L’art de la mosaïque romaine au travers de différents types de boucliers
L’art
de la mosaïque romaine au travers de différents types de boucliers
(par
Dominique Annarelli et Philippe Durbecq)
« Je ne m’intéresse pas aux choses voyantes mais aux petits
morceaux d’agate, de pierre, de bronze, de poterie, de verre, qui peuvent aider
d’une manière ou d’une autre à découvrir quelque pratique ou la main du
fabricant. »
Comte de Caylus (1692-1765)
Bien qu’aux yeux des Romains, la littérature
ait été le premier des arts, avant toute réalisation plastique, aussi fameuse
et aussi admirable qu’elle soit, la mosaïque est considérée comme l’un des arts
romains par excellence. Nulle autre civilisation que Rome n’aurait en effet pu
faire davantage ou mieux pour lui conférer ses lettres de noblesse, tant en
termes de richesse déployée au niveau du répertoire iconographique (l’éventail
de thèmes est extrêmement large) que par l’ampleur de la diffusion de cet art dans
l’ensemble du bassin méditerranéen.
Le terme « mosaïque » vient du latin tardif musaicum (opus),
mot lui-même dérivé du grec
ancien μουσειον (mouseion), désignant ce
qui se rapporte aux Muses, parce que ce mode
de décoration fut d’abord utilisé dans des grottes naturelles ou artificielles
et des fontaines de forme architecturale, consacrées aux Muses.
La
mosaïque murale est née à la fin de la République, vers le Ier siècle
avant J.-C., dans ces soi-disant « Grottes des Muses », où l'élément principal
est une source ou une fontaine : un revêtement résistant à l'humidité était
donc également nécessaire sur les murs.
À Pompéi
et à Herculanum, ce type de parement servait également à recouvrir les exèdres,
niches de grandes dimensions, semi-circulaires ou parfois polygonales, souvent
ornée d’une fontaine. Le décor des nymphées, souvent avec des tesselles noires
et blanches, commence à avoir des tesselles polychromes à partir de 58 avant
J.-C. et s'est largement répandu au Ier siècle après J.-C, tel qu’il apparaît
dans le théâtre de M. Scaurus à Rome (Pline, Histoire naturelle, Livre
XXXVI, 114).
Dans l’Antiquité, la mosaïque murale (faite pour être vue frontalement) était très répandue mais, par la force de choses, elle s’est presque complètement perdue, si bien que nous ne connaissons l’art de la mosaïque ancienne que grâce aux sols ornés selon cette technique (mosaïque pavimentale, donc vue en surplomb [1]). Parmi les rares exemples de mosaïque murale qui sont parvenus jusqu’à nous, on peut citer celle de Neptune et Amphitrite à Herculanum.
Mosaïque
de Neptune et Amphitrite à Herculanum (Licence : Creative Commons CC0 1.0 Universal Public Domain
Dedication
- source : https://en.wikipedia.org/wiki/Herculaneum#/media/File:Neptune_Amphitrite_mosaic_Herculaneum.jpg – auteur :
Jebulon (travail personnel))
Par la suite, le terme a été appliqué aux
mosaïques murales en général. Ce n’est qu’aux temps modernes qu’il a été étendu
à la technique tout entière.
La mosaïque est un art décoratif dans lequel
on utilise un assemblage de tesselles, petits fragments (souvent cubiques [2])
de pierre, de marbre, de matière vitreuse, ou même de céramique (quel que soit le matériau utilisé, ces fragments sont appelés
tesselles), assemblés à l’aide d’un enduit pour former des motifs ou des
figures.
Quant à l’appellation « boucliers de triangles », elle provient d’un motif (souvent le décor central d’une mosaïque) constitué d’un ensemble de triangles curvilignes (c’est-à-dire dont les côtés sont des lignes courbes et non droites, comme si ces triangles avaient été légèrement écrasés, ou, si l’on veut faire preuve d’humour, qui auraient pris un peu d’embonpoint), alternativement noirs et blancs, définis par l’intersection de cercles concentriques et de spirales (une « volute ») émanant d’un disque central (de sorte que ce dernier ressemble à l’umbo d’un bouclier [3]).
A
gauche, (auteur de la photo : Dominique Annarelli) ; à droite, copie
en marbre du bouclier d'Auguste, découvert à Arles et conservé au musée de
l'Arles et de la Provence antiques (licence : CC BY-SA 3.0 – auteur Siren-Com (travail
personnel) – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bouclier_honorifique)
L’organisation du travail (les collèges d'artisans
par exemple), les outils, les cahiers de modèle, … sont toujours des questions
âprement débattues chez les spécialistes [4] et l’épigraphie sur le
sujet est rare.
En revanche, l’on sait que les mosaïstes se
déplaçaient de chantier en chantier (sauf peut-être dans les grands centres
comme Rome ou Vienne en France). Les emblemata, panneaux de mosaïque,
souvent réalisés en vermiculatum
(tesselles de très petites dimensions, parfois de quelques millimètres de côté)
étaient confectionnés dans un atelier puis mis en place dans un pavement
réalisé in situ (un espace leur était
réservé), souvent disposés au centre de la composition et entourés
d’un cadre décoratif relativement simple. Vu la minutie exigée par ce travail (dimensions extrêmes
des tesselles, la finesse du dessin et la grande variété de nuances de
couleurs, l’exécution de ces emblemata étaient confiées à un maître, le pictor imaginarius, peintre des scènes
complexes.
Quant à l’organisation du travail, il s’agissait
de petites équipes comportant au moins un maçon (pour le soubassement), un
tailleur de tesselles, un poseur de tesselles et un chef d’équipe, chargé de
négocier avec le commanditaire (choix des motifs, devis, etc.) et de diriger le
chantier. Les « équipes » devaient être très
structurées, disciplinées et chacun devait savoir ce qu'il avait à faire, y
compris pour les différentes strates préliminaires qui précédaient le tout
dernier « lit de pose ».
Les artisans Romains étaient
regroupés en corporations professionnelles (collegia)
chargées de défendre leurs intérêts. On est au courant du niveau de salaire de
ces mosaïstes grâce à l’Edit de Dioclétien [5]
sur les prix de 301 : 60 deniers [6]
(ce qui correspondrait à 409,2 euros [7]
de nos jours.
On sera attentif à un
bas-relief qui témoigne de la fabrication en série de tesselles et qui est
l’une des rares représentations iconographiques [8] illustrant l’artisanat de la mosaïque. Il s’agit d’une stèle funéraire
découverte à Ostie (tombe de l’Isola Sacra).
On y voit deux ouvriers
(peut-être un père – l’homme barbu – et son fils à qui il transmet son savoir)
utilisant des marteaux à double tranchant [9] pour couper les cubes de pierre sur leur enclume (tranchet [10]).
Derrière eux, le chef de
l’atelier (et, le cas échéant, le défunt pour qui la stèle a été sculptée)
indique où porter les pesants sacs (contenant soit des matériaux destinés à la
fragmentation, soit de la chaux, de la pouzzolane ou de la poussière de marbre
pour le lit de mortier [11]). Il
porte un objet dans sa main gauche (identifié avec un pilon ou pistillum).
La corbeille au sol à l’avant plan semble être remplie d’éléments en partie
taillés avant d’être transformés en cubes, à moins qu’elle ne contienne déjà
les produits finis.
A gauche, la stèle funéraire découverte à Ostie (tombe de l’Isola Sacra, conservée à l’antiquarium d’Ostie) issue du document https://docplayer.fr/72336149-Techniques-de-la-mosaique-antique.html et recadrée pour les besoins du texte ; A droite la mosaïque trouvée à El Alia (Uzalis) en Tunisie (musée national du Bardo - source : https://www.pinterest.com/pin/301881981284732714/) : un mosaïste dans une mosaïque. En dessous, détail de la stèle d’Ostie (https://www.ostia-antica.org/dict/topics/reliefs/reliefs-mosaics.htm)
Un document majeur pour la connaissance de la
mise en œuvre technique des pavements antiques est le De architectura de
Vitruve. Vitruve décrit précisément les différentes étapes des travaux de
maçonnerie nécessaires en amont de la réalisation d’un sol en mosaïque. Outre
le nom des couches du support (statumen, rudus, nucleus),
l’architecte apporte des détails quant à la composition de chacune d’elles et à
leur épaisseur. Cela lui permet d’expliquer la division du travail dans les
équipes ainsi que le déroulement de la chaîne opératoire allant de la
réalisation des sols à la création d’emblema.
Illustration issue du site https://www.researchgate.net/figure/Stratigraphy-of-a-Roman-mosaic-floor-according-to-Vitruviuss-description-The-scheme-is_fig1_335127243 (Licence CC BY - traduite et complétée par Ph. Durbecq)
Les « boucliers de triangles »
Dans sa
note de synthèse sur la construction des motifs du type « bouclier » (« Une modélisation sujette à caution »), Bernard Parzysz souligne
que le
motif géométrique de mosaïque connu sous le nom de « bouclier » est très
répandu et qu’il a entrepris une étude de la totalité du corpus présenté dans le
DGMR [12] et dans les divers
volumes de le RGMG [13], ainsi que dans diverses
autres publications (soit au total 36 boucliers et 4 demi-boucliers).
A Rome,
nous avons de magnifiques exemples de mosaïques in situ de ces boucliers
dans tous leurs états au musée multimédia du Palazzo Valentini à Rome [14],
une zone archéologique de plus de 1 800 mètres carrés, qui raconte les
différentes stratifications d'une période comprise entre le IIe et le IVe
siècle après J.-C.
La zone
est divisée en deux grands sites : deux « Domus Romane », qui,
par la richesse des décorations, combinées à l'immensité du complexe thermal et
des pièces annexes, suggèrent qu'elles étaient habitées par des personnes
appartenant aux plus hautes classes : sénateurs et autres dignitaires qui
avaient besoin d'une maison représentative ; les Petits thermes de Trajan (« Piccole
Terme di Traiano »), une véritable zone thermale avec des piscines
d'eau chaude et froide et des parcours climatiques comme dans un sauna, avec un
appareil de chauffage de l'eau, avec des suspensurae [15]
et des tubuli fictiles [16]
le long des murs.
Comment étaient réalisés ces « boucliers
de triangles » ?
On peut imaginer que les artisans romains ont dû se
servir de moyens relativement simples pour fabriquer leurs boucliers de
triangles, de la même façon que les ingénieurs romains construisaient leurs
routes et leurs aqueducs avec une groma (on se souviendra qu’Eratosthène
a mesuré la circonférence terrestre avec un gnomon, un simple bout de
bois en observant l'angle de son ombre !). Donc, on pourrait imaginer, au
départ, un piquet et une cordelette, mais après ? Quid des formes qui ne sont
pas générées par des portions de cercle ? En plus de ces figures géométriques,
ces artisans ont réalisé également d’incroyables entrelacs, d'une complexité
folle !
Un exemple
d’archéologie expérimentale
Tout commence comme dans un conte : il était
une fois, à la toute fin des années 1980, Dominique Annarelli et son épouse
visitent le musée de Saint-Romain-en-Gal (38) et, sur la mezzanine qui
surplombe certaines mosaïques, ils admirent un grand bouclier de triangles.
Fascinée, son épouse lui dit : « on dirait
qu'il tourne comme un vortex, qu'il nous attire en son centre ! J'adore cette
mosaïque ! ». Un tantinet fanfaron, il lui répond : « Un jour je t'en
ferai un ! ».
Ce jour arriva en 2005 : le mosaïste en herbe,
après s’être attaqué pendant deux années à l’art de la mosaïque et avoir
réalisé huit mosaïques en méthode indirecte, se sentait assez mûr pour tenir la
promesse faite à son épouse. Combinant l'intuition et l'expérience acquise lors
de son premier métier (la mécanique générale de précision), Dominique Annarelli
parvient à relever son défi.
En mai 2022, le musée de Clonas-sur-Varèze invite pour
la durée de la saison d’été Dominique Annarelli à exposer une rétrospective de
ses œuvres, grandes, moyennes et petites (en tout 65) sur le baladoir qui
surplombe la mosaïque antique.
Lors du déballage du bouclier de triangle, la
présidente de l’association Janus lui demande de bien vouloir le déposer
délicatement sur la mosaïque antique, évidemment là où il y a une grande
lacune, mais dans l’alignement de son pendant réalisé il y a 2000 ans. Enfin,
mi-octobre, à la fin de la saison, le bouclier est acquis par le musée afin
d’avoir désormais, deux boucliers de triangles en dialogue.
Chaque mosaïque a son histoire et ses anecdotes : la mosaïque de Pasiphaé (photo ci-dessous) a été découverte in extremis, avant que le lac de retenue du barrage de Birecik sur l’Euphrate ne l’engloutisse, celle des maisons romaines sous le Palazzo Valentini à Rome sont encore partiellement emprisonnées sous les fondations du palais et celle de la villa de Licinius [17], réalisée par un commanditaire qui devait avoir les moyens financiers de se l’offrir, sans doute enrichi par les échanges commerciaux sur le fleuve tout proche, le Rhône, a aussi sa petite histoire : les ruines de la villa de Licinius se situaient sous une ferme et les grandes taches sombres qui maculent la mosaïque sont dues à des infiltrations de purin, du tas de fumier qui était stocké juste au-dessus ! Cela rappelle les livres anciens, tels des Dictionnaires de Moreri, qui servaient d’herbier, pour certains !
Après son séjour dans l’atelier de restauration de Saint-Romain-en-Gal,
un groupe de passionnés a souhaité la création du musée qui l’abrite
aujourd’hui, pour qu’elle reste au cœur du village de Clonas-sur-Varèze.
Mosaïque
de Zeugma (aujourd’hui à Istanbul) – (Licence : Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International - source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Gaziantep_Zeugma_Museum_Daedalus_mosaic_1871.jpg – auteur : Dosseman (travail personnel)
Le modèle (dessin) dont l’artiste s'est inspiré est issu, plus ou moins,
du tome 2 de l'ouvrage Le décor géométrique de la mosaïque romaine
(son bouclier a cependant 32 pointes et 17 cercles [18], car il existe plusieurs
variantes). Le centre est occupé par un labyrinthe, en écho à la volute. S’agit-il
d’un hommage instinctif à Dédale, dont le génie esthétique et l’ingéniosité
technique (architecte, sculpteur, inventeur, …) ont été vantés dans la
littérature grecque et latine ou est-ce l’idée subliminale de se perdre pour se
retrouver qui a guidé l’artiste ? La question est ouverte.
Quant à la manière dont Dominique Annarelli s'y est pris pour construire sa mosaïque de bouclier de triangles, voici les étapes qu'il a suivies :
1) Il a divisé le cercle extérieur
avec des points repères, repères qui matérialisent simplement le nombre de
pointes. Donc dans son cas, 32 pointes et 17 cercles ;
2) Il a ensuite tracé une volute dans un carton fort, pour lui servir de gabarit, la volute étant destinée à être fixée au centre du cercle afin d'aboutir à la répétition augmentée du motif en forme de pointe de lance un peu écrasée ;
Tracé de la volute sur papier fort reproduite ensuite sur carton avec la méthode du poncif (photo Dominique Annarelli)
3) Il a planté un clou au centre de
la volute et l'a fiché dans le centre du cercle, puis aligné successivement la
pointe de sa volute aux 32 repères sur le cercle. Après avoir tracé tous les
demi-motifs, il a retourné son gabarit pour tracer les autres moitiés du motif
en forme de pointe de lance qui aurait pris un
peu d'embonpoint. Comme
par enchantement, les triangles sont nés d'eux-mêmes ;
4) Il ne restait plus qu'à
matérialiser les cercles, à l'aide d'un compas, en traçant les 17 cercles
concentriques qui passent par les pointes des triangles.
N.B. : ci-dessous une photo du revêtement mural, non étanche, qui lui avait servi à l'époque pour tracer ce motif sur un support insensible à la colle provisoire [19]. On perçoit assez bien encore les traits, délavés par la colle réversible et notamment quelques triangles noirs et gris alternés. Deux ou trois jours de traçage ont été nécessaires à cause de la tresse [20] et des motifs dans les angles.
Photos Dominique Annarelli
Dominique Annarelli a travaillé en méthode indirecte (a rovescio su
carta) brevetée en 1858 par l'immense mosaïste Frioulan Gian Domenico
Facchina, né à Sequals (Frioul-Vénétie) et à qui l'on doit, entre autres, les mosaïques
de l'Opéra Garnier [21].
Pourquoi avoir choisi la méthode indirecte ? Parce qu’il s’est servi de
matériaux de différentes épaisseurs et qu’il voulait obtenir une surface finale
rigoureusement plane. A l'époque, pour lui, une mosaïque devait être plane. Depuis,
il a changé d'avis, estimant qu’une accentuation du relief apportait une
plus-value esthétique et une vibration à la mosaïque.
Pour faciliter la compréhension, on trouvera également en annexe les
photographies du procédé de traçage du bouclier de triangles sur
revêtement mural.
Une autre interprétation sur le même genre de sujet, réalisée également
par Dominique Annarelli, est une mosaïque à huit motifs trilobés [22] découverte
à Umm Qeis-Gadara en Jordanie. L’artiste l’a interprétée en
verre moderne dépoli et marbres divers. La couronne formée semble en relief.
(Photo Dominique Annarelli)
L’effet
stroboscopique des volutes de « boucliers de triangles »
Les Anciens prenaient le temps de
cultiver leur intelligence. C’est ainsi que les architectes grecs avaient
remarqué que la vision humaine déformait les
lignes horizontales et verticales. Un bâtiment entièrement droit et uniforme
dans sa construction apparaît ainsi légèrement courbé à nos yeux.
Pour parler en termes actuels, ils
avaient déjà compris que l’œil humain fonctionne comme un appareil
photographique grand angle, mais dans une moindre mesure [23].
C’est ainsi qu’ils intégrèrent des
corrections optiques dans leurs monuments. L’exemple emblématique étant le
Parthénon dont les colonnes du Parthénon sont légèrement bombées (entasis) [24] et
inclinées vers l’intérieur de l’édifice.
Les Romains affectionnaient
également beaucoup ce genre de procédés ainsi que les trompe l’œil qu’ils ont
abondamment implémentés en peinture et en mosaïque. Cet art romain du trompe
l’œil avait pour but d’agrandir les habitations et d’imiter à moindre frais les
décorations sculptées.
De nombreux effets cinétiques
sont présents dans le décor géométrique des mosaïques qui étaient destinées à
être foulées pour que ces effets soient encore plus sensibles.
Sans rentrer dans une explication alambiquée, quand l'être humain est confronté à la vue de formes géométriques complexes comme les « boucliers de triangles », ces mosaïques antiques qui répètent un même motif (en l'occurrence des triangles) dont l'ensemble est organisé en spirale, il engendre un effet stroboscopique comparable à celui que l’on peut percevoir si l'on regarde tourner les pales d’hélices d’un avion.
La
spirale peut avoir plusieurs sens de rotation : dextrogyre ou sénestrogyre. En
tout cas, même si ce phénomène l'effet stroboscopique ne dépend pas de la
nature de l'œil de l'homme, il égare le cerveau. On peut comprendre que certaines
personnes qui fixent ce genre d'images puissent être perturbées et ne
supportent pas de la regarder fixement. Un mouvement (« fugitif »)
est imprimé par l'image dans le cerveau.
Nous ne
possédons pas encore, pour l’instant, l'explication médicale/psychologique (de
manière vulgarisée) de ce message d'une image interprétée de manière dynamique
par le cerveau alors que l'image perçue par l'œil est fixe.
Les
ouvrages sur les mosaïques n'abordent pas – et pour cause, ce n'est pas
vraiment le domaine de la mosaïque – ce phénomène stroboscopique (un effet de «
vortex » hypnotique) « créé » par la vision de l’image que l’œil transmet via
les terminaisons nerveuses au cerveau qui décode un message trompeur, celui
selon lequel l’objet est en mouvement, ce qui est bien sûr un « trompe-l’œil »
– on devrait dire un « trompe-cerveau ».
Nous
pensons avoir trouvé un début de piste avec la théorie de la Gestalt («
forme » en allemand) ou psychologie de la forme : lorsque le cerveau humain est
confronté à un environnement complexe, c’est-à-dire à un nombre important
d’éléments et de formes, celui-ci va immédiatement essayer de donner un sens,
une structure et une forme significantes, à ce qu’il perçoit : il va d’abord
distinguer la forme globale et ensuite les éléments individuels. Voir l’article
de Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Psychologie_de_la_forme. Cette théorie est
appliquée au webdesign (l’exemple le plus parlant est le logo de « Carrefour »
où le « C » de l’enseigne est entre les deux flèches).
Kurt Koffka, psychologue américain d'origine allemande, a bien résumé le principe central de la théorie de la Gestalt : « Le tout est autre que la somme de ses parties. » L'œil et le cerveau humains perçoivent une forme unifiée d'une manière différente de la façon dont ils perçoivent les parties individuelles de ces formes.
Kurt Koffka, l’un des fondateurs de la théorie
de la Gestalt (source :
photo issue du site http://www.geocities.ws/psychologist/koffka.htm)
Nous pensons également que l’effet de
tournoiement est généré et accentué par l’alternance de lignes courbes, de
triangles noirs puis gris.
Conclusion
Que penser de tout cela ? Que nous soyons mosaïste, historien ou
écrivain, on ne peut qu’être estomaqué par l’intelligence prodigieuse et l’incroyable
savoir-faire des Anciens. Qui oserait encore se lancer
dans de pareils défis aujourd’hui, vu parfois les surfaces couvertes de ces
merveilles de savoir-faire ? Pensons par exemple aux mosaïques « kilométriques »
de la Villa del Casale en Sicile.
Le déambulatoire de la Villa
Casale : impressionnant ! (photo issue du site : https://www.sicily-holiday.com/en/interior-sicily/38-visiting-roman-villa.html)
Certains mosaïstes modestes de notre époque s’estiment être de biens piètres imitateurs de leurs homologues de l’Antiquité. Nous en sommes réduits à les admirer, et voilà tout – pauvres « microscopiques vibrions » que nous sommes, comme dit Charlus au Narrateur dans Sodome et Gomorrhe de Proust (I, 21).
Dominique Annarelli et Philippe Durbecq
- Bulletins de l’AIEMA (Association internationale pour l’étude de la mosaïque antique) : https://aiema75rs.wixsite.com/aiema.
- Catherine BALMELLE, Michèle BLANCHARD-LEMEE, Jean-Pierre DARMON, Suzanne GOZLAN, Marie-Pat RAYNAUD, Le décor géométrique de la mosaïque romaine II. Répertoire graphique et descriptif des décors centrés. Ed. Picard, Paris 2002.
· Véronique BLANC-BIJON,
« Comment travaillaient les mosaïstes dans l’Antiquité ? », Territori
della Cultura, Centro Universitario Europeo per i Beni Culturali Ravello,
2016, 25, pp.16-41 (URL : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01448171/document).
- Philippe BRUNEAU, La Mosaïque antique, Paris, 1987.
- Philippe BRUNEAU, « Les mosaïstes antiques avaient-ils des cahiers de modèles ? (suite probablement sans fin), Ktéma, n° 25, 2000, pp. 191-197 (URL : https://www.persee.fr/doc/ktema_0221-5896_2000_num_25_1_2258).
- Collectif, « Mosaïques, décor de sol », Les Dossiers d'Archéologie, no 15, mars-avril 1976.
- Collectif, « Mosaïque romaine, l'âge d'or de l'école d'Afrique », Les Dossiers d'Archéologie, no 31, novembre-décembre 1978.
- Collectif, « Mosaïque antique », Les Dossiers d'Archéologie, no 412, juillet-août 2022.
- Henri LAVAGNE, La Mosaïque, coll. « Que sais-je ? », no 2361, Paris, 1987.
- Umberto PAPPALARDO et Rosaria CIARDELLO, Mosaïques grecques et romaines, Paris, Citadelles-Mazenod, 2010.
- Bernard PARZYSZ, La construction des mosaïques géométriques romaines : des modèles pour l'éternité, Bulletin vert de l'APMEP 483, mars 2016.
- Bernard PARZYSZ, « Une modélisation sujette à caution », Bulletin de l’AIEMA n° 11, p. 508-512, 2009.
- PLINE l’Ancien, Histoire Naturelle (traduction Remacle – URL : http://remacle.org/bloodwolf/erudits/plineancien/index.htm).
- Marie-Pat RAYNAUD, Gisella RIPOLL et Catherine BALMELLE, Le décor géométrique de la mosaïque romaine, Picard, 2002.
- VITRUVE, De l’Architecture (URL : http://remacle.org/bloodwolf/erudits/Vitruve/index.htm).
http://jfbradu.free.fr/mosaiques/germigny/techn-mosaique.htm
http://jfbradu.free.fr/celtes/st-romain-en-gal/mosaiques-00.htm
ANNEXE :
Étapes de
la réalisation du bouclier de triangles en méthode indirecte.
Dominique Annarelli
J’ai
toujours été fasciné par le travail minutieux et l’immense savoir-faire que
représentent les mosaïques antiques et suis particulièrement attiré par les
réalisations géométriques complexes.
A la fin des années 80, alors que nous visitions le Musée de Saint Romain en
Gal, accoudés avec mon épouse sur la barrière de la mezzanine, nous
contemplions fascinés un grand bouclier de triangles, qui provoque un effet
« vortex » hypnotique.
Mon épouse me dit alors « ce dessin est absolument magnifique » Je répondis sans réfléchir et quelque peu
fanfaron : « un jour je t’en ferai un » !
Il faut dire
que depuis l’âge de 17 ans je rêvais de réaliser une mosaïque, sans trop savoir
concrètement comment m’y prendre. Plusieurs années passèrent et en 2005, après
avoir réalisé quelques mosaïques de dimensions modestes, je me décidai enfin à
tenter une interprétation de ce fameux bouclier de triangles, dont de très
nombreux exemplaires sont disséminés dans tout le monde romain.
Comme bien entendu il ne s’agissait pas d’une œuvre à placer au sol, je me suis
orienté vers la technique indirecte et dans des dimensions raisonnables.
La technique
indirecte, brevetée par le Maître mosaïste Frioulan Giandomenico Facchina,
permet de s’affranchir des différentes épaisseurs des matériaux utilisés et
d’obtenir au final une surface rigoureusement plane.
Pour les réalisations dans des édifices publics, elle permet de travailler en
atelier et de gagner du temps par rapport à une pose in situ, moins aisée et
beaucoup plus onéreuse.
Les photos
décrivent pas à pas cette expérience technique assez complexe pour le néophyte
que j’étais alors. J’ignorais totalement comment se traçait une volute ou une
couronne de tresses.
La technique
indirecte se pratique normalement sur un papier kraft. Lors de précédents
essais, j’avais constaté que le papier kraft gondolait sous l’effet de
l’humidité de la colle, ce qui faisait qu’au retournement, les tesselles se
retrouvaient alors en creux.
Pour éviter ce genre de désagrément, j’ai utilisé une grande pièce de
revêtement mural assez épais, non étanche, sur laquelle j’ai tracé au feutre
indélébile les motifs.
Il m’a fallu environ trois jours de traçage, puis trois mois pour nourrir le
dessin avec de la pâte de verre et de la faïence blanche, en utilisant une
colle dite réversible à base d’eau.
La pose des tesselles terminée, j’ai
construit un cadre avec des tasseaux de bois pour délimiter l’ensemble, puis
coulé du ciment jusqu’à l’épaisseur des tasseaux.
Lorsque le ciment a eu fait sa prise, j’ai collé par-dessus le support
définitif ( panneau de bois ) et une fois la colle sèche, j’ai retourné
l’ensemble délicatement.
Il a fallu alors détremper la colle provisoire et retirer délicatement le
revêtement mural qui avait servi de modèle. C’est seulement à cette étape que
j’ai pu découvrir le résultat final.
Il restait encore à faire un joint pour unifier l’ensemble. Une fois le joint
presque sec, j’ai nettoyé délicatement la surface avec une éponge humide, en
prenant soin de ne surtout pas creuser le joint.
Après 3 mois de travail environ l’effet optique était bien au
rendez-vous !
Bouclier de triangles, ici 32 pointes et 17
cercles Dimensions : 85 x 85
cm
[1] Ce qui expliquerait les
nombreux trompe l'œil réalisés au sol.
[2] Dans le monde méditerranéen, les
mosaïques – grecques en particulier – étaient réalisées avec des petits
cailloux arrondis qui seront progressivement remplacés par les tesselles,
c’est-à-dire de petites pierres ou autres matériaux cubiques colorés.
[3] La forme ronde d’un bouclier permet de donner libre cours au mouvement
de l'arme, dévie facilement les coups, et peut facilement être utilisée pour
repousser l'ennemi en corps à corps. Quand il s’agit d’un grand bouclier (le clipeus), sa taille
permettait en outre de protéger non seulement son porteur, mais également son
voisin dans l'ordre de bataille des phalanges grecques. Dans les premiers temps de l'Empire
romain, le clipeus virtutis est un bouclier honorifique en
métal précieux (or) attribué par le Sénat à un personnage que l'on veut honorer.
C'est Auguste qui
obtient la première de ces distinctions (après la mort de Jules César en -44, Octave, son petit-neveu et
fils adoptif, prend le pouvoir et est proclamé Imperator par le Sénat.
Octave reçut en 27 av. J.-C. au nom du Sénat et du peuple romain un bouclier célébrant ses quatre
vertus, exposé dans la curie Julia.
On se souviendra que le sommet de la façade du Colisée était également orné de clipei.
[4] Cf. par exemple, l’article de Philippe Bruneau, « Les
mosaïstes antiques avaient-ils des cahiers de modèles ? (suite
probablement sans fin) ».
[5]
Dans l'article
VII consacré au coût de la main-d'œuvre, De Mercedibus Operariorum, il est indiqué sous le
point 8 que « la journée de travail (…) d’un marbrier atteint le salaire
journalier de soixante deniers, comme le mosaïste » (« musaeario
ut supra diurni ? sexa[ginta] »).
[6] Du latin, denarius,
le denier était une monnaie d’argent presque pure et l’une des monnaies de base
du système monétaire romain issu de la seconde guerre punique. Il avait cours
dans la majeure partie de la partie occidentale de l’Empire, la totalité de
l’Afrique du Nord et du Proche-Orient et s’est perpétué jusqu’au Moyen-âge dans
les Royaumes d’Occident et dans de nombreux états arabes sous le nom de dinar.
Rappelons-nous les trente deniers donnés comme récompense à Judas pour avoir
livré Jésus.
[7] Cette estimation est uniquement
indicative et est faite sur base des données mentionnées par Jean-Paul Faure dans
son article « Les Trente deniers de Judas » (https://www.loretlargent.info/monnaie/les-30-deniers-de-judas/859/).
[8] On a aussi une
mosaïque trouvée à El Alia (Uzalis) en Tunisie (musée national du Bardo).
[9] Pourquoi deux
tranchants ? Tout d’abord, le poids du marteau fait la coupe, le poignet
fléchit mais le coude et l'épaule restent immobiles, on peut donc couper
pendant de longues périodes sans trop solliciter ses muscles (l’impulsion pour
tailler des tesselles n’est pas la force de frappe mais uniquement l’onde de
choc répercutée sur le morceau de marbre : voir la vidéo https://www.youtube.com/watch?v=pgsU3goyz4Y). La symétrie
de l'outil garantissait aussi un parfait équilibre, rendant le mouvement du
poignet plus efficace et moins fatiguant en percussion directe. La
forme du marteau est due également au fait qu’il faut avoir un certain volume
de métal pour obtenir le bon poids, à savoir un kilo (des marteaux taillants du
XIXe, début XXe reprennent d’ailleurs parfaitement cette forme losangique
représentée sur la stèle). D’autre
part, avoir une lame des deux côtés allonge le temps entre les affûtages. Dans les
temps anciens, les outils en métal s'usaient plus rapidement que les nôtres,
donc avoir deux lames prolonge la durée de vie de l'outil lui-même. On
remarquera toutefois que sur la mosaïque d’El Alia, le mosaïste coupe à l’aide
d’un marteau de forme différente. Malheureusement, aucun outil n’ayant été
retrouvé, on ne peut affirmer qu’ils étaient uniquement destinés au travail de la
mosaïque. Par défaut, on trouvera
donc, dans les illustrations qui suivent, les photos d’un marteau et d’un
tranchet modernes.
[10] Le
tranchet n'est qu'un ciseau retourné, ceux pour la mosaïque sont assez épais
mais c'est le même principe de fonctionnement qu'un ciseau ordinaire.
[11] Initialement, on
pensait que ces sacs auraient contenu les tesserae.
[12] Catherine Balmelle & alii, Le
décor géométrique de la mosaïque romaine II. Répertoire graphique et descriptif
des décors centrés.
[13] Henri Stern, Recueil général des
mosaïques de la Gaule. I. Province de Belgique 3. Partie Sud.
[14] Nommé ainsi d’après le banquier et consul général
Valentini qui avait acheté en 1827 ce palais du XVIe siècle situé à deux pas de
l’énorme colonne trajane. Depuis 1873, il est le siège de la province de Rome. Sous le
palais Valentini, se trouve une perle cachée, à savoir les vestiges de deux
maisons romaines avec leurs bains. Une visite de réalité virtuelle permet de redonner
vie aux excavations avec des animations et des reconstructions virtuelles.
Voir le site https://www.palazzovalentini.it/domus-romane/index-en.html#scavi et, en particulier, la reconstitution
des mosaïques (https://youtu.be/SM4FawzEJNE).
[15] Dans la construction romaine, ce mot désigne le sol
« suspendu » (constitué d’une épaisse couche de mortier de tuileau,
souvent doublé d’un lit de briques) reposant sur des pilettes de briques dans
une pièce sur hypocauste (système de chauffage par le sol utilisé notamment dans les thermes
romains). Le terme de suspensura est
fréquemment employé de manière incorrecte pour désigner la brique qui supporte
le sol, ou même la pilette elle-même. Selon Yvon Thébert qui s’appuie sur Pline le Jeune (Epistulae, 2, 17.), suspensura ne s’applique pas à la
dalle en béton comme l'indiquent la majorité des archéologues, mais est un
synonyme d'hypocauste.
[16] Briques d'argile creuses et cylindriques.
[17] On connaît le nom de Licinius grâce à une inscription gravée sur un
tombeau situé près de la mosaïque. Pour plus de détails, cf. l’article https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Villa_de_Licinius.
[18] Choix effectué dans le but d’augmenter
l’effet stroboscopique (dont nous parlerons plus loin) par une densité accrue
du nombre de triangles.
[19] Après plusieurs réalisations sur papier kraft et d'énormes déceptions
dues au papier qui se gondole sous l'effet de la colle réversible, il a d'abord
essayé sur du tissu de coton, puis du revêtement mural, puis enfin trouvé le
support rigide idéal totalement insensible à la colle provisoire très humide.
Il s’agit d’un voile de polyester, surtout le non étanche, sinon le démoulage
final deviendrait impossible !
[20] Normalement, une tresse romaine se
compose de cinq brins, ici il y en a deux pour plus de facilité.
[21] Pour plus de détails sur cette méthode,
cf. l’article « L’oiseau d’Oplontis et les raisins de Zeuxis » sur le
même Blog historique (https://romaamo.blogspot.com/).
[22] Il y a huit teintes de verre dépoli, en
trois séquences successives. Soit vingt-quatre « têtes qui tangentent le
grand diamètre ».
[23] L’œil humain déforme la réalité pour
les lignes horizontales et verticales (les lignes droites vues de loin
paraissent courbes parce que le globe oculaire est arrondi). Le Parthénon a dès
lors été délibérément conçu de telle sorte que certaines lignes de la
construction, qui auraient autrement semblé légèrement incurvées dans un sens
soient incurvées dans l’autre de façon à corriger cet effet d’optique et
qu’elles aient ainsi l’air parfaitement droites : les colonnes sont donc
imperceptiblement incurvées vers l’intérieur, tandis que le socle, les marches,
l’architecture et le fronton sont convexes. On utilise donc la courbe pour
donner l’illusion de la droite. Mais comme l’écrit André Bonnard (De
l’Iliade au Parthénon), cette nécessité technique est aussi une exigence
esthétique : c’est une manière d’insuffler de la vie et une dimension
charnelle aux colonnes qui, sans la raideur ni la rigidité que leur conférerait
une fabrication mécanique et standardisée, paraissent alors tendre leurs
muscles sous le poids de l’entablement. Elles acquièrent ainsi une plus grande
qualité plastique. C’est la raison pour laquelle le Parthénon nous touche comme
s’il était un être vivant.
[24] En fait, les raffinements optiques sont
partout dans le Parthénon : dans un bâtiment qui a l’air d’être fait
entièrement de lignes droites, on n’a affaire qu’à des lignes courbes, ce qui
implique que chaque bloc est unique et qu’aucun n’est interchangeable (puisque
ce sont des sections de courbes). Cette caractéristique permet aussi aux restaurateurs
contemporains de déterminer la place exacte de chaque fragment. Entasis veut dire
« tension » : la colonne n’est pas de la pierre morte, il y a de
la vie qui palpite en elle. Toutefois, l’entasis
est si peu perceptible que si les Grecs de l’Antiquité avaient voulu la tracer,
il leur aurait fallu disposer d’un immense compas dont on aurait réglé
l’écartement à plus d’un kilomètre et demi, chose impossible bien entendu.
Parce qu’il leur était impossible de représenter l’entasis à échelle réelle, les Grecs avaient trouvé comme astuce de
la dessiner à échelle réduite (on a trouvé un de ces plans gravé dans le tunnel
reliant le temple d’Apollon de Didymes à la colonnade extérieure). Mais si, sur
ce type de plan, la hauteur de la colonne était réduite, la largeur de la
colonne, elle, ne l’était pas. Donc, les lignes horizontales représentant les
tambours correspondaient bien, deux à deux, au rayon supérieur et inférieur
d’un tambour de taille réelle. Ainsi le marbrier n’avait plus qu’à reporter
l’écartement de son compas, ligne après ligne, pour la fabrication de chacun
des tambours à taille réelle.
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