Les crotales de Pompéi, d’Herculanum, d’Oplontis et de Stabies
Les crotales de Pompéi, d’Herculanum,
d’Oplontis et de Stabies
(par Philippe Durbecq)
Les boucles d’oreilles romaines
Les boucles d'oreilles
figuraient parmi les types de bijoux les plus prisés des Romains.
Le style de celles-ci pouvait
varier à l’infini tant au niveau de la forme que du matériau employé (de l’or,
des perles, des pierres précieuses, etc.), mais ce qui est foncièrement
étonnant, c’est l'absolue modernité de ce design et son élégance sans
pareil : ces
bijoux qui datent pourtant d’il y a deux mille ans semblent presque
intemporels, comme si les concepts esthétiques de l’époque n’avaient pas pris
une ride.
On se rappellera que, dans le film « Gladiator » de Ridley Scott, la sublime actrice Connie Nielsen qui incarne Lucilla, la fille de Marc Aurèle, amoureuse de Maximus et aimée par son frère Commode, apparaît portant un type de boucles d’oreilles appelées crotales dont nous allons bientôt parler. Le modèle choisi reproduit un original trouvé au XIXe siècle en Angleterre et appartenant aujourd’hui aux collections du British Museum : la partie supérieure est constituée d'une plaquette en forme de croissant surmontant une série symétrique de volutes, formée de feuille d'or en relief. Soudé à l'arrière, un crochet en forme de S vient insérer une perle entre les cornes du croissant. Enfin, suspendus à trois boucles, réunies derrière les volutes, trois fils d'or recouverts de petits cônes de feuilles d'or et terminés par des perles viennent apporter à ce beau bijou sa touche finale d’élégance. La perle à l'intérieur du croissant est en verre creux, tandis que les autres ressemblent à de vraies perles [1].
Les Romains désignaient les boucles d’oreilles
par le mot « inaures », c’est-à-dire des pendants fixés à
l'oreille par un trou percé dans le lobe de celle-ci [3]. Le
mot apparaît dans la comédie de Plaute, Les Ménechmes (acte III, scène
III) où la servante s’adresse « Cher Ménechme, faites-moi faire aussi
une paire de boucles d’oreilles longues, seulement du poids de deux drachmes,
afin que j’aie du plaisir à vous voir quand vous viendrez chez nous. ».
La mode de percer les oreilles vient d’Orient
(Egypte et Mésopotamie), ainsi que l’invention des « deux grands genres
entre lesquels se répartissent toutes les boucles d’oreilles qu’on a portées
depuis la plus haute antiquité jusqu’à nos jours : la boucle rigide, d’une
seule pièce, généralement courte et dépassant peu le lobe de l’oreille avec
lequel elle semble faire corps et la boucle longue à pendeloques, divisée en
plusieurs éléments distincts qui donnent de la souplesse et du jeu au bijou
tout entier.
L’une n’est qu’une façon de parer l’oreille sans en changer la forme et de la faire valoir. L’autre est un prolongement artificiel et, comme les colliers, un bijou qui, fait pour être admiré en lui-même, cherche dans l’oreille un simple point d’appui. Suivant que l’on emploie l’un ou l’autre genre, on obéit à une esthétique différente [4]. ».
A Chypre existait une mode particulière qui était
l’usage de couvre-oreilles. Ceux-ci s’emboîtaient sur le cartilage de l’oreille
épousant parfaitement les contours du pavillon. Il est vraisemblable que ce
bijou très lourd était assujetti à l’oreille en perçant l’Hélix (l’ourlet de l’oreille)
de plusieurs orifices dans lesquels passaient des fils d’or, comme on peut le
remarquer sur le fragment en calcaire d’une statue de femme portant un kalathos
découvert à Athiénou (Golgoï) et conservé au musée du Louvre.
Couvre-oreille chypriote (image extraite du Dictionnaire Daremberg et Saglio et libre de droits ; Tête de femme portant un kalathos (© 2017 Musée du Louvre / Antiquités orientales – source : https://collections.louvre.fr/en/ark:/53355/cl010122210)
La virtuosité des orfèvres d’Asie Mineure peut
être constatée sur les bijoux du « Trésor de Priam [5] ».
On connaît tous ce fameux cliché montrant la seconde épouse grecque de l’homme
d’affaire et pionnier de l’archéologie Heinrich Schliemann prendre la pose et
s’exhiber devant l’objectif avec le diadème en or, les boucles d’oreilles [6] et
le collier provenant du soi-disant « Trésor de Priam ».
A gauche, photo de Sophia Schliemann portant les
bijoux du « Trésor de Priam » (domaine public – inconnu — http://www.dillum.ch/html/schliemann_priamos_schatz.htm) ; à droite, photo du diadème et des boucles d’oreilles (domaine
public – auteur inconnu – Travail personnel, photo by Szilas in the
Pushkin Museum, Moscow)
En Grèce, les cités de Mycènes et de Tirynthe produisirent très peu de boucles d’oreilles, mais après un contact de longue durée avec l’Orient, la mode de celles-ci se transmit à l’Occident. Une des premières boucles d’oreilles est celle de Mégare [7], mais il se peut qu’elle soit une importation de l’île de Rhodes ou de Syrie. La vraie boucle d’oreilles archaïque est un simple disque épais (« rondelle ») fixé au bas de l’oreille et la cachant en partie, comme on peut très bien l’observer sur une Korè de l’Acropole d’Athènes.
A gauche, boucle d’oreilles de Mégare, Musée du Louvre (Licence : Creative Commons Attribution 2.5 Generic – Source/photographe : Marie-Lan Nguyen (User:Jastrow), 2009-06-28) ; à droite, détail (recadré) de la Koré 670l, l’une des statues de jeune fille les mieux conservées de l’Acropole d’Athènes (retrouvées avec treize autres en 1886) © Musée de l’Acropole, photo : Giorgos Vitsaropoulos.
Malgré la forte influence de l’Orient,
l’Attique avait donc opté pour une formule prônant la simplicité : la
boucle d’oreilles, dans toute sa sobriété, permettait de ne pas surcharger
l’oreille, ni d’en cacher en somme sa propre esthétique. Une simple pendeloque
était cependant tolérée comme on peut l’observer sur le Vase François [8].
Derrière cette « pudeur » féminine se dissimulait aussi le caractère
patriarchal de la société grecque : les Grecs jugeaient en effet le port
de boucles d’oreilles indigne d’un citoyen grec (statut qui était refusé aux femmes
dans la société grecque).
A la fin du Ve siècle toutefois, cette rigueur
s’atténue et les pendeloques deviennent plus fréquentes. Si l’on se réfère
pourtant aux décors des céramiques, le goût grec demeure assez sobre, sans
jamais tomber dans l’emphase des modes orientales ou romaines. Même sur les
vases des colonies grecques de l’Italie méridionale (Tarente, Capoue, Naples),
on retrouve cette modération.
A l'époque hellénistique, les orfèvres grecs
ornent volontiers les colliers et les boucles d'oreilles de nombreuses
pendeloques, spécifiquement dans les villes-colonies grecques des bords de la
mer Noire (la région de Kertch en Crimée) que leur situation met en relation
autant avec la Grèce continentale qu’avec les mondes scythe [9] et
sarmate. Les musées de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg et du Louvre à Paris sont
particulièrement riches en boucles d’oreilles de cette région.
En Etrurie, à l’époque orientalisante, les flux très intenses des échanges commerciaux avec le
Proche-Orient permettent aux orfèvres d'apprendre leurs techniques décoratives
en particulier de Phénicie (la granulation et
le filigrane, techniques permettant de jouer sur le relief et
avec la lumière, apparaissent en Etrurie dès le milieu du VIIIe siècle av.
J.-C.) et d’élargir leur
répertoire iconographique.
Les
simples spirales ont longtemps constitué, comme à Troie et à Mycènes, les
boucles d’oreilles type. Entre les VIIe et VIe siècles, sur les canopes de Chiusi [10],
la tête est souvent ornée de boucles d'oreille fixées dans les orifices des
oreilles percées.
A l’époque archaïque, les Etrusques suivent d’abord la mode du disque (« rondelle ») fixé au lobe de l’oreille, puis développent leurs propres modèles typiquement locaux comme les boucles d’oreilles à barillet [11].
Boucle d'oreille en forme de barillet - VIe s av. J.C. - Musée du Louvre (Source : fiche de cours en Arts Appliqués - Type : supports cours (par Margaux)
A l’époque classique et hellénistique (Ve et IVe siècle), on continue d’orner les urnes et sarcophages de pendeloques à structure simple, alors que le matériel archéologique exhumé lors des fouilles montre des bijoux plus complexes et plus sophistiqués. De nouveaux types de bijoux apparaissent, éloignés des modèles grecs, tout en gardant les scènes d'inspiration mythologique et en utilisant la technique de l'estampage : larges bandeaux décorés de feuilles, boucles d'oreilles en forme de grappe de raisin et bulles portées en pendentif.
Crédits : Département des Antiquités grecques, étrusques et romaines Droits d'auteur : © 2014 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Tony Querrec
A Rome, les auteurs latins sont tous unanimes
pour reconnaître que les femmes romaines avaient un goût prononcé pour les
bijoux. Les lois somptuaires n’ont eu que peu de prise sur cet engouement [12].
A la période républicaine, et plus précisément à
partir du IIIe siècle, les contacts avec les Etrusques et les Grecs ont probablement
permis aux Romaines de découvrir les beaux bijoux hellénistiques.
Comme le fait remarquer le dictionnaire de
Daremberg et Saglio, « ce qui caractérise la boucle d’oreilles romaine, ce
qui la distingue des précédentes, c’est qu’elle donne aux perles et aux pierres
précieuses une importance toute particulière [13]. » :
« Chez les Romains, la pierre ou la perle devient l’essentiel ; le
reste n’est fait que pour l’accompagner et l’encadrer ». Le mot employé par
Plaute dans Les Ménechmes, stalagmium (littéralement
« goutte [14] »)
est d’ailleurs révélateur pour nous rendre intelligible le rôle qu’on
voulait faire jouer à la perle : « c’est une goutte transparente
suspendue à un fil [15] ».
La terminologie anglaise utilisée en joaillerie est d’ailleurs tout à fait éloquente
à cet égard : « ear drop ».
Les crotales
Ce type de boucle d’oreilles était connu sous le nom de « crotalia » (du mot grec krotalon qui désigne un instrument de musique à percussion – une paire de cymbalettes à doigts [16] – utilisé dans les danses en Grèce ancienne [17]). Les boucles d’oreilles à pendentifs de perles étaient appelées « crotales » par analogie avec l’instrument de musique, car ils étaient des bijoux sonores : ils produisaient un tintement quand les perles s’entrechoquaient. Les crotales faisaient dès lors l’objet de quolibets de la part de la populace qui les considérait comme les « licteurs des femmes riches », puisque le bruit en question annonçait leur approche !
A gauche, une réplique de crotales du musée de Naples (avec l’aimable autorisation de M. Francesco di Bennardo) ; à droite, une photo d’une danseuse frappant ses cymbales l’une contre l’autre (villa des Mystères à Pompéi – source : https://www.italie-decouverte.com/villa-des-mysteres-une-renaissance-a-pompei/)
Le crotale ou serpents
à sonnettes porte le nom scientifique latin de Crotalus qui dérive
du même mot grec. Sur la photo ci-dessous, on voit bien les anneaux de la
sonnette à l’extrémité de la queue.
(photo libre de droit issue du site https://fr.vikidia.org/wiki/Serpent_%C3%A0_sonnette)
Les
portraits du Fayoum
On retrouve ces crotales sur les portraits du Fayoum. L’un des plus beaux est ce portrait funéraire de la Femme en chiton orange du Musée national d’Ecosse. Les portraits du Fayoum [18] sont les seuls spécimens de peinture de chevalets que l'Antiquité nous ait légués [19]. Ce sont les portraits [20] les plus anciens jamais découverts.
Portrait
de la Femme au chiton orange (Musée national d’Ecosse) – Photo domaine public
(Wikipedia – Hyperlien : https://fr.wikipedia.org/wiki/Portraits_du_Fayoum#/media/Fichier:Fayum-11.jpg)
Les
« portraits du Fayoum [21] » sont appelés ainsi
car c’est la région qui en compte le plus même si d’autres ont été trouvés
ailleurs en Egypte. Les nécropoles
parmi les plus riches en portraits du Fayoum sont celles des villes les plus
hellénisées d’Egypte et en particulier Antinoé (Antinoupoulis), la
cité fondée par Hadrien en 132 ap. J.-C. sur la rive orientale du Nil, après la
mort par noyade de son favori Antinoüs.
Dans l’art égyptien antérieur, les personnages étaient
peints de profil, alors que les visages du Fayoum sont tous vus de face. La
position tout à fait frontale n’est pas la plus gracieuse : le nez est en
effet difficile à représenter, l’expression des yeux perd en personnalité, le
visage paraît trop symétrique. Les peintres adoptent donc souvent une position
décalée, épaules de ¾ et visage un peu détourné. Le nez était ainsi mieux
modelé, les yeux différents semblaient plus vivants (ils sont toujours très
grands, parfois même disproportionnés et le regard est en général dirigé vers
le spectateur, mais il y a des exceptions, dont l’Européenne du Louvre).
Comme sur nos photos d’identité, ces hommes et ces femmes
ne sourient jamais : ils sont tous graves et mélancoliques. Ces portraits étaient en fait peints
du vivant du modèle. Au moment où cette image d’eux a été réalisée, ils étaient
dans la plénitude de leur âge et avaient revêtu, pour la pose, leurs plus beaux
vêtements et bijoux, mais ils savaient bien quel serait l’usage futur de leur
portrait (ces portraits de famille étaient retaillés pour être insérés
dans la momie).
Les crotaliae sont également documentées par les stèles palmyréniennes, comme le buste de Ummayat fille de Yarhai, deuxième moitié du IIème siècle après J.C (actuellement au Louvre, département des antiquités orientales [22]).
Buste de Ummayat, fille de Yarhai (© 1997 RMN-Grand Palais (musée
du Louvre) / Hervé Lewandowski – source : https://collections.louvre.fr/en/ark:/53355/cl010127805)
Le même type de crotale sur une lumineuse jeune fille (auteur des photos : Régis Durbecq)
L’or
La plupart des bijoux antiques qui nous sont parvenus sont en or mais il en existe aussi de magnifiques en argent, en bronze ou en électrum (un alliage d’or et d’argent que l’on peut rencontrer à l’état naturel [23]). Toutefois, les gisements d’or n’étaient pas suffisamment nombreux en Grèce et les difficultés d’approvisionnement le rendaient extrêmement onéreux. Pour plus de parcimonie dans son utilisation, ce métal malléable pouvait facilement être transformé, par martelage, en très fines feuilles (de moins de 1mm), comme ce fut le cas chez les Mycéniens (dans l’Odyssée, Livre IV, chant 4, Homère décrit le palais de Ménélas « brillant comme les rayons du soleil ou de la douce clarté de la lune »), à la période classique (Phidias avait recouvert de feuilles d’or sa statue de l’Athéna Parthénos, mais Lacharès les fit ôter en 296 av. J.C. pour payer ses troupes et elles furent ensuite remplacées par des copies en bronze doré), ainsi qu’à la période hellénistique. La recherche irrépressible d’or (et de richesses en général) fut d’ailleurs l’une des raisons des conquêtes d’Alexandre le Grand dans les années 335-323 avant J.-C.
Carte
montrant la position de la Lydie en Asie Mineure (traduite et adaptée de Image:Lydia original area of lydia.jpg – Bibi
Saint-Pol — Travail personnel)
Strabon l’explique magistralement dans sa Géographie (XV, 3, 9) : « Alexandre recueillit toutes les richesses de la Perse et les fit transporter à Suse, pour les réunir aux trésors et aux monuments dont cette ville était déjà pleine. Mais il n'en fit pas pour cela sa capitale : il lui préféra Babylone, dont il avait dès longtemps projeté la restauration et qui contenait elle-même de riches trésors. On assure qu'en dehors de ces trésors de Babylone et du trésor pris dans le camp de [Gaugamèle], les trésors de Suse et ceux de la Perse représentaient une valeur réelle de 40 à 50 000 talents. Suivant d'autres témoignages, tous les trésors recueillis dans les différentes parties de l'empire avaient été dirigés sur Ecbatane et montaient ensemble à la somme de 180 000 talents. Restait une somme de 8000 talents que Darius avait emportée avec lui, quand il s'était enfui loin de la Médie ; cette somme-là fut pillée par les meurtriers de Darius, qui se la partagèrent [24]. »
Les recettes ordinaires
d’Athènes en 422, au plus fort de sa puissance économique et maritime, ne
s’élevaient pas au-delà de 2 000 talents et Philippe II de Macédoine tirait à
grand peine un millier de talents annuellement de ses mines d’or surexploitées
du massif montagneux du mont Pangée en Macédoine [25]. Or,
Alexandre était bien conscient qu’une armée de soldats et de mercenaires (sans
parler de la flotte de ravitaillement), cela se paie, de même que les
créanciers de son expédition. En faisant main basse sur l’or perse [26],
il faisait rentrer dans les caisses de 100 à 200 fois plus de numéraire que les
recettes précitées [27].
L’Empire romain n’était
pas moins obsédé par l’or. L'exploitation minière romaine nous est connue par
les textes des auteurs anciens comme Strabon ou
Pline l’Ancien [28], ainsi que par des
inscriptions, comme les tables de bronze de Vipasca, règlement d'un district
minier situé près de l'actuelle ville d'Aljustrel au Portugal ou encore comme
les inscriptions figurant sur les lingots de métal.
Les Romains utilisaient déjà des méthodes d’extraction
hydraulique [29]
comme l'« abattage hydraulique » et le « hushing »
(lessivage du sol, à grande de échelle, par exemple en détournant des torrents
pour mettre au jour les veines d’or) afin d’extraire l'or de vastes dépôts
alluviaux, comme ceux de Las
Medulas et du district de la
Valduerna, situés tous deux dans la province de Léon en Espagne (au nord du Portugal). Sur la photo ci-dessous
du site de Las Medulas, on peut observer ces séquelles minières : les
collines ont été érodées et dévastées durant l’Antiquité romaine via
l’exploitation hydraulique de l’or à vaste échelle pour fournir celui-ci, ainsi
que d’autres métaux à l’Empire.
Pline l'Ancien, qui pendant sa jeunesse fut administrateur des mines décrit la technique employée : « Ce qui se passe est bien au-delà du travail des géants. Les montagnes sont percées de couloirs et de galeries réalisées à la lampe avec une durée qui sert à mesurer les déplacements. Pendant des mois, les mineurs ne peuvent pas voir la lumière du soleil et beaucoup d'entre eux meurent à l'intérieur des tunnels. Ce type de mine porte le nom de ruina montium [30] . Les fissures faites dans les entrailles de la pierre sont si dangereuses qu'il serait plus facile de trouver de la purpurine ou des perles au fond de la mer que de faire des cicatrices dans la roche. Comme nous avons rendu la Terre dangereuse [31] ! ».
Les perles
Les perles (appelées « larmes d’Aphrodite ») étaient
très rares dans l’Antiquité : il n’y en avait pas dans le bassin
méditerranéen et elles devaient être importées de zones bien plus éloignées. Elles
pouvaient donc atteindre des prix prohibitifs et les moins fortunés
devaient se contenter d'imitations en verre ou en nacre. Les familles romaines qui en avaient les moyens achetaient
une ou deux perles par an à leurs filles, afin que celles-ci puissent, à leur
majorité, disposer d’un collier complet.
Comme chacun sait, les perles naturelles sont des concrétions calcaires que fabriquent certains mollusques pour se protéger. L’animal, par définition au corps mou, réagit en cas d’intrusion dans sa coquille d’un corps étranger irritant (appelé nucleus) en entourant ce dernier, dans l’ordre, d’abord d’une fine couche de matière organique, ensuite d’une couche de carbonate de calcium (CaCO3) sous sa forme minérale de calcite, et enfin, d’une dernière couche de cristaux d'aragonite (polymorphe [32] de la calcite) liés par une protéine (la conchyoline ou perlucine) [33]. Cette substance est appelée nacre [34] (il constitue également le revêtement intérieur de la coquille biosynthétisé par le manteau). La perle, du moins la naturelle, présente donc une structure « en oignon », c’est-à-dire que les trois molécules précitées, toutes fabriquées par le manteau, se sont déposées par couches concentriques successives et dans un ordre bien défini [35].
Schéma de
coupe d'une perle montrant la différence structurelle entre une perle fine et
une perle de culture (image libre de droits (licence CC0) – auteur :
Dlroher2003 (travail personnel) – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Perle)
Dans son ouvrage Les perles de la mer
Erythrée (océan Indien), Pierre Schneider indique que « Les fines couches de nacres se superposent
continuellement, mais irrégulièrement : par conséquent, elles présentent à la
lumière à la fois leur surface et leur rebord. De là provient l’iridescence qui
fait la beauté de la nacre. De la disposition, irrégulière à l’échelle
microscopique, des cristaux d’aragonite, de la finesse de leurs couches dépend
la réfraction de la lumière qui a pénétré dans les premières et qui produit
l’irisation ; de la qualité de la surface dépend la réflexion de la lumière qui
fera la qualité d’une perle [36] ».
Dans son Histoire naturelle (Livre IX, 54), Pline l’Ancien mentionne les lieux où l’on pêchait les perles de son temps (spécialement dans l’océan Indien) et ceux d’où venaient les plus prisées (en mer Rouge, le long de la côte d’Arabie, et sur le Golfe persique). A cette occasion, il parle au livre IX, 58 des deux fameuses perles de Cléopâtre [37] (qui lui servaient de boucles d’oreilles) estimées alors à 410 millions de sesterces. A l’en croire, lors d’un pari avec Antoine, la reine d’Egypte en aurait fait dissoudre une dans du vinaigre avant de l’avaler (l’autre fut sauvée in extremis par Lucius Plancus, le juge du pari, et consacrée ultérieurement à la Vénus du Panthéon [38]). Cette fantaisie a priori insensée – mais sans doute politiquement fondée [39] – de Cléopâtre, n’est pas la seule à avoir « bu » une perle de très grande valeur dissoute dans du vinaigre : si l’on suit Suétone [40], Caligula absorbait également des « pretiosissima margarita » (les perles les plus précieuses, margarita étant l’ancien nom en latin classique de la perle [41]) après les avoir dissoutes dans du vinaigre.
Photo (recadrée) libre de droits d’un détail de l’huile
sur toile de Giambattista Tiepolo du banquet de Cléopâtre (National Gallery of
Victoria à Melbourne – source : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Giambattista_Tiepolo_-_The_Banquet_of_Cleopatra_-_Google_Art_Project.jpg)
Après les conquêtes de Pompée en
Orient, l’arrivée de perles et de pierres précieuses a « boosté »
l’art de l’orfèvrerie. L’une des compositions les plus appréciée consistait en l’association
d’or et de perles.
Au Livre IX, 56 de son Histoire
naturelle, Pline l’Ancien décrit, sur un ton badin et avec une pointe de
misogynie également (la société romaine était une société patriarcale et patrilinéaire stricte), les boucles d’oreilles
nommées « grelots » (crotales) que l’on fabrique à partir de ces
perles : « Les femmes mettent
leur gloire à en charger leurs doigts, et à en suspendre deux et trois à leurs
oreilles. Il y a pour cet objet de luxe des noms et des raffinements inventés
par une excessive corruption. Une boucle d'oreilles qui porte deux ou trois
perles s'appelle grelot, comme si les femmes se plaisaient au bruit et au choc
de ces perles. Déjà les moins riches affectent ces joyaux ; elles disent qu'une
perle est en public le licteur d'une femme. Bien plus, elles en portent à leurs
pieds ; elles en ornent non seulement les cordons de leur chaussure, mais
encore leur chaussure tout entière ; ce n'est plus assez de porter des perles,
il faut les fouler et marcher dessus. ».
Pline nous raconte aussi, sur un ton indigné, qu’il a vu « Lollia
Paulina, qui fut la femme de l'empereur Caligula (et ce n'était pas une fête
sérieuse, une cérémonie solennelle, c'était un simple souper de fiançailles
ordinaires); je l'al vue, dis-je, couverte d'émeraudes et de perles qui se
relevaient par leur mélange alternatif sur sa tête, dans ses cheveux, dans ses
cordons, à ses oreilles, à son cou, à ses bracelets, à ses doigts : tout cela
valait 40 millions de sesterces ; et elle était en état de prouver
immédiatement par les quittances que telle en était la valeur. Et ces perles
provenaient non pas des dons d'un prince prodigue, mais des trésors de son
aïeul, trésors qui étaient la dépouille des provinces [42]. ».
Très populaires chez les dames romaines, ces crotales à triple pendentif (crotalia triplex) ont été découvertes lors des fouilles de Pompéi, d’Herculanum, dans la villa d'Oplontis et de Stabies. Mais la présence de ce bijou n’est pas circonscrite à la zone vésuvienne. Il est en effet une découverte remarquable à souligner, celle réalisée en 2020 d’une crotalia dans les anciens thermes [43] de la lointaine colonie [44] de Deultum (Bulgarie actuelle), fondée près de la côte de la mer Noire par les vétérans de la huitième légion d’Auguste. Ce que cette trouvaille a d’exceptionnel, c’est le fait que cette parure est très similaire à celle que porte la Femme au chiton orange sur le portrait du Fayoum conservé au Musée national d’Ecosse. Une preuve du caractère mondialisé du monde romain. Autre élément qui montre l’ingéniosité des artisans : si les pendentifs sont en or, les perles sont en verre nacré [45] mais la ressemblance est bluffante.
A gauche, portrait de la Femme au chiton orange (Musée national d’Ecosse) – Photo domaine public (Wikipedia – Hyperlien : https://fr.wikipedia.org/wiki/Portraits_du_Fayoum#/media/Fichier:Fayum-11.jpg) ; à droite, boucle d'oreilles en or trouvée à Deultum, Bulgarie. Crédit : Facebook / Réserve archéologique nationale Deultum- Debelt
Ces boucles d'oreilles
en or avec pendentif en perle pouvaient se présenter sous différentes variantes :
simples, articulées à une barrette avec double ou triple pendentif de perles,
avec des enfilades de perles, etc. Les assemblages de perles sur une même
monture s’appelaient uniones.
La
barrette horizontale à laquelle était attaché le pendentif de perles pouvait
également être lisse ou moletée (c’est-à-dire comportant des stries ou un quadrillage faits à la molette).
Les perles étaient
percées avec un foret. Aucun document n'indiquant quel type de foret était
utilisé, toutes les hypothèses sont donc ouvertes : forets à main ou
à archet.
Pour l’assujettissement
de la perle durant le travail de perçage, on suppose que la technique est la
même que pour les pierres précieuses et les perles de verre. La documentation
semble indiquer que la perle n'était imprégnée d'aucun produit pour faciliter la perforation de la perle.
Le fermoir et le système d’attache
Les boucles d’oreilles se présentent sous
différents types et formes de fermoirs :
(issu du site https://www.perles-tahiti.com/blog/quels-sont-les-differents-types-et-fermoirs-des-boucles-d-oreilles-n3 avec l’aimable autorisation de Moea perles)
Sur les
crotales, le système d’attache pouvait soit être constitué de crochets ouverts (qui
se passaient tout simplement dans le lobe de l’oreille et en épousait la forme)
ou des dormeuses. Les dormeuses étaient conçues pour dormir sans quitter ses
boucles d’oreilles (qui étaient, à l’origine, portées la nuit pour éviter que
le trou de perçage du lobe ne se referme). Leur nom provient donc du fait
qu’elles étaient portées durant le sommeil. En or et simplement serties de
pierres précieuses ou de perles, elles étaient dès lors prévues pour ne pas
gêner dans le sommeil. Aujourd’hui, ce
type de boucles d’oreilles se porte bien entendu de jour comme de nuit.
Les crotales d’Oplontis
Une jeune femme portait
des bijoux de luxe, dont cette paire de crotales qui est le bijou le plus
précieux découvert sur les squelettes de la région vésuvienne : pour les
Romains, les perles étaient en effet plus chères que l'or.
Ces bijoux ont été retrouvés en 1984 sur un squelette parmi les 54 autres
d'hommes et de femmes qui s'étaient abrités de l'éruption volcanique du Vésuve dans
l'une des réserves voûtées (salle 15) du complexe d’Oplontis B (attribuée à un
certain L. Crassius Tertius [46]).
Parmi les squelettes, celui identifié comme « squelette 27 », appartenait
à une jeune femme âgée de 20 à 25 ans qui portait ou transportait des bijoux très
précieux, y compris la paire de boucles d'oreilles en perles à double pendentif
(crotaliae duplex).
Deux trésors de pièces d'or et d'argent l’accompagnaient, l'un dans un
sac à main et l'autre dans une boîte. Ensemble, ces trésors contenaient 313
pièces. On ignore si la richesse de cette jeune femme peut être interprétée comme
la preuve qu'il s’agit du squelette de la propriétaire du complexe d’Oplontis B,
comme l'a suggéré un chercheur. Plus vraisemblablement, le squelette pourrait
appartenir à une servante de confiance. Ce qui est certain et émouvant à la
fois, c'est que les restes du « squelette 27 » étaient mêlés à ceux
d'un fœtus, indiquant que la jeune femme était dans les dernières semaines de
sa grossesse au moment de l’éruption.
Boucles
d’oreilles d’Herculanum
Ces boucles d’oreilles ont été découvertes sur des
squelettes de la marina antique d’Herculanum, dans les fornici n° 3, 4, 8,
9, 10 et 11.
D’après I monili dall'area
vesuviana d’Antonio D’Ambrosio et Ernesto De Carolis, « la paire de boucles
d’oreilles n° inv. E3654 comporte un crochet de
suspension à double courbure, réalisée en fil lisse. Le crochet est orné d'une calotte en feuille à
laquelle un autre fil droit lisse de proportions plus réduites est suspendu par
un anneau dans sa partie finale où la perle est enfilée. Une
comparaison directe peut être réalisée avec les crotales en nacre d’Oplontis
précitées, mais un type de crochet analogue a été découvert dans un tumulus funéraire
en Turquie, avec toutefois des pendentifs constitués de feuilles d’or et une
perle insérée (datable du Ier siècle av. J.-C. – Ier siècle après J.-C.). ».
Tous les autres modèles mis au jour sont des variantes de ce type (par exemple avec des pendentifs en forme d’aiguilles).
(avec
l’aimable autorisation de M. Francesco di
Bennardo – Tiré de
« SplendOri. Il lusso negli ornamenti a
Ercolano » de Francesco Sirano)
La boucle d’oreilles de Stabies
Dans la villa San Marco a été retrouvée en 1749 une
boucle d’oreilles avec une perle sur une dame portant un anneau d’or et, avec
elle, une quantité de monnaies et d’autres bijoux.
Bibliographie
- Marie-France AUBERT et Roberta CORTOPASSI, Portraits de l’Egypte romaine, Paris, musée du Louvre, 5 octobre 1998 – 4 janvier 1999, Edité par Réunion des musées nationaux, 1998.
- Annie BELIS, Les Musiciens dans l’Antiquité, La Vie quotidienne, Hachette, 1999.
- Antonio D'AMBROSIO, Ernesto DE CAROLIS, I monili dall'area vesuviana, Roma 1997.
- Antonio D'AMBROSIO, La Bellezza femminile a Pompei, L’Erma di Bretschneider, 2001.
- DAREMBERG et SAGLIO, Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines.
- Jacqueline DENTZER-FEYDY, Les Antiquités de Palmyre au musée du Louvre, catalogue du département des antiquités orientales, Réunion des Musées Nationaux, 1993.
- Paul FAURE, La Vie quotidienne des armées d’Alexandre, Hachette Littérature (Hyperlien : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4803725w.texteImage).
- HOMERE, L’Odyssée, Le Livre de Poche.
- « Les collections du Musée national de Naples », par les Archives photographiques Pedicini.
- Eugenio LA ROCCA et alii, Roma, la pittura di un Impero, Ed. Skira.
- FH MARSHALL, Catalogue of the Jewellery, Greek, Etruscan and Roman, in the Departments of Antiquities, British Museum (1911).
- PLAUTE, Les Ménechmes (traduction Remacle – Hyperlien : http://remacle.org/bloodwolf/comediens/Plaute/menechmes1.htm).
- PLINE l’Ancien, Histoire naturelle (traduction Remacle – Hyperlien : http://remacle.org/bloodwolf/erudits/plineancien/livre9.htm).
- Pierre SCHNEIDER, Comment naissent les perles ? Échanges marchands et transferts de savoir, de l’océan Indien à la Méditerranée, Pre-print (URL : https://hal.science/hal-03577293/document).
- Pierre SCHNEIDER, Les perles de la mer Erythrée (océan Indien) – Hyperlien : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03669677/document.
- Francesco SIRANO, SplendOri. Il lusso negli ornamenti a Ercolano, Arte’m, Naples, 2019.
- STRABON, Géographie, site Méditerranées (Hyperlien : https://mediterranees.net/geographie/strabon/XV-3.html).
- SUETONE, Vie des Douze empereurs (Hyperlien : http://bcs.fltr.ucl.ac.be/SUET/accueil.html).
- TITE-LIVE, Histoire Romaine (Hyperlien : http://bcs.fltr.ucl.ac.be/LIV/VIII15-26.html).
- Diatrita YEROULANOU, Gold Pierced-Work Jewellery from the 3rd to the 7th Century, Benaki Museum, Athens, 1999.
[1]
D’après la fiche du British Museum https://www.britishmuseum.org/collection/object/G_1917-0601-2673.
[3] Le
Dictionnaire Daremberg et Saglio envisage également une deuxième
possibilité à l’étymologie du mot « inaures » : en raison
de la forme enroulée du bijou (article « inaures », p. 440).
[4] Dictionnaire
Daremberg et Saglio, article « inaures », p. 440.
[5]
Appellation historiquement et archéologiquement incorrecte puisque ceux-ci se
trouvaient dans une strate ne correspondant pas à la datation de la Troie de
l’époque considérée. Le « Trésor
de Priam » est exposé au musée Pouchkine de Moscou, le musée de
Berlin n'exposant actuellement que des copies des originaux.
[6] Des boucles
d’oreilles en panier (avec pendentifs en forme d’idole du même trésor).
[7] Cité
de l’Attique située entre Athènes et Corinthe. Mégare est aussi le nom de l’une
des épouses d’Héraklès qui lui donna trois fils et une fille. Héra ayant frappé
le héros de folie, celui-ci tua ses fils. Pour laver sa faute, l’oracle de
Delphes lui prescrivit de se mettre au service d’Eurysthée qui lui intima
l’ordre d’accomplir douze travaux.
[8] Le
Vase François a été découvert par Alessendro François en 1844 dans
une la nécropole étrusque Fonte Rotella de Chiusi en Etrurie.
Le Vase François fut découvert « en miettes » et de nombreux
fragments furent découverts par la suite. C’est un cratère (type de
vase servant pour les banquets) à volute attique et à figures noires. Il
est daté vers 570 av J.C. et mesure 57 cm de diamètre et 66 cm de haut.
Conservé au musée archéologique de Florence où
il a été restauré à de nombreuses reprises. En effet après une première
restauration en 1900 il fut détruit par un employé en colère qui
brisa l’objet en 638 morceaux, puis en 1966, il fut victime des
inondations catastrophiques de Florence et fut de nouveau restauré en 1973. Ce
vase est une véritable « œuvre-martyre ».
[9] Les pièces prestigieuses des trésors de
l’Ermitage ont fait l’objet d’une exposition itinérante qui a transité par Munich
en 1984, Vienne en 1988-1989, Bruxelles en février-avril 1991.
[10]
Vases destinés à recueillir les cendres du mort incinéré.
[11] Voir Catherine Ricochon, les pendants
d’oreilles à barillet : un témoignage éclatant de l’apogée d’une
civilisation au carrefour de la vie et de la mort », Mediterranean Archaeology, Vol. 24 (2011), pp. 9-45.
[12]
Plusieurs lois somptuaires (du latin sumptus signifiant
« dépense », ces lois ayant pour objectif de limiter les dépenses des
particuliers) ont été édictées notamment par César et Auguste, mais
elles ne semblent guère avoir eu d'effet. En
outre, elles portent assez rarement sur la parure, dont les bijoux, et on n'a
aucune information, à la connaissance de Marianne Coudry, sur d'éventuelles
dérogations. Dans le cadre de ses articles, Marianne Coudry de l’EFR a analysé le comportement économique des élites de la Rome républicaine vis-à-vis
de ces lois somptuaires. Madame Coudry a en outre rédigé les notices de lois somptuaires qui sont consultables en
ligne sur le site LEPOR (Leges Populi Romani), en cliquant sur
« thèmes de lois » sur le bandeau noir de la page d'accueil (http://telma.irht.cnrs.fr/outils/lepor/categorieslois/). Enfin, elle a également
écrit un article général, avec un tableau récapitulatif des lois, dont voici la
référence : « Loi et société : la singularité des lois somptuaires de Rome
», CGG, 15,
2004, p.135-171 (il est accessible en ligne sur le site Persée, les CCG sont
les Cahiers du Centre Glotz – Hyperlien : https://www.persee.fr/doc/ccgg_1016-9008_2004_num_15_1_861). Voir aussi le site https://iletaitunefoislebijou.fr/2020/07/les-lois-somptuaires-contre-le-luxe-et-les-femmes/ qui explique
pédagogiquement les trois objectifs de ces lois somptuaires (politique, pour
soutenir l’effort de guerre via notamment le recyclage des métaux précieux en
les convertissant en armement ou en monnaie ; rappel de l’ordre
social ; fixation d’un ordre moral en détournant l’attention de la
population sur le luxe afin de faire oublier tous les autres problèmes).
Inutile de dire que ces lois visaient en premier lieu les femmes. L’article
fait d’ailleurs allusion à la première manifestation féministe de
l’histoire : pour célébrer l’abrogation de la Lex oppia, qui leur
proscrivait le port de plus de 14 grammes d’or, ainsi que de vêtements
pourprés), les femmes défilèrent dans les rues de Rome en arborant leurs bijoux
les plus impressionnants et leurs vêtements les plus luxueux (Tite-Live, Histoire
Romaine, Livre XXXIV – 34).
[13] Dictionnaire Daremberg et Saglio,
article « inaures », p. 446.
[14]
Le nom donné au XVIIe siècle aux stalagmites vient de là : on a ajouté le
suffixe -ite au mot grec ancien stalagmos (« écoulement, chute
goutte à goutte »).
[15]
Ibid. p. 446.
[16] « Fingers
cymbals » en anglais. La découverte de
cymbales à doigts dans des tombes de l'Égypte antique a inspiré Claude Debussy (les
Epigraphes antiques, Prélude à l’après-midi d’un Faune) et
Maurice Ravel (les Entretiens), qui les évoquent ou ont intégré ces
instruments dans l’orchestre afin de donner une couleur sonore orientale ou
antique à certaines de leurs œuvres.
[17] Cet
usage s’est perpétué chez les danseuses indiennes. Voir le Dictionnaire des
Antiquités grecques et romaines de Daremberg et Saglio, à l’article « crotalum »,
ainsi qu’Annie Bélis, Les Musiciens dans l’Antiquité, La Vie
quotidienne, Hachette, pp. 65-67, 70, 72 et 87.
[18] Le Fayoum est une
région distincte de la vallée du Nil et d’autres oasis de désert. Il s’agit
d’une oasis dont la fertilité ne dépend pas, comme dans le cas des oasis
typiques, de l’eau obtenue à partir de sources, mais de celle amenée par une
branche divergente du Nil et qui vient se déverser dans une dépression du
désert : le lac Fayoum (un grand lac d’eau douce dans l’Antiquité, mais actuellement
de dimension plus modeste et dont l’eau est salée).
[19]
Sauf quelques rares exemples, les panneaux de momie seraient actuellement les
seuls témoins de la peinture mobile de l’Antiquité, préservés, comme les corps
embaumés, par l’exceptionnelle sécheresse de l’Egypte et par l’enfouissement
dans les sables.
[20] Ces portraits représentent l'ultime
évolution des sarcophages et masques funéraires, avec une influence évidente de
l'art romain. Sur les sarcophages des temps pharaoniques, le visage du
défunt n’apparaissait que de façon très stylisée. Une nouvelle façon de
présenter les morts naît au début du Ier siècle. Les techniques d’embaumement
pratiquées et perfectionnées depuis 3.000 ans sont conservées, mais parfois, la
momie est serrée dans un linceul sur lequel est peint un visage, ou bien une
fenêtre ménagée dans l’appareil de bandelettes permet d’insérer un masque, un
plastron ou un portrait peint. Les linceuls et quelques portraits ont été
peints à la détrempe, mais la plupart des panneaux ont été réalisés à l'encaustique, sur une planchette de
bois (le figuier sycomore était abondant au Fayoum, mais le bois étant très
rare en Egypte, d’autres essences devaient être importées et le plus souvent,
les portraits étaient peints sur de minces feuilles de bois d’à peine 2 mm
d’épaisseur).
[21] Une exposition
intitulée « Portraits de l’Egypte romaine » comprenant une trentaine
de portraits s’est tenue au Louvre à Paris jusqu’au 4 janvier 1999.
[22] Ummayat, dont
l'épitaphe en palmyrénien nous indique qu'elle était la fille de Yarhai, est
représentée enveloppée dans un manteau et revêtue d’une tunique qui rappelle le
chiton grec, un modèle à la mode à Palmyre au IIe siècle. Outre ses boucles
d’oreilles, Ummayat arbore également de nombreux autres bijoux : un
collier de perles, une bague et une fibule trapézoïdale ornée d’une tête de
lion. Sa tête est ceinte d’un bandeau frontal oriental (attesté à Palmyre dès
le Ier siècle, lisse au départ, mais orné par la suite d’une frise végétale et géométrique,
comme c’est le cas ici) et couverte d’un turban, ainsi que d’un voile
qu’Ummayat retient de sa main. La main sur la joue est un geste d'affliction commun
sur les images funéraires. Derrière elle, une étoffe suspendue à deux feuilles
de palme symbolise, à l’instar de la porte dans le monde gréco-romain, la frontière
entre la vie et la mort.
[23] Le mot est issu du grec ḗlektron, lui-même dérivé de ēléktōr, « brillant », qualificatif
du Soleil et épithète d'Hypérion. En grec classique, le mot désigne presque exclusivement
l'ambre, dont les propriétés ont donné les mots
français électricité et électron. En latin, le terme se réfère à
l'alliage que les Grecs appellent plus couramment « or blanc » (leukòs khrusós) qui ne correspond pas à notre
définition moderne de l’or blanc composé d’or
allié à l’un ou plusieurs autres métaux (nickel, argent, platine, palladium, ce
qui donne un alliage de couleur argentée). Ainsi, Pline l'Ancien explique que « tout or contient de
l'argent en quantité variable […] lorsque la proportion d'argent est de
55 %, le métal s'appelle « électrum ». En numismatique et en histoire de l’art, le terme désigne toutefois
également un alliage artificiel. C’est l’électrum qui a servi de matériau aux
premières monnaies, frappés en Lydie.
[25] Philippe II de Macédoine, le père
d’Alexandre le Grand, qui conquit la cité et ses sites d’exploitation sur les
Thraces et leur donnera son nom : Philippes. C’est dans la plaine de
Philippes qu’eut lieu, en 42 av. J.-C., la bataille opposant Brutus et Cassius
à Octave (futur Auguste). La zone de Philippes a été fouillée pendant 100 ans
par l’Ecole française d’Athènes (Fouilles de Philippes : 1914 – 2014, Comptes
rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Fascicule
2014-4).
[26] Mais aussi tous les
autres produits de luxe comme les vêtements en pourpre dont le prix était
exorbitant pas seulement en raison de sa symbolique et de ses qualités (couleur
inaltérable), mais aussi par ses énormes difficultés d’extraction et de
fabrication : la glande du murex étant minuscule, il fallait 10.000 murex
pour obtenir 1,2 gramme de pourpre. D’autre part, il faut
savoir que la sécrétion du murex est incolore au départ et que la couleur
pourpre est le résultat d’une réaction photochimique : sous l’effet de la
lumière et de l’air, elle passe par toute une gradation de tonalités en
devenant d’abord jaune, virant ensuite au vert qui se transforme en bleu pour
se terminer en violet plus ou moins rouge (la pourpre n’est jamais
« rouge »). Le processus de fabrication complet prenait dix jours et
se déroulait nuit et jour, mais devait être systématiquement contrôlé (au
niveau de la température et du pH). Après trois jours, si tout va bien, la
réduction commence.
[27] Voir
Paul Faure, La vie quotidienne des armées d’Alexandre.
[28] Histoire naturelle, livre XXXIII,
chapitre 4.
[29] On avait recours à de vastes réservoirs contrôlés par des
écluses, créant de puissantes vagues pour balayer la terre des flancs de
collines et ainsi révéler des gisements de minerai.
[30] Littéralement, la « destruction d’une montagne ». Cette
technique consiste à remplir d'eau des cavités étroites au fond des mines pour
que l'augmentation de la pression due à l'eau fragmente les parois rocheuses
épaisses (cf. l’expérience du crève-tonneau de Pascal).
[31]
Histoire naturelle, Livre XXXIII, chapitre 70.
[32] En chimie et en minéralogie,
le polymorphisme est la faculté que possède une substance
chimique de cristalliser dans des structures différentes selon
les conditions de température et de pression.
[33] Dans son ouvrage Les perles de la mer
Erythrée (océan Indien), page 20, Pierre Schneider nous précise que cette sorte de mortier organique qu’est
la conchyoline sert à sceller entre elles les « briques » des
cristaux d’aragonite, raison pour laquelle les scientifiques parlent de
bio-cristal.
[34]
Pierre Schneider (ibid. page 20, note 43) signale que « l’huître produit
huit à dix couches par jour, mais celles-ci étant de l’épaisseur du micron, il
faut deux à quatre ans pour obtenir une perle « de belle taille » ».
[35]
Contrairement aux perles de culture où un nucleus est entouré d’une seule mince
couche de nacre.
[36]
Pierre Schneider, Les perles de la
mer Erythrée (océan Indien),
pages 20-21. Sur l’orient – teinte semblable à celles arcs en ciel visibles sur les bulles de
savon – et le lustre – reflet rendu par la lumière s'immisçant au sein des
différentes couches de nacres –, voir page 23 du même ouvrage.
[37]
C’est un lieu commun, mais aussi un passage obligé, comme le fait remarquer
Pierre Schneider dans son ouvrage Les
perles de la mer Erythrée (océan Indien), note 6, page 8).
[38]
La perle fut sciée en deux pour faire deux pendants d’oreilles à la statue de
la déesse.
[39]
Cléopâtre voulait bien évidemment par-là étouffer l’orgueil de son amant, mais
peut-être aussi lui montrer qu’en Egypte, même si son royaume était un
protectorat romain, elle était la seule à détenir le pouvoir de décider de la
destination des fabuleuses richesses de son royaume. Mais l’historien Pierre
Renucci déconstruit cette belle histoire. Il pourrait en effet s’agir d’une affabulation
de Pline destinée à discréditer Cléopâtre qu’il traite d’ailleurs de « courtisane
royale » dans le même paragraphe. L’historien invoque trois arguments : si
les Romains avaient un goût immodéré pour les perles, la tradition dans le
domaine de la joaillerie égyptienne était plutôt d’employer des pierres
semi-précieuses, les perles n’y étant que peu utilisées ; la solubilité
des perles dans du vinaigre est dans l’ordre du possible (des expériences ont
été réalisées), mais le procédé n’est pas instantané ; enfin, on a suggéré que
la boisson ingurgitée par Cléopâtre était un digestif ou une potion antiacide
prise en fin de repas.
[40]
Vie de Caligula, Livre XXXVII, 1.
[41] Emprunté au grec
margaritēs (Histoire de mots : https://www.antidote.info/fr/blogue/enquetes/collier-de-perles).
[42] Histoire
naturelle, Livre IX, 35, 68.
[43]
Ces thermes ont été détruits par un tremblement de terre majeur en 357 après
J.-C., piégeant la boucle d’oreilles dans les décombres (il a été retrouvé coincé
entre des tuiles).
[44]
Cette colonie romaine, la plus ancienne en Bulgarie, avait un but purement
stratégique : en tant que ville portuaire, assurer la sécurité de la
navigation entre la région du Danube et la Mer Noire (vers l’Asie Mineure) et son importance se marque par le fait
qu’elle était placée sous l’autorité directe de l’empereur de Rome (voir https://bnr.bg/fr/post/101104412/deultum-la-plus-ancienne-colonie-romaine-sur-les-terres-bulgares).
[45]
Le bijou comportait également un insert en pâte de verre dont il ne reste que
des traces.
[46]
Pour plus de détails, voir le site http://www.oplontisproject.org/index.php/the-villas/villa-b/.
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