vers 1425, Brunelleschi réalise une expérience démonstrative qui institue la perspective exacte [12] (expérience de la tavoletta ou du tableautin).

 

Dessin (retravaillé) issu du site http://artmathstpe.blogspot.com/2012/03/brunelleschi.html

En dehors de la perspective, le renouveau des arts s’est manifesté en architecture avec la réutilisation de l’arc en plein cintre, des colonnes à chapiteaux et de la coupole (l’Hôpital des Innocents [13] et le dôme de la cathédrale Santa Maria del Fiore à Florence), en peinture et en sculpture avec le souci d’un réalisme plus poussé (l’ombre portée, par exemple, réapparaît pour la première fois dans la peinture occidentale dans un tableau de Lorenzetti illustrant une scène de saint François d’Assise [14], avec la revalorisation de la beauté du corps humain (le David de Donatello est le premier nu artistique depuis l'Antiquité) et avec l'augmentation du nombre de sujets profanes ou tirés de la mythologie grecque ou romaine.

 

En architecture, ce renouveau débuta avec Brunelleschi qui s’appuya sur les principes édictés par Alberti [15], eux-mêmes inspirés de Vitruve [16] et d’autres part sur les travaux mathématiques de Toscanelli qui fut le conseiller de Christophe Colomb.


On connait sa célèbre coupole à double coque de l’église Santa Maria del Fiore qui ne nécessita ni la mise en place d’une structure de soutien temporaire en bois lors de sa construction, ni l’installation d’un échafaudage (elle a été montée par assises successives, par l’extérieur), ni l’adjonction à l’édifice d’aucun arc-boutant ou contrefort.

 

L’une des astuces utilisées par Brunelleschi est d’avoir eu recours à une structure en arêtes de poisson (spina di pesce) autoportante à toutes les étapes de la construction : il a eu l’idée, inspirée par l’architecture de l’Antiquité, de disposer, à intervalles réguliers, des briques verticales ancrées dans l’étage inférieur pour soutenir les segments d’arc durant leur construction. « Même sans mortier, chaque section de briques tient parfaitement car si une brique « voulait » glisser vers l’intérieur, elle devrait écarter les briques de chaque côté d’elle, ce qui est impossible puisqu’elles sont encastrées entre les briques verticales solidement ancrées dans l’étage inférieur. Donc, chaque portion d’arc de cercle de briques se soutient elle-même à chaque étape de la construction » (voir la vidéo pédagogique de Stéphane Durand du Centre de Recherches Mathématiques de l'Université de Montréal : https://www.youtube.com/watch?v=fukwDwDQOn8 et l’article de Karel Vereycken https://artkarel.com/tag/arretes-de-poisson/).

 



La structure en arêtes de poisson (captures d’écran du documentaire de Stéphane Durand)

 

Pour s’assurer que sa coupole soit bien autoportante, Brunelleschi a également combiné différentes solutions : une double calotte (c’est la coupole interne qui est porteuse, la coupole externe joue seulement un rôle protecteur et esthétique), un dôme en forme pointée, gothique engendrant moins de poussée extérieure (par opposition, le Panthéon est sphérique, et Sainte-Sophie est écrasée, produisant une gigantesque poussée), des nervures et un chaînage intérieur (trois en pierre et un de bois) disposés aux endroits cruciaux et qui constituent les points forts sur lesquels s’appuient les lits de briques). Pour éviter des contreforts et des arcs-boutants extérieurs, jugés trop laids (ils ne se sont jamais imposés en Italie – un des rares exemples est celui de la cathédrale de Milan), les charges sont donc reprises par le système des huit nervures verticales. 


Diapositive de la présentation de Samira Khettab de l’Institut d’Architecture et d’Urbanisme, université Saad Dahlab de Blida (Licence : CC BY 4.0 - source : https://hal.science/hal-03659295/)

 

Outre cette coupole bien connue de l’église Santa Maria del Fiore, Brunelleschi réussit à élever un joyau aussi épuré qu’une fugue de Bach, la chapelle des Pazzi, en joignant à la simplicité et à l’harmonie des lignes, une conception nouvelle de la lumière (il utilisait d’ailleurs un appareil d’optique destiné à projeter des jeux d’ombre et de lumières sur des maquettes qu’il reportait ensuite sur ses projets).

 

Cette chapelle est précédée d’un portique (inachevé, une couverture de tuiles ayant été substituée au fronton initialement prévu), ouvert dans sa partie inférieure (avec un arc central reliant deux colonnades classiques) et fermé dans sa partie supérieure par un attique au décor simple de pilastres jumelés et de panneaux carrés.

 

A l’intérieur, cette sobriété se traduit autant par le choix des matériaux (Brunelleschi a décidé d’employer la pierre grise (« pietra serena [17] ») pour faire naître un élégant contraste avec le crépi blanc des murs et les nervures de la coupole que par le découpage quasi mathématique de l’espace (par un assemblage d’unités standards ou « modules »). Cette coupole intérieure s’épanouit en ombelle de douze secteurs. La lumière est dispensée par des oculi (ouvertures circulaires) latéraux (sur le tambour de la coupole) et zénithal (ouverture circulaire au sommet de la coupole). Dans les écoinçons de la coupole (partie triangulaire permettant le passage d’un cube à un cercle), sont disposés quatre tondi représentant les Evangélistes par leur symbole (tétramorphe [18][19].

 

 

Chapelle des Pazzi, vue extérieure et intérieure (Sources : https://fr.wikipedia.org/wiki/Chapelle_des_Pazzi#/media/Fichier:Pazzi_Chapel_Santa_Croce_Apr_2008_P.JPG et https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Pazzi_Chapel_Florence_Apr_2008.jpg – Licence : la GNU Free Documentation License version 1.2 – auteur : Gryffindor)


L’ami de Brunelleschi, Donatello, fut la figure de proue du XVe siècle dans le domaine de la sculpture. Il approfondit les études de Ghiberti sur la perspective et assimila, sans la copier, l’Antiquité : son David ressemble à un Apollon, sa statue équestre de Gattamelata à Padoue rappelle celle de Marc Aurèle qui se trouve au musée du Capitole à Rome et les putti de sa tribune des chanteurs (cantoria) évoquent les Amours antiques.

 


La cantoria de Donatello (Licence : Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported – auteur : Sailko – Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Cantoria_di_donatello_01.JPG)

 

Avec son élève Verrocchio, le chemin parcouru est perceptible : si le David de Donatello a un corps glorieux, est heureux de se montrer et est une œuvre qui exalte la nature humaine (inconcevable au Moyen-âge où le corps était considéré comme le siège du péché), le modelé de celui de Verrocchio est supérieur et plus celui d’un enfant, mais celui d’un adolescent rayonnant – « solaire » pourrait-on dire –, dans la fleur de son âge et dans l’éclat de sa jeunesse. A L’instar de Donatello, il exécuta une statue équestre du Colleoni à Venise.

 

 

A gauche, la statue du David de Donatello (licence CC BY-SA 2.0 – auteur : Patrick A. Rodgers – Source : File:Florence - David by Donatello.jpg) ; à droite, celle de Verrocchio (Licence CC BY-SA 3.0 – Auteur : Rufus46 – Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:David,_Andrea_del_Verrocchio,_ca._1466-69,_Bargello_Florenz-01.jpg).

 

Luca della Robbia et ses frères se spécialisèrent dans la terre cuite émaillée. On lui doit comme à Donatello une tribune où, dans une atmosphère de jubilation, des groupes d’enfants s’adonnent à la musique pour le plaisir et plus dans un but religieux.

 

Andrea della Robbia est l’auteur des médaillons représentant de touchants bambins emmaillotés sur la façade de l’Hôpital des Innocents à Florence, une institution destinée à accueillir les nouveau-nés abandonnés [20] (c’est un des premiers orphelinats d’Europe, l’œuvre de Brunelleschi, l’architecte du dôme de Florence). 

Un de ces médaillons touchants d’enfants d’Andrea della Robbia (Licence : BY-SA 3.0 – auteur : Bruno Barral (travail personnel) – Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Spedale_Innocenti.jpg)

 

Après les précurseurs que l’on a coutume d’appeler les « primitifs » (Cimabue, Giotto, Fra Angelico, …), Masaccio (de Tommaso, Thomas) donna la véritable impulsion à la peinture de la Renaissance en exécutant dans la chapelle Brancacci dans l’église Santa Maria del Carmine à Florence, avec un réalisme et un sens de la monumentalité inconnus jusqu’alors, des fresques représentant des scènes de l’Ancien Testament.

 

La nouveauté déterminante de cette œuvre est l’apparition des ombres : les corps ont non seulement du volume, mais encore ils sont de chair, ils ont une existence physique, ils arrêtent la lumière. L’exemple le plus remarquable à cet égard figure dans les représentations d’Adam et Eve [21]. 

 




 



Tentation d’Adam de Masolino

(photo dans le domaine public – source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Masolino,_adamo_ed_eva.jpg)

 

Adam et Ève chassés du paradis de Masaccio avant et après restauration (idem – source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Masaccio-TheExpulsionOfAdamAndEveFromEden-Restoration.jpg)

A sa suite s’engagèrent Filippo Lippi, Domenico Veneziano et Andrea del Castagno.

 

Ayant poussé ses études dans le domaine de la perspective au plus haut point, Paolo Uccello (« Paul des oiseaux »), dans ses trois célèbres batailles de San Romano qui trônaient autrefois dans la chambre de Laurent le Magnifique (aujourd’hui aux Offices à Florence, à la National Gallery de Londres et au Louvre à Paris), campe, en des raccourcis saisissants, des chevaux blessés ou piaffants et des soldats en armure dont les lances s’entrecroisent en réseaux serrés.

 

Piero della Francesca, par contre, adopte dans les fresques de la légende de la croix dans l’église San Francesco à Arezzo un style de peinture que l’on pourrait qualifier d’archirenaissant car c’est celle d’un humanisme et non celle d’une humanité quotidienne, comme le fut la peinture de Brueghel par exemple : des personnages qui échappent aux passions, qui appartiennent à d’autres sphères que nous – des idées ou des idéaux de perfection – évoluent dans un monde supérieur où tout est calme et réfléchi [22]. 


Piero della Francesca, L’adoration du bois sacré avec la rencontre de la reine de Saba (agenouillée) et le roi Salomon (source : http://affresco.canalblog.com/albums/piero_della_francesca/photos/7231263-la_reine_de_saba_et_ses_dames_d_honneur.html)

 

A cette préoccupation de rationalité répond, avec Botticelli, un désir de douce sensualité, de fraîcheur délicieuse et de raffinement délicat. Si la Naissance de Vénus et le tableau qui lui fait pendant, le Printemps, sont la transposition d’un poème d’Ange Politien, les deux compositions sont également parsemées de références à la philosophie néoplatonicienne mise en honneur par Marsile Ficin (un mouvement philosophico-artistique [23] placé sous le patronage des Médicis [24]) : ainsi Vénus qui apparaît nue dans l’une, habillée dans l’autre [25] est le symbole de la distinction entre l’amour divin et l’amour humain.


Un thème récurrent à la Renaissance, et déjà présent à l'époque médiévale, est celui de la Nativité (avec les scènes secondaires qui en découlent comme l'annonce aux bergers - invention picturale de Taddeo Gazzi aux alentours de 1330 - l'adoration des bergers, celle des Mages, etc.), en raison de ses liens évidents avec la liturgie chrétienne, mais également parce qu'un tel choix iconographique permettait de mettre à l'honneur la Vierge au même titre que son fils. Botticelli a consacré plusieurs de ses tableaux à ce thème (dont la « Nativité mystique », de la National Gallery à Londres et la « Nativité Antinori » conservée au musée Isabella-Stewart-Gardner de Boston, aux Etats-Unis), mais il n'a pas été le seul : d'autres artistes l'avaient déjà précédé (Fra Angelico, Filippo Lippi, le maître de Botticelli) dans cette voie, et d'autres l'y suivront (Giotto, Piero della Francesca, Ghirlandaio, Le Pérugin, ...).


A gauche, la « Nativité mystique » ; à droite la « Nativité Antinori » (photos dans le domaine public – source/photographe : National Gallery, London et https://www.gardnermuseum.org/experience/collection/10982 - références Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Nativit%C3%A9_mystique#/media/Fichier:The_Mystical_Nativity.jpg et https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Botticelli_-_The_Nativity,_about_1482-1485.jpg)

La peinture de la « Nativité mystique » de Botticelli (la seule de ses œuvres qui soit signée et datée [26]) correspond à la période de renoncement de l'artiste, séduit par l'expérience de Savonarole ou troublé par ses oraisons. Ce prédicateur dominicain qui voulut réformer les mœurs et l’Eglise, devint le guide spirituel de Florence (il avait un grand ascendant sur les foules et trouva même un écho favorable chez certains humanistes comme Pic de la Mirandole, dont le moine devint le confesseur) pendant quatre ans et s’attaqua notamment au pape Alexandre VI qu'il présentait comme l'Antéchrist. Il faut dire que la fin du XVe siècle et le début du XVIe siècle se caractérisent par une très forte angoisse métaphysique (qui trouve sans doute ses origines - du moins partiellement - dans les grandes épidémies qui ravagent l'Europe des XIVe et XVe siècles). Dans son ouvrage La Naissance du Purgatoire, l'historien Jacques Le Goff explique que plus personne à cette époque ne pensait pouvoir être sauvé. On comprend alors peut-être mieux l'emprise sur les masses populaires que put avoir un Savonarole dans un tel contexte. 


D'ailleurs, sans même parler de Luther, divers troubles eurent lieu ailleurs en Europe et notamment en Allemagne du Sud : dans les années 1525, des prêcheurs, réformateurs radicaux, appelèrent à un retour aux principes évangéliques originels (en particulier Thomas Müntzer, un des chefs religieux de la guerre des paysans en Allemagne au XVIe siècle - il sera décapité et sa tête exposée sur les remparts de la ville - et divers mouvements comme celui des anabaptistes voulurent, comme Savonarole à Florence, établir une théocratie à Münster (les cadavres des meneurs furent exposés dans des cages accrochées au clocher de l'église Saint-Lambert de la ville). 


Cages des anabaptistes sur la tour de l'église Saint-Lambert de Münster (photo CC BY-SA 4.0 - auteur : Dietmar Rabich (travail personnel) - source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:M%C3%BCnster,_St.-Lamberti-Kirche,_Turm_--_2017_--_2068.jpg)


Ce qui différencie Luther par rapport à Savonarole ou Müntzer, c'est qu'il apporte une réponse religieuse dogmatique à ce problème et ne se contente pas, comme les précités, d'une « solution disciplinaire » (en revendiquant un retour à une application pure et dure de la pratique religieuse).  


En Italie, le pape finit par excommunier le moine intégriste Savonarole dont l'influence commençait à devenir préoccupante : il est condamné à mort, pendu puis brûlé sur la place de la Seigneurie et ses cendres furent dispersées dans l’Arno qui coule tout près. 


L'objectif de Savonarole était d'établir une « Cité de Dieu » pour ses partisans, un nouveau type d'État, qu'il décrit lui-même comme « une république chrétienne et religieuse », mais qui était en fait une dictature théocratique.


Dans le cadre de son radicalisme mystique, l’intégriste Savonarole organise dès lors des escouades de « censeurs des mœurs » qu’il envoie aux quatre coins de la ville pour s’emparer de gré ou de force de tous les objets avec lesquels le Diable besogne à la perte des âmes : les objets dérobés par les sbires de Savonarole sont en effet ceux qui touchent à la vanité, comme les objets d’art (peintures), les instruments de musique, les miroirs, les bijoux, les cosmétiques (fards et parfums), les robes trop décolletées ou richement travaillées, les perruques les livres jugés immoraux, images prétendues licencieuses, etc.


Un impressionnant autodafé (du portugais acto da fé, « acte de foi ») appelé « bûcher des Vanités » fut organisé le 7 février 1497 à Florence, où les habitants durent apporter tous les objets de luxe ou décrétés immoraux qu'ils possédaient. De nombreuses œuvres d'art produites à Florence au cours de cette décennie, dont notamment une partie de celles de Sandro Botticelli, ont disparu à cette occasion dans les flammes de ce bûcher « purificateur »


Botticelli a ainsi brûlé une partie de ses tableaux de nus durant le bûcher, ce qui a laissé à penser qu’il aurait pu compter parmi les adeptes de Savonarole. Aurait-il été impressionné par les imprécations du virulent dominicain ? Je vous le laisse découvrir en lisant le livre de Michel Feuillet, Botticelli et Savonarole. L’humanisme à l’épreuve du feu qui se présente comme une enquête.


Au XVIe siècle, Florence perd sa primauté artistique en faveur de Rome et de Venise. Qui dit artiste dit mécénat : on glisse de celui des princes et des ordres religieux vers celui des papes et du Doge.


Trois grands noms marquent l’apogée artistique de Rome : Michel-Ange, Léonard de Vinci et Raphaël.

 

Si l’œuvre artistique de Michel-Ange qu’elle soit architecturale (la basilique Saint-Pierre), picturale (la chapelle Sixtine), sculpturale (la pietà au visage d’une infinie douceur, son David au regard tourmenté – « freudien » pourrait-on dire –, ses Esclaves, prisonniers de leurs propres passions), nous est suffisamment connue, son œuvre littéraire l’est moins : il est l’auteur de Stances sculptées, comme ses marbres, à grand coups de ciseaux et d’une poésie tendue et passionnée.

 

Léonard de Vinci, l’archétype du savant et de l’artiste complet (il fut en effet peintre, sculpteur, architecte, physicien, ingénieur, philosophe, écrivain, peintre et musicien) est surtout célèbre pour sa Cène du réfectoire de Sainte-Marie-des-Grâces à Milan qu’il voulut peindre à l’huile au lieu de l’exécuter à la détrempe (ce qui explique sa dégradation accélérée) et la Joconde, cette « illustre incomprise [27] », à l’énigmatique sourire et dont le modèle mourut avant que le tableau ne soit terminé. Les démêlés de Léonard avec les Médicis l’amèneront, comme l’on sait, à la cour de François Ier.

 

Raphaël, quant à lui, peintre des madones au visage empli de douceur et de sérénité [28], est aussi renommé pour ses grandes compositions telles que l’Ecole d’Athènes. Dans cette fresque prestigieuse par l’ampleur de sa conception, Raphaël nous fait revivre, en une synthèse culturelle, ce que l’Antiquité avait de meilleur : autour des philosophes Platon et Aristote, désignant l’un le ciel, l’autre la terre et s’inscrivant dans une perspective de voûtes inspirées de Bramante [29], déambule la pléiade d’artistes, d’écrivains et de savants antiques. Il réalisa aussi une série de portraits admirables, par exemple celui de Balthazar Castiglione, auteur du Courtisan. 


 

Quant à l’école de Venise, elle fut, à la suite de Giovanni Bellini [30] et de son beau-frère Mantegna, représentée par quatre grands peintres : Giorgione dont les compositions reflètent un sens profond du paysage et de l’atmosphère, mais dont la signification reste souvent énigmatique, Titien, coloriste merveilleux, au pinceau plein de puissance (auteur du sublime Amour sacré, Amour profane, mais aussi d’une Piétà grandiose et renversante [31], ainsi que d’une Assomption, un tableau qui éclate de couleurs, de vie, loin des poncifs jusque-là respectés en matière de peinture religieuse [32] peintre des grands princes d’Europe (François Ier, Charles Quint et Philippe II), Tintoret (fils d’un teinturier de Venise, d’où son nom), peintre des tableaux aux formats gigantesques (le Paradis du Palais des Doges fait 22 mètres sur 7 !) et Véronèse (« le Véronais », parce qu’originaire de Vérone, tout simplement), épris de luxe et de décorations somptueuses et qui connut des démêlés avec l’Inquisition pour la liberté avec laquelle il traitait ses sujets religieux. 

 

Accademia - Pala di San Giobbe (Saint Job) par Giovanni Bellini (photo dans le domaine public – Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Accademia_-_Pala_di_San_Giobbe_by_Giovanni_Bellini.jpg)

 


Conversation sacrée (Retable Barbarigo : le Doge Agostino Barbarigo avec la Vierge et l'Enfant, de Giovanni Bellini (1488) dans l’église Saint-Pierre Martyre à Murano – photo dans le domaine public – Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Barbarigo_Altarpiece.jpg)

 


 L’Assomption du Titien (photo dans le domaine public - The Yorck Project (2002) 10.000 Meisterwerke der Malerei (DVD-ROM), distributed by DIRECTMEDIA Publishing GmbH. ISBN : 3936122202 – Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Assomption_de_la_Vierge_(Titien)#/media/Fichier:Tizian_041.jpg)

 

 

                                                                      *****

 

Comme nous l’avons vu, la Renaissance est une époque de confiance en l’humanité, d’espoir en l’avenir et d’enthousiasme dans « un monde tout altéré et altéré de tout ».

 

Dans le nôtre, en revanche, où l’individu, « anesthésié par ses besoins », est devenu, pour reprendre le mot d’Herbert Marcuse « unidimensionnel », aussi plat que les cartes à puces qui garnissent notre portefeuille, l’humanisme devrait plus que jamais nous habiter tous car cette attitude devant l’homme, devant la vie et devant l’univers est d’abord et avant tout un art de vivre.

                                                                                          Philippe Durbecq


Bibliographie


Etant donné que cet article ne constitue qu’un lever de rideau sur la Renaissance en Italie (il devrait être suivi d’une série d’autres), la bibliographie ne sera que succincte et adaptée au présent article.

  • Leon Battista ALBERTI, L’Architecture et art de bien bastir (édition de 1553), Hachette Bnf, 2012. 
  • André BARRET, Voir Florence, Paris, Réalités Hachette, 1971.
  • Christian BEC & Alii, L’Italie de la Renaissance : un monde en mutation (1378-1494), Fayard, 1990.
  • G. Gaeta BERTELA, Donatello, les Della Robbia, Un guide artistique, Becocci editore, Firenze, 1970.
  • Jean-François BOISSET, La Renaissance italienne, La Grammaire des styles, Flammarion, 1993.
  • Jacob BURCKHARDT, La Civilisation de la Renaissance en Italie, Nouveau Monde Editions, 2017.
  • André CHASTEL, Art et humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique (thèse Dr.), Presses Universitaires de France, 1982.
  • André CHASTEL, Les arts de l’Italie, Les 9 Muses, 1963.
  • Hubert DAMISCH, L’Origine de la perspective, Champs Flammarion, 2012.
  • Michel FEUILLET, Botticelli et Savonarole. L’humanisme à l’épreuve du feu, Cerf Histoire, 2010.
  • Michel FEUILLET, L’art italien, Que sais-je ? PUF, 2016.
  • M.J. FRIEDLANDER, De l’Art et du connaisseur, Le Livre de Poche, 1969.
  • Eugenio GARIN, La Renaissance. Histoire d’une révolution culturelle, Verviers, éd. Gérard & C°, 1970.
  • Enzo GUALAZZI, Savonarole, Payot Histoire, 1985.
  • Ivan ILLICH, Savoir mourir : les derniers jours de Savonarola, texte rapporté par David Cayley dans Entretiens avec Ivan Illich, Bellarmin, Saint-Laurent, Québec, 1996.
  • Jacques LE GOFF, La Naissance du Purgatoire, Folio Histoire, 1991.
  • Marina MARIETTI, Savonarole, PUF, « Que sais-je ? », 1998.
  • Millard MEISS, Grandes époques de la fresque, Hachette, 1970.
  • Erwin PANOFSKY, L’œuvre d’art et ses significations. Essai sur les « arts visuels », Folio Essais (n° 592), Gallimard, 2014.
  • Erwin PANOFSKY, La Renaissance et ses avant-courriers dans l’art d’Occident, Pocket Book, 2008.
  • Chaïm PERELMAN (sous la direction de), Les catégories en histoire, Bruxelles, 1969.
  • Giulia PUMA, Les Nativités italiennes (1250-1450). Une histoire d’adoration, Collection de l'École française de Rome 562, Rome : École française de Rome, 2019 (présentation : https://www.youtube.com/watch?v=qhaef64-ZgI).
  • Yves RENOUARD, Les Villes d'Italie de la fin du Xe au début du XIVe siècle, nouvelle édition par Ph. Braunstein (1968)t. 1 et 2, Sedes, 
  • Yves RENOUARD, Histoire de Florence, Paris, éditions Jean-paul Gisserot, 
  • Jean RUDEL, La peinture italienne de la Renaissance, PUF, Que sais-je ?, 2000. 
  • Philippe-Joseph SALAZAR, « Savonarola : une dictature de la voix », Étude avec sources du pouvoir rhétorique de Savonarole, dans Cahiers Internationaux de Sociologie, 64, pp. 5-34, 1978.
  • Giorgio VASARI, Vies des peintres, sculpteurs et architectes, Les Cahiers rouges, Grasset, 2007.
  • Evelyn WELCH, Art in Renaissance Italy 1350-1500, Oxford history of art, 2000. 
  • Heinrich WOLFFLIN, Principes fondamentaux de l’histoire de l’art, Pocket, Agora, 2016.
  • Stefano ZUFFI, La peinture de la Renaissance italienne, Seuil, 2013.

[1] Cf. la maxime philosophique « Individuum est ineffabile » : l’individu est ineffable, parce que, pour le définir, il faudrait multiplier les catégories à l’infini, ce qui est évidemment une impossibilité (on ne peut définir que ce qui tombe dans un genre, mais chaque être humain ne rentre dans aucun genre puisqu’il est unique et irremplaçable).

[2] François Masai a montré cette difficulté dans un article paru dans les catégories en histoire (voir bibliographie).

[3] La Renaissance (neuvième volume de l’Histoire de France) et Die Kultur der Renaissance in Italien.

[4] Eugénio Garin parle de Révolution culturelle. Certains historiens considèrent cependant que l’emploi de ce mot « Renaissance » pour marquer une rupture entre l'Âge sombre médiéval et l'époque moderne est discutable. Ils préfèrent soutenir la thèse d’une continuité postulant un passage graduel entre ces périodes. Je n’approfondirai cependant pas ce point ici, car il demanderait un développement tel qu’il déborderait du cadre de cette introduction. Je l’aborderai plutôt dans un article ultérieur.

[5] En ancien toscan et à l’envers, selon le procédé de l’écriture spéculaire (un miroir permet le déchiffrement du texte).

[6] Cf. la locution attribuée au philosophe grec Protagoras et popularisée par Platon, « L'homme est la mesure de toute chose ».

[7] Dans le système éducatif belge, l’enseignement secondaire général est toujours qualifié d’« Humanités ».

[8] Pour se rendre compte de la complexité du problème, voir l’article de Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Humanisme.

[9] Tribun de Rome, il voulut restaurer la grandeur de la Rome antique, mais fut assassiné au cours d’une révolte populaire. Cf. l’opéra de Wagner, Rienzi.

[10] Ardent défenseur de l’unification des églises catholique et orthodoxe au concile de Ferrare-Florence en 1439, il se mit au service du Saint-Siège et faillit, par deux fois, être élu pape. Il diffusa activement la pensée de Platon dont il était un grand admirateur et légua sa bibliothèque au fonds de Saint-Marc à Venise. Sa maison à Rome existe toujours.

[11] L’œuvre d’art et ses significations. Essai sur les « arts visuels ».

[12] Voir le site https://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0510291905.html.

[13] Son maître d’œuvre, Brunelleschi habille la façade de l’Hôpital des Innocents d’un portique d’arcades en plein cintre à la régularité parfaite. Comme dans la chapelle des Pazzi, l’architecte emploie des formes géométriques simples, notamment le demi-cercle et le carré pour structurer son architecture et pour lui insuffler un rythme (le diamètre du demi-cercle correspond au côté du carré).

[14] Voir Millard Meiss, Grandes époques de la fresque.

[15] Architecte et théoricien de l’art florentin, auteur de l’Architecture ou Art de bien bâtir.

[16] Architecte latin, auteur de Dix livres d’architecture.

[17] Il existe un petit musée de la « pietra serena » à Firenzuola, son lieu d’extraction (http://www.comune.firenzuola.fi.it/museo-della-pietra-serena).

[18] Saint-Marc et le lion, Saint-Mathieu et l'Homme, Saint-Jean et l'aigle, Saint-Luc et le taureau.

[19] Au-dessus de chacun des panneaux en plein cintre et des baies prennent place les tondi des douze apôtres, blancs sur fond de majolique bleue, œuvre de Luca della Robbia.

[20] Au bout de la loggia, sur la gauche, vers la via della Colonna, il y a une niche, aujourd'hui murée, où il y avait le tour d’abandon (la ruota degli Innocenti, « la roue des innocents ») où étaient déposés les enfants. L'émouvante inscription latine, en haut, est tirée du Psaume 26 de la Bible. Elle dit : « Pater et mater dereliquerunt nos, Dominus autem assumpsit », c'est-à-dire : « Notre père et notre mère nous ont abandonnés, le Seigneur au contraire nous a accueilli ». Ce qui frappe aujourd’hui, c’est la beauté de cette tour d’abandon, comme s’il s’agissait moins d’un instrument d’assistance sociale que d’un précieux témoignage des arts mineurs. Les Florentins la surnommaient affectueusement la mangiatoia (« la mangeoire »), un terme qui évoque Noël, et même la crèche, alors qu’il désigne un lieu certes dramatique mais révélateur des progrès de l’assistance sociale. Depuis 1988, l’UNICEF a établi dans l’Ospedale son centre d’études international sur les problèmes de l’enfance (ICR : Innocenti Research Centre).

[21] Dans la Tentation d’Adam de Masolino, Adam et Eve sont dépourvus d’ombre. Quand ils sont chassés du Paradis (Masaccio), ils traînent une ombre derrière eux. Nous pouvons imaginer la discussion entre les deux peintres et la solution radicale et logique qu’ils échafaudèrent : au Paradis, Adam et Eve n’auront pas d’ombre parce qu’ils n’ont pas d’existence physique (leur corps est éthéré), mais dès qu’ils foulent la Terre, ils en posséderont une, car ils sont alors devenus de simples mortels (ils sont vivants, ce sont des êtres de chair). 

[22] C’est ainsi que doit être interprétée cette apparente impassibilité et l’attitude un peu raide des personnages, ainsi que le regard sévère (« fendu ») des suivantes de la reine de Saba.

[23] Selon les historiens de l’art Erwin Panofsky et André Chastel, la conception de l'art de la Renaissance serait issue de l'influence néoplatonicienne et les artistes en reproduiraient les thèses.

[24] Ce mouvement trouvera sa consécration dans la création de l’Académie platonicienne de Florence. Soyons cependant honnête et reconnaissons que ce mouvement était aussi, au-delà de ses concepts humanistes, une forme de snobisme adoptée par une société de marchands et de banquiers parvenus – et qui se savaient parvenus (somme toute à l'américaine) –, bien loin de la cour du duc de Bourgogne, son partenaire et rival en affaires, issu lui du plus pur et vieux sang français. Voir notamment Lorenzo Tanzini, « Florence et la Bourgogne. Relations et transformations de deux Etats à la fin du Moyen Age ».

[25] Cf. les deux statues de Vénus sculptées par Praxitèle : la Vénus nue refusée par les habitants de l’île de Cos et remplacée par une Vénus drapée.

[26]  L'inscription en grec approximatif figurant en haut du tableau se traduit comme suit : «  Moi Sandro ai fait ce tableau à la fin de l'an 1500 durant les troubles dont est victime l'Italie à la moitié du temps après le temps accordé au onzième chapitre de saint Jean dans le second sceau de l'apocalypse après la disparition du diable pendant trois ans avant qu'il ne soit enchaîné au douzième chapitre [comme il s'est enterré lui-même] ».

[27] Pour reprendre le titre de l’ouvrage d’André Chastel.

[28] La plus belle ? Selon moi, la madone sixtine (elle ne tire pas son nom de la chapelle Sixtine, mais de saint Sixte représenté sur le tableau, patron de la famille della Rovere – il est l’oncle de Jules II –) à la Gemäldegalerie de Dresde. On n’imagine pas que c’est un pinceau qui a pu faire cela !

[29] Cette enfilade de voûtes étant encadrée par les statues d’Apollon (à gauche) et d’Athéna (à droite)

[30] Si ses madones sont très inégales, Giovanni Bellini est très lumineux, très fondu : cf. Le retable de l’église de San Job qui arbore de belles harmonies de couleurs et un grand Bellini, le retable Barbarigo (vraiment superbe) qui orne l’église Saint-Pierre-Martyr de Murano.

[31] Comme l’écrit André Chastel dans son ouvrage Les Arts de l’Italie, Titien ne supporte pas la reproduction. Dans cette œuvre, le peintre fait preuve d’une liberté de trait extraordinaire, sa pâte est très épaisse (de sorte qu’elle miroite). C’est un tableau extrêmement janséniste, un monde de désolation. C’est aussi le seul tableau peint pour lui-même : il devait se trouver sur sa sépulture.

[32] Le plus haut retable (du latin retro tabula altaris, « à l’arrière de la table d’autel ») de Venise (sept mètres). On y voit une Vierge enjouée, entourée d'une guirlande d’anges et d’apôtres (à la fois attristés, stupéfaits et en extase devant la scène qui s’offrent à eux), qui s’élève vers Dieu en tant que reine du ciel. Le fabuleux mouvement ascensionnel de toute la composition est encore accentué par les apôtres qui lèvent les bras au ciel. Ce tableau constitue une véritable révolution religieuse : oubliées les références à la mort, à tous les tombeaux et autres lamentations en tout genre ! A tous les étages de la représentation, le rouge est présent (en de subtiles variations) : manteau rouge sombre de Dieu le Père, immense robe d'un rouge éclatant de la Vierge, tuniques rouges de plusieurs des apôtres dont saint Jean. Dans son Apocalypse (12,1), ce dernier écrit que la Vierge se présente au Paradis « vêtue de soleil ». Pour évoquer ce moment, Titien silhouette la Vierge, la faisant apparaître sur un fond glorieux doré, dans un effet de contre-jour. Cet éclat doré n’est pas seulement le fruit de la couleur : à cause de la nouvelle orientation donnée au XIVe siècle à l’église des Frari (lorsqu’elle fut bâtie, elle pointait vers l’est, lors de son agrandissement par les Franciscains, son axe d’orientation a basculé vers l’ouest), la lumière du soir pénètre à travers les vitraux et se mêle à la lumière peinte du Titien pour baigner Marie dans un miraculeux halo doré.         

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