Le
Lièvre et les coléoptères
Je
tiens à remercier chaleureusement le Dr
Arno Thomaes de l’INBO (Belgisch instituut voor Natuur- en Bosonderzoek) pour m’avoir fait partager ses connaissances sur les
aspects de la vie de cet insecte fascinant qu’est le lucane.
Je
tiens aussi à associer à ces remerciements le Dr Eva Sprecher-Uebersax,
entomologiste au Dep. Biowissenschaften, Entomologie du Naturhistorisches
Museum de Bâle (Suisse) pour son éclairage sur les légendes attachées à ce
coléoptère.
Enfin,
toute ma gratitude envers le Dr Christof Metzger, Kurator für Deutsche,
Österreichische und Schweizer Kunst bis 1760 de l‘Albertina de Vienne
(Autriche), pour sa relecture et son aimable autorisation de publication.
Non, ce n’est pas le titre d'une
fable inédite de La Fontaine, mais ceux de petites merveilles animalières
réalisée par le génial peintre de la Renaissance allemande, Albrecht Dürer.
Premier peintre allemand
à être reconnu de son vivant, Dürer a introduit la Renaissance dans son pays et
dans les pays nordiques. Il représente la nature avec un réalisme étonnant et
est à la fois réputé pour ses talents de peinture à la gouache et à
l'aquarelle, de dessin et de gravure.
Au cours de sa
vie, Dürer a connu un immense succès en tant que peintre et graveur, recevant
des commandes de personnalités éminentes telles que Frédéric le Sage et
l'empereur du Saint-Empire romain germanique Maximilien Ier.
Même s’il a effectué
de nombreux voyages (Venise, les Pays-Bas, …) qu’il serait trop long de narrer ici [1],
Albrecht Dürer est un enfant de Nuremberg : il est né dans cette ville en
1471 et y été enterré en 1528 dans une tombe relativement simple (Albrecht Dürers
Grab) qu’on peut encore voir de nos jours.
L’artiste s’est
représenté sur un autoportrait frontal (Alte Pinakothek, Munich) avec une
idéalisation comparable à celles des représentations du Christ. En guise de
langage corporel, le regard fixé vers l’avant et la main créatrice sont
présentés, comme les outils les plus précieux et les plus nobles de l'artiste (les
doigts de la main droite semblent tenir un pinceau).
La Maison d'Albrecht Dürer (en allemand : Albrecht-Dürer-Haus), dans laquelle vécut l’artiste de 1509 à sa mort, a, malgré les aléas de la guerre, pu être conservée (en octobre 1944, les bombardements alliés lui infligèrent des dégâts considérables, mais la maison fut reconstruite en 1949). Il s’agit d’une maison à pans de bois de la Renaissance allemande. Elle possède cinq étages : les deux premiers ont des murs en grès, tandis que les étages supérieurs sont en bois. La structure entière est surmontée d'un toit en croupe, c’est-à-dire composé de quatre versants dont la pente vers le bas part du faîte (un tel toit n’a ni pignon ni surface plate).
La maison de Dürer, vue de la Tiergärtnertorplatz à Nuremberg – Source : https://de.wikipedia.org/wiki/Albrecht-D%C3%BCrer-Haus#/media/Datei:Albrecht-D%C3%BCrer-Haus_-_Tierg%C3%A4rtnerplatz_-_Nuremberg,_Germany_-_DSC02033.jpg – Licence : CC0 – Daderot (travail personnel)
C'est l'un des rares hôtels particuliers de l'âge d'or de la ville de Nuremberg à ne pas avoir été détruit et la seule maison d'artiste datant du XVe siècle qui existe encore aujourd'hui dans le nord de l'Europe. Cette maison de Dürer a été transformée en musée consacré à la vie et au travail de Dürer. Particularité : les visites sont commentées par une actrice habillée en costume de l’époque, jouant le rôle d’Agnès Frey, l'épouse de Dürer.
Source : https://museums.nuernberg.de/albrecht-duerer-house/visitor-services/guided-tours (pas de copyright mentionné)
Dans le modeste article qui
suit, je vous présenterai ce dessin d’un lucane sur le plan historique,
artistique et entomologique (la fidélité de la représentation par rapport à la
réalité biologique).
Mais
commençons par son prodigieux lièvre, une aquarelle qui est conservée à
l’Albertina de Vienne ...
L’animal est
représenté isolé, sans décor ni fond, ramassé au centre d’une feuille de papier
de format presque carré dont il occupe la quasi-totalité de la surface. Il est
montré de trois-quarts droit, en position accroupie, selon une diagonale
tombante allant de l'angle supérieur gauche vers l'angle inférieur droit. Il
dirige son regard dans le prolongement de cette diagonale, dans l'espace situé
en avant de la représentation.
Source : https://artsandculture.google.com/asset/feldhase/1QHEnzUGYMDG_w?hl=fr (œuvre dans le domaine public)
L'apposition du
monogramme [2]
« AD » et d'une date, 1502, sur l'aquarelle intitulée Le Lièvre confirme, en principe [3],
qu'il s'agit là d'une œuvre achevée, autonome, et donc que l'auteur considère
les animaux comme des sujets de tableau à part entière.
Dans ce dessin,
Dürer a su saisir et traduire de façon convaincante l'aspect extérieur et la
nature particulière de son modèle. Il a probablement eu devant les yeux un
animal empaillé [4] ;
toutefois le résultat final de l'œuvre n'en laisse rien deviner : le jeune
lièvre est tellement vrai qu’il semble prêt à frémir et à s’échapper en courant
de la feuille de papier (effrayé, il s'est recroquevillé mais il reste aux
aguets, prêt à bondir et à détaler).
L’œuvre est d’un
réalisme sidérant. Si l’on procède à un examen détaillé, on notera que l’on
peut voir la fenêtre bipartite de l’atelier de Dürer se refléter dans l’œil
droit du lièvre.
Détail
de l'œil (œuvre dans le domaine public - source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Li%C3%A8vre#/media/Fichier:Detail_oeil_du_lievre_de_Durer)
Un autre détail
sur lequel insiste le Dr Christof Metzger sont les impressionnantes oreilles [5]
(on utilise d’ailleurs le mot oreillard pour désigner, de manière populaire, le
lièvre, ainsi que d’autres bêtes aux longues oreilles) [6],
dressées « presque comme des radars [7] ».
D’après le scientifique, il existe une théorie peu crédible selon laquelle l’animal
ne serait pas le modèle ordinaire d’Europe centrale, c’est-à-dire un lièvre
brun (Lepus europaeus), mais une variété espagnole.
Si l’on plie les oreilles vers l’avant, elles doivent atteindre le nez de l’animal dans le cas d’un lapin. Dans celui d’un lièvre, elles arriveraient au-delà du nez. Mais elles sont bien au-delà des niveaux normaux et naturels dans le cas présent.
Détail
de la photo page 4 (https://artsandculture.google.com/asset/feldhase/1QHEnzUGYMDG_w?hl=fr)
La fourrure
tombe également par exemple sur les os de la hanche qui sont très hauts et qui
forment comme deux bosses au-dessus de la région pelvienne du lapin.
Pour le Dr Christof
Metzger, il s’agit d’un « trompe-l’œil », une sorte d’anamorphose, en
ce sens que « le papier prend vie ». En effet, si l’on oriente le
dessin sous un certain angle, toute la composition reprend ses bonnes
proportions : les oreilles « rétrécissent » à une taille
naturelle et les articulations de la hanche se normalisent également. Le
tableau a donc été conçu à la fois comme une merveilleuse peinture, mais aussi
comme un jeu, comme le gardien d’une énigme ou le réceptacle d’un secret, en
tout cas, il constitue un spectacle amusant pour le spectateur.
Capture d’écran du documentaire Warum hat der Dürer-Hase so lange Ohren? (avec l’aimable autorisation du Dr Christof Metzger)
Dans cette
œuvre, Dürer a combiné la technique de l'aquarelle, tout à fait adaptée lorsque
l’on désire obtenir un véritable fondu des teintes, à celle de la gouache, qui
permet à l'artiste maniant un fin pinceau d'atteindre un très haut niveau de
précision dans les détails. De cette façon, il est parvenu à rendre le côté moelleux
de la fourrure, de l’animal que l'observateur extérieur a l’impression de pouvoir
toucher. Le blanc du papier se pare parfois de nuances rougeâtre ou grisâtre (l’ombre
du lièvre, par exemple) ou bien apparaît directement tel quel à d’autres endroits.
Il se trouve alors incorporé lui-même dans la composition chromatique, dont il
est l’une des valeurs les plus claires.
Ce dessin a
souvent été reproduit indépendamment du reste de l'œuvre. De là est née
l'impression fausse que son auteur avait une vision idyllique de la nature. Pour
certains, de telles études d'animaux, conçues comme œuvres autonomes, pourraient
peut-être trahir – mais sans aucune conviction de ma part – les menaces que
l'homme et l’animal font peser l’un sur l’autre.
Une autre
interprétation semble toutefois plus pertinente. Il faut en effet savoir que « Dürer
trouvait la peinture terriblement ennuyeuse parce qu'elle était liée à des
clients [8] ».
Or, l’artiste qui ne démérite certainement pas dans ses peintures, se sentait tout
simplement plus libre dans son art du dessin.
L’œuvre ne peut malheureusement être exposée que tous les dix ans. Mais ce n'est pas l'unique lièvre de Dürer : on le retrouve en particulier dans une gravure sur bois de la Sainte Famille aux trois lièvres.
La
Sainte Famille aux trois lièvres (œuvre dans le domaine public (source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Albrecht_Duerer-_Holy_Family_with_Three_Hares.JPG)
* * *
Passons
maintenant aux coléoptères, en l’occurrence le lucane. Et commençons par une
petite explication biologique.
Le nom
« coléoptère » vient du terme grec signifiant « ailes dans un
fourreau » et souligne un de leurs caractères : la présence d’élytres
qui correspondent à deux ailes sclérifiées, c’est-à-dire ayant subi un
durcissement. Appartenant à la classe des insectes, les coléoptères partagent également
leurs caractéristiques : la présence d’un squelette externe cuticulaire,
un corps divisé en trois parties (tête, thorax et abdomen), trois paires de
pattes et, chez l’adulte, deux paires d’ailes.
Xylophage, le lucane
(du latin Lucanus, de Lucanie ou simplement « de bois »,
puisque le lucane est xylophage et sylvicole), ou Lucanus Cervus, est, avec
ses huit centimètres, le plus grand coléoptère vivant en Europe. Il se présente
sous la forme d'un gros scarabée doté de mandibules, très impressionnantes par
rapport à sa taille, et évoquant des « bois [9] »
de cerfs. Il niche dans les cavités des vieux arbres et des troncs morts, en
forêt comme dans les champs ou prairies enclos de haies.
Mâle d'un grand
cerf-volant (source : Fondation
ProVértes )
Attention,
c'est la larve qui se nourrit de bois mort puis se
transforme en coléoptère. Le coléoptère lui-même ne se nourrit plus de bois
mort. Les coléoptères adultes (mâle et femelle) ont encore une langue avec
laquelle ils peuvent absorber la sève des arbres et le jus de fruits blessés.
Les mâles défendront l’accès à une telle plaie d’un arbre contre d'autres mâles
et pourront donc s'accoupler avec les femelles attirées par cette source de
nourriture. Autrement dit, les mâles n’utilisent pas leurs mâchoires
fortement développées pour se nourrir, mais s’en servent pour se battre avec
d’autres mâles dans le but de défendre leur territoire [10],
ainsi que pour serrer la femelle lors de l'accouplement.
Albrecht Dürer a
dessiné ce scarabée (Getty Museum) en 1505. A cette époque, le choix d'un
scarabée comme point focal d’un tableau était pratiquement inédit.
Dürer a traité son sujet avec tant de soin et de minutie, que le coléoptère semble surgir de la page pour s’échapper précipitamment. Dürer avait également incorporé l'image d'un lucane dans deux autres œuvres : La Vierge à l’Enfant parmi une multitude d'animaux (c. 1506, Albertina, Vienne, coin gauche de l’aquarelle) et L'Adoration des Mages (1504, aux Offices à Florence depuis 1793, à la suite d’un échange avec la Galerie impériale de Vienne, coin droit de la peinture).
La famille des lucanes comprend un peu plus de 1 000
espèces, dont environ la moitié ont des mâchoires fortement développées chez
les mâles. Dans l’autre moitié, il n’y a pas ou peu de différence entre les
mâchoires des mâles et des femelles. C'est donc un trait qui s'est développé il
y a longtemps et qui s'exprime à nouveau en fonction de l'écologie de l'espèce.
Chez tous ces coléoptères, on constate une énorme variation dans la
construction de leurs mâchoires, qui a une certaine relation avec la façon dont
ils se battent. De même, pour le lucane « européen » (comme dans le dessin
de Dürer), on peut dire qu'il existe une relation entre la manière de se battre
et la structure de ses mâchoires.
Dans ce cas, le combat consiste principalement à lutter,
à se soulever l’un l’autre et à projeter l’adversaire du haut de l'arbre/de la
branche. Sur des photos de ces combats, on remarquera que ces mandibules s'emboîtent
parfaitement mais aussi autour du corps de chacun. Les denticules n'ont pas
de fonction de sciage mais servent à augmenter l'adhérence.
Combat de coléoptères mâles (source : Wikiwand )
Il est vrai qu’il existe également une certaine
similitude avec les « bois » d’un cerf élaphe [11]. En biologie, on appelle
ce phénomène des développements homologues, des fonctions et des combats
similaires conduisent évolutivement à des structures similaires (pensons, par
exemple, à la forme similaire d'un poisson et d'un dauphin sans être liés). Il
existe de nombreux autres insectes chez lesquels les mâles « s'arment » pour se
battre, généralement avec des cornes (bousiers, rhinocéros, …), mais il y a
aussi des scarabées qui luttent avec des « avant-bras » surdéveloppés.
De même, en ce qui concerne l’accouplement des lucanes, les
photos montrent que pendant l'acte, les mâchoires du mâle ne touchent pas la
femelle : elles l’enferment, mais celle-ci n'est pas saisie.
Source : https://www.insecte.org/forum/viewtopic.php?p=1688301
« Si
l'on réduit ou, pour mieux dire, si l'on affine l'échelle de la prise, le monde
s'agrandit, et s'accroît la multiplicité ». Ernst Jünger, chasses
subtiles.
Les dents des mâchoires sont donc particulièrement
importantes dans les combats pour maintenir une emprise sur l'adversaire lors
du levage. L'étalage est en effet également important : lorsque deux mâles se
rencontrent, ils lèvent d'abord la mâchoire de manière menaçante (comme dans le
dessin de Dürer) et se jaugent. Dans la plupart des cas,
le plus petit mâle prendra rapidement la poudre d’escampette, les combats n'ont
généralement lieu qu'entre mâles de taille très similaire (bien qu'il y ait
aussi beaucoup de variations/comportements individuels à cet égard). Il existe
également des espèces de coléoptères (par exemple le coléoptère arc-en-ciel d'Australie
tropicale) dont les mandibules sont quasiment « factices » et ne
servent qu'à s’afficher ou paonner, car elles sont insuffisamment puissantes et
solides pour se battre.
Lucane arc-en-ciel (source : http://www.animogen.com/2015/01/15/le-phalacrognathis-muelleri-une-lucane-arc-en-ciel/)
A l'extrémité de la jambe, le tarse (pied), est constitué
d'un certain nombre de petits articles munis au bout de deux griffes
recourbées. Dans le dessin de Dürer, tous les tarses sont dessinés en arc de
cercle.
Dans la réalité biologique, tous les tarses sont mobiles
les uns par rapport aux autres et sont placés sur la surface, de sorte que la
griffe et les tarses offrent une très forte adhérence sur une surface telle que
l'écorce d'un arbre. Même pour un humain, il n'est pas facile d'arracher
simplement un coléoptère d'un arbre ou de sa main, ce qui aide donc à lutter
contre les prédateurs ou lors des combats entre mâles.
La position des tarses dans le dessin de Dürer fait
penser à un spécimen mort où l'on voit souvent que les tarses se cramponnent et
forment donc un arc. Les peintres de cette
époque collectionnaient toutes sortes de choses rares, lointaines ou
singulières dans la nature (comme des coléoptères morts) pour les utiliser dans
leurs natures mortes (cf. ces « inventaires du monde » qu’étaient les
cabinets de curiosité [12]).
En plus de la forme incurvée des tarses, le dessin de
Dürer montre que tous les articles des tarses ont la même longueur, alors que
dans la réalité, le dernier membre tarse est environ trois fois plus long que
les autres articles du tarse. Le Dr Arno Thomaes pense
aussi que l'angle entre l'abdomen (avec les élytres bruns) et le thorax (partie
médiane noire) est anormalement grand. Il est vrai qu'ils lèveront la tête dans
une position menaçante, mais cet angle semble peu naturel au scientifique, ce
qui peut s'expliquer par le fait qu'un spécimen mort a été reconstitué pour
servir de modèle.
Les élytres ne présentent également aucune bordure à
l’extérieur. Il est frappant de constater que les copies de Hans Hoffmann [13], l’élève de Dürer,
présentent les mêmes erreurs, tandis que Joris Hoefnagel peint un bord
d'élytres et un dernier tarse allongé.
Mais à part ces quelques menues remarques, le dessin de
Dürer constitue une représentation très réaliste. Dürer a même dessiné
correctement les deux antennes
en forme de peigne du cerf-volant, destinées à capter les phéromones [14] (substances chimiques de
communication entre les individus et les espèces).
Crédit image : scarabée, Albrecht Dürer, 1505 (Getty Museum) – Œuvre dans le domaine public (les cercles rouges sont évidemment de ma main pour marquer l’indication des extrémités des antennes en forme de peigne)
« L'art,
écrit Albrecht Dürer, est omniprésent dans la nature, et le véritable
artiste est celui qui peut le révéler. ». L’artiste en fait donc un
protagoniste incontournable dans ses œuvres et le lucane est l'une des études
de la nature qui ont connu le plus grand succès et les plus copiées de Dürer (notamment
par Jan Brueghel, vers 1600).
Selon le
Dr Eva Sprecher-Uebersax, le lucane a fait son entrée dans l'histoire
de l'art comme motif à la fin de la période gothique. On le
retrouve dans des retables, des représentations religieuses, des enluminures
médiévales de livres de prières, comme celui de Giovannino de
Grassi, à la fin du XIVème siècle, où il plaçait le lucane parmi un
groupe de cerfs : les mandibules du premier s'apparentaient aux « bois »
des seconds, dont le symbolisme de renouveau et donc de résurrection est bien
établi. En outre, on attribuait depuis longtemps au lucane la
capacité de lutter contre les serpents [15], d'où son emploi comme
image du Christ vainqueur du Mal et de la Mort.
Giovannino de Grassi, Livre de prières de Giangaleazzo Visconti (dernières années du XIVe siècle) (source : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/2c/Offiziolo_-_L'eterno_e_gli_eremiti.jpg
Biblioteca
Nazionale di Firenze)
– l’ajout du cercle rouge est de ma main
Selon les légendes, le lucane apporte chance à la
loterie, richesse, protection contre la foudre, protection
contre le mauvais œil et sert de philtre d'amour efficace (dans le
Haut-Palatinat, c’est tout l’adulte mâle qui était réduit en cendres et mêlé à
la nourriture comme aphrodisiaque [16]).
Le Dr Eva
Sprecher-Uebersax précise qu’il était également utilisé
comme médicament (onguent et autres), contre l’hydropisie, le rhumatisme, les douleurs à
l’oreille, les contractions nerveuses, l’énurésie nocturne, le mal de tête.
Un collier avec une tête à mandibules offrait une
protection contre les dangers et les maladies. Dans son article, « Curing
with Creepy Crawlies: A Phenomenological Approach to Beetle Pendants Used in
Roman Magical and Medicinal Practice », Adam Parker aborde cette question
des lucanes
cerfs-volants portés comme pendentifs à de telles fins dans le monde romain.
Pline l’Ancien avait déjà mentionné dans son Histoire naturelle (livre
XI, 34 (1)) cet usage : « Quelques-uns, pour la protection de leurs
ailes, sont recouverts d'une écaille, tels que les scarabées, dont l'aile est
mince et fragile ; l'aiguillon leur a été refusé. Mais une grande espèce de
scarabées a des cornes très longues, présentant à l'extrémité une tenaille
dentelée qui se rapproche, quand l'animal veut, pour pincer ; ces cornes
servent de remède dans les maladies des enfants, au cou desquels on les
suspend. Nigidius les appelle lucaniens (cerf- volant, lucanus cervus,
L.). ».
Une
référence comparable se trouve dans un texte grec du deuxième ou du troisième
siècle après J.-C. d'Antoninus Liberalis. Le texte relate un mythe de Nicandre
dans lequel un homme appelé Cérambus est transformé en scarabée : « On peut le
voir sur les troncs et il a des dents en forme de crochet, remuant constamment
ses mâchoires ensemble. Il est noir, long et a des ailes dures comme un grand
scarabée bousier. » (Antoninus Liberalis, Mét. Livre XXII).
L'histoire de Cérambus[17] se termine par le
commentaire selon lequel les jeunes garçons utilisent les coléoptères comme
jouets et que la tête est retirée pour être portée comme pendentif.
Statue d'Apollon jouant de la lyre (abbaye d'Anglesey, près de Cambridge, en Angleterre. Wikimedia Commons (licence CC BY 2.0)
Le lucane cerf-volant n'était cependant
pas très bien vu dans les légendes paysannes allemandes en particulier (on
croyait que le cerf-volant (« Hirsch-Käfer ») était considéré
comme un « insecte de feu », car – selon la légende – on croyait que
le lucane transportait des braises dans ses mandibules et incendiait les chaumières
(c’est-à-dire des habitations aux toits de chaume) et les granges.
On croyait en effet que le lucane était un bouteur de feu
ou un vecteur d’incendie, étant donné qu’il est attiré par de vieux arbres,
souvent frappés par la foudre. En allemand, on connaît le lucane sous différents
noms anciens [18]
: Hausbrenner (« brûleur de maison »,
« incendiaire »), Donnergueg [19] (« coléoptère de
tonnerre »), Donnerpuppe (« poupée
du tonnerre »), Donnerschröter (« broyeur de
tonnerre »), Feuerkäfer (« coléoptère
du feu ») Feuerschröter (« broyeur de feu »), Feuerträger (« porteur de feu »),
Köhler (« charbonnier »).
Dans les
peintures de nature morte, on retrouve souvent le cerf-volant et d’autres
insectes. L’idée était d’animer les natures mortes (vases de fleurs, tables
avec des verres et aliments etc.), par exemple dans les œuvres de Georg Flegel,
Jan Brueghel, Peter Binoit de Cologne, Jacob Marrel et Rachel Ruysch.
Vase avec œillets, papillon, lucane et chenille de Peter Binoit (XVIIe siècle) – collection particulière – aucune indication de copyright – source : https://franckanelli-fineart.com/content/feature/15/artworks-9377-peter-binoit-cologne-1590-1632-hanau-nature-morte-aux-oeillets-avec-un-papillon-un-17-eme/ – idem que précédemment en ce qui concerne le cercle rouge
Dans l'iconographie religieuse, comme nous l’avons vu, le
cerf écrasant un serpent est un symbole de la victoire du bien sur le
mal. Le lucane est considéré comme un symbole du Christ car il est
assimilé au cerf.
On se
rappellera à ce propos à la fois les mosaïques de l’abside de la basilique Saint-Clément
à Rome et – toujours dans la Ville éternelle, non loin du Panthéon – le sommet
du fronton triangulaire de la basilique di Sant'Eustachio, orné d’une tête de
cerf avec une croix rappelant la vision qu'aurait eu Eustache lors
d'une battue de chasse et qui fut à l'origine de sa conversion au christianisme.
Cerf s’attaquant à un serpent (mosaïque de l’abside de Saint-Clément à Rome –source : https://storage.canalblog.com/72/15/137895/29746157.jpg)
Tête de cerf sur le sommet de la basilique di Sant'Eustachio à Rome, symbole de la conversion d'Eustache au christianisme (licence CC BY-SA 2.5 – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Basilique_Saint-Eustache_de_Rome#/media/Fichier:Mac9012.JPG)
On peut supposer que l'intérêt de Dürer pour le lucane
est de nature religieuse (symbole du Christ), en particulier dans son tableau
de l’Adoration des Mages et dans son aquarelle la Madone parmi une multitude
d’animaux.
En
revanche, dans son dessin de 1505, Dürer délaisse la symbolique chrétienne pour
créer un nouveau concept : le sujet naturaliste pour lui-même, comme objet
d'étude et d'admiration. Son Hirschkäfer en est le modèle le
plus abouti, comme son Hase de 1502 dont nous avons parlé au début de
cet article.
C’est la raison pour
laquelle on admire énormément Dürer parce qu'il n'a pas versé dans l'idéalisme
embrassé par les Italiens de son temps (souvent avec facilité) et qu'il a
osé, lui, se mesurer avec la vérité et l'individualité des visages, des corps
et même des lièvres et des coléoptères.
Philippe Durbecq
Bibliographie succincte et sélective
- G. AMELANG, « Ueber Käferkultus », Berliner Entomologische Zeitschrift, 1887, volume 31, pp. 79-88 (Zoological-Botanical Database/Digital Literature – lien : https://www.zobodat.at/pdf/Berliner-Ent-Zeitschrift_31_0079-0088.pdf) ;
- Cabinets de curiosités, Fonds Hélène et Edouard Leclerc pour la culture, 2019 ;
- Albrecht DÜRER, à Venise et dans les Pays-Bas (traduction Charles Narrey) : Autobiographie, lettres, journal de voyages, papiers divers, Good Press, 2020 ;
- Jana GOYENS, Functional morphology and biomechanics of the armature of stag beetles (thèse de Doctorat Universiteit Antwerpen), 2015 – liens : https://repository.uantwerpen.be/desktop/irua et https://www.bbc.com/news/science-environment-26747922) ;
- Ernst JUNGER, Chasses subtiles, Coll. 10/18 (28.10.1994) ;
- Bernhard KLAUSNITZER, Wunderwelt der Käfer, Leipzig, Edition Leipzig, 1981;
- Antoninus LIBERALIS, Les Métamorphoses (texte établi et traduit par M. Papathomopoulos), Collection des universités de France Série grecque - Collection Budé, 183, 2023 ;
- Christof METZGER, Albrecht Dürer, Exhibition Itinerary : Albertina Museum, Vienna, September 20, 2019–January 6, 2020 ;
- Christof METZGER, « Comment le Lièvre est arrivé à l’Albertina », dans le catalogue de l’exposition Albertina 2014 ;
- L’Opera completa di Dürer, Classici dell’Arte Rizzoli, Rizzoli Ed., 1981 ;
- OVIDE, Métamorphoses, Coll. Garnier-Flammarion, Paris, 1966 ;
- PANOFSKY, La Vie et l’Art d’Albrecht Dürer, Bibliothèque Hazan, 2004 ;
- Adam PARKER, « Curing
with Creepy Crawlies: A Phenomenological Approach to Beetle Pendants Used in
Roman Magical and Medicinal Practice », Theoretical Roman
Archaeology Journal 2(1), 1 (2019) – lien : https://doi.org/10.16995/traj.363 ;
- Adam PARKER, « The stag beetle Lucanus cervus as a magical and medicinal Roman amulet ? » - lien : https://www.researchgate.net/publication/327474413_The_stag_beetle_Lucanus_cervus_as_a_magical_and_medicinal_Roman_amulet ;
- PLINE, Histoire naturelle ;
- Renaud PAULIAN, « Les coléoptères et l’Homme », Insectes, n° 99 de 1995 (première partie) et n° 100 de 1996 (deuxième partie) – liens : https://www.insectes.xyz/pdf/i99paulian.pdf et https://www.insectes.xyz/pdf/i100paulian.pdf ;
- Eva SPRECHER-UEBERSAX, « The stag beetle Lucanus cervus (Coleoptera, Lucanidae) in art and mythology » In: Revue d'Écologie (La Terre et La Vie), supplément n°10, 2008. 4ème colloque sur la conservation des coléoptères saproxyliques, tenu à Vivoin (Sarthe – France) du 27 au 29 juin 2006, pp. 153-159 (lien : https://www.persee.fr/doc/revec_0249-7395_2008_sup_10_1_1472) ;
- Eva SPRECHER-UEBERSAX, « Lucanus cervus depictus », Giorgio Taroni Editore, Como, 2004.
Sitologie
- Collection en ligne de
l‘Albertina :
- Site de la Maison de Dürer : https://museums.nuernberg.de/albrecht-duerer-house
- Warum hat der Dürer-Hase so lange Ohren? (https://www.youtube.com/watch?v=Whw9zm-Za4E)
[1] Voir Albrecht
Dürer à Venise et dans les Pays-Bas, ainsi que Panofsky, La Vie et l’Art
d’Albrecht Dürer.
[2] Le nom Dürer est
indirectement dérivé du hongrois Ajtósi, Albrecht Dürer
l'Ancien étant originaire du village d'Ajtós près de la ville
de Gyula en Hongrie. En Allemagne, il s'appelait
initialement Thürer (= fabricant de portes), ce qui signifie
en hongrois ajtós (ajtó = porte). Albrecht Dürer a
adapté l'orthographe Türer utilisée par son père à la
prononciation franconienne des consonnes dures (lénisation)
courante à Nuremberg et, en la convertissant en Dürer, a créé
les conditions préalables à son monogramme, le A majuscule avec le D en
dessous. Dürer fut le premier artiste important après Martin
Schongauer à marquer systématiquement ses graphismes d'un monogramme.
Cette paternité est rapidement devenue un label de qualité qui a également été
imité.
[3] Toutefois, « des
copies souvent avec un faux cachet furent produites non seulement à Nuremberg,
mais bientôt aussi à Prague et à Munich, et finalement il y eut au moins 25
lapins dans les chambres d'art européennes au XVIIIe siècle » (Christof
Metzger, « Comment le Lièvre est arrivé à l’Albertina », extrait du
catalogue de l’exposition Albertina 2014, pp. 49-52 – lien : https://sammlungenonline.albertina.at/?query=Inventarnummer=[3073]&showtype=record#/query/9a1ffb96-4afc-49c0-a87d-9763644d192d).
[4] La nature
sauvage du lièvre rend sa domestication extrêmement difficile, et il est hautement
improbable que Dürer ait pu copier un spécimen vivant dans une pose aussi statique
et une attitude aussi calme que celles figurées sur le dessin. Il aurait donc
pu étudier, sur un gibier mort, ses caractéristiques (le pelage, les oreilles
et les pattes du lièvre), et reporter le résultat de ses observations sur
un lapin domestique vivant, en position accroupie. Néanmoins,
l’aquarelle de Dürer ne représente pas une nature morte, ni un animal tué, mais
un être bien vivant, « en chair et en os ». Avec une telle œuvre,
Dürer abandonne le Moyen-Age et prouve qu’il est l’un des pionniers de
l’humanisme et de la Renaissance moderne.
[5]
Le lièvre étant un herbivore, il n’a que la fuite comme solution
pour sauver sa peau (une expression qui, à partir du XIIe siècle, a cessé
d'être uniquement employée pour un animal, mais comme synonymes de vie). Ses
grandes oreilles ultra sensibles, capables de s’orienter dans différentes
directions, lui sont donc d’un grand secours contre ses prédateurs. En outre,
c’est un remarquable sprinteur : il est capable de réaliser des pointes de
vitesse à 72 km/h et de faire des bonds d’environ 4 mètres de long et jusqu’à 2
mètres de haut. Il est aussi très habile dans les feintes destinées à
dérouter lesdits prédateurs : il est rompu aux bonds de côté, aux virages à angle
droit et aux retours en arrière. D’autre part, ses oreilles sont aussi très
vascularisées et lui servent dès lors à réguler sa température corporelle. En
effet, tout comme les chiens et
les chats, le lièvre ne possède pas de glandes sudoripares et ne peut donc adapter
sa température interne en transpirant par les pores de la peau. Donc, lorsque
le sang circule dans ces vaisseaux, il dissipe sa chaleur à travers la mince paroi
des oreilles : plus celles-ci sont grandes, mieux le lièvre parviendra à contrôler
la température de son corps.
[6] Le nom « esgourde »
se rencontre parfois comme synonyme d'oreille, mais il s'agit d'un terme
argotique très peu usité dans le langage courant (exemple : « Ma
grande rivale c’est la musique, elle est coincée, elle se détériore dans le
fond de mon esgourde... », Mort à crédit de Céline, p. 41).
[7] Warum hat der
Dürer-Hase so lange Ohren? (YouTube – lien : https://www.youtube.com/watch?v=Whw9zm-Za4E).
[9] Les bois des
cerfs sont en fait des organes osseux ramifiés (les cornes sont, quant à
elles, constituées de kératine).
[10] Dans le cadre
d’une étude placée sous l’égide de Mme Jana Goyens, les scientifiques de
l'Université d'Anvers ont filmé des combats de lucanes cerfs-volants mâles (https://www.bbc.com/news/science-environment-26747922) afin de
pouvoir évaluer leur puissance de morsure. A priori, d'un point de vue
mécanique, il semblerait que ceux-ci ne mordent pas vigoureusement. En effet,
la force générée par les muscles de la tête du scarabée doit être transférée
jusqu'à l'extrémité de chaque mâchoire (ou mandibule). Dès lors, tout comme c’est
le cas pour un très long levier, la force en question doit agir sur une
distance relativement grande. Toutefois, la tête du mâle est beaucoup plus
large que celle de la femelle, ce qui lui permet de disposer de suffisamment
d’espace pour y loger d’énormes muscles. Bref, comme l’explique Mme Goyens, on
peut faire une comparaison avec le manche d'une paire de
pinces : on doit imaginer un long levier à l'intérieur de la tête du
scarabée qui est articulé sur chacune de ses mâchoires.
[11] Cf. la thèse de
Doctorat de Jana Goyens (UA) dans laquelle l’auteure a analysé (physiquement) la
structure des mâchoires d'une espèce asiatique afin d'expliquer, sur la base de
lois physiques, la raison pour laquelle ces appendices sont construits de cette
manière. Elle a également démontré que ceux-ci ne constituent pas un fardeau
aérodynamique pour les lucanes cerfs-volants, leur permettant ainsi d’adopter
un large éventail de formes et de tailles (« Les mâchoires peu maniables
des lucanes cerfs-volants sont étonnamment lisses en vol »).
[12] Si pendant la
Renaissance italienne, le Cabinet de curiosité des Médicis a été un précurseur,
le Cabinet d’art et de merveilles (Kunst und Wunderkammer), de
l’Archiduc Ferdinand II (1529-1595) dans le château d’Ambras, à Innsbruck en
Autriche, se visite toujours aujourd’hui, ce qui en fait le plus ancien musée
du monde. Celui de Rodolphe II de Habsbourg au château de Prague fut
l’autre des plus riches et célèbres, avec le cabinet des merveilles au Château
de la Résidence de Dresde, mis en place entre 1723 et 1729, mais qui remonte à
l’origine au duc de Saxe (1521-1553). En France, il faut attendre Réaumur et
Buffon aux XVIIe – XVIIIe siècles.
[13] Hoffmann
remplace la ligne diagonale (un coin de mur ?) de Dürer par une plage blanche
ovale cerclée d'une ligne dorée au sein d'un fond bleu. La focalisation sur
l'insecte objet-à-part-entière a franchi une nouvelle étape.
[14] Cela se produit
principalement sur les extrémités des antennes et l'augmentation de la surface
est utile pour pouvoir optimaliser la détection de ces phéromones.
[15] On notera
l’origine du mot « cerf-volant » Celui-ci viendrait de serp-volante, serpe étant
un mot féminin en ancien français (1669) pour désigner un serpent. Le
mot serpe est d'origine méridionale (en occitan,
cerf-volant se dit sèrp-volaira ou sèrp-volanta et
désigne bien un serpent-volant). Le mot serp ayant disparu de la langue
française, il a été alors transcrit phonétiquement, mais de façon erronée, dans
« cerf-volant », les mots sèrp et cerf se
prononçant de la même façon. Cette transcription n'a pas de rapport avec
le cerf, le mammifère, même s'il existait une symbolique très forte à ce
sujet au Moyen Âge. Elle proviendrait toutefois d'un rapprochement avec le
nom commun du lucane appelé « cerf-volant » du fait que les
grandes mandibules du mâle ont une forme qui ressemble à celle des « bois »
d'un cerf. Quant au jouet proprement dit, il n’y a aucune relation. Quelques
dictionnaires étymologiques anciens ont bien attribué – mais par erreur – l'origine
du nom du jouet au lucane. Et c’est ainsi que l’on parle de lucaniste pour un
adepte des cerfs-volants et de lucanisme pour l'art de manœuvrer ceux-ci.
[16] Bernhard
Klausnitzer, Wunderwelt der Käfer, Leipzig, Edition Leipzig, 1981,
p. 72. Les mandibules des lucanes mâles rappellent les bois
du cerf, symboles de la puissance du mâle en rut (c’est lorsque le printemps arrive
que le taux de testostérone augmente chez le mâle, lui faisant sortir
les bois de la tête). Comme les cerfs mâles se battant en croisant
leurs bois, les lucanes mâles s’affrontent pour l’accouplement en entremêlant leurs
mandibules.
[17] L’histoire du
berger Cérambus est évoquée par Ovide (Métamorphoses, Livre VII, 353),
mais on la trouve également chez Pline et chez Antoninus Liberalis. Cérambus était
musicien (un virtuose de la flûte de Pan et l’inventeur de la lyre, ce qui
laisse déjà présager de son destin dans le mythe). Sa double faute d’ignorer
les recommandations des nymphes et d’entacher leur honneur et leur réputation lui
a valu sa punition : être transformé en lucane cerf-volant, une créature dont
les mandibules caractéristiques en forme de « bois » ressemblent aux
« cornes » de sa précieuse lyre. Transporté au sommet du Parnasse, sa métamorphose
en insecte lui permettra d’échapper au déluge de Deucalion (du nom de son
principal survivant, et dont le récit est raconté en détail par Ovide dans le
livre I, 163-312, de ses Métamorphoses).
[18] La traduction vers le
français de ces mots en vieil allemand n’est guère aisée. Par exemple « Schröter »,
le nom allemand des lucanides, désigne quelqu’un qui broie la menuise de bois
(comme le font les larves de ces coléoptères) et « Gueg » est
un ancien mot de dialecte allemand du sud qui ne s’utilise plus.
[19] Dans son article
« Ueber Käferkultus » (pp. 80-81), G. Amelang établit un lien entre
Thor et le lucane, ce dernier résidant sur les chênes, arbres sacrés de la
divinité.
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