2023 : de sensationnelles nouvelles en provenance de Rome

 

(par Philippe Durbecq)

 

 

 

Je tiens à remercier ici Luca del Fra, attaché de Presse à la Surintendance spéciale de Rome pour l’excellente collaboration et l’envoi d’une ample documentation photographique qui m’a permis d’élaborer le présent article.

 

 

 

Cette année 2023 s’est révélée particulièrement riche en trouvailles et en réouvertures, après restauration, de monuments phares de la Ville éternelle.

 

Nous donnerons un coup de projecteur sur trois d’entre elles : la découverte du Théâtre de Néron sous le jardin du Palazzo della Rovere, la réouverture de la Domus Tiberiana sur le Palatin, fermée depuis un demi-siècle et l’accès, après aménagement, des souterrains des Thermes de Caracalla.

 

Tout cela s’inscrit dans le cadre d’un programme global de mise en valeur du patrimoine romain, programme que la crise de la COVID a quelque peu malmené : le Mausolée d’Auguste a, lui aussi, été rouvert après des années de fermeture et d’oubli, la rampa imperiale, reliant le Forum romain, cœur politique et administratif au Palatin, centre du pouvoir impérial est devenue accessible au public en 2016 et, auparavant, le musée du Palatin avait déjà subi un réaménagement en profondeur en vue du bimillénaire d’Auguste qui fut le premier à modifier l’apparence du Palatin.

 

Nous commencerons notre survol de ces nouveautés par le Théâtre de Néron, pour rester dans le sillage de notre article précédent consacré au Colosse de Néron et à son palais du Soleil (https://romaamo.blogspot.com/2023/08/le-de-neron-et-son-du-soleil-par-sophie.html).


 Néron à Baïes, huile sur toile de Jan Styka (Pologne, collection particulière – œuvre dans le domaine public : peinture réalisée vers 1900, auteur décédé en 1915)

 

Plantons le décor. Nous sommes à Rome à quelques dizaines de mètres de la Place Saint-Pierre, le long de la Via della Conciliazione [1], une avenue mussolinienne [2] reliant la capitale italienne à la Cité du Vatican, certes impressionnante par ses dimensions, mais « cassant » l’effet baroque de surprise voulu par Le Bernin pour la Place Saint-Pierre [3] et sa colonnade enveloppante [4]. Rappelons-nous aussi que nous ne sommes qu’à dix minutes de marche seulement de la Chapelle Sixtine.

Photographie de la place Saint-Pierre et de la zone actuellement occupée par la Via della Conciliazione (photo prise en 1901 depuis la lanterne de la basilique Saint-Pierre – domaine public – auteur : inconnu – Archives nationales – source : Non crédité – Charles B. McClendon, « The History of the Site of St. Peter's Basilica, Rome », Perspecta, Vol. 25. (1989), pp. 32-65 – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Via_della_Conciliazione#/media/Fichier:Conciliazione,_circa_1900.jpg)



 

Le lieu des fouilles : le Palazzo della Rovere

 

Le long de cette avenue s’élève donc le Palazzo della Rovere ou dei Penitenzieri est le siège de l’Ordre équestre du Saint-Sépulcre de Jérusalem, situé dans la Cité du Vatican, en plein cœur de Rome. 

 

Vue de la Via della Conciliazione depuis la coupole de Saint-Pierre (dans le cercle rouge ajouté par Ph. Durbecq, le Palazzo della Rovere – Licence CC BY 2.0 –   Xikinhosilva – Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Via_della_Conciliazione#/media/Fichier:Via_della_Conciliazione_dal_cupolone.jpg)

 

Le palais, aux chaudes couleurs de soleil, est doté d’une tourelle quadrangulaire, d'une grande cour et de fresques de Pinturicchio [5], est un bâtiment édifié à la Renaissance, mais plus ancien que la basilique Saint-Pierre.

 

 Palazzo della Rovere (Licence CC BY-SA 3.0 – Auteur : Lalupa (travail personnel - Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Palais_Della_Rovere#/media/Fichier:Borgo_-_palazzo_dei_Penitenzieri_1150682.JPG)

 

La construction du palais a en effet débuté vers 1480 (alors que celle de la basilique Saint-Pierre ne commença que le 18 avril 1506 pour être terminée seulement en 1626) pour le cardinal Domenico della Rovere [6], sur les plans de l'architecte florentin Baccio Pontelli. Ce dernier s’inspire du Palazzo di Venezia, presque contemporain, construit quelques années auparavant. La tour quadrangulaire, dont le couronnement est cependant une restauration récente, est toutefois plus trapue que celle de son modèle du Palazzo di Venezia. Quelques traces des graffitis du XVIe siècle qui, selon Vasari, couvraient toute la façade sont visibles sur le mur extérieur gauche.  

Agrandissement du document précédent (inscription « Soli Deo » au-dessus des fenêtres des étages supérieur)

 

Loué et faisant l’admiration de ses contemporains, le palais fut choisi pour accueillir l'empereur Charles VIII lors de sa visite à Rome en 1495. Il rivalisait et rivalise toujours en magnificence et en beauté avec les plus importantes demeures aristocratiques romaines.

 

Au milieu du XVIIe siècle (1655), le nom de « Penitenzieri » (« Pénitenciers ») a été ajouté à l'époque du pape Alexandre VII lorsque cet ordre particulier du clergé occupa le bâtiment pendant une durée de 300 ans. Ces confesseurs jésuites officièrent avec des pouvoirs spéciaux d'absolution pour les nombreux pénitents. Ils étaient chargés de confesser les pèlerins dans la Basilique du Vatican. Leur collège avait été fondé par une bulle de Benoît XII de 1338 pour mettre fin aux abus que les pèlerins étrangers subissaient à Rome. En effet, ces derniers étaient obligés, pour comprendre leurs confesseurs, de faire appel à des interprètes, qu’ils devaient parfois payer pour qu’ils gardent le secret de la confession !

 


Le bâtiment a été ensuite offert à l'Ordre Equestre du Saint-Sépulcre de Jérusalem [7] par le Saint-Siège. Il est le seul bâtiment à la disposition de l'Ordre et sa propriété, avec le complexe de l’église, du couvent de Saint Onuphre (siège de l’Ordre) sur le Janicule (Sant'Onofrio al Gianicolo) et du museo tassiano (musée du Tasse) [8].


 

La mission de cet ordre, qui plonge ses racines dans les Croisades, est de soutenir les œuvres et les droits religieux, spirituels, caritatifs et sociaux de l'Église catholique et des chrétiens de Terre Sainte, et en particulier du Patriarcat latin de Jérusalem.

 

Depuis les années 50, une grande partie du palais avait été louée à une entreprise hôtelière familiale – connu sous le nom d’« Hôtel Columbus » – qui a fermé ses portes en 2018. Le bâtiment devint alors vacant à l'exception des bureaux appartenant à l'Ordre, ce qui permit de lancer des fouilles préventives, car voici deux mille ans, se situaient sur ce même emplacement du Palais della Rovere les Horti Agrippinae, les « jardins » d’Agrippine l’Aînée, la grand-mère maternelle de Néron. 

     



A gauche, vue aérienne du Palais della Rovere avec les fouilles de la seconde cour (Google) et buste d’Agrippine l’Aînée du Musée archéologique d’Istanbul (Site romanoimpero – Source : https://www.romanoimpero.com/2010/04/horti-di-agrippina.html)

 

Les Horti Agrippinae

Ces « jardins [9] » d’Agrippine étaient en fait un vaste espace, situé en dehors de la ville (urbs), dans la zone de la plaine vaticane (Ager Vaticanus) qui s’était formée grâce au dépôt d’alluvions charriées par le Tibre [10] (ce qu’on appelle une plaine alluviale). Ils occupaient l’emplacement actuel de Saint-Pierre et s’étendaient jusqu’au Tibre. 

 


Plan des jardins de Rome avec l’emplacement des Horti agrippinae (domaine public – Auteur : Brizzi & Verzilli – Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Horti_di_Roma_antica.jpg)

 

 

Sur celui-ci avaient été élevés des pavillons résidentiels et d’autres édifices consacrés au divertissement cultivé, l’otium. Sénèque, dans son De Ira (III 18.4) [11] évoque ainsi une terrasse longeant le Tibre. Philon d’Alexandrie [12] cite également ces jardins.

 

A la mort d’Agrippine, ces jardins qui lui appartenaient tombèrent dans l’escarcelle de son fils, Caligula, et firent dès lors partie de la propriété impériale. Ils devinrent un lieu de villégiature favori pour ses successeurs, Néron (dont Caligula était l’oncle) et Elagabal notamment.

 

Caligula y fit construire le cirque dit de Caligula et Néron (Circus Gai et Neronis, ou Circus Vaticanus), également mentionné dans les sources, pour y organiser des courses de char privées [13]. L’obélisque de granite rouge ramené d’Egypte à Rome par Caligula pour orner sa spina (l’ilot central autour duquel tournaient les chars) est demeuré plusieurs siècles à cet endroit jusqu’à ce qu’il soit déplacé au XVIIe siècle, sur ordre de Sixte Quint, au centre de la place Saint-Pierre (l’obélisque est connu comme l'« aiguille de Saint-Pierre »). La place et la Basilique Saint-Pierre occupent aujourd'hui l’ancien emplacement de ce cirque. 


 

Emplacement du cirque dit de Caligula et Néron (crédits Fabio Caricchia – avec l’aimable autorisation de Luca del Fra)

 

On sait aussi que les jardins d’Agrippine étaient sillonnés par deux voies très importantes, la Via Cornelia [14] et la Via Triumphalis, qui se croisaient précisément à cet endroit de la plaine vaticane.

 

 

Jardins d’Agrippine (site Romanoimpero - Source : romanoimpero.com/2010/04/horti-di-agrippina.html)

 

Le théâtre de Néron

Même s’il s’agissait d’un domaine privé, il est vraisemblable qu’un public aristocratique choisi ait pu assister à ces représentations, ce qui inclut les proches de l'empereur, mais aussi, dans une certaine mesure, le peuple romain, comme l’explique l’archéologue Alessio De Cristofaro, qui supervise les fouilles pour le Bureau de la Surintendance archéologique de Rome dans le reportage consultable sur https://youtu.be/ZmqY21jyPoM.

 

L’empereur répétait ainsi ses spectacles de poésie et de chant avant de se produire devant un public plus étoffé encore au théâtre de Pompée, monumental édifice situé au Champ de Mars (Campus Martius). Il s’adonnait également à la discipline difficile de la cithare, cet instrument étant réservé aux professionnels, comme le précise Annie Bélis dans son ouvrage Les Musiciens dans l’Antiquité (page 17).

 

Christophe Burgeon a montré, dans son ouvrage Néron, l’empereur-artiste, que contrairement à ses prédécesseurs et à ses successeurs, ce prince éprouva au moins autant d'intérêt pour les arts que pour la politique. 

 

Des découvertes sensationnelles

 

Fouillant le jardin, strate par strate, pendant trois ans, les archéologues ont d’abord dégagé la couche du Moyen Âge apportant quelques éléments intéressants comme des matrices pour chapelets (c’est-à-dire des plaques osseuses d’animaux déjà perforées pour fabriquer des grains de chapelet, témoignages des anciens pèlerinages médiévaux dans la zone de la sépulture de l’apôtre Pierre), de rares spécimens de calice en verre et de céramique, etc.


  

A gauche, plaques perforées pour fabriquer des grains de chapelet (Site « About Art Online » – source : https://www.aboutartonline.com/leccezionale-scoperta-nei-pressi-della-basilica-di-san-pietro-individuato-il-teatro-di-nerone-nel-cortile-del-palazzo-della-rovere/10-scarti-della-lavorazione-dei-rosari-in-osso/) ; à droite, calice en verre (crédits Fabio Caricchia – avec l’aimable autorisation de Luca del Fra)

 

 

Mais la strate la plus surprenante était celle de l’Antiquité qui a dévoilé les vestiges du théâtre de Néron qu’avaient évoqué, de manière assez imprécise, les sources anciennes (Suétone, Tacite, Pline), de sorte que les historiens se sont demandé si ce monument avait bel et bien existé ou s’il était le fruit de l’imagination débordante de certains auteurs.

 

Selon Pline (Histoire naturelle, XXXVII, 7), l'empereur exposait les biens saisis d'un ancien consul dans son théâtre privé (theatrum peculiare). Ce théâtre particulier était utilisé par Néron pour exécuter ses répétitions de chant préalablement à leur représentation publique au théâtre de Pompée et était suffisamment vaste pour satisfaire sa vanité lorsqu'il était rempli de monde.

 

Suétone (Vie de Néron, XXI, 1) écrit que pendant la fête des Quinquennalia (appelées aussi Neronia), instituées par Néron en 60 de notre ère, à l’imitation des Olympiades grecques, l'empereur promit de s'exposer in hortis (« dans les jardins »), une référence indirecte à son théâtre.

 

Enfin, dans ses Annales (Livre XV, 33.1. [15]), Tacite déclare que pendant la Juvenalia, jeux scéniques instaurés également par Néron, mais en 59 (pour le rasage de sa première barbe) chantait per domum aut hortos (« dans la maison ou les jardins »).

 

Il est également possible que la domestica scaena mentionnée par Tacite comme le lieu d'où Néron admira le grand incendie de Rome en 64 après J.-C. ne fasse pas référence à la tour de Gaius Maecenas sur la colline de l'Esquilin, mais à la scène (« scaena ») de son théâtre. Celle-ci, située sur la rive droite du Tibre, était bien éloignée des zones touchées par l'incendie et constituait donc un endroit sûr pour servir de point d'observation, contrairement à la tour qui se trouvait au milieu du brasier [16].

 

Tacite XIII, 31 et XV, 39 rapporte – comme une rumeur – que c’est depuis cet emplacement que Néron aurait contemplé l’incendie qui a ravagé Rome en 64 de notre ère : « car c'était un bruit général qu'au moment où la ville était en flammes il était monté sur son théâtre domestique et avait déclamé la ruine de Troie, cherchant, dans les calamités des vieux âges, des allusions au désastre présent. ».

 

Suétone reprend cette assertion – de manière moins nuancée – au chapitre XXXVIII de sa Vie de Néron, mais parle de la Tour de Mécène sur l’Esquilin : « Néron contemplait cet incendie du haut de la tour de Mécène et, charmé, disait-il, par « la beauté des flammes », et il chanta, dans sa tenue de scène, La Prise d’Ilion dans son costume de théâtre [17]. ». 


Il est vrai qu’avec la « damnation memoriae » dont fut frappé Néron après sa mort, tout ce qui rappelait l’ancien empereur fut détruit, rasé, recouvert par de la terre pour accueillir de nouveaux édifices. Les somptueuses colonnes de marbre précieux avaient été déposées et n’ont plus bougé depuis 2000 ans. 



Colonnes de l’époque Julio-Claudienne (Crédits Fabio Caricchia – avec l’aimable autorisation de Luca del Fra)

  

Autre vue des mêmes colonnes (Crédits Fabio Caricchia – avec l’aimable autorisation de Luca del Fra)

 

Les archéologues ont ramené à la lumière à la fois des structures, des décorations et des objets comme une tête à deux visages opposés (hermès bifrons non pas à l’effigie de Janus, mais à celle de dieux grecs, Zeus et Dionysos). 

 

Hermès bifrons (Crédits Fabio Caricchia – avec l’aimable autorisation de Luca del Fra)

 

En ce qui concerne les vestiges structurels, on peut distinguer plusieurs bâtiments : la partie gauche de la cavea (la fosse en forme d’hémicycle pourvue de gradins où les spectateurs pouvaient s’asseoir), la frons scenæ (le mur en fond de scène), de somptueuses colonnes finement travaillées (cannelées) de marbre précieux (en marbre africain du Moyen Orient et de Grèce), des décorations en stuc à la feuille d’or (typologie que l’on retrouve également dans la Domus Aurea) et un second bâtiment, perpendiculaire au premier, composé de salles de service, qui servaient peut-être de dépôts pour y remiser les costumes et les décors du théâtre. Ces deux bâtiments donnent sur une grande cour qui était peut-être entourée d’un portique. 


Stucs à la feuille d’or (crédits Fabio Caricchia – avec l’aimable autorisation de Luca del Fra)

 

Détail de la cavea avec une portion de fresque sur le mur et une partie du sol (en arêtes de poisson) parfaitement conservée (Crédits Fabio Caricchia – avec l’aimable autorisation de Luca del Fra)

 

Le plan du théâtre ressort ainsi de manière très claire : on distingue les courbes de l’orchestre, le mur de scène et le bâtiment de service.

 

La cavea du théâtre sur laquelle se trouvaient les gradins pour le public se caractérise par un plan traditionnel en hémicycle, avec des murs radiaux et un système d’entrée et d’escaliers.

 

Quant au mur de scène (la frons scenæ), elle devait être ornée, comme nous l’avons dit, d’un riche appareil (les superbes colonnes au sol devaient lui appartenir). Il semble être d’ordre ionique, avec des éléments architecturaux et un revêtement en marbre blanc et coloré précieux. Les stucs recouverts de feuilles d’or embellissaient probablement à la fois l’intérieur et la façade de la structure.

 

Cette cavea ainsi que la frons scenæ se prolongent sous les bâtiments existants et rues avoisinantes. Pour l’hémicycle, il faut imaginer une demi-circonférence d’un diamètre qui devait atteindre environ 42 mètres.


 



Vue panoramique des structures (crédits Fabio Caricchia – avec l’aimable autorisation de Luca del Fra)

 

Les structures sont érigées en briques (bipèdes, bipedalis en latin), dont certaines sont estampillées, les timbres indiquant qu’elles ont été fabriquées à une période qui correspond au règne de la dynastie des julio-claudiens. C’est donc grâce à ces estampilles de bipèdes que les deux structures ont pu être datées.



A gauche, les briques carrées chez Vitruve (Alain Bouet – source : https://books.openedition.org/ausonius/9597 - avec l'aimable autorisation de M. Alain Bouet) ; à droite timbre de brique de l’époque Julio-Claudienne (crédits Fabio Caricchia – avec l’aimable autorisation de Luca del Fra)

 

L’un des fleurons des découvertes archéologiques est un éblouissant chapiteau en albâtre ondé de veines multicolores rappelant certains minéraux comme l’améthyste, le jaspe, etc. 


 

Le magnifique chapiteau en albâtre (Crédits Fabio Caricchia – avec l’aimable autorisation de Luca del Fra)

 

Après les fouilles, les murets en briques seront réenterrés, mais les artefacts mobiles (colonnes, objets, …) seront exposés de manière accessible.

 

Murets de briques (Crédits Fabio Caricchia – avec l’aimable autorisation de Luca del Fra)

 

En creusant plus profondément, les scientifiques ont réalisé que les premières pierres posées pour fonder l'édifice dataient des dernières décennies de la République romaine, antérieures à l'avènement d'Octave Auguste en 27 avant J.-C.

 

Voilà le millefeuille de l’histoire, comme on en rencontre souvent à Rome (cf. la basilique Saint-Clément qui nous emmène du Moyen Âge à l’époque romaine en passant par un mithraeum).

 

Cette fantastique découverte a permis – sous réserve de confirmation bien entendu [18] – d’élucider une des énigmes de l’Antiquité romaine. En tout, comme le signale le Professeur Carandini, on sait à présent que les Horti Agrippinae avaient également un théâtre, selon un binôme théâtre-cirque que l’on trouve également dans la Villa dei Gordiani.

 

Signalons par ailleurs qu’en raison de la sécheresse régnant depuis plusieurs années à Rome, le niveau du Tibre a baissé d’un mètre et demi, faisant émerger les ruines de la pile subsistante [19] du Pons neronianus ou pont de Néron situé juste à côté du Pont Vittorio Emanuele II. Cet ancien pont [20], antérieur à Néron (Caligula), mais a, selon une hypothèse, été restructuré par cet empereur, afin de lui donner un accès aisé à ses vastes jardins et à son théâtre depuis l’autre rive du Tibre.    

 Les ruines de la pile subsistante du Pons neronianus (Licence : Creative Commons Attribution-Share Alike 2.5 - auteur : Coldshine (travail personnel) – Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Remains_of_Neronian_Bridge,_Rome,_Italy.jpg)

 

 

Il nous faut maintenant attendre l’examen et l’analyse des pièces archéologiques exhumées dans le jardin du Palazzo della Rovere pour en savoir plus.

 

« Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage », comme l’écrivait La Fontaine, une morale plus que nécessaire en archéologie.

 

                                                                                                    Philippe Durbecq


Bibliographie succincte


  • Annie BELIS, Les musiciens dans l’Antiquité, La Vie quotidienne, Hachette, 1999 ;
  • Lorenzo BIANCHI, Ad limina Petri: spazio e memoria della Roma cristiana, Roma, Donzelli editore, 1999 ;
  • Christophe BURGEON, Néron, l’empereur-artiste, Ellipses, 2019 ;
  • Andrea CARANDINI, Io Nerone, Laterza, 2023 ;
  • Eugen CIZEK, Néron, Fayard, 1982 ;
  • Filippo COARELLI, Guida archeologica di Roma. Milan, Arnoldo Mondadori Editore, 1974 ;
  • Pierre COSME, Néron : le pouvoir et la scène, Armand Colin, 2022 ;
  • Jean-Claude GOLVIN et Catherine SALLESLe théâtre romain et ses spectacles, Lacapelle-Marival, Archéologie Nouvelle, 2013 ;
  • Pierre GROSL'architecture romaine : du début du iiie siècle av. J.-C. à la fin du Haut Empire. Les monuments publics, Paris, Picard, 2002 ;
  • Pierre GRIMAL, Les Jardins romains, Fayard, 1984 ;
  • Léon HOMO, Rome impériale et l’urbanisme dans l’Antiquité, Evolution de l’Humanité, Albin Michel, 1971 ;
  • Eugenio LA ROCCA - Horti Romani - atti del convegno, Roma 1995 con Maddalena Cima - Bullettino della Commissione archeologica comunale di Roma, L'Erma di Bretschneider, Roma, 1998 ;
  • Paolo LIVERANI, Due note di topografia vaticana: il theatrum Neronis e i toponimi legati alla tomba di S. Pietro, in «Rendiconti della Pontificia Accademia Romana di Archeologia», volume LXXIII 2000 – 2001 ;
  • Paolo LIVERANI, I giardini imperiali di Roma, in Il giardino antico da Babilonia a Roma. Scienza, arte e natura, Firenze 2007 ; 
  • Paolo LIVERANI, Neronis Theatrum. In: Lexicon Topographicum Urbis Romae. Suburbium. vol. 4, Quasar, Rom, p. 91–92, 2006 ;
  • Danila MANCIOLI, Gli horti dell'antica Roma (a cura di Giuseppina Pisani Sartorio e Lorenzo Quilici), Roma Capitale 1870-1911. L'archeologia in Roma Capitale fra sterro e scavo, Venezia – Marsilio, 1983 ;
  • Alain RODIER, La véritable histoire de Néron, Les Belles Lettres, 2013 ;
  • Catherine SALLES, Néron : Empereur des arts, Perrin biographie, 2019 ;
  • Frank SEAR, Roman theatres : An architectural study, Oxford, Oxford University Press, 2006 ;
  • SUETONE, Vies des Douze Césars, Le Livre de Poche, n° 718-719 ;
  • TACITE, Annales, GF n° 71, 1965.

 

Sitographie



[1] La « rue de la Réconciliation » en référence à la signature des Accords du Latran le 11 février 1929, consacrant la réconciliation entre l'État italien et le Saint-Siège. Grâce à ces accords, ce dernier était redevenu un Etat, la Cité du Vatican (statut qu’il avait perdu à la suite de la chute des États pontificaux en 1870), réglant ainsi la Question romaine.

[2] Pour ouvrir cette artère, Mussolini a dû faire démolir la « spina » du Borgo, située entre la basilique et le Château Saint-Ange qui masquait, avant 1929, la plupart des bâtiments du Vatican. Etant donné que les façades des bâtiments bordant cet espace ne s'alignent pas parfaitement, des îlots de circulation ont été érigés des deux côtés, avec des rangées d'obélisques menant vers la place, ceci afin de créer l'illusion d'une chaussée parfaitement droite

[3] A noter que le projet initial du Bernin prévoyait une troisième aile, l’artiste souhaitant fermer entièrement la place afin de ménager l'émerveillement du pèlerin au sortir des petites rues du quartier de Borgo, mais elle ne vit jamais le jour (la mort d'Alexandre VII, interrompit définitivement les travaux).

[4] Comme l’écrit Philippe Dieudonné (Icare au Grand Siècle, p. 36), « Avec sa colonnade, Le Bernin a construit devant la basilique pontificale, pour une Eglise catholique qui peut-être jamais ne porta mieux son nom [Le mot vient du latin catholicus, issu du grec katholikos (« général, universel »)], la plus généreuse des étreintes de pierre ». Par une intuition raisonnée, le Bernin exposa le fondement de sa conception de la colonnade, la décrivant comme les bras de l’Eglise, la mère qui accueille et invite tout le monde, y compris les non-croyants : « Puisque l’église de saint Pierre est presque la racine de toutes les autres, elle devait avoir un portique qui soit à même d’accueillir à bras ouverts, maternellement, les Catholiques pour les confirmer dans leur foi, les Hérétiques pour les associer à l’Eglise, et les Infidèles pour les illuminer de la vraie foi ».

[5] Un cycle pictural très important de Pinturicchio et de son école peut encore être admiré dans les cinq salles de l’étage principal : la salle du Grand Maître est décorée d'une somptueuse architecture peinte simulant une loggia ouverte, tandis que la salle des Mois conserve des fragments d'une représentation très rare des mois liés aux mythes dont sont issus les signes du zodiaque. La plus belle pièce, cependant, est la salle des demi-dieux, avec un plafond extraordinaire composé de 63 panneaux peints sur papier et collés dans des caissons en bois, dans lesquels l'artiste a représenté des créatures mythologiques et des animaux fantastiques aux significations diverses. Pour plus de détails, voir Cristina Acidini, PintoricchioPittori del Rinascimento, Scala, Florence 2004.

[6] L’influent et très riche cardinal piémontais Domenico della Rovere de San Clemente était le neveu du pape Sixte IV. Sur la façade extérieure, les fenêtres en croix du premier étage portent le nom du cardinal, tandis que les fenêtres rectangulaires des étages supérieurs sont marquées de sa devise « Soli Deo ».

[7] Cf. l’article https://fr.wikipedia.org/wiki/Ordre_%C3%A9questre_du_Saint-S%C3%A9pulcre_de_J%C3%A9rusalem. La Croix grecque potencée (c’est-à-dire terminée par une double potence, en forme de T) de l’Ordre est en fait composée de cinq croix en l’honneur des cinq plaies infligées au Christ sur la croix au Golgotha. Bénéficiant du statut de droit pontifical, il est placé sous la protection du Saint-Siège et le gouvernement d'un cardinal grand-maître. La devise de l’Ordre est « Deus lo vult » (« Dieu le veut »).

[8] Voir l’article https://fr.wikipedia.org/wiki/Mus%C3%A9e_Tassiano. Il est possible que l’octroi de ce complexe ait été fait en l'honneur de la Jérusalem délivrée du Tasse. « Si j’ai le bonheur de finir mes jours ici, je me suis arrangé pour avoir à Saint Onuphre un réduit joignant la chambre où Le Tasse expira. Aux moments perdus de mon ambassade, à la fenêtre de ma cellule, je continuerai mes Mémoires. Dans un des plus beaux sites de la terre, parmi les orangers et les chênes verts, Rome entière sous mes yeux, chaque matin, en me mettant à l’ouvrage, entre le lit de mort et la tombe du poète, j’invoquerai le génie de la gloire et du malheur ». Ainsi s’exprimait François-René de Chateaubriand dans un passage resté célèbre des Mémoires d’Outre-Tombe.

[9] Le mot « jardin » est mis entre guillemets, car le terme « hortus » en latin a une valeur sémantique plus complexe que celle d’un simple jardin : un hortus, ce sont des terres vertes, avec des bois, des statues, des terrasses, des balustrades, des édifices, des fontaines et des lacs, situées autour du centre de Rome, où a ainsi été créée une ceinture de grands parcs bordés d'arbres.

[10] Dans l'Ichnographia Campus Martius de Giovanni Battista Piranesi, les horti Agrippinae sont positionnés le long du Tibre, là où le fleuve fait un coude de presque quatre-vingt-dix degrés.

[12] Philosophe juif hellénisé contemporain des débuts de l’ère chrétienne (il est né à Alexandrie vers 20 av. J.-C. et est mort dans la même cité vers 45 apr. J.-C.).

[13] A certaines occasions, l'empereur, qui n'y assistait normalement qu'avec sa cour aux courses de chars, faisait ouvrir les portes du cirque au peuple romain.

[14] L’actuelle Via della Conciliazione suit à peu près le même tracé que la Via Cornelia. Elle semble avoir été la limite nord des horti Agrippinae (cf. https://www.quondam.com/e27/2714.htm, Vincenzo Fasolo, « Le Campo Marzio de GB Piranesi »).

[15] Pp. 436-437 dans l’édition GF.

[16] Paolo Liverani, p. 131.

[17] LP, page 373.

[18] L’archéologue Andrea Carandini n’exclut pas la possibilité qu’il s’agisse d’un odéon au lieu d’un théâtre (Intervista a Andrea Carandini sul Teatro di Nerone (ilgiornaledellarte.com)).

[19] Les autres piles du pont antique ont été démolies au XIXe siècle pour les besoins de la navigation.

[20] Ce pont n’est pas mentionné dans les sources classiques. Il apparaît seulement dans les ouvrages médiévaux Mirabilia Urbis Romae et Graphia Aureae Urbis Romae comme l'une des ruines de Rome encore visibles à cette époque. La preuve que le Pons Neronianus était hors d'usage au IVe siècle est basé sur un bref passage du poète Prudence (Peristephanon, 12, 61-64).

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