La danse de la pyrrhique sur une hydrie attique du Musée Correale de Sorrente

(par Philippe Durbecq)

 

 


Ne soyez pas assez imbécilles (sic) pour croire que votre jardin sera grêlé, si vous avez manqué de danser la pyrrhique ou la cordace

 


Voltaire, Dictionnaire philosophique, rubrique « superstition »

 

 


A droite, hydrie attique à figures rouges (Ve siècle av. J.-C.) – © Photo issue des archives photographiques du Musée Correale (avec l’extrême obligeance de la Dottoressa Laura Cuomo) ; à gauche, une magnifique figure d’« attitude » (photo issue du blog https://classik02.skyrock.com/171505598-attitude.html)

  

  

A la mémoire du Professeur Mario Russo que j’ai eu l’honneur de rencontrer à Sorrente. Mon article est un modeste hommage à cet homme remarquable, érudit et passionné.



A mon fidèle ami Philippe Dieudonné, Docteur en histoire, grand amateur de Sorrente, qui a su s’immerger dans le plus beau paysage de l’Europe, plonger aux racines de sa cuisine savoureuse, y rencontrer des gens aimables et agréablement loquaces.

 

A Madame Delavaud-Roux, Maître de conférences à l’Université de Bretagne occidentale, pour son partage humaniste du savoir et sa grande obligeance et au Professeur Armando Cristilli, de l’Université   de Séville qui m’a apporté de précieux renseignements. Qu’ils soient ici remerciés. 



Sorrente : la légende et l’histoire

 

Comme nous l’avons déjà signalé dans un article antérieur (La Naples antique et les raisons de son « effacement » à la fin de l’Empire romain d’Occident (romaamo.blogspot.com)), lorsque l’on cherche à découvrir les racines de Sorrente, on est obligé de naviguer entre mythe et archéologie, les deux y étant étroitement et intrinsèquement mêlés.

 

Selon la tradition populaire, le nom de Sorrente proviendrait de celui des Sirènes [1] dont la légende remonte à Homère (au chant XII de son Odyssée) [2] et qui tentèrent en vain d'ensorceler par leur chant Ulysse et ses compagnons. Pline l’Ancien nous le rappelle dans son Histoire naturelle (Livre III, 9, 62) :

 

 « Litore autem Neapolis, Chalcidensium et ipsa, Parthenope a tumulo Sirenis appellata, Herculaneum, Pompei haud procul spectato monte Vesuvio, adluente vero Sarno amne, ager Nucerinus et VIIII p. a mari ipsa Nuceria, Surrentum cum promunturio Minervae, Sirenum quondam sede [3]. navigatio a Cerceis II de LXXX patet. regio ea a Tiberi prima Italiae servatur ex discriptione Augusti »

 

En réalité, Sorrente a probablement été fondée par des colons grecs, la ville devenant ensuite une cité étrusque, puis osque, samnite et enfin romaine [4], située sur un territoire qui s’étendait du fleuve Sarno au temple de Minerve, vers la Punta della Campanella.

 

Sous la domination romaine, au cours de la deuxième guerre punique, Sorrente a d’abord été l’alliée de Rome, mais, après l’écrasante défaite subie par les Romains à la bataille de Canne, elle trahit son alliée et se range dans le camp adverse, celui de Hannibal (216 avant J.-C.). Toutefois, lorsqu’elle a été conquise par le Samnite Papius Mutilus puis par Sylla, elle n'a pas été détruite, peut-être en raison de son extraordinaire beauté.

 

A l’époque impériale, dès le Ier siècle avant notre ère, Sorrente devint avec Baia et Ischia, le point de chute des patriciens romains qui avaient choisi la baie de Naples comme lieu de villégiature privilégié.

 

Ceux-ci y installent leurs splendides villas, toutes emperlées le long d’une ligne reliant les points de vue les plus panoramiques de la côte [5]. Les villas et leurs jardins constituaient l’écrin adéquat (un refuge, un cadre de sérénité [6] et un havre de paix) dans lequel pouvait être mise en œuvre la pratique de l’otium, le loisir cultivé des Romains aisés, lors des pauses politiques notamment.

 

Trois villas séparées ou une seule ?

 

Certains hôtels de Sorrente conservent dans leur enceinte des vestiges de ces anciennes villas. C’est ainsi que le Grand Hotel l’Excelsior Vittoria en particulier possède des restes antiques importants.

 

On y a notamment mis au jour d’importants témoignages du passé : les ruines d’une piscine romaine (natatio), découvertes à côté de l’actuelle piscine principale de l’hôtel (elle a été mise au jour lors de la rénovation de cette dernière) et toujours visibles, des éléments décoratifs en marbre (statues, colonnes et chapiteaux) et un tuyau de plomb (fistula) pour l’écoulement de l’eau de la piscine.

   



A gauche, une vue aérienne des ruines d’une piscine romaine (natatio), découvertes à côté de l’actuelle piscine principale de l’hôtel Excelsior Vittoria (issue de Google Earth) ; à droite, vestiges de cette ancienne natatio (avec l’aimable autorisation de Madame Marilara Morvillo, Assistente CEO Office © Hotel Excelsior Vittoria di Sorrento)

 



  Vestiges des futs de colonnes et chapiteaux du jardin (avec l’aimable autorisation de Madame Marilara Morvillo, Assistente CEO Office © Hotel Excelsior Vittoria di Sorrento) 


La natatio faisait certainement partie de la splendide villa de l’empereur Auguste, dont on dit, selon toute vraisemblance, qu’elle s’est élevée directement sur le sol où se dresse aujourd’hui l’Excelsior Vittoria.

 

Aucune ruine de la villa n’est actuellement visible, à l’exception de ces vestiges de la piscine et de certaines parties des colonnes du jardin de l’hôtel.

 

Dans le parc ont aussi été retrouvés les vestiges d’un complexe thermal et d’une galerie souterraine (crypta) parallèle à la voie publique de l’hôtel. Conservée sur environ 95 mètres (sur une longueur de 190 m) et encore ouverte de nos jours, cette galerie, taillée dans le tuf, débute en hauteur, descend en pente (15 %) de façon rectiligne et se termine au niveau de la mer (elle reliait la Via Minerva à Marina Piccola, peut-être utilisé comme port militaire pendant les guerres civiles).

 

Ce genre de galerie, construite sous l’influence des cryptes phlégréennes (la crypta neapolitana reliant Naples à Pouzzoles et la Grotte de Séjan [7]Grotta di Seiano)  réalisées par l’affranchi [8] Lucius Cocceius Auctus (architecte et ingénieur romain originaire de Cumes, le préféré d’Auguste et d’Agrippa [9] d’après une inscription du temple d’Auguste à Pozzuoli), permettait de faire communiquer les villas romaines avec le littoral situé en contre-bas. 

 

Inscription du temple d’Auguste à Pozzuoli nommant l’affranchi, Lucius Cocceius Auctus, l’architecte préféré d’Auguste et d‘Agrippa (source : http://gerardcoulon.chez-alice.fr/architecte/architecte.htm)


Ventilée par deux puits, elle avait pour fonction, dans ce cas-ci, d’assurer le passage des personnes et le transport de matériaux pondéreux à usage militaire d’abord et civil par la suite [10].

 

De même, l’hôtel Tramontano abrite des ruines d’une villa qui n'était peut-être que le prolongement de la grande villa dite d'Agrippa Postumus.

 

Agrippa Postumus était le fils posthume de Marcus Vipsanius Agrippa et de sa troisième épouse Julia, fille de l'empereur Auguste. Adopté par ce dernier (l’empereur est donc son père adoptif), Postumus tomba en disgrâce en raison de son comportement (les sources nous apprennent qu’il était atteint de démence) et fut relégué en l’an 7 à Sorrente (près du cap Misène, siège de la base navale militaire qui abritait la flotte impériale fondée par son père des années auparavant), puis dépouillé de ses biens reversés au trésor militaire (Ærarium militare).

 

Comme sa « folie » ne faisait que s’exacerber – à moins que ce ne soient plutôt la haine que nourrissait Livie à son égard ou plutôt l’ambition de cette dernière pour son fils Tibère ou encore l’insistance de Postumus à réclamer l’héritage de son père à Auguste –, il fut ensuite envoyé sur l'île de Pianosa située dans l’archipel toscan (entre l’île d’Elbe et la Corse), avant d’être assassiné dès la mort d’Auguste en 14, probablement par son rival Tibère, dont ce fut le premier acte de gouvernement [11].

 

En fait, Postumus n’avait commis aucun crime. Sa déveine réside dans le fait qu’il est le seul héritier mâle direct d’Auguste, ce qui constituait un sérieux écueil à la succession de Tibère. Livie, épouse d'Auguste et mère de Tibère (né d’un premier mariage), était probablement à l'origine des décisions prises à l’encontre de Postumus, ainsi que la probable instigatrice secrète du crime (Tibère a toujours nié en avoir donné l'ordre). Tacite et Dion racontent la visite ultra-secrète qui eut lieu entre Auguste et Postumus (illustrée dans le film « Moi, Claudius », épisode 4). Dans son ouvrage Agrippa Postumus Splitter einer historischen Figur, Ralf Scharf a montré combien certaines assertions de ces auteurs étaient tendancieuses. 

 




A gauche, photo de la série « Moi, Claudius » (épisode 4) illustrant l’entrevue secrète entre Postumus et Auguste issue du site http://imperioromanodexaviervalderas.blogspot.com/2019/01/agripa-postumo.html ; à droite, tête en basanite d’Agrippa Postumus au Louvre (Licence : GNU Free Documentation – Source/Photographe : User:Mbzt, 2012)

 

La Villa s'appelle « d’Agrippa Postumus » uniquement du fait que les sources qui s’y rapportent affirment que le neveu d'Auguste y a d'abord été exilé. En réalité, il s'agit d'une propriété impériale, qui a probablement abrité Agrippa Postumus pendant une certaine période. C'est la raison pour laquelle on l'appelle ainsi, mais, techniquement, il s’agit d’une propriété familiale, pas d’une possession personnelle du prince.

 

Dans son article « Surrentum ductum amoenum. Sculture in marmo dalla « c.d. Villa di Agrippa Postumo » a Sorrento », Armando Cristilli le mentionne explicitement et, surtout, l’auteur considère toutes les structures qui vont de l'hôtel Tramontano à l'hôtel Bellevue Syrene comme une seule et même propriété (le plan de M. Russo qui sert d’illustration au présent article la présente plutôt comme des villas séparées), qui sera propriété impériale au moins jusqu'à Antonin le Pieux. 

 

Plan de Mario Russo issu de Armando Cristilli (2012) et montrant l’emplacement de la villa d’Agrippa Postumus

 

Une autre villa construite par Marcus Vipsanius Agrippa à partir de 20 avant J.-C. environ et léguée à Agrippa Postumus se trouve à Boscotrecase. Elle a livré de magnifiques fresques conservées au Metropolitan Museum of Art de New York et au musée archéologique national de Naples [12].

 

Son lieu d’exil, la villa de Pianosa, quant à elle, a été découverte par l’archéologue Gaetano Chierici dans la seconde moitié du XIXe siècle [13].

 

Près de l'actuel Hôtel Bellevue Syrene, se trouvait la Villa dite d'Agrippa Postumus, dont il ne reste que des ruines du vivier [14] et de ses deux nympheums, l’un majeur, l’autre mineur (le kayak est la meilleure façon de visiter ces ruines, car il permet de pénétrer dans le vivier).

 







A gauche, une vue d’ensemble des ruines de la villa d’Agrippa Postumus (source : http://www.bagnisalvatore.com/core/it/archeologia/) ; à droite, l’intérieur du « vivier » dit aussi Grotta di San Giorgio – Capture d’écran de la vidéo https://www.youtube.com/watch?v=epmrLhi9Yf0

 

L’hydrie attique du musée Correale

 

Les vestiges archéologiques mis au jour au Grand Hotel Excelsior Vittoria ne concernent pas exclusivement la période augustéenne. D’autres sont beaucoup plus anciens et non moins intéressants.

 

Une nécropole préromaine a en effet également été découverte dans la propriété de l’Hotel. Une des pièces les plus intéressantes est une hydrie (vase à eau) attique à figures rouges (Ve siècle avant J.-C.). 

 

Hydrie attique à figures rouges (Ve siècle av. J.-C.) – © Photo issue des archives photographiques du Musée Correale (avec l’extrême obligeance de la Dottoressa Laura Cuomo) 

 

On y voit une femme casquée (c’est une pyrrhichiste) et portant un bouclier qui exécute une danse armée : la pyrrhique. La danseuse porte en outre une bandelette croisée sur la poitrine, équivalent d'un soutien-gorge [15]. Au-dessus de la tête de la danseuse, on lit l’inscription καλος | καλ(η) [16]. Elle est encadrée d’une joueuse de diaule [17] qui l’accompagne et d’un éphèbe appuyé sur un bâton qui observe la scène.   

 

Illustration d’une diaule : à gauche, détail d’une coupe attique, garçon jouant de l’aulos en gonflant les joues, 460 av. J.-C., musée du Louvre (domaine public – source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Aulos_%28instrument%29#/media/Fichier:Banquet_Euaion_Louvre_G467_n2.jpg) ; à droite, démonstration par Barnaby Brown qui joue sur une reproduction d’un original du Louvre (https://www.youtube.com/watch?v=Ik8cS_60aSI)

 

Ce vase (référence dans la base des archives Beazley, BAPD 214576) peut être comparé avec le cratère en calice du musée du Louvre (BAPD 214553) également attribué au peintre de Cassel [18].     



A gauche, Sir John Beazley cataloguant un vase inidentifié dans le Museo Archaeologico Nazionale de Ferrare, Automne 1956 (source : Courtesy of the Beazley Archive, Classical Art Research Centre, University of Oxford – auteur : « Prof. Alfieri » (probablement Nereo Alfieri – URL : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Sir_John_Beazley.tif) ; à droite, cratère en calice du musée du Louvre attribué au peintre de Cassel (BAPD 214553) – source : https://collections.louvre.fr/en/ark:/53355/cl010270325 (utilisation autorisée dans le cadre de publications numériques à vocation scientifique ou pédagogique)

 

Le nom de la pyrrhique est généralement associé au héros mythique Pyrrhus, le fils d'Achille, auquel son invention est parfois attribuée [19]. Les danses en armes apparaissent dès le Néolithique. On les retrouve d'abord en Crète, à Sparte puis à Athènes. La pyrrhique est, à l'origine, à la fois une danse religieuse et un exercice militaire (au départ, un rituel cacophonique destiné à chasser les mânes des soldats ennemis morts afin que les compatriotes tombés au champ d’honneur puissent reposer en paix et à redonner de la vigueur aux vivants). Elle faisait donc partie de l’entraînement militaire, contribuant ainsi – entre autres – à acquérir une parfaite coordination entre le corps et l’esprit, une qualité essentielle si l’on veut se comporter, sur le champ de bataille, comme un soldat d’une valeur supérieure à celle de l’ennemi. Il s’agissait d’une véritable danse dont l’on comptait au moins dix-huit versions (en solo, en duo, ou en ensemble) et dans laquelle tous les mouvements étaient enchaînés sur un rythme donné par le joueur de flûte.

 

Dans la figure chorégraphique illustrée par l’hydrie de Sorrente, la torsion de la tête et du torse vers l’arrière est quasi maximale. La danseuse est en équilibre sur la demi-pointe, la jambe gauche est levée à l’horizontale (Marie-Hélène Delavaud-Roux rapproche cette posture de la pose dite « attitude » dans la danse classique [20]).  

 
 

A droite, hydrie attique à figures rouges (Ve siècle av. J.-C.) – © Photo issue des archives photographiques du Musée Correale (avec l’extrême obligeance de la Dottoressa Laura Cuomo) ; à gauche, une magnifique figure d’« attitude » (photo issue du blog https://classik02.skyrock.com/171505598-attitude.html) 

 


Andrew Yamato et John Bracken du groupe de reconstitution de la Grèce antique « The Phalanx » dans une interprétation spéculative d’une « pyrrhique » grecque ancienne lors de l’événement chronologique « Across The Centuries » à Fort Loudon, en Pennsylvanie, en mai 2022. Capture d’écran de la vidéo d’Andrew Yamato (source :  https://www.youtube.com/watch?v=U1Jk8WWIzGM)

 

Capture d’écran de la vidéo Serra – Dora Stratou - YouTube

 

Capture d’écran de la vidéo Greek War Dance, Bloody & Violent (Pyrrhic Dance) - YouTube

 

Cette danse, exécutée par une danseuse professionnelle, aux mouvements donc plus souples que ses homologues masculins de la palestre, est presque (hormis le casque et le bouclier) exempte de toute connotation militaire : le corps de la pyrrhichiste est presque totalement dévoilé (à part une simple bandelette croisée sur la poitrine destinée à soutenir les seins lors de cet exercice physique) et elle ne tient pas une lance hoplitique, mais un banal bâton noueux [21]. Marie-Hélène Delavaud-Roux penche dès lors pour une répétition d’une hétaïre en vue d’une prochaine prestation chorégraphique lors d’un banquet [22].

 

Un cratère en cloche du Musée archéologique de Naples illustre ce genre d’exhibition lors d’un symposium : vêtue d’un périzôma (pagne), d’une bande croisée sur la poitrine, coiffée d’un casque attique et armée d’une lance et d’un bouclier rond, la pyrrhichiste effectue un bond, tandis que les hommes sont étendus sur leur klinê (ceux aux deux extrémités jouent, l’un au cottabe, l’autre de son instrument, la diaule). Le geste du voisin du musicien est difficile à interpréter : peut-être s’agit-il – comme le pense Jean-Christophe Couvenhes [23] – de refroidir les ardeurs de son compagnon de droite envers la danseuse.  

Cratère en cloche, Naples, Stg [= collection Santangelo] 281, peintre de Lycaon (provenance : Sorrente) – source : https://books.openedition.org/psorbonne/33259?lang=fr (reproduction avec l’aimable autorisation de M. Jean-Christophe Couvenhes)

 

Dans ses Lois (VII, 815a), Platon mentionne quelques éléments de la pyrrhique et Xénophon, dans son Anabase (VI, 1, 4-13), décrit plusieurs danses armées (car la pyrrhique n’en est que la plus célèbre) : le kolabrismos (explicité, mais sans être nommé), la karpaia, la persique ou oklasma, le prosodion ou l'enoplion. La dernière danse citée est une pyrrhique féminine, car si cette danse fut d'abord interprétée par des hommes, elle fut ensuite dansée aussi par des femmes (comme c’est le cas sur l’hydrie du musée Correale).

 

Comme elle était un simulacre de tous les gestes du combat, l’apprentissage de la pyrrhique constituait impérativement un des piliers de l’éducation de tout jeune Grec, a fortiori chez les Spartiates. La danse en général faisait partie intégrante de la gymnastique, l’art d’exercer le corps pour le fortifier et la musique elle-même revêtait une grande importance, parce que considérée comme un don des dieux et un art qui construit le cerveau.

 

Signalons encore les magnifiques inscriptions laissées en hommage aux vainqueurs des concours de pyrrhique organisés dans le monde grec [24], comme la dédicace figurant sur une base en marbre du Pentélique exposée au musée archéologique national d’Athènes.

 


      


Base en marbre du Pentélique avec dédicace pour une statue (perdue) des vainqueurs d'une danse pyrrhique exposée au musée archéologique national d’Athènes (auteur : Giovanni Dall’Orto (travail personnel) – source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:0508_-_Archaeological_Museum,_Athens_-_Pyrric_dancers_-_Photo_by_Giovanni_Dall%27Orto,_Nov_10_2009.jpg

 

Un mot encore au sujet des détails qui émaillent le décor de l’hydrie attique de Sorrente : à gauche de la pyrrhichiste, vole un Eros [25] et à droite est suspendu l’étui de la diaule de la musicienne.

 

 

Les pièces antiques du musée Correale ne rivalisent bien sûr pas avec les prestigieuses collections des grand musées archéologiques romains et napolitains, mais ce n’est pas son ambition.

 

Les vestiges gréco-romains dont le musée a la garde sont des témoignages parfois uniques d'événements marquants sur le plan historique et leur valeur vient de là. D’autres, comme cette hydrie ornée d’une scène de pyrrhique, ont beaucoup de choses à nous apprendre.

 

En outre, le musée se veut générique et héberge aussi de très belles collections de marqueterie, de peintures et de porcelaines.

 

La visite du musée Correale s’avère donc extrêmement enrichissante et instructive à cet égard. 


En point d’orgue, le visiteur pourra s’extasier, sur le belvédère situé au fond du jardin du musée, devant une vue panoramique de la magnifique baie qui, dans l’Antiquité, a attiré les Grecs en ce lieu … et qui, de nos jours, charme les jeunes mariés. 

                                                                                                             

                                                                                                                Philippe Durbecq



(photo modifiée issue de Pinterest dans le cadre de mon abonnement – source : https://www.pinterest.it/pin/423479171187468718/)

     

Bibliographie

  •  Anatole BAILLY (11e éd.), Dictionnaire grec-français, Hachette, 1935 (Paris) ;

  • Francesco BARBAGALLO, Archeologia, Libertà e Mezzogiorno : Umberto Zanotti Bianco e Paola Zancani Montuoro, Società Magna Grecia, Atti e Memorie n° 1, 1992.
  • Annie BELIS, Les musiciens dans l’Antiquité, Hachette Littératures, Paris, 1999 ;
  • Karl Julius BELOCH, Surrentum im Alterthum- Sorrento nell'antichità, Gerni, Gervasiana.Studi, 1993 ;
  • Karl Julius BELOCHCampanien : Topographie, Geschichte und Leben der Umgebung Neapels im Alterthum (avant 1923), Nabu Press, 2010 ;
  • Ignazio E BUTTITTA, « La Danza di Ares forme e funzioni delle danze armate », Popoli culture società, Bonanno editore, 2014 ;
  • Paola CECCARELLI, La pirrica nell'antichita greco romana, studi sulla danza armata, Editoriali e Poligrafici Internazionali, Pisa-Rome, 1998 ;

  • Antonella CORALINI, « Extra Monenia. Abitare il territorio della regione vesuviana », Ricerche e studi 1,  Scienze e Lettere, Rome, 2021 ;
  • Armando CRISTILLI, « L'arredo scultoreo delle villae maritimae della Penisola Sorrentina » in C. Pepe - F. Senatore (eds), Piano di Sorrento. Una storia di terra e mare, Rome 2012, p. 77-95 ;
  • Armando CRISTILLI, « Surrentum ductum amoenum. Sculture in marmo dalla « c.d. Villa di Agrippa Postumo » a Sorrento », Oebalus, Scienze e lettere, Roma, 2011 ; 

  • Jean-Christophe COUVENHES, « Danseuses et danseurs en armes au banquet : quelques remarques à partir des vases (520-420 av. J.-C.) », In : Problèmes du genre en Grèce ancienne, Paris : Éditions de la Sorbonne, 2007 (URL : https://books.openedition.org/psorbonne/33259?lang=fr) ;

  • DAREMBERG et SAGLIO, Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines, (article « saltatio », p. 1027 pour la pyrrhique) ;
  • Marie-Hélène DELAVAUD-ROUX, « Ideias e Críticas, Les concours de pyrrhique dans le monde grec du Ve au IIe s. av. J.-C.) », Dramaturgias, (6), 383–390 ;

  • Marie-Hélène DELAVAUD-ROUX, Les danses armées en Grèce antique, Publications de l’Université de Provence, 1993 ; 

  • Félix GAFFIOTDictionnaire latin français, Hachette, 1934 ;

  • Henri JEANMAIRE, Couroi et Courètes, Bibliothèque universitaire, Lille, 1939 ;

  • Mario RUSSOArcheologia tra l'hôtel Vittoria e Capo Circé: scavi e rinvenimenti dal Settecento a oggiCentro di studi e ricerche multimediali Bartolomeo Capasso, Sorrente, 1997 ;

  • Paolo SCARPI, « La pyrrhiche o le armi della persuasione »Dialoghi di archeologia, 1, Editori reuniti,1979 ;
  • Ralf SCHARF, Agrippa Postumus : Splitter einer historischen FigurKnecht, 2001 ;  
  • Louis SECHAN, La Danse grecque antique, E. de Boccard, 1930 ;

  • SUETONE, Vie des Douze Césars, Le Livre de Poche, 718-719, Paris, 1970 ;
  • TACITE, Annales, Garnier-Flammarion 71, 1965 ;

·      Georges VALLET, « La Presqu’île de Sorrente dans l’Antiquité préromaine : à propos de deux livres récents », Journal des Savants, 1, pp. 3-19, 1993 (URL : https://www.persee.fr/doc/jds_0021-8103_1993_num_1_1_1561) ; 

  • XENOPHON, AnabaseLes Belles-Lettres, Paris, 2003 ; 
  • Paola ZANCANI MONTUORO, Συρρεντόν Surrentum-Sorrento, Sorrento - AIΩN - Annali dell'Università degli Studi di Napoli « L'Orientale » - Rivista del Dipartimento del mondo classico - n. 6 – 1984.

 

Bases de données

 

Sitologie (Vidéos de visites et de danses)

 


[1] Du grec ancien ΣειρήνSeirḗn (« accrocheuse », « séductrice »). Voir « Surrentum », dans le Dictionnaire latin français de Félix Gaffiot et Paola Zancani Montuoro, Συρρεντόν Surrentum-Sorrento.

[2] Comme le signale Madame Leclercq-Marx dans son ouvrage La Sirène dans la pensée et dans l’art de l’Antiquité et du Moyen Âge. Du mythe païen au symbole chrétien, l'île des Sirènes n'a pas échappé aux tentatives de localisation. Lorsque les aventures d'Ulysse furent situées dans la mer Tyrrhénienne, on plaça les Sirènes soit en Sicile – sur le cap Pelorias, dans l'Etna ou à Catane –, soit aux Sirénusses. Ce nom fut donné par certains à un petit archipel composé de trois îlots dans le golfe de Posidonia, par d'autres, au cap qui sépare le golfe de Cumes de celui de Posidonia sur lequel, par ailleurs, un temple leur était consacré. La légende veut que le nom de l’archipel de Li Galli (« les coqs ») situées non loin de Positano et d’Amalfi, dérive de l’iconographie des sirènes, c’est-à-dire de l’apparence que l’art grec leur avait attribuée, à savoir celle de femmes-oiseaux. L’assimilation de l’archipel de Li Galli avec les sirènes n’est pas un hasard : ces dernières représentent dans la mythologie grecque les obstacles et les dangers pour la navigation, et dans cette zone en particulier, les courants marins qui ont souvent drossé les bateaux sur les rochers où ils s’y fracassaient, les faisant ainsi faire naufrage.

[3] « (…) Sorrente avec le promontoire de Minerve, jadis le séjour des sirènes (…) ».

[4] Le plan d'urbanisme actuel reflète encore la géométrie typique d'un municipe romain (plan orthogonal).

[5] Cf. Le livre d’Antonella Coralini, Extra Monenia. Abitare il territorio della regione vesuviana et, en particulier, la carte (figure 1), p. 132. A côté des vestiges déjà mis au jour, on notera aussi l’indication sur cette carte d’un nombre abondant d’emplacements conjecturés de villae, ce qui témoigne bien de l’incroyable richesse culturelle et artistique de la région, mais aussi tout le potentiel archéologique qui reste encore à découvrir ! 

[6] Ce n’est pas pour rien si une villa de la baie de Naples porte le nom de « Pausilypon, (« le lieu qui apaise la douleur », « où l’on retrouve la santé »). Bref, un lieu qui permet de se régénérer et de se resourcer.

[7] Préfet du prétoire et le plus proche conseiller de Tibère, qui fit élargir et réaménager ce tunnel.

[8] Auctus a été libéré par Lucius Cocceius Nerva, l'homme qui a négocié la réconciliation entre Octave et Antoine en 40 avant JC à Brundisium, un parent éloigné de Marcus Cocceius Nerva, empereur de 96 à 98.

[9] Travaillant pour ces deux commanditaires, Auctus construisit les tunnels reliant le lac Averne et Cumes, ainsi que le premier Panthéon, avant son incendie et sa reconstruction sublimée sous Hadrien. La conception de la nouvelle version du Panthéon pourrait être l’œuvre de l'architecte Apollodore de Damas, contemporain d’Hadrien, déjà auteur probable des grandes réalisations de Trajan (forum, thermes et marchés de Trajan). Malheureusement, aucune source, ni document d’aucune sorte ne vient corroborer cette thèse.

[10] Pour plus de détails, voir Mario Russo, Archeologia tra l'hôtel Vittoria e Capo Circé: scavi e rinvenimenti dal Settecento a oggiCentro di studi e ricerche multimediali Bartolomeo Capasso, Sorrente, 1997.

[11] Suétone, Vie des Douze Césars, Livre LXV, Tacite, Annales Livre I.6 et Dion Cassius, Histoire romaine, Livre LVII.3.

[14] Dite aussi Grotta di San Giorgio, mais qui pourrait avoir été une salle de banquet (il y a des plateformes latérales pour les lits romains).

[15] Jean-Claude Poursat parle de bandelette mais on peut utiliser le terme στρόφιον (strophion) qui peut correspondre soit à une bandelette utilisée en soutien-gorge, soit à un bandeau ou une bandelette pour la tête.

[16] L’Eta n’a pas le trait horizontal.

[17] L’aulos se jouait presque toujours par paires accouplées (auloi doubles ou diaulos) permettant au musicien (qui avait donc un tuyau dans chaque main et deux embouchures dans la bouche) d’exécuter deux mélodies distinctes. Faire varier leur angle d’ouverture était un art subtil qui exigeait des « doigts de crabe ». La répartition de la mélodie entre les deux parties de la flûte nous est mal connue, ce qui est fréquent dans le domaine de la musique ancienne. Les auloi étaient en bois, parfois en ivoire ou en os (étant donné que les deux flûtes devaient être tenues en même temps, le matériau ne devait pas être trop pesant) et les anches en roseau d’une variété particulière séché pendant trois ans avant d’être taillé. Pour plus de détails, consulter Annie Bélis, les musiciens de l’Antiquité.

[18] Voir Marie-Hélène Delavaud-Roux, Les danses armées en Grèce antique, pp. 133-134.

[19] Cf. le site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) : https://www.cnrtl.fr/definition/academie8/pyrrhique. Toutefois, Pyrrhus étant un personnage légendaire, l’étymologie pourrait provenir, d'après le philologue allemand Georg Curtius, d’une danse aux flambeaux (πυῤῥίχη construit à partir de la racine πῦρ, « feu » : cf. nos mots pyromane, pyrolyse, etc.), c’est-à-dire la danse du feu évoquée par Aristophane (Les Acharniens, vers 665-75) dans le superbe chœur à la Muse acharnienne : « Viens ici, ô Muse acharnienne, ardente et vive comme la flamme, fais entendre tes mâles accents. Tout comme des charbons d’yeuse jaillit l’étincelle excitée par un souffle favorable, quand, ayant les petits poissons à portée de la main, les uns tournent la marinade de Thasos, au bandeau brillant, pendant que d’autres pétrissent la galette, de même, avec une mélodie entraînante, sonore et rustique, viens à moi, ton compagnon de dème. » (N.B. : les Acharniens sont les habitants du dème d’Acharnes).

[20] Marie-Hélène Delavaud-Roux, Les danses armées en Grèce antique, p. 133. La référence à la danse classique, même si elle est anachronique, peut effectivement servir à juste titre de point de comparaison. L'idéal aurait été une photo de la danse guerrière grecque pontique serra, mais ni Madame Delavaud-Roux, ni moi-même ne possédons de photo qui corresponde à cette posture. Certaines vidéos sont néanmoins susceptibles de donner une idée générale de la pyrrhique (https://www.youtube.com/watch?v=U1Jk8WWIzGM) et de la danse pontique (du théâtre Dora Stratou : https://www.youtube.com/watch?v=koogxNFkARM). Cette serra est souvent suivie d'une autre danse machairia, (au singulier machairion μαχαίριον le couteau) également pontique, où l'on voit un duel au couteau (Greek War Dance, Bloody & Violent (Pyrrhic Dance) - YouTube). Le site de ce théâtre, véritable musée vivant de la danse grecque, depuis 70 ans et institution d’utilité publique, placée sous le patronage de la ville d’Athènes, est le suivant : https://www.grdance.org/en/greek-dances-theatre-dora-stratou/.

[21] Pour Jean-Christophe Couvenhes, « Danseuses et danseurs en armes au banquet : quelques remarques à partir des vases (520-420 av. J.-C.) », la substitution de la lance par le bâton doit être interprétée comme « une façon de placer le sujet dans le domaine de l’altérité » (alinéa 18 – URL : https://books.openedition.org/psorbonne/33259?lang=fr).

[22] Marie-Hélène Delavaud-Roux, Les danses armées en Grèce antique, p. 134.

[23] Cf. Jean-Christophe Couvenhes « Danseuses et danseurs en armes au banquet : quelques remarques à partir des vases (520-420 av. J.-C.) », note 22 (https://books.openedition.org/psorbonne/33259).

[24] Considérée comme un exercice préparatoire à la guerre, cette danse faisait « l’objet dans de très nombreuses cités du monde grec (…) de concours, qui concern[ai]ent le plus souvent des éphèbes, mais parfois également d'autres classes d'âges. » (Marie-Hélène Delavaud-Roux, Ideias e Críticas, Les concours de pyrrhique dans le monde grec du Ve au IIe s. av. J.-C.). Paola Ceccarelli, a travaillé sur les inscriptions évoquant la pyrrhique dans ces concours. Son ouvrage La pirrica nell'antichita greco romana, studi sulla danza armata,

[25] Pour l’Eros, on renverra à l’article de Jean-Christophe Couvenhes, « Danseuses et danseurs en armes au banquet : quelques remarques à partir des vases (520-420 av. J.-C.) » : « Éros peut être interprété comme un symbole de la victoire, ce qui semble naturel dans le contexte d’une danse armée, peut-être exercée dans le cadre de concours. Mais Éros a aussi une signification sexuelle, sinon érotique, qui peut s’adresser aux destinataires du vase. ». Aussi l’auteur précise bien qu’aller au-delà de ce simple constat présente le risque de tomber dans le piège d’une surinterprétation.


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